Plus de 11 000 migrants sont arrivés sur l’île italienne de Lampedusa en moins d’une semaine. Un record absolu, qui illustre les impasses de la politique migratoire de la cheffe d’extrême droite du gouvernement Giorgia Meloni.
17 septembre 2023 à 11h30
(Ancône, Italie).– Les journaux télévisés ont déjà ouvert leurs éditions du soir lorsque la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni prend la parole, solennellement, sur ses réseaux sociaux. Ce vendredi 15 septembre, sur toutes les chaînes, les mêmes images et les mêmes informations se répètent, en boucle, depuis le début de la semaine. La cheffe de file des Frères d’Italie le sait, elle doit rendre des comptes à ses électeurs. Sur l’île italienne de Lampedusa, ce petit bout de Sicile et d’Europe à 110 kilomètres au nord des côtes tunisiennes, les arrivées de migrants atteignent des records. Plus de 11 000 personnes ont posé le pied sur l’île depuis lundi, dont près de la moitié pour la seule journée de mardi. C’est autant que le nombre total des arrivées en 2019.
« La pression migratoire que l’Italie subit depuis le début de l’année est insoutenable », commence-t-elle. L’air grave, elle défend coûte que coûte sa politique migratoire. Elle, qui avait promis une ligne dure à ses électeurs, elle, qui jurait qu’un « blocus naval » permettrait de clore le dossier, se retrouve, un an plus tard, avec des flux migratoires que l’Italie n’avait plus connus depuis 2015 et 2016. Depuis le début de l’année, plus de 127 000 migrants sont arrivés sur les côtes italiennes. C’est près du double des arrivées de l’année précédente à la même période.
Alors, pendant son intervention, elle déroule un discours bien rodé aux airs de justification : une « conjoncture internationale très difficile », une « masse énorme de personnes que l’Italie et l’Europe ne peuvent pas accueillir » et, surtout, un travail « structurel » de son gouvernement pour « arrêter en amont les trafiquants d’êtres humains et arrêter l’immigration de masse ». L’Italie a réussi à imposer à l’Union européenne un « nouveau paradigme », promet-elle. Mais ses mots pèsent bien peu face à la réalité qui s’impose depuis plusieurs semaines : sa politique migratoire est un échec.
En avril, déjà, l’Italie avait déclaré l’état d’urgence pour une période de six mois face à la hausse des arrivées de migrants. Du nord au sud du pays, les centres d’accueil ont alors improvisé pour pousser les murs et trouver une place aux nouveaux arrivants. Qui en montant de grandes tentes de toile devant le centre d’accueil en dur, qui en installant à la hâte des centres d’urgence dans des containers. Des appels d’offres ont été lancés tous azimuts pour monter de nouvelles structures. En vain.
Le budget alloué pour gérer ces centres a encore été revu à la baisse avec un décret-loi de mars dernier. Les intéressés se font rares. Les expulsions de ceux dont la demande d’asile a été rejetée – cette grande promesse de l’extrême droite au pouvoir – restent infimes : 3 200 ces douze derniers mois. À ce rythme, il faudrait 51 ans pour renvoyer dans leur pays d’origine tous les migrants arrivés en Italie au cours de la dernière année, selon les calculs du chercheur Matteo Villa, spécialiste des questions migratoires.
La théorie de l’« appel d’air » mise à mal
Depuis son élection, le pari de Giorgia Meloni est le suivant : ne plus se demander comment gérer l’accueil des migrants, mais faire en sorte qu’ils n’arrivent plus. Le coupable était tout trouvé : les « taxis de la mer », ces ONG qui opèrent des sauvetages en mer pointés du doigt par les gouvernements successifs et plus encore depuis l’arrivée au ministère de l’intérieur de Matteo Salvini, en 2018. D’ailleurs, celui qui est devenu ministre des transports n’en démord pas. Ces derniers jours, il l’a répété à l’envi : ces arrivées sont de la faute de l’Allemagne, qui finance des ONG qui amènent des migrants en Italie. Mais le scénario actuel met à mal cette théorie de l’« appel d’air », induit par les sauvetages en mer.
Depuis lundi, le navire Aurora, affrété par l’ONG Sea Watch, a débarqué 84 migrants au port de Catane, l’Ocean Viking de SOS Méditerranée a amené 68 migrants jusqu’au port d’Ancône, et à Lampedusa, ce sont le Sea Punk 1, le Nadir et le ResQ People qui ont respectivement amené à terre 44, 85 et 96 personnes. Ces chiffres dérisoires sur l’ensemble des personnes arrivées en Italie n’ont rien d’exceptionnel. Selon les chiffres établis par la fondation Openpolis, en 2022, les sauvetages effectués par les ONG ont représenté environ 10 % du total des arrivées. Cet été et ces derniers mois, leur présence en Méditerranée centrale a été réduite à peau de chagrin. Et pourtant, les arrivées ont continué. De manière autonome.
C’est l’une des principales différences avec les années précédentes. Pour beaucoup d’Italiens, les images de ces derniers jours à Lampedusa ont rappelé celles de 2011, pendant les printemps arabes, lorsque les Tunisiens sont arrivés par milliers à bord de petites embarcations de bois. « Les arrivées enregistrées en Italie cette année sont semblables à celles de 2015 et 2016 », souligne Flavio Di Giacomo, porte-parole pour l’Italie de l’Organisation internationale des migrations, sur le réseau social X (ex-Twitter). « En 2016, seules 9 440 des 115 000 personnes sont arrivées à Lampedusa de manière autonome, la plupart avaient été sauvées en mer et amenées ensuite dans de grands ports siciliens, plus adaptés à ces débarquements. » Inévitablement, cela concentre toutes les arrivées au même endroit, une petite île de 7 000 habitants environ, dotée d’un centre d’accueil d’une capacité maximale de 400 personnes. Comme un effet loupe sur la petite île de Lampedusa.
C’est aussi la conséquence du changement de route empruntée en Méditerranée centrale ces derniers mois : la Libye n’est plus qu’un point de départ secondaire, largement dépassé par la Tunisie. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur italien, les départs depuis les côtes tunisiennes ont augmenté de 360 % par rapport à 2022. Ces derniers jours, le long du quai Favaloro de Lampedusa, ce sont surtout de petits bateaux de fer qui ont amarré, seuls. Transportant une quarantaine de passagers, en moyenne, ils ont presque totalement remplacé les canots pneumatiques, particulièrement utilisés ces dernières années lors des départs des côtes libyennes.
Ces carcasses rouillées, arrivées par centaines ces dernières semaines, racontent à elles seules l’échec de la stratégie diplomatique de Giorgia Meloni pour limiter les flux migratoires. Car ces petits bateaux de fer, particulièrement dangereux pour les passagers, sont tous partis de Tunisie. Lorsque la météo est clémente et la traversée sans encombre, il leur faut entre huit et dix heures pour rejoindre Lampedusa depuis Sfax. Or, au mois de juillet, l’Union européenne a signé un memorendum d’entente avec la Tunisie, pour limiter les départs. L’initiative a été fortement soutenue par Giorgia Meloni. Mais, en dépit des promesses diplomatiques, depuis la signature de l’accord, les flux sont restés assez stables.
Ce qui semblait, il y a quelques semaines encore, être une victoire diplomatique pour Giorgia Meloni, apparaît aujourd’hui comme un camouflet a minima, comme un « acte de guerre » pour le chef de file de la Ligue et allié de gouvernement Matteo Salvini. « Quand 120 bateaux arrivent en quelques heures, ce n’est pas un épisode spontané, c’est un acte de guerre. 6 000 personnes n’arrivent pas en 24 heures par hasard. Le trafic est organisé en amont, sur les côtes nord-africaines, avec quelqu’un qui finance », estime le ministre des transports qui remet sur le tapis l’idée de faire intervenir la marine militaire.
Politiquement, le revers est important pour Giorgia Meloni. En prenant soin de ne pas nommer Matteo Salvini à son ministère de prédilection, le ministère de l’intérieur, elle a gardé la main sur un dossier cher à l’électorat de centre-droit. Elle doit aujourd’hui en assumer l’entière responsabilité.
Même si le chef de la Ligue reconnaît que la cheffe du gouvernement « fait tout son possible » pour endiguer le flux migratoire, il a multiplié cette semaine les prises de position fermes, là où Giorgia Meloni a privilégié les voies diplomatiques depuis le début de son mandat. Surtout, il a pris soin de rappeler son bilan personnel : « Quand j’étais ministre de l’intérieur, les arrivées représentaient un dixième de ce que l’on voit aujourd’hui. » Dans les rangs de la Ligue, les condamnations sont plus fermes. Le maire-adjoint de Lampedusa, fidèle de Matteo Salvini, demande la démission de l’actuel ministre de l’intérieur. À quelques mois des élections européennes, le parti d’extrême droite entend bien s’imposer comme le seul capable de réduire les arrivées de migrants sur les côtes du pays.
Cécile Debarge
17 septembre 2023 à 11h30
https://www.mediapart.fr/journal/international/170923/la-crise-de-lampedusa-l-echec-de-me
Migrants : qui se soucie encore de quelques centaines de morts ?
Les naufrages se suivent et se ressemblent aux portes de l’Europe. Malgré les faux-semblants, rien ne change et les pays européens continuent de vouloir garder portes closes. L’ampleur du drame survenu au large des côtes grecques dans la nuit de mardi à mercredi appelle pourtant à repenser nos politiques migratoires.
C’est l’un des pires naufrages – dont on ait connaissance – survenus dans cette zone de la Méditerranée, où depuis 2015 des milliers de personnes tentent de rallier les portes de l’Europe. Des centaines de personnes ont perdu la vie après que leur embarcation a chaviré, dans la nuit de mardi à mercredi, alors qu’elle se trouvait dans les eaux internationales, au large des côtes grecques, au sud-ouest du pays.
Selon les derniers chiffres communiqués, 104 personnes ont été secourues en mer, tandis que 78 corps sans vie ont été récupérés. Selon les rescapé·es, le bateau en bois pourrait avoir eu à son bord près de 700 personnes, dont une centaine d’enfants, laissant présager le pire quant au nombre de personnes disparues sous les eaux.
Le bateau, qui serait parti de Tobrouk en Libye le 9 juin, transportait des ressortissantes et ressortissants égyptiens, syriens et pakistanais (entre autres). « Les principales nationalités qu’on retrouve pour les départs depuis Tobrouk », relève Sara Prestianni, directrice « advocacy » au sein du réseau EuroMed Droits, qui a beaucoup travaillé sur cette route migratoire. « Autour de 13 000 personnes ont emprunté cette route depuis Tobrouk depuis le début de l’année. On y observe de plus en plus de Syriens. »
L’embarcation aurait dérivé plusieurs jours en mer, sans doute après une panne sèche ou une panne de moteur. Pour se protéger, les femmes et les enfants se trouvaient dans la cale du bateau. Jeudi, les autorités portuaires grecques ont annoncé l’arrestation de neuf personnes de nationalité égyptienne, soupçonnées d’être des passeurs ou le capitaine de l’embarcation.
Face à l’ampleur du drame, les autorités grecques ont annoncé trois jours de deuil national. Une réaction qui pourrait sembler, de loin, à la hauteur de l’événement. Mais ces effets d’annonce dits de « réaction » ne suffisent plus. Il est temps d’agir, de ne plus se contenter de compter les morts et de les regretter ensuite, comme si les politiques mises en place n’avaient pas contribué à faucher des vies dont on ne voulait pas, au prétexte que leur origine, leur couleur de peau ou leur religion ne convenaient pas.
L’exemple de l’accueil mis en place pour les ressortissant·es d’Ukraine fuyant leur pays et l’agression russe qui ravageait leur quotidien en est l’illustration.
Comment a-t-on pu, en un rien de temps, organiser l’accueil de plusieurs millions de personnes en Europe, déclenchant au passage une protection temporaire leur permettant de circuler librement et gratuitement et d’obtenir une autorisation provisoire de séjour dans les différents pays d’accueil, comme la France, mobilisés pour organiser cet accueil à l’échelle européenne ? Pourquoi une telle politique d’accueil ne pourrait-elle pas être transposée pour d’autres nationalités et d’autres profils, que l’on préfère laisser mourir en mer et sur les routes migratoires, sans trop avoir d’états d’âme ?
De l’indignation à l’indifférence générale
Difficile de ne pas se souvenir de la vive indignation qu’avait suscitée la mort du petit Alan Kurdi, dont le corps avait été retrouvé sans vie, couché face contre terre, sur une plage en Turquie en 2015. À l’époque, nombre de personnalités politiques s’étaient emparées de ce drame et avaient partagé leur émotion, à l’heure où l’Europe était confrontée à l’arrivée de nombreux Syriens et Syriennes qui fuyaient la guerre.
Début 2023, pourtant, nos révélations concernant une fillette, dont le corps a été retrouvé dans la même position qu’Alan Kurdi sur une plage de Kerkennah, une île au large de Sfax, ont davantage suscité l’indifférence générale qu’une remise en question des politiques migratoires de l’UE et des pays tiers, Libye, Tunisie, Maroc ou encore Turquie chargés de protéger ses frontières, alors qu’ils bafouent régulièrement les droits de leur propre population, et a fortiori des migrant·es.
Le 2 juin dernier, un nouveau corps d’enfant a été retrouvé par les gardes-côtes tunisiens au large de Sfax, cette fois-ci flottant dans l’eau, enveloppé dans une combinaison rose bonbon, des baskets bleues encore vissées aux pieds. Il n’aura fait l’objet que d’un tweet rédigé le lendemain par un doctorant tunisien relayant la photo de la fillette et dénonçant « l’externalisation meurtrière de la politique européenne des frontières » et la « corruption des autorités ». « Les frontières tuent », rappelle ce tweet peu partagé, qui aurait dû faire le tour du monde. Le silence et, de nouveau, l’indifférence l’ont emporté.
Il y aurait eu tant à dire. Depuis des mois, la morgue de l’hôpital de Sfax croule sous les cadavres, lorsqu’ils ne sont pas abandonnés en mer ou sur les plages et retrouvés par des pêcheurs. Les départs depuis la Tunisie n’ont jamais atteint un tel niveau. Le pays est désormais la principale porte d’entrée pour l’Europe, brassant différents profils, à commencer par les Tunisiennes et Tunisiens eux-mêmes, mais aussi les migrants subsahariens. Les discours xénophobes et stigmatisants de Kaïs Saïed à leur égard n’ont pas permis de stopper ces flux ; au contraire, ils ont parfois poussé certains à quitter la Tunisie, autrefois terre de passage devenue, pour une partie d’entre eux, un pays de destination.
Giorgia Meloni s’en est allée négocier à coups de millions d’euros avec le chef d’État tunisien, le 6 juin, pour tarir à la source les migrations. Car les autorités enregistrent, sur les trois premiers mois de l’année 2023, une augmentation de 5 % des interceptions en mer par rapport l’an dernier. C’est sans compter les personnes ayant réussi la traversée vers Lampedusa, mais aussi les vies englouties par la Méditerranée, qualifiée dans une litanie tristement banale de « cimetière ». La mer a cela de pratique qu’elle peut « avaler » les corps et cacher au reste du monde ce qui se résume à une tuerie de masse, s’agissant de victimes dont la vie a finalement moins de valeur que d’autres.
Une « omission de secours devenue la règle »
Ce type de naufrage, dont on a connaissance et pour lequel une opération de sauvetage peut avoir lieu a posteriori, appelle une réaction politique, compte tenu du nombre de disparu·es, tout comme celui survenu en Sicile en février dernier, qui a causé la mort d’au moins 86 personnes. Durant des semaines, les corps avaient continué de s’échouer sur une plage de Calabre. Il y a quelques mois, enfin, des images effroyables de corps adultes, recrachés par la mer à la suite d’un naufrage au large de la Libye, avaient été relayées sur les réseaux sociaux, suscitant peu de réactions politiques à travers le monde.
Une énième fois, pointe Sara Prestianni, « ce naufrage au large de la Grèce démontre une absence réelle de plan et de volonté de sauvetage, avec des États qui ne prennent pas leurs responsabilités et qui interviennent après, quand c’est trop tard ». « L’omission de secours semble être devenue la règle », regrette-t-elle, rappelant que le nombre de morts en Méditerranée est « accablant » cette année (1 166 à ce jour, contre 3 800 pour toute l’année 2022).
Cette fois, les gardes-côtes grecs ont pris soin de préciser qu’aucune des personnes à bord de l’embarcation ne disposait d’un gilet de sauvetage. Les autorités ont indiqué que le bateau serait parti depuis la Libye pour rejoindre l’Italie et qu’un avion de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, l’aurait repéré mardi après-midi. Mais, selon les autorités, les exilé·es auraient refusé « toute aide ». Frontex s’est dite « profondément émue » après l’annonce du naufrage.
Les autorités omettent aussi de dire que la Grèce est régulièrement accusée de refouler des migrant·es en mer, pouvant ainsi leur faire craindre, derrière une aide supposée, d’être en réalité éloigné·es du territoire – une pratique illégale au regard du droit international maritime et de la Convention de Genève, qui doivent permettre à toute personne en situation de détresse d’être secourue et acheminée vers un port dit « sûr » et de pouvoir, si elle le souhaite, déposer une demande d’asile dans le pays qu’elle tentait de rallier.
En mai dernier, des révélations du New York Times ont mis en lumière cette pratique, grâce à une vidéo d’un « push-back » prise sur le fait. Mediapart avait documenté un cas semblable en 2022, qui avait provoqué la mort de deux demandeurs d’asile.
Des migrants toujours plus instrumentalisés
Malgré tous ces drames, l’Union européenne, et en particulier la France, s’entête à maintenir une politique aux effets dévastateurs, sans songer à repenser la politique européenne en matière de migrations et d’asile, pour permettre à celles et ceux qui fuient leur pays de rejoindre l’Europe en sécurité, sans mettre leur vie en péril ni aux mains de passeurs parfois peu scrupuleux. « C’est ce qui ressort de la dernière version du Pacte européen pour l’asile, appuie la représentante d’EuroMed Droits. On est toujours plus dans l’externalisation des frontières, avec la gestion de ces dernières accordée à des pays tiers. »
Tant pis si cela vient légitimer les dirigeants de régimes autoritaires sur la scène internationale. « Bien souvent, il y a une augmentation des départs, celle-ci fait monter la pression sur un pays européen, qui se retrouve obligé d’ouvrir un dialogue avec un responsable politique comme Haftar en Libye », poursuit Sara Prestianni. Nos propres dirigeants s’enfoncent de leur côté dans une surenchère politique et médiatique visant à laisser entendre que l’on accueillerait « trop » – oubliant de préciser une réalité encore trop ignorée : la majorité des déplacements de population se fait à l’intérieur d’un même pays ou d’un même continent.
Il faudrait donner la possibilité aux personnes exilées, comme s’il s’agissait de leur faire une fleur, de demander l’asile en dehors de l’Europe, depuis le pays qu’elles fuient ou les pays voisins, afin qu’elles ne rejoignent notre sol qu’une fois la protection accordée, et qu’elles ne puissent pas « profiter du système » (mais lequel ?) en restant dans le pays d’accueil en cas de rejet de leur demande. En Grèce, dans le contexte des élections législatives qui se tenaient en mai, le premier ministre Kyriákos Mitsotákis a fait de la lutte contre l’immigration un cheval de bataille, promettant l’extension du mur « antimigrants » déjà existant à la frontière terrestre séparant la Grèce de la Turquie.
En Italie, plusieurs lois sont venues concrétiser les discours politiques contre l’immigration (lire notre reportage), dont une qui contraint les ONG ayant un navire humanitaire en Méditerranée centrale, pour secourir les migrant·es en détresse, de les débarquer dans des ports parfois très éloignés, au nord du pays, les obligeant à naviguer plusieurs jours supplémentaires. Le décret, surnommé « Decreto Immigrazione », vise aussi à ne plus accorder de protection « spéciale » aux migrant·es n’ayant pas obtenu le statut de réfugié·e mais ayant montré suffisamment de signes d’intégration et d’insertion sociale dans le pays, tout en accélérant les expulsions en renforçant les centres dédiés dans chaque région.
En France, le débat public a été émaillé de saillies plus outrancières les unes que les autres. L’accueil de l’Ocean Viking en novembre à Toulon, le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée que l’Italie avait refoulé, a illustré un manque de volonté criant en matière d’accueil : la droite et l’extrême droite ont regretté le choix du ministre de l’intérieur, tandis que ce dernier a souhaité les rassurer, expliquant que les personnes n’ayant pas vocation à rester sur le territoire seraient expulsées manu militari. Ce fut le cas de Bamissa D., dont Mediapart a relaté le parcours, et qui a été renvoyé au Mali.
Nejma Brahim
15 juin 2023 à 18h05
https://www.mediapart.fr/journal/international/150623/migrants-qui-se-soucie-encore-de-quelques-centaines-de-morts
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