27 novembre 2023 à 20h21
De plus en plus de témoignages font état de violences sexuelles exercées par le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre en Israël. Plusieurs enquêtes sont en cours. Mais le débat politique, lui, est déjà très vif en Israël et en France.
Mise en garde
Cet article fait état de violences sexuelles, sa lecture peut être particulièrement difficile et choquante.
Ainsi va le sort des femmes. Victimes de violences de genre lors des conflits armés, leur souffrance se double souvent d’instrumentalisations en pagaille et de déchirements politiques bien éloignés de leurs intérêts. Depuis le 7 octobre, le travail d’enquête patient sur les atrocités commises par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens s’accompagne d’une polémique sur le supposé silence des féministes et des ONG de défense des droits humains. En cause : les violences sexuelles et le caractère genré des attaques qui ont fait 1 200 mort·es en Israël.
L’angoisse étreint les familles de victimes, que celles-ci soient mortes ou otages. « Je n’ose imaginer ce que les femmes et les filles ont pu ou peuvent subir depuis le 7 octobre. La crainte des viols me hante, je n’en dors plus », confie à Mediapart une proche dont plusieurs membres de son entourage ont été kidnappé·es.
Ces dernières semaines, plusieurs témoignages recueillis par des professionnels ou diffusés dans les médias, les réseaux sociaux, ainsi que sur des sites rassemblant la parole des victimes, laissent à penser que des violences sexuelles basées sur le genre ont été perpétrées le 7 octobre. La majorité de ces témoignages sont indirects et démontrent l’extrême difficulté de documenter ces crimes dont l’ampleur reste à évaluer.
Les enquêtes s’annoncent longues et difficiles : ces violences, connues pour être des armes de guerre, sont encore plus complexes à documenter et à faire émerger parce qu’elles touchent à l’intime, que les victimes vivantes peuvent, sous le poids du tabou, de la honte, du traumatisme, se taire à jamais, et que celles qui sont mortes ne pourront jamais témoigner.
Les éléments d’enquête
Le 14 novembre, la police israélienne a annoncé enquêter sur « plusieurs cas » de violences sexuelles, dont des viols et des mutilations génitales qui auraient été commises sur des femmes le 7 octobre. Elle a assuré auprès des journalistes disposer d’indices visuels, de preuves ADN, de photos détaillées des corps même si tous, certains très dégradés, n’ont pas pu faire l’objet d’une autopsie et de recherches de causes de la mort.
Si « aucune victime vivante n'a dit avoir été violée », « nous avons de multiples témoins dans plusieurs affaires », indiquait alors David Katz, chef de la section cyber de l'unité de police criminelle Lahav, cité par l’AFP. Il évoquait une enquête qui pourrait durer « six à huit mois ».
Un des enjeux sera de déterminer si les viols ont été commis de façon systématique, planifiés par le Hamas ou s’ils relèvent de certains combattants hors de contrôle. D’après la police israélienne, plusieurs assaillants du Hamas, capturés depuis le 7 octobre, ont affirmé lors de leurs interrogatoires avoir reçu l’ordre de « violer et souiller » des femmes. Des déclarations sujettes à caution dans un contexte guerrier.
Lors d’une projection à la presse, l’armée israélienne a diffusé le témoignage filmé d’une survivante de la rave party près du kibboutz Reim, décrivant un viol collectif sur une femme abattue pendant son agression. « Ils la tenaient par les cheveux. Un homme lui a tiré dans la tête alors qu’il la violait », a-t-elle livré.
Cette survivante, interrogée par la police, affirme avoir vu « un groupe de femmes emmenées par des hommes armés en uniformes militaires ». Elle avait fait la même description à un autre festivalier qui n'était pas témoin, ce qu’il a confirmé aux autorités.
La police a également montré à la presse internationale des documents appuyant son enquête, notamment des photos. L’une, prise sur le site de la rave party, montre le corps d’une femme avec le bas du corps dénudé, allongée au sol sur le dos, les jambes écartées et présentant des traces de brûlure à la taille et aux membres. Une autre photo montre une femme nue, jambes écartées, sa culotte baissée.
D’autres images sont devenues virales et ont été reprises par des féministes dans des manifestations appelant à la reconnaissance du féminicide de masse commis par le Hamas, à l’instar de celle du corps de l’otage israélo-allemande Shani Louk, exhibée à l’arrière d’un pick-up dans une vidéo diffusée peu après les attaques par les hommes du Hamas, inconsciente et à moitié nue, le pantalon taché de sang à l’entrejambe. Sa mort a été annoncée fin octobre.
Parmi les témoignages entre les mains des autorités et qui circulent dans les médias, figure aussi celui d’un ambulancier d’une unité d’élite de l’armée israélienne. Intervenu quelques heures après le massacre au sein du kibbout Bee’ri, il a déclaré avoir vu une jeune fille allongée sur le sol de la maison : « Elle était allongée sur le ventre, à moitié nue, les jambes écartées et il y avait des restes de sperme sur son dos. Quelqu’un l’a exécutée après l’avoir brutalement violée… »
Pour l’ONG Physicians for Human Rights, qui documente les atrocités de masse dans le monde, « il devient de plus en plus évident que les violences perpétrées contre les femmes, les hommes et les enfants comprennent également des crimes sexuels et sexistes généralisés ». Dans un rapport qui vient de paraître, elle appelle à « encourager le signalement et la documentation de ces violations graves du droit international humanitaire », à « soutenir les survivants et ceux qui survivront encore » : « La reconnaissance sociale et institutionnelle de leurs expériences est cruciale pour leur capacité à décrire ce qu’ils ont enduré. »
Elle liste ensuite l’ensemble des témoignages à ce jour attestant de crimes sexuels, dont des viols post-mortem, parmi lesquels ceux des volontaires de Zaka, une ONG religieuse spécialisée dans la collecte des restes humains, l’une des premières organisations à s’être rendue sur les lieux des massacres.
Itzik Batach, un de leur volontaire, a ainsi décrit avoir vu un couple déshabillé et attaché ensemble dans une maison du kibboutz Be'eri, où au moins 100 Isréalien·nes ont été tuées le 7 octobre. Simcha Greinman, un autre volontaire de Zaka, a déclaré que le corps d'une femme trouvée trois jours après qu'elle ait été assassinée avait été laissée avec la moitié inférieure exposée.
Physicians for Human Rights évoque également les récits d’employés de la base militaire de Shura, reconvertie en morgue, où ont été amenés la plupart des corps et restes du massacre. Ma’ayan, une dentiste affectée à l’équipe médico-légale, a déclaré avoir observé de nombreux signes de torture, des « sous-vêtements plein de sang », « des bassins et des pelvis brisés ».
Dans le Parisien, une festivalière, présente à la rave-party, décrit avoir été violée et battue sous le regard de son petit ami, forcé de regarder, un couteau sous la gorge. « À l’intérieur, je suis à moitié morte », livre-t-elle.
Des victimes silenciées ?
À peine révélés, ces témoignages sont déjà l’objet de débats politiques extrêmement vifs. C’est ainsi que les ONG de défense des droits humains, les organisations féministes et l’Onu Femmes ont été accusées en Israël, mais aussi en France, de fermer volontairement les yeux sur ces violences de genre. Des hashtags sont apparus sur les réseaux sociaux tels que #BelieveIsraeliWomen ( « #Croyez les femmes israéliennes ») ou #MeTooUnlessYouAreAJew (« #MeToo sauf si vous êtes juive »).
En France, plusieurs personnalités ont également porté ce discours, telle la présidente de Parole de femmes Olivia Cattan (sur son blog de Mediapart). Samedi 25 novembre, un épisode a souligné encore davantage la « fracture similaire à aucune autre, qui s’installe parmi les féministes » – l’expression est de l’ancienne ministre des droits des femmes, la socialiste Laurence Rossignol.
Lors de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles samedi 25 novembre à Paris, un collectif composé, selon Libé, d’ancien·nes militant·es de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et de SOS Racisme, a souhaité « porter la voix des victimes israéliennes du Hamas et dénoncer le silence assourdissant des associations féministes ». Ils et elles sont arrivé·es avec des pancartes parfois polémiques telles que « féminicides de masse, féministes à la Hamas » et plusieurs drapeaux israéliens, sous la protection du Service de protection de la communauté juive (SCPJ). Face à l’hostilité d’une partie des manifestant·es, il a renoncé à défiler.
Cet incident a suscité de très nombreuses réactions. « Cette année, je suis restée muette et interdite face à la sororité à géométrie variable des féministes, écrit la féministe Sophie Gourion sur X. Je ne pourrai plus jamais être associée à celles avec qui je manifestais, que je croisais sur les plateaux ou dans des réunions, qui me proposaient de signer une tribune. » Autre personnalité, la journaliste Rebecca Amsellem a publié un texte sur Instagram dans lequel elle accuse : « Le “Nous Toutes” clamé depuis des années devient un “Nous Toutes sauf si vous êtes juive ”. »
La virulence des échanges et des désaccords rappelle les clivages qui ont touché les formations de gauche au sein de la Nupes, en sommeil depuis l’expression de La France insoumise sur la guerre en cours. Elle rappelle aussi que le mouvement féministe est loin d’être uniforme et est traversé par de vives contradictions (sur la question de la laïcité et de l’islamophobie ou sur le travail du sexe notamment). Elle dit aussi l’émotion très forte du moment géopolitique.
Les ONG répondent
Interrogés par Mediapart, plusieurs responsables d'ONG alertent « sur la nécessité d’enquêter et de prendre le temps nécessaire pour le faire ». Cela peut prendre des mois. Même chose pour la Fondation des femmes qui soutient le travail de collecte d’informations de la structure Not a weapon of war.
Après sa première enquête sur les massacres du 7 octobre, « partielle – tant par son ampleur que la nature des crimes commis », Amnesty International a lancé une deuxième investigation « plus complète, et incluant les crimes sexuels ». L’Onu Femmes a indiqué au Parisien attendre les résultats du Comité d’enquête missionné par les Nations unies.
Certains humanitaires dénoncent aussi les pressions qu’ils reçoivent et le sentiment d’une indifférence à géométrie variable face aux souffrances du peuple palestinien. « C’est une catastrophe totale pour les civils mais le débat ne porte pas là-dessus en France, où le conflit reste largement appréhendé à travers l'angle d'une opération antiterroriste » contre le Hamas, confie l’un d’eux.
Selon le dernier décompte du ministre de la santé contrôlé par le Hamas, plus de 14 000 personnes sont mortes à Gaza depuis le déclenchement de la guerre, dont 6 000 enfants et 4 000 femmes.
Cette réalité est également soulignée par une partie du mouvement féministe. Ainsi, dans une tribune publiée par Mediapart à la veille de la manifestation du 25, plusieurs personnalités dont l’écrivaine Annie Ernaux, les historiennes Fanny Gallot et Mathilde Larrère, les syndicalistes Verveine Angeli, Myriame Lebkiri et Sophie Zafari ou la porte-parole d’Attac Youlie Yamamoto appellent à un cessez le feu à Gaza. Elles y condamnent « la violence [qui] s’est exercée de manière déshumanisante et genrée » le 7 octobre.
Mais elles insistent sur « la politique du deux-poids deux mesures à l’encontre d’un peuple occupé – le peuple palestinien – et d’un État occupant, un deux poids deux mesures qui se traduit aussi sur le terrain féministe : comme si la vie et les souffrances des femmes palestiniennes n’avaient aucune valeur, aucune densité, aucune complexité ».
Dans le Club de Mediapart, l’avocate spécialiste des droits des femmes Élodie Tuaillon-Hibon dénonce aussi l’instrumentalisation venue de la droite et de l’extrême droite, à l’origine d’un « répugnant petit numéro de claquettes sur le corps des femmes mortes ou violées le 7 octobre ».
« Nous dénonçons tous les crimes de guerre, les viols de guerre quels que soient les bourreaux : ceux du 7 octobre comme ceux des geôles israéliennes qui depuis de longues années réservent des traitements spécifiques aux prisonnières politiques palestiniennes sur lesquelles le viol a été pratiqué par l’armée et les services de renseignement israéliens », écrit-elle, en écho aux rappels faits (ici ou là) ces dernières semaines sur les sévices subis par les Palestiniennes dans le cadre de l’occupation.
Lénaïg Bredoux et Rachida El Azzouzi
27 novembre 2023 à 20h21
https://www.mediapart.fr/journal/international/271123/crimes-sexuels-du-hamas-derriere-les-polemiques-la-realite-d-une-arme-de-guerre
.
Les commentaires récents