Aix-en-Provence, Alger, Meudon-la-Forêt… L’architecte a essaimé après-guerre son art de la pierre. Un livre-fleuve tente de réhabiliter l’œuvre de ce bâtisseur controversé.
Croquis de l’ensemble de la Tourette, conçu par Fernand Pouillon, sur le Vieux-Port à Marseille.
C’est l’histoire d’un rendez-vous raté. L’architecte et urbaniste Fernand Pouillon (1912-1986) n’a jamais accédé à la notoriété d’un Le Corbusier, loin de là. Il a pourtant réalisé à l’heure de la reconstruction après la seconde guerre mondiale, des chantiers marquants, comme les immeubles du Vieux-Port à Marseille, les 200 logements à Aix-en-Provence, le quartier des Sablettes à Toulon ou la résidence du Parc à Meudon-la-Forêt, mais également signé des constructions en Algérie et en Iran.
Un livre-fleuve publié chez Actes Sud, principalement écrit par Pierre Frey, historien de l’art et professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, soutient la thèse qu’il n’est pas de meilleur moment pour redécouvrir le talent de ce créateur visionnaire. Si Fernand Pouillon jugeait souvent décevante la photo d’architecture, son travail est ici mis en valeur par les très beaux croquis de l’architecte Bernard Gachet accompagnés de plans et d’images d’archives des bâtiments évoqués.
Pierre Frey invite à redécouvrir l’intérêt visionnaire de Fernand Pouillon pour l’architecture vernaculaire, son recours aux techniques durables (climatisation, isolation…) et l’utilisation de matériaux naturels ou locaux à l’aune du réchauffement climatique et des préoccupations environnementales actuelles.
Adepte de la pierre de taille, à l’inverse du tout-béton prôné par Le Corbusier, Fernand Pouillon a toujours eu deux préoccupations majeures pour ses projets : « une prise en compte sensible du site avec lequel son projet entre en dialogue et une identification profonde, au fond amoureuse, aux besoins et aux sentiments de celles et de ceux dont il avait la charge de loger », témoigne Pierre Frey.
5 000 logements sur les hauteurs d’Alger
Alors que la question de la durabilité des constructions est devenue centrale en architecture, l’utilisation ingénieuse de la pierre par Fernand Pouillon est redécouverte. Il se fait connaître en 1955, avec le projet immobilier aixois des 200 logements, réalisé aux prix les plus bas du marché dans les délais les plus courts. En sus, les habitants (essentiellement de classe moyenne) ont pu accéder à la propriété grâce à une formule de location-vente sur vingt-cinq ans sans apport préalable.
Les auteurs de l’ouvrage évoquent aussi l’œuvre de Fernand Pouillon en Algérie. C’est le maire d’Alger, Jacques Chevallier, qui sollicite l’architecte pour la construction de logements sociaux à partir de 1953. Il sera à l’origine du chantier pharaonique de 5 000 logements sur les hauteurs d’Alger, sa cité la plus célèbre. Le livre revient sur cette empreinte forte laissée par Fernand Pouillon dans la Ville blanche et Mohamed Larbi Merhoum, architecte à Alger, la décrit comme une « architecture de vérité » en terre coloniale, tel un « emboîtement des mémoires sans permettre à l’une d’effacer l’autre ».
Mais qui était réellement Fernand Pouillon ? Les auteurs se sont plongés dans les archives mais leur enquête ne parvient pas à tout éclairer. Il est difficile de percer tous les mystères d’un homme qui s’est pourtant lui-même raconté à travers deux livres : Les Pierres Sauvages (1964) et Mémoires d’un architecte (1968). Deux ouvrages écrits en prison où Fernand Pouillon purgeait une peine pour faux bilan, détournement de fonds et abus de biens sociaux.
Après cette affaire, son image sera à jamais ternie. Amnistié en 1971 par le président Pompidou, il est réintégré à l’ordre des architectes français en 1978. Peut-être lui est-il reproché d’avoir été si multiple, d’avoir voulu tout maîtriser… Architecte, urbaniste, bâtisseur, maître d’œuvre, maître d’ouvrage, écrivain et éditeur, il fut tout cela à la fois.
Fernand Pouillon, Le téméraire éclectique, Actes Sud, 368 pages, 42,90 euros.
Les commentaires récents