Au terme de quatre jours d’interrogatoire marathon, l’ancien président de la République a été mis en examen pour « recel de subornation de témoin » et « association de malfaiteurs » dans l’enquête sur la fausse rétractation de l’intermédiaire Ziad Takieddine dans le scandale des financements libyens.
Entre deux interviews et trois séances de dédicace de son dernier livre – le bien nommé Temps des combats (Fayard) –, Nicolas Sarkozy avait rendez-vous, mardi 3 octobre, avec les juges. Encore une fois. Et au terme de quatre jours d’audition marathon, l’ancien président de la République a été mis en examen pour « recel de subornation de témoin » et « association de malfaiteurs en vue de commettre l’infraction d’escroquerie au jugement en bande organisée », vendredi 6 octobre, dans un dossier périphérique au scandale des financements libyens.
Les faits portent sur l’affaire dite de la fausse rétractation de Ziad Takieddine, du nom de l’un des agents de corruption présumés du dossier libyen qui, à l’automne 2020, s’était mis à subitement dédouaner médiatiquement Nicolas Sarkozy (dans Paris Match et sur BFMTV), après l’avoir lourdement accusé judiciairement. Un miracle salué en son temps par Nicolas Sarkozy en des termes triomphalistes : « La Vérité éclate enfin ! »
Depuis, les juges et enquêteurs de l’Office anticorruption (OCLCIFF) de la police judiciaire soupçonnent l’existence de négociations financières et de manœuvres occultes ayant abouti au revirement de Ziad Takieddine qui n’avait, en réalité, rien de spontané. En clair, Nicolas Sarkozy est aujourd'hui soupçonné d’avoir profité d’un témoignage acheté dans le but de tromper la justice et de la décrédibiliser en connaissance de cause.
Les magistrats ont même réussi à chiffrer le coût de l’opération à plus de 600 000 euros effectivement versés (en frais d’avocats, déplacements, etc.), alors que des documents ont révélé qu’une récompense de 4 millions d’euros a été promise à Takieddine. L’opération, baptisée en toute simplicité « Sauver Sarko », est devenue un boomerang judiciaire pour l’ancien président. En fait d’être « sauvé », Nicolas Sarkozy se retrouve lesté d’une nouvelle mise en en cause judiciaire ; encore une.
Condamné (en appel) dans l’affaire Bismuth, condamné (en première instance) dans l’affaire Bygmalion, jugé en 2025 dans l’affaire des financements libyens, l’ancien chef de l’État est, à ce jour, la dixième personne à être mise en examen dans le dossier de la fausse rétractation de Takieddine. Comme tout mis en cause, il bénéficie de la présomption d’innocence.
En surface, le grand public se souvient de l’annonce tonitruante, début novembre 2020, dans Paris Match et sur BFMTV, d’un événement qui allait changer le cours de l’affaire libyenne : l’intermédiaire Ziad Takieddine révélait depuis Beyrouth, où il est en fuite, qu’il avait menti à la demande du juge Serge Tournaire, qui a longtemps piloté l’enquête sur l’affaire Sarkozy-Kadhafi. Selon son récit, depuis démenti, le magistrat lui aurait ainsi promis de lever des saisies immobilières le visant s’il accusait – même à tort – l’ancien président français d’avoir été stipendié par le dictateur libyen...
Fort de ce revirement, Nicolas Sarkozy n’hésitera d’ailleurs pas à mettre en cause la justice française, l’une de ses antiennes préférées. Et à prendre subitement pour argent comptant les déclarations d’un homme qu’il qualifiait encore quelques mois plus tôt de « fou » et d’« escroc ».
Sarkozy connecté à plusieurs acteurs du dossier
C’est aujourd’hui un bien drôle aréopage de personnages qui se retrouve au cœur de l’enquête dirigée depuis deux ans par le juge Vincent Lemonier. Jusqu’à la mise en examen de Nicolas Sarkozy, on trouvait au sommet de la pyramide la femme d’affaires Michèle Marchand, dite « Mimi », une intime des couples Sarkozy et Macron. C’est elle qui est soupçonnée d’avoir piloté de bout en bout l’opération « Sauver Sarko ».
Autour d’elle, l’enquête a identifié plusieurs personnes mêlées à cette forgerie : une barbouze déjà condamné (Noël Dubus), qui a été la cheville ouvrière du revirement de Takieddine ; un promoteur immobilier sulfureux (Pierre Reynaud, décédé depuis), un publicitaire ayant travaillé pour une campagne électorale de Sarkozy (Arnaud de la Villesbrunne) et une star de la tech proche de Gérald Darmanin et Nicolas Sarkozy (David Layani), tous trois suspectés d’avoir financé l’opération ; enfin un agent des services secrets libyens (Hamadi Matug), qui s’est entremis avec les uns et les autres…
Nicolas Sarkozy a été entendu en juin dernier dans les locaux de la police judiciaire, à Nanterre (Hauts-de-Seine), comme sa femme Carla Bruni et son avocat et ami Thierry Herzog, son complice pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire Bismuth, d’après l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Comme Mediapart l’a déjà rapporté, l’ex-président a reconnu en audition avoir rencontré furtivement, à son domicile, le 17 décembre 2020, l’escroc Noël Dubus, organisateur de la fausse rétractation de Takieddine. Il lui a été présenté par Mimi Marchand, qui avait pourtant démenti avec force toute rencontre entre Dubus et Sarkozy.
Nicolas Sarkozy a admis avoir dédicacé son précédent livre – le tout aussi bien nommé Temps des tempêtes (L’Observatoire) – au même Dubus, avec cette mention sans équivoque retrouvée par les enquêteurs : « Merci pour tout. Votre ami ». L’ancien président a expliqué aux policiers que cette dédicace lui avait été intégralement suggérée, au mot près, par Mimi Marchand, qui lui aurait donné un post-it à recopier, sans savoir à qui s’adressaient ces mots si chaleureux.
L’enquête s’intéresse aussi aux relations étroites du journaliste Hervé Gattegno, directeur de Paris Match au moment des faits, avec Nicolas Sarkozy. C’est en effet le célèbre hebdomadaire, propriété du groupe Lagardère, dont Nicolas Sarkozy est membre du conseil d’administration, qui a mis en scène le faux revirement de Takieddine comme un authentique tournant de l’affaire.
Dans un échange téléphonique avec Arnaud Lagardère, intercepté par les enquêteurs, le journaliste a raconté avoir appris que Michèle Marchand avait « prévenu » Sarkozy, « croyant bien faire, et voulant se faire valoir aux yeux de untel ou untel ». C’était « de la folie » à ses yeux. « D’un seul coup, on lui apporte ce truc, comment veux-tu qu’il résiste à ce truc-là ? Et puis tu connais Sarko, il veut se mêler de tout, tu vois, il veut prendre la main », avait-il ajouté.
Hervé Gattegno n’a pas exclu dans le cabinet du juge que des négociations occultes aient pu avoir lieu en amont de l’entretien, mais s’est déclaré totalement étranger à ces manœuvres. Il n’a pas été mis en examen et a été placé sous le statut moins incriminant de témoin assisté.
Sur la piste de « Zébulon »
Troisième personnage devenu central dans l’enquête, lui, mis en examen : David Layani. Cette figure de la FrenchTech avec son entreprise OnePoint est un proche de l’ancienne ministre Brune Poirson, du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et de Nicolas Sarkozy. Il est soupçonné d’avoir financé à hauteur de 72 000 euros un deuxième volet de l’opération « Sauver Sarko » qui consistait à faire confirmer par écrit par-devant notaire, à Beyrouth, le revirement de Takieddine, afin de le communiquer officiellement aux juges français. Les fonds de David Layani auraient été versés moyennant un contrat présumé fictif signé avec Bestimage, la société de Michèle Marchand.
Devant la police, Nicolas Sarkozy a présenté David Layani comme une « relation amicale » rencontrée en 2018. À l’été 2020, l’ex-président lui a remis l’ordre du Mérite dans les bureaux du ministre Darmanin, à l’époque en poste à Bercy. Nicolas Sarkozy et David Layani se sont également assidûment fréquentés au sein du conseil d’administration du groupe Barrière (hôtellerie et casinos), où l’ex-président représentait le patriarche (Dominique Desseigne) et son fils (Alexandre), entrepreneur, les deux étant en guerre pour la prise de contrôle des destinées de la société.
r les principaux protagonistes de l’affaire, qui ont été retrouvés par la justice malgré leur effacement, évoquent l’implication de David Layani et de Nicolas Sarkozy. Ce dernier apparaît sous différents sobriquets : « Inès » (pour la consonnance avec ses initiales NS) ou « Zébulon ». Une note de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont la justice a obtenu la déclassification, citait en outre dès décembre 2020 le nom de David Layani comme possible financier de l’opération « Sauver Sarko ».
Confronté à tous les éléments susceptibles d’accréditer la thèse d’un témoignage acheté de Takieddine, Nicolas Sarkozy avait fini, en juin dernier, par dire aux enquêteurs : « Je n’ai jamais demandé à qui que ce soit de donner de l’argent à Takieddine. »
Plus anecdotique, les policiers ont aussi relaté dans un procès-verbal que David Layani a, le jour de son interpellation, en octobre 2021, profité d’une douche avant de partir en garde à vue pour tenter de joindre en catastrophe Nicolas Sarkozy, en vain, comme l’a relaté Libération. Une version des faits que David Layani conteste « fermement ». Son avocat, Me Mathias Chichportich, dit avoir alerté le juge « de l’impossibilité matérielle de cet appel ainsi qu’en atteste les différentes phases de la perquisition » à son domicile.
Sur le fond du dossier, Me Chichportich rappelle que son client « a toujours contesté toute infraction ». Selon sa lecture de la procédure, « les investigations ont démontré qu’il ignorait tout » de l’opération menée par Michèle Marchand et ses associés et « que les fonds versés dans le cadre du contrat avec Bestimage [la société de Mimi Marchand – ndlr] ont suivi un processus transparent et qu’ils sont conformes au prix et aux usages du marché ». « David Layani n’est apparu dans ce dossier que parce que son nom a été instrumentalisé par certains protagonistes », conclut l’avocat, qui demandera un non-lieu à l’issue de l’instruction.
Mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de commettre l’infraction d’escroquerie au jugement en bande organisée » (dans l’objectif de tromper les magistrats dans l’affaire des financements libyens), Nicolas Sarkozy a été placé sous statut intermédiaire de témoin assisté pour « association de malfaiteurs en vue de commettre l’infraction de corruption active d’un agent public étranger de personnel judiciaire étranger au Liban ». Ce point concerne un autre volet de l’opération, lié à la volonté de faire libérer le fils de Mouammar Kadhafi, Hannibal, incarcéré au Liban, pour qu’il dédouane lui aussi l’ancien président de la République.
Fabrice Arfi, Karl Laske et Antton Rouget
6 octobre 2023 à 13h14
https://www.mediapart.fr/journal/france/061023/nicolas-sarkozy-mis-en-examen-dans-l-enquete-sur-la-fausse-retractation-de-takieddine
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