e chanteur de 80 ans annonce l'arrêt de sa carrière. Son ultime album, Aimer, est sorti le 7 octobre 2022.
"Il y a un moment où les choses s'arrêtent. Il faut savoir qu'on vieillit."
A 80 ans, Serge Lama confie ne plus avoir la force : "Mon corps me fait beaucoup souffrir. J'ai beaucoup de problèmes inhérents au temps qui passe. Il y a un moment, il faut savoir s'arrêter plutôt que d'être arrêté par les choses. Alors j'ai décidé que c'était fini, que j'ai une très belle vie avec ma compagne Luana."
Tous les jours, je souffre"
Le chanteur, qui souffre de problèmes de santé depuis quelques années, ne se sent pas de remonter sur scène. "J'ai des problèmes physiques. Ils sont très importants, ils sont devenus incontournables. C'est-à-dire que tous les jours, j'ai mal. Tous les jours, je souffre, je dors mal et c'est incompatible avec une tournée."
Et le chanteur refuse de monter sur scène "dans des conditions qui ne seraient pas optimales" : "J'ai eu la chance de pouvoir chanter cet album déjà, ce qui ne serait pas du tout le cas de tout le monde à près de 80 ans, puisque moi, j'étais quand même un homme de voix. Donc c'est compliqué d'être à la hauteur de ce qu'on a été."
Serge Lama espère malgré tout faire ses adieux à son public à la télévision : "Ce serait chouette. Renaud l'a fait, il n'y a pas longtemps. Il a été très content. Il faut appeler un peu les copains à la rescousse. Et puis chanter des chansons avec des gens. C'est-à-dire faire vibrer le cœur, mais à plusieurs, en groupe, en s'appuyant sur l'épaule."
Aujourd’hui 18 septembre 2023 c’est une confirmation :
Terrible nouvelle : Serge Lama doit mettre fin à sa carrière, son corps le fait trop souffrir
Par micheldandelot1 dans Accueil le 18 Septembre 2023 à 07:29
L’historien Benjamin Stora raconte dans L’Arrivée* le départ de sa famille d’Algérie en 1962. Il s’interroge sur les racines de l’oubli de la guerre d’Algérie en France et les voies complexes pour apaiser et réconcilier les mémoires.
Rencontre avec Benjamin Stora, historien, à l’occasion de la parution de son ouvrage "Une mémoire algérienne" (Robert Laffont, 2020).
Entretien animé par Corinne Bensimon. L’oeuvre de Benjamin Stora se confond pour partie avec la mémoire et l’histoire de la guerre d’Algérie.
Un de ses grands thèmes de recherche, intimement lié à son parcours individuel tel qu’il le relate dans trois de ses ouvrages. Dans "Les Clés retrouvées", il évoque son enfance juive à Constantine et le souvenir d’un monde qu’il a vu s’effondrer ; dans "La Dernière Génération d’Octobre", son militantisme marqué très à gauche avec son cortège de désillusions. "Les Guerres sans fin" témoignent d’un engagement mémoriel qui se fonde sur une blessure collective et personnelle que seules la recherche et la connaissance historiques peuvent aider à panser.
Benjamin Stora a étudié en ce sens le rôle spécifique joué par les grands acteurs de ce conflit singulier.
Dans "Le Mystère de Gaulle", il analyse l’attitude de ce dernier lors de sa prise du pouvoir en 1958 et sa décision d’ouvrir des négociations avec les indépendantistes en vue d’une solution de compromis associant de manière originale la France et l’Algérie. "Dans François Mitterrand et la guerre d’Algérie", écrit avec François Malye, il montre les contradictions de celui qui, avant de devenir un adversaire de la peine de mort, la fit appliquer sans hésiter en 1957 en tant que ministre de la Justice au détriment des Algériens. C’est enfin de la longue histoire des juifs en terre algérienne qu’il est question dans "Les
Trois Exils". Cet ensemble, qui porte la marque d’un historien majeur, permet de mieux comprendre la genèse, le déroulement et l’issue d’une tragédie où se mêlent un conflit colonial livré par la France, un affrontement nationaliste mené par les indépendantistes algériens et une guerre civile entre deux communautés résidant sur un même territoire. Ce sujet, resté sensible pour nombre de nos compatriotes, continue d’alimenter des deux côtés de la Méditerranée des débats passionnés.
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Musée d'art et d'histoire du Judaïsme
https://www.youtube.com/watch?v=oKyESbpNMNg
Juifs, musulmans, la grande séparation - Benjamin Stora
Aix-en-Provence, Alger, Meudon-la-Forêt… L’architecte a essaimé après-guerre son art de la pierre. Un livre-fleuve tente de réhabiliter l’œuvre de ce bâtisseur controversé.
Croquis de l’ensemble de la Tourette, conçu par Fernand Pouillon, sur le Vieux-Port à Marseille. BERNARD GACHET
C’est l’histoire d’un rendez-vous raté. L’architecte et urbaniste Fernand Pouillon (1912-1986) n’a jamais accédé à la notoriété d’un Le Corbusier, loin de là. Il a pourtant réalisé à l’heure de la reconstruction après la seconde guerre mondiale, des chantiers marquants, comme les immeubles du Vieux-Port à Marseille, les 200 logements à Aix-en-Provence, le quartier des Sablettes à Toulon ou la résidence du Parc à Meudon-la-Forêt, mais également signé des constructions en Algérie et en Iran.
Un livre-fleuve publié chez Actes Sud, principalement écrit par Pierre Frey, historien de l’art et professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, soutient la thèse qu’il n’est pas de meilleur moment pour redécouvrir le talent de ce créateur visionnaire. Si Fernand Pouillon jugeait souvent décevante la photo d’architecture, son travail est ici mis en valeur par les très beaux croquis de l’architecte Bernard Gachet accompagnés de plans et d’images d’archives des bâtiments évoqués.
Pierre Frey invite à redécouvrir l’intérêt visionnaire de Fernand Pouillon pour l’architecture vernaculaire, son recours aux techniques durables (climatisation, isolation…) et l’utilisation de matériaux naturels ou locaux à l’aune du réchauffement climatique et des préoccupations environnementales actuelles.
Adepte de la pierre de taille, à l’inverse du tout-béton prôné par Le Corbusier, Fernand Pouillon a toujours eu deux préoccupations majeures pour ses projets : « une prise en compte sensible du site avec lequel son projet entre en dialogue et une identification profonde, au fond amoureuse, aux besoins et aux sentiments de celles et de ceux dont il avait la charge de loger », témoigne Pierre Frey.
5 000 logements sur les hauteurs d’Alger
Alors que la question de la durabilité des constructions est devenue centrale en architecture, l’utilisation ingénieuse de la pierre par Fernand Pouillon est redécouverte. Il se fait connaître en 1955, avec le projet immobilier aixois des 200 logements, réalisé aux prix les plus bas du marché dans les délais les plus courts. En sus, les habitants (essentiellement de classe moyenne) ont pu accéder à la propriété grâce à une formule de location-vente sur vingt-cinq ans sans apport préalable.
Les auteurs de l’ouvrage évoquent aussi l’œuvre de Fernand Pouillon en Algérie. C’est le maire d’Alger, Jacques Chevallier, qui sollicite l’architecte pour la construction de logements sociaux à partir de 1953. Il sera à l’origine du chantier pharaonique de 5 000 logements sur les hauteurs d’Alger, sa cité la plus célèbre. Le livre revient sur cette empreinte forte laissée par Fernand Pouillon dans la Ville blanche et Mohamed Larbi Merhoum, architecte à Alger, la décrit comme une « architecture de vérité » en terre coloniale, tel un « emboîtement des mémoires sans permettre à l’une d’effacer l’autre ».
Mais qui était réellement Fernand Pouillon ? Les auteurs se sont plongés dans les archives mais leur enquête ne parvient pas à tout éclairer. Il est difficile de percer tous les mystères d’un homme qui s’est pourtant lui-même raconté à travers deux livres : Les Pierres Sauvages (1964) et Mémoires d’un architecte (1968). Deux ouvrages écrits en prison où Fernand Pouillon purgeait une peine pour faux bilan, détournement de fonds et abus de biens sociaux.
Après cette affaire, son image sera à jamais ternie. Amnistié en 1971 par le président Pompidou, il est réintégré à l’ordre des architectes français en 1978. Peut-être lui est-il reproché d’avoir été si multiple, d’avoir voulu tout maîtriser… Architecte, urbaniste, bâtisseur, maître d’œuvre, maître d’ouvrage, écrivain et éditeur, il fut tout cela à la fois.
Plus de 11 000 migrants sont arrivés sur l’île italienne de Lampedusa en moins d’une semaine. Un record absolu, qui illustre les impasses de la politique migratoire de la cheffe d’extrême droite du gouvernement Giorgia Meloni.
17 septembre 2023 à 11h30
(Ancône, Italie).– Les journaux télévisés ont déjà ouvert leurs éditions du soir lorsque la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni prend la parole, solennellement, sur ses réseaux sociaux. Ce vendredi 15 septembre, sur toutes les chaînes, les mêmes images et les mêmes informations se répètent, en boucle, depuis le début de la semaine. La cheffe de file des Frères d’Italie le sait, elle doit rendre des comptes à ses électeurs. Sur l’île italienne de Lampedusa, ce petit bout de Sicile et d’Europe à 110 kilomètres au nord des côtes tunisiennes, les arrivées de migrants atteignent des records. Plus de 11 000 personnes ont posé le pied sur l’île depuis lundi, dont près de la moitié pour la seule journée de mardi. C’est autant que le nombre total des arrivées en 2019.
« La pression migratoire que l’Italie subit depuis le début de l’année est insoutenable », commence-t-elle. L’air grave, elle défend coûte que coûte sa politique migratoire. Elle, qui avait promis une ligne dure à ses électeurs, elle, qui jurait qu’un « blocus naval » permettrait de clore le dossier, se retrouve, un an plus tard, avec des flux migratoires que l’Italie n’avait plus connus depuis 2015 et 2016. Depuis le début de l’année, plus de 127 000 migrants sont arrivés sur les côtes italiennes. C’est près du double des arrivées de l’année précédente à la même période.
Alors, pendant son intervention, elle déroule un discours bien rodé aux airs de justification : une « conjoncture internationale très difficile », une « masse énorme de personnes que l’Italie et l’Europe ne peuvent pas accueillir » et, surtout, un travail « structurel » de son gouvernement pour « arrêter en amont les trafiquants d’êtres humains et arrêter l’immigration de masse ». L’Italie a réussi à imposer à l’Union européenne un « nouveau paradigme », promet-elle. Mais ses mots pèsent bien peu face à la réalité qui s’impose depuis plusieurs semaines : sa politique migratoire est un échec.
En avril, déjà, l’Italie avait déclaré l’état d’urgence pour une période de six mois face à la hausse des arrivées de migrants. Du nord au sud du pays, les centres d’accueil ont alors improvisé pour pousser les murs et trouver une place aux nouveaux arrivants. Qui en montant de grandes tentes de toile devant le centre d’accueil en dur, qui en installant à la hâte des centres d’urgence dans des containers. Des appels d’offres ont été lancés tous azimuts pour monter de nouvelles structures. En vain.
Le budget alloué pour gérer ces centres a encore été revu à la baisse avec un décret-loi de mars dernier. Les intéressés se font rares. Les expulsions de ceux dont la demande d’asile a été rejetée – cette grande promesse de l’extrême droite au pouvoir – restent infimes : 3 200 ces douze derniers mois. À ce rythme, il faudrait 51 ans pour renvoyer dans leur pays d’origine tous les migrants arrivés en Italie au cours de la dernière année, selon les calculs du chercheur Matteo Villa, spécialiste des questions migratoires.
La théorie de l’« appel d’air » mise à mal
Depuis son élection, le pari de Giorgia Meloni est le suivant : ne plus se demander comment gérer l’accueil des migrants, mais faire en sorte qu’ils n’arrivent plus. Le coupable était tout trouvé : les « taxis de la mer », ces ONG qui opèrent des sauvetages en mer pointés du doigt par les gouvernements successifs et plus encore depuis l’arrivée au ministère de l’intérieur de Matteo Salvini, en 2018. D’ailleurs, celui qui est devenu ministre des transports n’en démord pas. Ces derniers jours, il l’a répété à l’envi : ces arrivées sont de la faute de l’Allemagne, qui finance des ONG qui amènent des migrants en Italie. Mais le scénario actuel met à mal cette théorie de l’« appel d’air », induit par les sauvetages en mer.
Depuis lundi, le navire Aurora, affrété par l’ONG Sea Watch, a débarqué 84 migrants au port de Catane, l’Ocean Viking de SOS Méditerranée a amené 68 migrants jusqu’au port d’Ancône, et à Lampedusa, ce sont le Sea Punk 1, le Nadir et le ResQ People qui ont respectivement amené à terre 44, 85 et 96 personnes. Ces chiffres dérisoires sur l’ensemble des personnes arrivées en Italie n’ont rien d’exceptionnel. Selon les chiffres établis par la fondation Openpolis, en 2022, les sauvetages effectués par les ONG ont représenté environ 10 % du total des arrivées. Cet été et ces derniers mois, leur présence en Méditerranée centrale a été réduite à peau de chagrin. Et pourtant, les arrivées ont continué. De manière autonome.
C’est l’une des principales différences avec les années précédentes. Pour beaucoup d’Italiens, les images de ces derniers jours à Lampedusa ont rappelé celles de 2011, pendant les printemps arabes, lorsque les Tunisiens sont arrivés par milliers à bord de petites embarcations de bois. «Les arrivées enregistrées en Italie cette année sont semblables à celles de 2015 et 2016 », souligne Flavio Di Giacomo, porte-parole pour l’Italie de l’Organisation internationale des migrations, sur le réseau social X (ex-Twitter). « En 2016, seules 9 440 des 115 000 personnes sont arrivées à Lampedusa de manière autonome, la plupart avaient été sauvées en mer et amenées ensuite dans de grands ports siciliens, plus adaptés à ces débarquements. » Inévitablement, cela concentre toutes les arrivées au même endroit, une petite île de 7 000 habitants environ, dotée d’un centre d’accueil d’une capacité maximale de 400 personnes. Comme un effet loupe sur la petite île de Lampedusa.
C’est aussi la conséquence du changement de route empruntée en Méditerranée centrale ces derniers mois : la Libye n’est plus qu’un point de départ secondaire, largement dépassé par la Tunisie. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur italien, les départs depuis les côtes tunisiennes ont augmenté de 360 % par rapport à 2022. Ces derniers jours, le long du quai Favaloro de Lampedusa, ce sont surtout de petits bateaux de fer qui ont amarré, seuls. Transportant une quarantaine de passagers, en moyenne, ils ont presque totalement remplacé les canots pneumatiques, particulièrement utilisés ces dernières années lors des départs des côtes libyennes.
Ces carcasses rouillées, arrivées par centaines ces dernières semaines, racontent à elles seules l’échec de la stratégie diplomatique de Giorgia Meloni pour limiter les flux migratoires. Car ces petits bateaux de fer, particulièrement dangereux pour les passagers, sont tous partis de Tunisie. Lorsque la météo est clémente et la traversée sans encombre, il leur faut entre huit et dix heures pour rejoindre Lampedusa depuis Sfax. Or, au mois de juillet, l’Union européenne a signé un memorendum d’entente avec la Tunisie, pour limiter les départs. L’initiative a été fortement soutenue par Giorgia Meloni. Mais, en dépit des promesses diplomatiques, depuis la signature de l’accord, les flux sont restés assez stables.
Ce qui semblait, il y a quelques semaines encore, être une victoire diplomatique pour Giorgia Meloni, apparaît aujourd’hui comme un camouflet a minima, comme un « acte de guerre » pour le chef de file de la Ligue et allié de gouvernement Matteo Salvini. « Quand 120 bateaux arrivent en quelques heures, ce n’est pas un épisode spontané, c’est un acte de guerre. 6 000 personnes n’arrivent pas en 24 heures par hasard. Le trafic est organisé en amont, sur les côtes nord-africaines, avec quelqu’un qui finance », estime le ministre des transports qui remet sur le tapis l’idée de faire intervenir la marine militaire.
Politiquement, le revers est important pour Giorgia Meloni. En prenant soin de ne pas nommer Matteo Salvini à son ministère de prédilection, le ministère de l’intérieur, elle a gardé la main sur un dossier cher à l’électorat de centre-droit. Elle doit aujourd’hui en assumer l’entière responsabilité.
Même si le chef de la Ligue reconnaît que la cheffe du gouvernement « fait tout son possible » pour endiguer le flux migratoire, il a multiplié cette semaine les prises de position fermes, là où Giorgia Meloni a privilégié les voies diplomatiques depuis le début de son mandat. Surtout, il a pris soin de rappeler son bilan personnel : «Quand j’étais ministre de l’intérieur, les arrivées représentaient un dixième de ce que l’on voit aujourd’hui. » Dans les rangs de la Ligue, les condamnations sont plus fermes. Le maire-adjoint de Lampedusa, fidèle de Matteo Salvini, demande la démission de l’actuel ministre de l’intérieur. À quelques mois des élections européennes, le parti d’extrême droite entend bien s’imposer comme le seul capable de réduire les arrivées de migrants sur les côtes du pays.
Migrants : qui se soucie encore de quelques centaines de morts ?
Les naufrages se suivent et se ressemblent aux portes de l’Europe. Malgré les faux-semblants, rien ne change et les pays européens continuent de vouloir garder portes closes. L’ampleur du drame survenu au large des côtes grecques dans la nuit de mardi à mercredi appelle pourtant à repenser nos politiques migratoires.
C’estC’est l’un des pires naufrages – dont on ait connaissance – survenus dans cette zone de la Méditerranée, où depuis 2015 des milliers de personnes tentent de rallier les portes de l’Europe. Des centaines de personnes ont perdu la vie après que leur embarcation a chaviré, dans la nuit de mardi à mercredi, alors qu’elle se trouvait dans les eaux internationales, au large des côtes grecques, au sud-ouest du pays.
Selon les derniers chiffres communiqués, 104 personnes ont été secourues en mer, tandis que 78 corps sans vie ont été récupérés. Selon les rescapé·es, le bateau en bois pourrait avoir eu à son bord près de 700 personnes, dont une centaine d’enfants, laissant présager le pire quant au nombre de personnes disparues sous les eaux.
Le bateau, qui serait parti de Tobrouk en Libye le 9 juin, transportait des ressortissantes et ressortissants égyptiens, syriens et pakistanais (entre autres). « Les principales nationalités qu’on retrouve pour les départs depuis Tobrouk », relève Sara Prestianni, directrice « advocacy » au sein du réseau EuroMed Droits, qui a beaucoup travaillé sur cette route migratoire. « Autour de 13 000 personnes ont emprunté cette route depuis Tobrouk depuis le début de l’année. On y observe de plus en plus de Syriens. »
L’embarcation aurait dérivé plusieurs jours en mer, sans doute après une panne sèche ou une panne de moteur. Pour se protéger, les femmes et les enfants se trouvaient dans la cale du bateau. Jeudi, les autorités portuaires grecques ont annoncé l’arrestation de neuf personnes de nationalité égyptienne, soupçonnées d’être des passeurs ou le capitaine de l’embarcation.
Face à l’ampleur du drame, les autorités grecques ont annoncé trois jours de deuil national. Une réaction qui pourrait sembler, de loin, à la hauteur de l’événement. Mais ces effets d’annonce dits de « réaction » ne suffisent plus. Il est temps d’agir, de ne plus se contenter de compter les morts et de les regretter ensuite, comme si les politiques mises en place n’avaient pas contribué à faucher des vies dont on ne voulait pas, au prétexte que leur origine, leur couleur de peau ou leur religion ne convenaient pas.
L’exemple de l’accueil mis en place pour les ressortissant·es d’Ukraine fuyant leur pays et l’agression russe qui ravageait leur quotidien en est l’illustration.
Comment a-t-on pu, en un rien de temps, organiser l’accueil de plusieurs millions de personnes en Europe, déclenchant au passage une protection temporaire leur permettant de circuler librement et gratuitement et d’obtenir une autorisation provisoire de séjour dans les différents pays d’accueil, comme la France, mobilisés pour organiser cet accueil à l’échelle européenne ? Pourquoi une telle politique d’accueil ne pourrait-elle pas être transposée pour d’autres nationalités et d’autres profils, que l’on préfère laisser mourir en mer et sur les routes migratoires, sans trop avoir d’états d’âme ?
De l’indignation à l’indifférence générale
Difficile de ne pas se souvenir de la vive indignation qu’avait suscitée la mort du petit Alan Kurdi, dont le corps avait été retrouvé sans vie, couché face contre terre, sur une plage en Turquie en 2015. À l’époque, nombre de personnalités politiques s’étaient emparées de ce drame et avaient partagé leur émotion, à l’heure où l’Europe était confrontée à l’arrivée de nombreux Syriens et Syriennes qui fuyaient la guerre.
Début 2023, pourtant, nos révélations concernant une fillette, dont le corps a été retrouvé dans la même position qu’Alan Kurdi sur une plage de Kerkennah, une île au large de Sfax, ont davantage suscité l’indifférence générale qu’une remise en question des politiques migratoires de l’UE et des pays tiers, Libye, Tunisie, Maroc ou encore Turquie chargés de protéger ses frontières, alors qu’ils bafouent régulièrement les droits de leur propre population, et a fortiori des migrant·es.
Le 2 juin dernier, un nouveau corps d’enfant a été retrouvé par les gardes-côtes tunisiens au large de Sfax, cette fois-ci flottant dans l’eau, enveloppé dans une combinaison rose bonbon, des baskets bleues encore vissées aux pieds. Il n’aura fait l’objet que d’un tweet rédigé le lendemain par un doctorant tunisien relayant la photo de la fillette et dénonçant « l’externalisation meurtrière de la politique européenne des frontières » et la « corruption des autorités ». « Les frontières tuent », rappelle ce tweet peu partagé, qui aurait dû faire le tour du monde. Le silence et, de nouveau, l’indifférence l’ont emporté.
Il y aurait eu tant à dire. Depuis des mois, la morgue de l’hôpital de Sfax croule sous les cadavres, lorsqu’ils ne sont pas abandonnés en mer ou sur les plages et retrouvés par des pêcheurs. Les départs depuis la Tunisie n’ont jamais atteint un tel niveau. Le pays est désormais la principale porte d’entrée pour l’Europe, brassant différents profils, à commencer par les Tunisiennes et Tunisiens eux-mêmes, mais aussi les migrants subsahariens. Les discours xénophobes et stigmatisants de Kaïs Saïed à leur égard n’ont pas permis de stopper ces flux ; au contraire, ils ont parfois poussé certains à quitter la Tunisie, autrefois terre de passage devenue, pour une partie d’entre eux, un pays de destination.
Giorgia Meloni s’en est allée négocier à coups de millions d’euros avec le chef d’État tunisien, le 6 juin, pour tarir à la source les migrations. Car les autorités enregistrent, sur les trois premiers mois de l’année 2023, une augmentation de 5 % des interceptions en mer par rapport l’an dernier. C’est sans compter les personnes ayant réussi la traversée vers Lampedusa, mais aussi les vies englouties par la Méditerranée, qualifiée dans une litanie tristement banale de « cimetière ». La mer a cela de pratique qu’elle peut « avaler » les corps et cacher au reste du monde ce qui se résume à une tuerie de masse, s’agissant de victimes dont la vie a finalement moins de valeur que d’autres.
Une « omission de secours devenue la règle »
Ce type de naufrage, dont on a connaissance et pour lequel une opération de sauvetage peut avoir lieu a posteriori, appelle une réaction politique, compte tenu du nombre de disparu·es, tout comme celui survenu en Sicile en février dernier, qui a causé la mort d’au moins 86 personnes. Durant des semaines, les corps avaient continué de s’échouer sur une plage de Calabre. Il y a quelques mois, enfin, des images effroyables de corps adultes, recrachés par la mer à la suite d’un naufrage au large de la Libye, avaient été relayées sur les réseaux sociaux, suscitant peu de réactions politiques à travers le monde.
Une énième fois, pointe Sara Prestianni, « ce naufrage au large de la Grècedémontre une absence réelle de plan et de volonté de sauvetage, avec des États qui ne prennent pas leurs responsabilités et qui interviennent après, quand c’est trop tard ». « L’omission de secours semble être devenue la règle », regrette-t-elle, rappelant que le nombre de morts en Méditerranée est « accablant » cette année (1 166 à ce jour, contre 3 800 pour toute l’année 2022).
Cette fois, les gardes-côtes grecs ont pris soin de préciser qu’aucune des personnes à bord de l’embarcation ne disposait d’un gilet de sauvetage. Les autorités ont indiqué que le bateau serait parti depuis la Libye pour rejoindre l’Italie et qu’un avion de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, l’aurait repéré mardi après-midi. Mais, selon les autorités, les exilé·es auraient refusé « toute aide ». Frontex s’est dite « profondément émue » après l’annonce du naufrage.
Les autorités omettent aussi de dire que la Grèce est régulièrement accusée de refouler des migrant·es en mer, pouvant ainsi leur faire craindre, derrière une aide supposée, d’être en réalité éloigné·es du territoire – une pratique illégale au regard du droit international maritime et de la Convention de Genève, qui doivent permettre à toute personne en situation de détresse d’être secourue et acheminée vers un port dit « sûr » et de pouvoir, si elle le souhaite, déposer une demande d’asile dans le pays qu’elle tentait de rallier.
En mai dernier, des révélations du New York Times ont mis en lumière cette pratique, grâce à une vidéo d’un « push-back » prise sur le fait. Mediapart avait documenté un cas semblable en 2022, qui avait provoqué la mort de deux demandeurs d’asile.
Des migrants toujours plus instrumentalisés
Malgré tous ces drames, l’Union européenne, et en particulier la France, s’entête à maintenir une politique aux effets dévastateurs, sans songer à repenser la politique européenne en matière de migrations et d’asile, pour permettre à celles et ceux qui fuient leur pays de rejoindre l’Europe en sécurité, sans mettre leur vie en péril ni aux mains de passeurs parfois peu scrupuleux. « C’est ce qui ressort de la dernière version du Pacte européen pour l’asile, appuie la représentante d’EuroMed Droits. On est toujours plus dans l’externalisation des frontières, avec la gestion de ces dernières accordée à des pays tiers. »
Tant pis si cela vient légitimer les dirigeants de régimes autoritaires sur la scène internationale. « Bien souvent, il y a une augmentation des départs, celle-ci fait monter la pression sur un pays européen, qui se retrouve obligé d’ouvrir un dialogue avec un responsable politique comme Haftar en Libye », poursuit Sara Prestianni. Nos propres dirigeants s’enfoncent de leur côté dans une surenchère politique et médiatique visant à laisser entendre que l’on accueillerait « trop » – oubliant de préciser une réalité encore trop ignorée : la majorité des déplacements de population se fait à l’intérieur d’un même pays ou d’un même continent.
Il faudrait donner la possibilité aux personnes exilées, comme s’il s’agissait de leur faire une fleur, de demander l’asile en dehors de l’Europe, depuis le pays qu’elles fuient ou les pays voisins, afin qu’elles ne rejoignent notre sol qu’une fois la protection accordée, et qu’elles ne puissent pas « profiter du système » (mais lequel ?) en restant dans le pays d’accueil en cas de rejet de leur demande. En Grèce, dans le contexte des élections législatives qui se tenaient en mai, le premier ministre Kyriákos Mitsotákis a fait de la lutte contre l’immigration un cheval de bataille, promettant l’extension du mur « antimigrants » déjà existant à la frontière terrestre séparant la Grèce de la Turquie.
En Italie, plusieurs lois sont venues concrétiser les discours politiques contre l’immigration (lire notre reportage), dont une qui contraint les ONG ayant un navire humanitaire en Méditerranée centrale, pour secourir les migrant·es en détresse, de les débarquer dans des ports parfois très éloignés, au nord du pays, les obligeant à naviguer plusieurs jours supplémentaires. Le décret, surnommé « Decreto Immigrazione », vise aussi à ne plus accorder de protection « spéciale » aux migrant·es n’ayant pas obtenu le statut de réfugié·e mais ayant montré suffisamment de signes d’intégration et d’insertion sociale dans le pays, tout en accélérant les expulsions en renforçant les centres dédiés dans chaque région.
En France, le débat public a été émaillé de saillies plus outrancières les unes que les autres. L’accueil de l’Ocean Viking en novembre à Toulon, le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée que l’Italie avait refoulé, a illustré un manque de volonté criant en matière d’accueil : la droite et l’extrême droite ont regretté le choix du ministre de l’intérieur, tandis que ce dernier a souhaité les rassurer, expliquant que les personnes n’ayant pas vocation à rester sur le territoire seraient expulsées manu militari. Ce fut le cas de Bamissa D., dont Mediapart a relaté le parcours, et qui a été renvoyé au Mali.
La torture que son mari a connu pendant la guerre d'Algérie la aussi beaucoup influencé mais pas que...
Révoltée par les crimes commis pendant la guerre d’Algérie, Danielle Mérian a commencé à militer à l’ACAT en 1975. Cette avocate passionnée par le combat pour les droits de l’homme lutte sur tous les fronts : disparus d’Argentine, abolition de la peine de mort, condition des prisonniers en France… Souvenirs d’une éternelle «Acatienne»
Attentats à Paris. Danielle Mérian, la dame qui a émule web, se livre
Elle s’appelle Danielle Mérian. Interviewée devant la salle de spectacles après la tuerie du Bataclan, cette ex-avocate a parlé de fraternité pour repousser la peur. Et a réconforté plein de gens.
Souvenez-vous. C’était le lundi après le massacre. Comme des milliers de Parisiens, Danielle Mérian qui habite plus bas, sur le boulevard Richard-Lenoir, était venue déposer une brassée de roses. Un micro s’est tendu. BFM TV. « Madame, pourquoi êtes-vous là ? »
Et les mots ont jailli, magnifiques, de la bouche de cette bourgeoise en apparence collet-monté. Devant le parterre de bougies où flottaient des exemplaires de Paris est une fête, elle a dit : « C’est très important d’apporter des fleurs à nos morts. C’est très important de lire plusieurs fois le livre d’Hemingway qui est une belle réponse à Daech (...) Nous fraterniserons avec les 5 millions de musulmans qui exercent leur religion librement et nous nous battrons contre les 10 000 barbares qui tuent, soi-disant au nom d’Allah. »
Vingt-huit secondes. Ses paroles ont fait le tour du monde, relayées par d’autres télés, les réseaux sociaux. « C’était mon premier micro-trottoir », fait remarquer la dame qui vous reçoit près d’un an après dans son appartement parisien. À 78 ans : un détonnant mélange de rigueur et d’humour au-dessus du rang de perles.
" Mon père doit bien rire"
« Quelle aventure ! », commente-t-elle, au milieu des meubles et tableaux de famille. Depuis plusieurs années, les remerciements, les embrassades, les selfies se sont enchaînés, dans la rue. Émanant « de jeunes, de vieux, de musulmans, de catholiques, de juifs et d’athées… ». Pas de fausse pudeur, Danielle Mérian savoure. Et se dit que « là où il est », son père, le résistant et journaliste Claude Darget, « doit bien rire ». « Il présentait le 20 h du temps où il n’y avait qu’une chaîne de télévision (dans les années 1950-1960). Je détestais me promener avec lui. C'était un don juan et tout le monde le reconnaissait. Je me disais : "Pour vivre heureuse, vivons cachée". »
"Je suis votre soldat"
Des plateaux télé, sa fille en a fait peu en 2016. Elle a notamment refusé de rencontrer Bernard Cazeneuve dans Des Paroles et des actes. « Je trouve la société civile beaucoup plus brillante que nos politiques ! » Mais sous d’autres projecteurs, le comédien Omar Sy lui a dit qu’elle était « kiffante ». En coulisses, il a ajouté : « Je suis votre soldat ». La promesse est allée droit au cœur de cette combattante, qui n’est pas née des dernières tempêtes de l’histoire. Danielle Mérian milite depuis des années au sein de l’Association des chrétiens contre la torture, Parcours d’exil et SOS Africaines en danger. Mère de deux enfants (qui travaillent l’un auprès des réfugiés, l’autre auprès des handicapés), elle a adopté récemment un réfugié politique camerounais. À Noël, « par solidarité », elle a amené toute la famille réveillonner à La Bonne bière, l’un des bars meurtris par la fusillade de novembre.
« Quand on me donne la parole je la prends ! »
Sa vie d’engagements, elle la raconte dans un petit livre écrit en collaboration avec l’écrivaine Tania de Montaigne, à la demande des éditions Grasset. On s’étonne de la démarche : elle y livre beaucoup de son intimité. Elle justifie : « Moi, quand on me donne la parole, je la prends ! » Normal, pour une ancienne avocate (spécialisée en droit de la famille). Un titre qu’elle revendique plus fièrement que le surnom de Mamie Danielle dont on l’a familièrement affublée après le Bataclan. « Grand-mère, je le suis avec bonheur, mais c’est ma vie privée ! » Pendant trois mois, Tania de Montaigne est allée l’enregistrer, chez elle, deux heures par semaine. « Une Badoit et en avant ! » L’auteure de Noire est tombée sous le charme de cette femme « libre et surtout curieuse. Curieuse de la vie et intrigante, car jamais là où on l’attend. » « Féministe convaincue », Danielle Mérian sait, pour être issue de l’aristocratie du côté paternel, de la paysannerie par sa mère, « que les femmes en ont bavé dans tous les milieux ».
Ennemie du prêt-à-penser
Au cœur de ses engagements, il y a la découverte, à 7 ans, dans un tiroir secret de son père, des photos des camps de concentration qu’il avait contribué à libérer, avec l’armée canadienne. Et aussi le souvenir de femmes tondues, sur le boulevard, à la Libération. « Voir très tôt ce que l’homme peut faire à l’homme m’a sûrement déterminée à être la voix des sans voix », dit-elle. La guerre d’Algérie a aussi été déterminante. Son défunt mari, l’amour de sa vie, s’y est trouvé impuissant face à la torture. La blessure a marqué tous leurs engagements de couple. « Ennemie du prêt-à-penser », Danielle Mérian ne considère pas son témoignage comme un énième « Engagez-vous » adressé à la jeunesse. Elle aimerait juste qu’il soit « une ombrelle sous laquelle s’abriter quand la terreur frappera à nouveau, quand il paraîtra plus simple de rejeter que d’embrasser. Ensemble, on est plus forts », martèle-t-elle. Et au fait, que pense-t-elle des représentants de la vieillesse, des gens de son âge et un peu plus, qui ont connu la guerre enfants ou adolescents ? La réponse de cette admiratrice de Stéphane Hessel fuse, avec la même véhémence que devant le micro de BFM : « Je ne com-prends-pas que des gens qui ont connu l’exode, qui ont fui devant l’ennemi, qui ont vu brûler leurs maisons, qui avaient faim et soif sur les routes, et qui se faisaient bombarder : je ne com-prends-pas que les mêmes puissent ne pas ouvrir leurs bras aux migrants ! »
Par micheldandelot1 dans Accueil le 17 Septembre 2023 à 11:23
Les Algériens la surnomment « l’Autoghoute Est-Ouest », en référence à Amar Ghoul, l’ancien ministre des Travaux publics, qui en a supervisé la réalisation, avant de finir en prison. Le dernier tronçon du « projet du siècle » vient seulement d’être livré, alors qu’il devait l’être en 2009. Récit d’un scandale d’État.
Les anciens présidents Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual en ont rêvé, Bouteflika l’a fait. Le projet de doter l’Algérie d’une autoroute qui relierait la frontière marocaine à la frontière tunisienne remonte à 1983. Mais la crise économique qui a frappé le pays au milieu des années 1980 en avait décidé autrement. Il sera relancé dans les années 1990 avec la réalisation de plusieurs tronçons grâce à des financements européens, arabes et africains, à hauteur d’environ 470 millions de dollars. Mais là encore, la guerre civile dans laquelle l’Algérie est plongée durant cette « décennie noire » retardera ou bloquera aussi bien les travaux que les financements.
À partir de 2004, toutefois, la manne pétrolière qui commence à se déverser sur l’Algérie après le premier mandat de Bouteflika ouvre la voie aux grands projets structurants (routes, barrages, logements, chemins de fer…). C’est ainsi que le projet de construction de cette autoroute refait surface. Plutôt que de recourir à des financements étrangers, en sollicitant notamment la Banque mondiale, comme ce fut le cas précédemment, l’ancien chef de l’État opte alors pour un financement à 100 % algérien.
Pourquoi avoir choisi cette option ? Les organismes financiers internationaux étant très stricts en matière de transparence, d’éthique et de règles anti-corruption, la possibilité pour les responsables et les intermédiaires algériens et étrangers de détourner des fonds, de percevoir des commissions et des rétrocommissions serait ainsi devenue quasi-nulle. Or la tentation d’enrichissement illicite sera d’autant plus grande que les verrous et les digues anti-corruption ont précisément commencé à sauter à partir du début du deuxième mandat de Bouteflika, avec l’explosion des investissements publics et les factures des importations.
C’est ainsi qu’entre 2005 et 2009, les autorités algériennes alloueront une enveloppe globale de 140 milliards de dollars pour financer ces grands projets. Ces commandes publiques aiguisent l’appétit des hommes d’affaires – qu’on qualifiera plus tard d’oligarques –, des partenaires étrangers et d’une faune de responsables rôdant dans les ministères, les grandes administrations publiques, ainsi que dans l’establishment sécuritaire et militaire.
Prévarication et détournements
Ce sera alors le début d’un gigantesque processus de dilapidation, de prévarication et de détournements qui nourrira, à partir de 2019, les grands procès pour corruption impliquant oligarques, Premiers ministres, ministres et hauts gradés de l’armée. C’est ainsi que l’affaire de l’autoroute Est-Ouest deviendra l’un des scandales les plus retentissants de l’ère Bouteflika.
Le 12 août 2023, le dernier tronçon – 80 km reliant la ville d’Annaba à la frontière tunisienne – a été livré et inauguré par le Premier ministre, Aymen Benabderrahmane. Selon le calendrier initial, il devait être achevé en… 2009. Entre-temps, l’autoroute est devenue, pour beaucoup d’Algériens, l’« Autoghoute Est-Ouest », en référence à Amar Ghoul, l’ancien ministre des Travaux publics, qui en a supervisé la réalisation, avant de finir derrière les barreaux, où il purge depuis 2019 une peine de cinq ans de prison pour abus de fonction et corruption. Et le « projet du siècle » – surnommé ainsi en raison de la longueur record, 1 216 km, de l’autoroute – s’est transformé en scandale d’État, représentant un gouffre financier de plus de 17 milliards
Evgueni Prigojine, tué dans le crash de son avion, laisse derrière lui des centaines de sociétés actives dans le mercenariat, le commerce ou la lutte informationnelle. Trop utiles à la Russie pour être liquidées, elles sont reprises en main par des proches du Kremlin.
QuelquesQuelques jours après la mutinerie du groupe Wagner et le début de la disgrâce de son dirigeant Evgueni Prigojine, qui finira par être tué le 23 août, le journal des élites financières états-uniennes, le Wall Street Journal, prédisait : « Vladimir Poutine est [désormais] confronté à une nouvelle épreuve : gérer l’une des acquisitions d’entreprise les plus complexes de l’histoire. » L’image est un peu étonnante s’agissant d’une entreprise dont les employés pratiquent la torture et pillent les ressources naturelles des pays où ils s’implantent, mais elle n’est pas complètement dénuée de sens.
L’empire militaro-commercial bâti par Evgueni Prigojine comptait plusieurs centaines de sociétés, actives en Russie et à l’étranger, aux activités fort diverses bien que souvent liées entre elles : mercenariat, restauration, immobilier, logistique, désinformation en ligne… Du vivant de son fondateur, le groupe Wagner pouvait aussi bien monter des opérations de déstabilisation d’élections (à travers son Internet Research Agency) que vendre de la vodka en République centrafricaine, combattre aux côtés de l’armée russe dans le Donbass ou sécuriser des champs de pétrole en Syrie.
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Prigojine éliminé, vraisemblablement assassiné sur ordre du Kremlin après avoir osé le défier lors de sa rébellion avortée, que vont devenir la marque Wagner et ses succursales ?
Le Kremlin a laissé croire, un temps, qu’il comptait la liquider. Wagner « n’existe tout simplement pas », commentait lapidairement le président russe le 13 juillet, après la mutinerie des mercenaires. Une référence à l’absence d’existence légale du groupe qui avait alors surtout résonné comme la liquidation annoncée d’un outil pourtant né avec l’assentiment de Moscou, dont il était devenu le bras armé officieux.
Deux mois plus tard, son chef est mort mais Wagner bouge toujours. « Ils sont toujours là. Leurs positions sont à quelques kilomètres des nôtres et je peux vous assurer qu’il n’y a pas eu de départ massif, ni de remplacement par d’autres », indique à Mediapart le cadre d’un groupe armé centrafricain qui combat les hommes de Wagner. Ces derniers assurent la sécurité du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra et disposent de bases à travers tout le pays, où ils sont implantés depuis 2018.
Trop précieux pour être liquidé
La perspective d’une dissolution pure et simple de l’empire monté par Evgueni Prigojine semble désormais éloignée. L’outil est probablement jugé trop précieux, aux yeux du Kremlin, pour être laissé à l’abandon. Le groupe s’est bâti un réseau, a formé des combattants expérimentés, a acquis un savoir-faire indéniable en matière de désinformation. Surtout, depuis près d’une décennie, Wagner a servi la politique étrangère russe sans que Moscou n’ait à rendre de comptes à son sujet – puisque, officiellement, le groupe n’avait pas de liens avec l’exécutif (Vladimir Poutine a fini par reconnaître, le 27 juin, qu’il avait bien été financé par l’État russe).
Sur le continent africain, les cadres de Wagner ont noué des liens avec de multiples chefs d’État ou de gouvernement, assuré le service après-vente des équipements militaires vendus par la Russie, et attisé (y compris grossièrement) le feu de la colère contre les anciennes puissances coloniales, en particulier la France. Autant de manœuvres servant à merveille les intérêts et les ambitions de Moscou. Les soldats de Wagner y ont aussi commis des massacres et volé des ressources naturelles mais, magie du mercenariat, l’État russe n’a pas eu à en répondre.
Quelques années plus tôt, en Ukraine, le groupe de mercenaires qui allait donner naissance à Wagner avait répondu à un autre besoin de l’État russe : apporter un soutien militaire aux séparatistes du Donbass sans que la Fédération de Russie n’ait l’air d’être directement impliquée dans le conflit. L’épisode a notamment été raconté par un ancien officier de Wagner, Marat Gabidullin, dans son livre Moi, Marat, ex-commandant de l’armée Wagner, paru en 2022.
Le Kremlin a donc tout intérêt à garder la main sur les sociétés de la galaxie Prigojine ; mais les passer dans son intégralité sous la coupe étatique semble exclu. D’abord parce que le montage perdrait l’un de ses intérêts principaux : n’avoir pas à assumer officiellement toutes ses activités. Ensuite parce que la tâche serait titanesque, pour une administration déjà fort occupée par la guerre en Ukraine et ses conséquences économiques. La passation ressemblera plutôt à une dissémination façon puzzle, sous l’œil attentif des autorités russes.
Côté militaire : Convoy et Redut, héritiers sous surveillance
La branche strictement militaire du groupe Wagner semble déjà s’être trouvée plusieurs héritiers. Les plus en vue se nomment Convoy et Redut, deux sociétés militaires privées au profil rassurant pour le Kremlin.
Convoy, créée début 2023, est commandée par Konstantin Pikalov, alias « Mazaï », qui a travaillé pour Wagner à Madagascar et en République centrafricaine, et est placé sous sanctions par l’Union européenne. « Tous les commandants [de Convoy] sont d’anciens employés de Wagner », assurait en mars 2023 un ancien soldat de Convoy au site russe iStories.
Après la mort d’Evgueni Prigojine, le numéro deux de cette nouvelle société militaire, Vasily Yashchik, a confirmé au Wall Street Journal que certains des combattants de Wagner avaient rejoint Convoy, même si le groupe n’avait pas organisé de campagne spécifique pour les recruter.
Au contraire de Wagner, ses dirigeants semblent avoir accepté une forme de rattachement au ministère russe de la défense. Le centre d’entraînement de Convoy se trouve à Perevalne, en Crimée, à côté d’un centre d’entraînement de l’armée russe. Convoy a le statut de « réserve militaire » et ses combattants signent, en s’engageant, deux contrats : l’un avec Convoy, l’autre avec le ministère. De son vivant, Evgueni Prigojine s’était toujours opposé à ce que les soldats de Wagner signent un contrat avec le ministère, avec lequel il avait des relations exécrables.
Surtout, selon l’ONG Dossier Center (organisation financée par l’opposant russe Mikhaïl Khodorkovski qui s’est donné pour objectif de « documenter les activités criminelles d’individus liés au Kremlin » et avec qui Mediapart a publié deux enquêtes sur les activités de Wagner en Afrique), Convoy est largement financée par l’État russe et des proches du président Poutine.
« “Convoy” a reçu 437,5 millions de roubles [un peu plus de quatre millions d’euros – ndlr] en seulement un mois et demi à l’automne 2022 », écrit ainsi Dossier Center, qui dit se baser sur l’analyse de documents bancaires. « Parmi eux, 120 millions de roubles provenaient d’une société détenue par un ami de Poutine », l’oligarque Arkadi Rotenberg, « 200 millions supplémentaires [proviennent] d’une banque d’État, et le reste de sociétés pétrolières sans lien avec la société militaire privée ».
Le 21 août, Convoy publiait sur sa chaîne Telegram une petite annonce afin de recruter des pilotes de drones « âgés de 45 ans maximum » pour travailler « dans la zone SWO », acronyme russe pour parler de l’« opération militaire spéciale », soit l’Ukraine, « et en Afrique ».Le groupe compterait pour l’heure quelques centaines de combattants.
La seconde société militaire privée qui pourrait récupérer une partie de l’héritage de Wagner, Redut, serait également financée par un oligarque identifié comme proche de Vladimir Poutine, Gennady Timchenko. Mais elle a davantage d’expérience que Convoy : Redut a été fondée en 2008 par des anciens des forces spéciales et du renseignement militaire.
Des ex-combattants de Redut ont assuré, avec de nombreux détails à l’appui, que le groupe avait participé aux toutes premières percées sur le territoire ukrainien lors de la grande invasion de février 2022. La société aurait également opéré en Syrie afin d’y protéger des installations de la société russe Stroytransgaz.
Elle cherche plus explicitement encore que Convoy à recruter d’anciens soldats de Prigojine, ce qui peut laisser penser que Redut sert de « véhicule de recrutement pour le ministère de la défense afin d’attirer d’anciens combattants de Wagner qui n’accepteraient pas de signer des contrats avec l’armée régulière », écrit le Wall Street Journal, s’appuyant sur une source proche du ministère russe des armées.
De fait, même si les ex-Wagner ont été encouragés par les autorités russes à se « reconvertir » directement dans l’armée régulière, il est très loin d’être acquis qu’ils acceptent de se mettre au service d’un pouvoir qui a assassiné leur chef. Evgueni Prigojine avait, malgré tous ses méfaits, acquis une certaine popularité parmi ses combattants en leur rendant visite sur le front et en prenant publiquement et régulièrement la défense des « simples soldats » contre l’incurie de la bureaucratie d’État.
Pour garder ces nouvelles sociétés militaires privées sous contrôle, l’appareil d’État russe peut compter sur l’envie des oligarques qui les détiennent ou les financent de démontrer leur loyauté – et de gagner les rétributions matérielles qui vont avec – et sur l’effet dissuasif du précédent Prigojine – les traîtres savent désormais qu’ils risquent leur peau. Il n’est pas exclu qu’il ait également chargé le redouté GRU (service de renseignement militaires russe) de suivre attentivement l’évolution de ces sociétés.
« Il semble clair que le GRU va entrer en jeu », estime Lou Osborn, coautrice d’un livre-enquête sur Wagner paru ce 15 septembre (lire notre compte rendu). « Le chef des opérations clandestines du GRU, qui par définition est censé rester clandestin, s’est rendu au forum Russie-Afrique, et a rencontré les chefs d’État où Wagner était présent. Ce n’est pas anodin », observe-t-elle. « Par ailleurs, Convoy, Redut et toutes les autres sociétés militaires privées de Russie ont signé un contrat avec une entité du GRU, “l’unité 35 555”, qui se présente comme un laboratoire de recherche psychologique. »
Les trolls travaillent encore, mais qui les nourrit ?
Restent deux autres pans de la galaxie Prigojine : ses activités commerciales et celles dans le secteur de l’« influence » et de la guerre informationnelle.
On sait, pour l’heure, peu de choses de ce qu’il adviendra de ses activités commerciales. Les registres du commerce et des sociétés, prisés des enquêteurs en source ouverte, n’ont pas encore révélé de mouvement majeur parmi les dizaines de sociétés qui constituaient le groupe Concord, qui gérait les activités de restauration de l’empire Prigojine – celles qui ont fait sa richesse et lui ont valu le surnom de « cuisinier de Poutine ». L’éventuel rôle à venir du fils et de la femme de l’entrepreneur, qui occupaient tous les deux d’importants postes dans Concord, n’est pas encore connu.
Côté « influence », enfin, « une partie des activités [de Wagner] a été reprise, mais on ne sait pas encore par qui », avance Lou Osborn. Avec d’autres chercheur·es, elle dit avoir constaté que des comptes sur les réseaux sociaux, identifiés comme liés à des sociétés d’Evgueni Prigojine, avaient repris leurs publications. Cette tendance est confirmée par Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), spécialiste de la Russie et des stratégies d’influence.
Il souligne, comme Lou Osborn, que cela concerne plus spécifiquement les activités de Wagner en Afrique. « Malgré sa mort, une forme de continuité se dessine dans cet appareil informationnel. Ces publications ne sont pas massives, mais elles continuent », observe le chercheur. Impossible, pour l’heure, de savoir qui paie les employé·es derrière ces comptes qui inondent la toile malienne ou centrafricaine.
Les portails d’information du réseau Prigojine basés en Russie, en revanche, ont été bloqués par les autorités – c’est le cas du site Ria Fan – ou ont annoncé cesser leurs activités. Il n’est pas exclu qu’une partie de leurs employé·es se soient recyclé·es au sein de médias d’État : la patronne de Russia Today, Margarita Simonyan, a en tout cas tenté de les y attirer, assurant à l’été 2023 que les salarié·es de Wagner étaient « parmi les meilleurs du pays en relations publiques » et qu’elle aimerait pouvoir embaucher ces « super-professionnels ».
L’enjeu, désormais, pour Vladimir Poutine, est de faire survivre ce qui peut lui être utile parmi l’héritage de Prigojine, sans donner naissance involontairement à un nouveau monstre qui lui échapperait jusqu’à menacer son pouvoir. « Ils vont tout faire pour ne pas aboutir à la même chose : un homme qui finit par concentrer beaucoup de pouvoir et détenir beaucoup de secrets », résume Lou Osborn. Si Vladimir Poutine fait face à une reprise d’entreprises particulièrement ardue, il a déjà sa méthode : la reprise en main du groupe Wagner se fera façon « vente à la découpe ».
À l’occasion des Rencontres méditerranéenne à Marseille du 17 au 24 septembre 2023, et de la venue du pape François à l’événement, l’écrivain Laurent Gaudé, Prix Goncourt 2004 pour Le Soleil des Scorta, livre à La Croix L’Hebdo une lettre d’amour à la Méditerranée, de la splendeur baroque de Palerme aux vents impétueux du cap Sounion, de la saveur de l’huile d’olive aux parts d’ombre de cette mer dont nous sommes tous les enfants.
Il y a, à Palerme, un ficus magnolia géant. Il règne sur le jardin de la piazza Marina avec calme et lenteur. Sa circonférence monumentale offre une ombre salutaire en été. Planté en 1864, c’est un très vieux monsieur qui a connu Garibaldi mais aussi tout le XXe siècle, avec ses crises, ses guerres, ses espoirs, ses coups de vent et ses hivers. Il a quelque chose d’un vieil éléphant végétal, souverain et dense. Ses branches produisent des rejets qui finissent par tomber au sol et rentrer dans la terre pour devenir, à leur tour, racines. Vu sa taille, ses racines aériennes tombent parfois à plusieurs dizaines de mètres de son tronc, au-delà de la grille du jardin public. Bonne mère, la municipalité a, en 2019, décidé de creuser des trous dans le pavement, sur les trottoirs où les rejets ambitionnaient de descendre, pour que l’arbre puisse trouver le chemin de la terre.
J’ai toujours aimé ce parc. J’ai toujours été ému face à cet arbre mastodonte qui est là depuis si longtemps, a absorbé toutes les humeurs, toutes les rumeurs, toutes les colères et toutes les liesses de la ville qui l’entoure. Il est là, ne dit rien de nous. Mais nous offre une évidence : nous produisons nos propres racines.
Je suis méditerranéen. Même si je suis né à Paris. Même si mon arbre généalogique est planté en terres du Nord et de l’Est. Je suis méditerranéen. Parce que je l’ai décidé. Parce que les paysages qui me donnent envie de pleurer de beauté sont faits de vignes, de pins parasols et de descentes abruptes sur la mer. Parce que la cuisine qui me manque lorsque je suis sur d’autres continents a le goût des tomates, des courgettes, des pâtes, du miel, des figues et du jambon fumé. Parce que la chaleur me plaît. Parce que la rue méditerranéenne m’inspire. Je suis méditerranéen parce que je suis cet arbre. Comme lui, j’ai des racines aériennes. Elles ont plongé loin du tronc. À Palerme. Dans les Pouilles. À Nauplie et Beyrouth. À Sidi Bou Saïd et Séville. À La Canée et Cadaqués. Mon identité est là, dans toutes ces branches. Pourquoi devrions-nous n’être qu’un lieu d’origine ? Par quelle absurdité pourrait-il se faire que les goûts, les désirs, les rêves qui nous traversent ne soient pas des éléments de notre identité ? Je suis méditerranéen par goût, par volonté, par évidence.
Mais quel étrange mot que celui de « Méditerranée ». Il semble si clair lorsqu’il désigne une mer et il est si compliqué à définir lorsqu’il s’agit d’un espace, d’une culture. Qu’est-ce que la Méditerranée ? Est-ce que le Vénitien a quelque chose en commun avec le Cairote ? Qu’est-ce que le Druze libanais partage avec le Corse de Piana ? On parle souvent de mare nostrum, mais qui est désigné par ce nostrum et qui en est exclu ? Qu’est-ce que la Méditerranée ? Il y a tellement de réponses possibles à cette question qu’on est pris de vertige. C’est une mer. Certes. Mais plurielle et multiple jusque dans ses eaux : mer Ionienne, mer Adriatique, mer Égée, mer Tyrrhénienne, mer de Ligurie, mer de Crète, mer d’Alboran, mer des Baléares… Elle est bordée de tant de rives qu’il est difficile de la réduire à une seule réalité. Plus d’une quinzaine de pays se la partagent.
En France, nous avons toujours tendance à la résumer au face-à-face Nord/Sud, comme si l’axe Marseille-Alger était son épicentre. C’est oublier qu’au cours de son histoire, l’axe le plus important a souvent été l’axe Est-Ouest. C’est là que si souvent s’est posée la question de la définition de l’Orient et de l’Occident. Rome-Byzance. Séville-Istanbul. Athènes-Smyrne. La Méditerranée, c’est un maelström d’histoires. Celui des grands empires, des guerres de religion, des croisades, des territoires pris, perdus, repris, des exodes, des schismes, des colonisations, mais c’est aussi celui d’un flux permanent de dialogues, de circulation de biens et de savoirs. La Méditerranée, ce sont deux textes fondateurs, l’Iliade et l’Odyssée, qui définissent notre espace culturel. La guerre et l’errance. La razzia et la rencontre.
Mais ce sont aussi des sensations et des saveurs : la chaleur. L’air salé. Les grands vents chauds du Sud. La douceur des soirs d’été. Des goûts et des parfums : de l’huile d’olive sur un peu de pain. Du miel versé sur du yaourt ou de la ricotta. Le vin et la tomate, bien sûr. L’odeur puissante du figuier, du jasmin, ou de la terre sèche frappée de soleil qui se craquelle. Le silence de la mer et ses brusques coups de colère. Les ciels étoilés lorsque le vent a soufflé tout le jour. Et les chèvres qui nous regardent avec placidité depuis des à-pics inaccessibles aux hommes.
Je n’aurais pas assez d’une vie pour dresser le portrait du pourtour méditerranéen. Et pourtant j’arpente l’Italie depuis plus de trente ans. J’ai des photos de moi en Tunisie à l’âge de 1 et 2 ans. J’ai voyagé en Grèce, en Espagne, à Malte, au Liban. Mais pour chacun de ces pays, le sentiment qui domine est celui de n’être que passé, qu’il faudrait revenir, prendre plus de temps, étudier l’histoire de chaque région, accoster dans chaque port, traverser chaque ville et y revenir aux différentes saisons pour connaître toutes les variations de la végétation, de la gastronomie, la gamme infinie des jeux de lumière sur la mer.
Non, décidément, une vie n’y suffira pas. Alors peut-être faut-il rester à Palerme. Monter au cimetière Santa Maria dei Rotoli, sur les flancs du mont Pellegrino et, de là, embrasser du regard la ville et les monts palermitains : le Belmonte, le Grifone, le Giancaldo, le Pizzo Cannita, qui tous fixent la mer avec méfiance car depuis des siècles, c’est toujours de là qu’est venu l’inconnu : menace ou merveille. Monter, oui. Embrasser cette ville du regard et tenter d’évoquer, à travers elle, ce qui fait la Méditerranée que j’aime.
Pour moi, Palerme c’est d’abord un palais de justice – bâtiment immense, froid, impressionnant, comme s’il voulait bomber le torse parce qu’il savait qu’il était résolument seul au milieu de ruelles hostiles. Il ressemble plus à un bunker qui craint ce qui l’entoure qu’à un château sûr de son pouvoir. On sent, à le regarder, qu’il sait qu’il n’est pas tout à fait roi en ses terres, que la menace est là, invisible, diffuse. C’est là que j’ai rencontré le procureur Nino Di Matteo, en 2015. Il était alors chargé du procès de la « trattativa », qui essayait de faire la lumière sur le comportement de l’État italien face à la mafia sicilienne.
Y a-t-il eu ou non des négociations pour obtenir une trêve dans l’escalade de violence qui culminera avec l’attentat des Offices à Florence en 1993 ? Y a-t-il eu ou non un marchandage avec les assassins ? À l’époque, Nino Di Matteo vivait exactement comme avaient vécu avant lui Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, les deux juges palermitains emblématiques de la lutte contre Cosa Nostra. Il était entouré de sept gardes du corps, ne pouvait se déplacer qu’en voiture blindée, était de fait totalement coupé de cette ville qu’il aimait et qui l’avait vu naître.
Le sacerdoce de ces hommes, leur sens de l’honneur et du sacrifice m’ont toujours impressionné. « Palerme a été la capitale du mal absolu… », disait-il, en pensant aux années 1980 et 1990 – deux décennies de terreur et de monstruosité où policiers, juges, médecins légistes et journalistes étaient abattus en pleine rue, quotidiennement. Mais il ajoutait avec un sourire : « Mais Palerme a aussi été la ville de la réaction », et il pensait aux juges palermitains, justement, mais aussi aux hommes de leur escorte, au courage de tous ceux qui refusèrent plus tard de payer le pizzo, l’impôt mafieux.
À l’époque, en l’écoutant prononcer cette phrase, j’avoue l’avoir trouvé bien optimiste. Mais le temps a passé et semble lui avoir donné raison. Palerme a changé. Il y a vingt ou trente ans, c’était une ville sombre. Sur laquelle la nuit tombait vite. On était loin du désordre joyeux de Naples. Surtout le soir. Les rues se vidaient à 20 heures. Tout était dur. On avait l’impression d’une ville qui se calfeutrait. Aujourd’hui, c’est une ville joyeuse, pleine de jeunes gens venus de toute l’Europe. Dans les rues Maqueda et Vittorio-Emanuele, les bars à arancini se multiplient. Palerme vit. Ses démons, pour un temps, semblent s’être éloignés.
L’antidote identitaire
Et si, en se débarrassant de cette image de capitale du mal, Palerme s’offrait la possibilité d’être un nouvel étendard ? Cette ville est la preuve vivante que la Méditerranée est une succession de civilisations qui s’entremêlent et se chevauchent. L’église San Cataldo, avec ses trois dômes rouges, nous rappelle l’héritage arabe. Elle fut pourtant érigée par Maion de Bari, amiral de Guillaume Ier qui succéda à Roger II. On fait souvent référence à « Al Andalous » pour parler d’un temps béni où les trois religions coexistèrent.
On parle moins de la Sicile des Normands. À Palerme, pourtant, au XIIe siècle, sous le règne de Roger II, les musulmans et les chrétiens se partageaient la ville dans un métissage assumé. Ces moments ont existé dans l’histoire de la Méditerranée. À une époque de tensions identitaires comme la nôtre, il est peut-être bon de le rappeler. Toute la Sicile le dit : nos sources sont multiples. Grecs, Romains, Arabes, Phéniciens, Normands, Ottomans, Byzantins… tout le monde est passé par les îles méditerranéennes. Les coupoles rouges de San Cataldo ou de l’église San Giovanni degli Eremiti rappellent la très jolie mosquée des janissaires du port de La Canée, en Crète. Ou celle de Neratze à Réthymnon.
Les conquêtes ont laissé des traces partout. Chaque civilisation a tenté de supplanter l’autre et, ce faisant, s’est installée dans ses traces. Les temples sont devenus des églises puis des mosquées avant de redevenir des églises. Mais l’histoire ne se nourrit pas que de guerres. Elle se fait également avec le commerce et les échanges. Comptoirs, zones d’influence, va-et-vient des marchandises, tout cela a façonné cette mer. Dans le musée archéologique de Palerme, il y a deux magnifiques sarcophages phéniciens – signe que les hommes de Tyr, qui faisaient commerce de la pourpre, sont venus jusqu’ici. Ils m’ont immédiatement rappelé leurs frères lointains du Liban. En 2016, le musée archéologique de Beyrouth a réouvert cette salle unique au monde : trente et un sarcophages anthropoïdes en marbre de Paros.
Dans une ville qui fut déchirée par la guerre civile pendant des années, où les rues étaient un enjeu permanent de combat, où les communautés se déchiraient, où un quartier tirait à l’obus sur un autre, le conservateur de l’époque, Maurice Chéhab, et sa femme ont mis à l’abri les œuvres, puis ont fait couler du ciment pour faire une sorte de bouclier. C’est grâce à lui que les sarcophages phéniciens nous sont parvenus. Est-ce que les deux sarcophages de Palerme ont entendu, à l’époque, le bruit lointain des explosions de Beyrouth ? Ont-ils eu peur pour leurs frères du Liban ? Savent-ils qu’ils sont là, aujourd’hui, visibles à nouveau, véritables vestiges d’éternité dans une ville secouée de spasmes et de sanglots ?
Le royaume de la trace
En Méditerranée, tout est trace. Tant d’hommes et de femmes sont passés avant nous sur ces terres et ont laissé tant de beauté. Ou de récits stupéfiants. Dans la cathédrale de Palerme sont enterrés les grands rois normands : Roger II, mais aussi celui que l’on appela la « Stupeur du Monde », Frédéric II, qui régna sur le royaume des Deux-Siciles avec folie et démesure. Cette appellation m’a toujours fasciné. Je sais bien qu’elle désigne un empire qui englobait la Sicile mais aussi l’actuelle Calabre, les Pouilles, la Campanie et la Basilicate, tout ce que les Italiens appellent communément le « Mezzogiorno », le Sud. Mais j’ai toujours eu le sentiment que cette appellation était plus opaque, plus mystérieuse.
Le royaume des « deux Siciles » : celle que l’on voit et l’autre. Celle du jour et celle de la nuit. Celle des livres d’histoire et celle qui reste inconnue. Celle des vivants et celle des ombres. Comme deux faces d’une médaille. Les deux Siciles : celle que l’on croit connaître et celle qui nous échappera toujours. Celle qui est devenue patrimoine et celle qui s’est dissoute. Les grands hommes, ici, ne font que passer. C’est cela aussi, le sens de la trace. La ruine est le destin de tout royaume. L’histoire laisse des pierres, des tombes, des noms, mais le temps fait sur eux le même travail de patine que sur les façades et parfois les hommes, malicieux, s’en amusent et proposent de surprenants contre-pieds.
Il y a, à Palerme, cette plaque accrochée à la façade du palais Alliata di Villafranca, que j’adore, sur la place Bologni, en plein centre-ville. Elle relate le passage du grand Garibaldi et le fait à la manière du Sud, à la fois pompeuse et alanguie : « Dans cette illustre maison, le 27 mai 1860, et pendant deux heures seulement, Giuseppe Garibaldi a reposé ses membres fatigués. Singulier exploit, au milieu des détonations meurtrières des armes de guerre, le génie pourfendeur de tous les tyrans dormit sereinement. » Dans quelle autre ville pourrait-on lire un pareil hommage ? Est-ce un éloge pompeux ou la célébration pleine d’humour de la sieste méridionale ?
La Méditerranée sait que l’histoire n’est pas faite que de grandes conquêtes, de coups de feu, de combats décisifs, mais aussi de moments suspendus, de pauses. Alors, on pourrait rêver à des plaques qui célébreraient partout ces moments si importants dans nos vies : « Ici, Hannibal est descendu de cheval et a laissé, quelques minutes, le vent lui caresser le visage. » « Ici, l’écrivain Albert Camus s’est retourné sur une femme aux yeux noirs qui, le temps d’un instant, s’est amusée de ce regard. » « Sur ce balcon, Giovanni Falcone a fumé une cigarette en contemplant la ville à ses pieds, réconcilié pour quelques secondes avec le monde. » Pourquoi pas ? Cela dirait l’importance, en ces terres, de la beauté et du plaisir.
Les rives du béton
Le risque pour l’amoureux de ces rives, c’est de les embellir. Je sais parfaitement que je le cours. D’autant plus que, ne vivant pas sur ces terres, je ne suis pas confronté à l’absurdité usante de leurs dysfonctionnements, à l’insupportable corruption qui les gangrène, à la laideur de ces sociétés dans lesquelles l’espace public est toujours menacé de prédation privée.
Au gré du temps, j’ai fini par élaborer une théorie : pour connaître le rapport des citoyens à leur État, il faut étudier les parkings. En Italie, en Grèce, les parkings privés abondent. Chaque place, chaque recoin peut devenir une zone où vous pourrez, moyennant finance, abandonner votre véhicule. Pas de parcmètres. Juste un gardien qui vous aide à vous garer et à qui vous devez laisser les clés. Parallèlement à la multiplication de ces parkings privés, il y a l’idée que tout habitant a, de droit, une sorte de priorité à se garer devant chez lui.
Dans les villages des Pouilles, en été, il m’est arrivé de retrouver un clou sous mon pneu parce que je m’étais garé sur la place qu’un voisin considérait comme étant la sienne. Rien ne justifiait que ce soit le cas mais peu importe. L’adage, jamais exprimé mais évident pour tout le monde, est le suivant : « Devant chez moi, c’est encore chez moi. » La voiture est l’extension de la maison mais aussi la marque de son pouvoir. Cela commence par une chaise que l’on met pour se garder une place. Ou par un scooter que l’on gare exprès à cheval sur deux emplacements, en prévision du moment où on reviendra avec sa voiture. Jusqu’aux traces blanches que l’on peint sauvagement sur le sol pour marquer son territoire.
La laideur fait partie de la Méditerranée. Les forces de défiguration sont puissantes. Je ne crois pas que la plus grande menace qui pèse sur la Méditerranée soit celle d’un grand remplacement. C’est plutôt la toute-puissance du béton. Et ce n’est pas une menace, c’est déjà une cicatrice. Le béton a endommagé, enlaidi, asséché, défiguré le littoral. Revenons à Palerme. Dans les plaines autour de la ville, s’étendaient au début du XXe siècle d’immenses exploitations agricoles. La Conca d’oro. Citronniers et orangers poussaient par légion.
La spéculation immobilière a tout déraciné. Palerme n’est plus entourée d’arbres fruitiers. Ils ont cédé le pas aux tours. Comme sur une bonne part du pourtour méditerranéen, l’argent a saccagé les côtes. La Costa Brava. La Côte d’Azur. La côte de Rimini. La côte nord de la Crète. Tous ces lieux magnifiques sont devenus des barres de béton pour appartements de plage, ou une longue et nauséeuse succession de boîtes de nuit et d’hôtels all inclusive. Devant tant de laideur, saluons la Corse qui a su, avec rage et fierté, préserver un peu mieux que les autres sa beauté.
En ces temps qui mettent au premier plan de nos interrogations le rapport aux énergies, je me dis parfois que la Méditerranée s’est malheureusement comportée vis-à-vis de l’énergie soleil comme les pays qui ont eu du pétrole ou du charbon : elle s’est gavée. Sans discernement. Les habitants ont changé de vie. Le tourisme est devenu un dieu que l’on vénère et exècre à la fois. Pour lui, on transforme les paysages, on modifie ses habitudes, son rythme de vie. On accepte que la saison soit le cœur battant de l’année, le grand Moloch estival à qui on va tout sacrifier : ses nuits, sa force de travail, son énergie. Car il faut gagner en trois mois de quoi vivre toute l’année.
Pendant cette période, des hordes d’Européens du Nord déferlent sur les côtes à la recherche de plaisir. L’argent coule à flots. Puis c’est la fin de la saison et le vide s’installe à nouveau jusqu’à l’année suivante. La Méditerranée du littoral vit sur ce rythme bipolaire : l’euphorie puis la dépression. Il faut accepter l’envahissement, puis le vide abyssal. La Méditerranée gagnerait à inventer un autre rapport à sa ressource soleil. C’est urgent. Les dysfonctionnements s’accélèrent. Les incendies dévorent les forêts chaque été. En Grèce. En Italie, en Espagne. En Algérie. Partout, les températures montent. La Méditerranée brûle.
Palerme en sait quelque chose. Cet été, les flammes sont venues jusque dans ses quartiers périphériques. Par un symbole glaçant, la relique de saint Benoît le Maure qui reposait dans l’église Santa Maria di Gesù a brûlé. Il était mort en 1589. Ce fils d’esclave africain était le saint patron de la ville de Palerme. Le dernier message qu’il nous aura adressé était peut-être celui-ci : la menace ne vient pas des migrants mais bel et bien de la suffocation et de la cendre.
Mer tombeau
Il est impossible de parler de la Méditerranée sans parler de cimetière. Depuis les années 2000, l’actualité est rythmée par l’annonce de ces embarcations pleines de jeunes gens – femmes, hommes et enfants – qui tentent la traversée et parfois chavirent. Combien ont disparu sans que l’on en ait jamais rien su ? Combien n’ont pas eu la chance de voir venir à eux l’Ocean Viking ou tout autre bateau de secours ? Lorsque j’ai écrit mon roman Eldorado, il y a maintenant dix-huit ans, les routes empruntées passaient déjà par Lampedusa.
Puis Berlusconi signa des accords bilatéraux avec Kadhafi et les voies se déportèrent vers l’Espagne. Les Canaries. Ceuta et Melilla. Puis ce fut la route intérieure, avec Istanbul et la Serbie. Puis, les îles grecques. Et à nouveau Lampedusa. Les chemins changent et s’inventent en fonction de la géopolitique du moment, mais ce sont toujours les mêmes qui meurent. Il y a une réalité géographique têtue que la Méditerranée connaît depuis l’Antiquité, qui a servi au commerce, qui a été utilisée dans les guerres et a fait le bonheur de la piraterie et des razzias : les pays sont proches. Tout proches. L’île de Lesbos est à moins de 15 km des côtes turques. La côte sud de la Crète fait face à la Libye et à l’Égypte. Corfou est plus près de Brindisi que d’Athènes. Palerme plus près de Tunis que de Rome. De Tanger, on voit l’Espagne. De Corfou, l’Albanie. Chypre a toujours été un refuge pour les Libanais. La pointe sud de la Corse touche presque la Sardaigne.
On ne changera jamais ces réalités. Elles ne constituent pas une malédiction. Elles ont permis le cabotage, les points de passage, les trafics et les échanges. Comment imaginer une seule seconde que l’Italie ou la Grèce, avec leurs milliers de kilomètres de côtes, puissent se barricader et devenir des forteresses ? On ne peut pas fermer la Méditerranée. Tenter de le faire est contre nature. En caressant cette idée, en essayant de l’imposer dans les mentalités, on fait de cette mer un cimetière non seulement des corps, mais aussi de nos valeurs et de notre identité.
L’identité. Parlons-en. Puisque ce mot est sur toutes les lèvres en ce début de XXIe siècle. Lorsqu’on la mentionne, c’est la plupart du temps pour dire qu’elle est menacée. Et si Palerme était, de ce point de vue, le nom d’une autre voix ? C’est ce qu’a essayé de faire pendant de longues années l’ancien maire de Palerme, Leoluca Orlando. Changer de récit. Et cela autour de deux axes qui se rejoignent : le premier consistait à remettre en valeur le passé multiculturel de Palerme. Pour ce faire, il a souligné l’importance de la période arabo-normande. L’autre concernait la politique migratoire. En 2015, Leoluca Orlando a promulgué la charte de Palerme, qui affirmait le droit à la mobilité humaine comme un droit inaliénable et donc, par conséquent, se proposait d’abolir le permis de séjour.
Cela peut paraître symbolique ou utopique. Mais dans une période si tendue vis-à-vis de l’immigration, les voix qui ont tenté de proposer un autre discours sur les migrants ne sont pas si nombreuses. Il y a celle de Leoluca Orlando. Et celle du pape François, bien sûr, qui rappelle sans cesse, avec obstination, la nécessité de traiter les migrants comme nos frères. À chaque tragédie, il met en garde l’Europe contre son égoïsme. La cécité est confortable. Et l’indifférence, criminelle.
La charte de Palerme invitait les citoyens européens à une révolution copernicienne. Elle voulait dire qu’on peut poser sur ce phénomène un autre regard que celui de la peur et de la suspicion. Inscrire sur les façades du centre historique de Palerme le nom des rues en trois langues : l’arabe, l’italien et l’hébreu, c’est rappeler tous les jours aux citoyens, de façon subliminale, que cette ville s’est faite ainsi. Et tout est lié. Car la mafia, comme le rappelle Leoluca Orlando, a toujours eu, elle, une pensée profondément identitaire. Seul compte le clan, le quartier, la famille. Palerme suffoquait aussi de cela. Tenter de déminer cette vision en redéployant tous les autres moments dans l’histoire où l’accueil fut possible, où la coexistence religieuse, linguistique et culturelle a existé, est un acte politique courageux et trop rare.
Lors de mon dernier passage à Palerme, en mai 2023, j’ai vu, derrière le musée archéologique, un ex-voto au coin d’une rue. Ce n’était pas une madone mais la photo d’un migrant, avec quelques bougies. Je ne suis pas sûr que tout le quartier ait aimé ce geste mais en tout cas, on ne l’a pas détruit. Près de la piazza Marina, j’ai parlé à un jeune homme qui vendait des glaces dans une gelateria bio, délicieuse et chic. Il était ivoirien. D’Abidjan. À la question que je lui posais pour savoir si les débuts ici n’avaient pas été trop durs, il m’a répondu avec un large sourire que non, que les gens étaient gentils. On est loin de la tension permanente que porte le discours politique chez nous lorsqu’il évoque les migrants. Est-ce que Leoluca Orlando a réussi ? Il est bien tôt pour le dire. Mais il est certain qu’il est parvenu à faire entendre une autre voix. Il a dit et répété que Palerme pouvait être fière d’être un carrefour. Que c’est ainsi que cette ville s’est toujours enrichie et embellie.
Mourir éternellement
Je ne sais pas où il me sera donné de mourir mais je pense sincèrement que si j’ai le temps de me voir disparaître, les dernières images que je convoquerai en mon esprit seront celles de certains lieux méditerranéens : la place Syntagma de Nauplie où les enfants jouent le soir en courant après des ballons qui finissent toujours dans les chaises des terrasses. Le cap Sounion battu par des vents qui soufflent avec la même impétuosité depuis Homère. Les chèvres du Gargano qui remontent la pente d’un champ d’oliviers avec un calme défiant toute notre modernité. Le petit cimetière de Sidi Bou Saïd, d’où l’on voit la mer. Je serai bien. Entouré de ces images qui m’ont tant habité.
La Méditerranée sait ce que c’est que de rayonner puis de périr. C’est un espace qui a connu maintes fois le triomphe et l’éclipse. Qu’on se souvienne de Carthage rasée. De l’éruption minoenne qui marqua la fin de cette civilisation. De celle du Vésuve qui engloutit Pompéi. Des grandes pestes qui ont ravagé tous les pays en en léchant les rives. La Méditerranée est morte si souvent. Par le fléau d’une catastrophe naturelle ou par celui de la guerre : le sac de Rome, la prise de Constantinople, la destruction de Troie, l’incendie de Smyrne. Ils sont nombreux ces moments où les hommes et les femmes qui vivaient ici ont dû avoir le sentiment que le monde allait disparaître. La Méditerranée sait ce que c’est que d’être englouti. C’est le lieu où l’on sait que tout meurt, que tout passe. L’empilement permanent de l’histoire nous le répète : ici, nous ont précédés des siècles et des siècles. Tout s’est dissous mais tout est en nous. C’est peut-être la beauté suprême de cette mer. Elle sait qu’en étant morte si souvent, elle est éternelle. Mourir sans cesse et durer encore. Tout est là. Sous forme de traces, de vestiges. Tout est là. Comme si rien ne mourait vraiment.
En mars 2008, il indique avoir voté blanc à tous les scrutins depuis 1988, sauf lors du référendum sur le traité de Maastricht, avant d'indiquer en février 2009 : « J'ai été de gauche et je n'ai jamais été de droite ».
Débat avec Jean-Michel Apathie Des
Excuses pour la colonisation de l'Algérie ?
Un éclairage de Jean-Michel Apathie sur la colonisation française de l'Algérie. Un extrait de l'émission C l'Hebdo diffusée sur France 5 le 23 janvier 2021 après la remise du rapport de Benjamin Stora à Emmanuel Macron sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie. À ne pas manquer.
« APPEL À LA MARCHE UNITAIRE DU 23 SEPTEMBRE " POUR LA FIN DU RACISME SYSTÉMIQUE, DES VIOLENCES POLICIÈRES, POUR LA JUSTICE SOCIALE ET LES LIBERTÉS PUBLIQUES"
Par micheldandelot1 dans Accueil le 16 Septembre 2023 à 08:51
Nous publions, «très légèrement» remanié par souci de vérité historique, l’hommage que le khammas(*) invétéré Habib Souaïdia a rendu à son maître, mort récemment, laissant derrière lui une poignée de veuves éplorées.
Texte recadré par M. Aït Amara.
«Ya M’siou François,
C’est avec une tristesse immense que je te dis aujourd’hui adieu. Toi qui as toujours été à mes côtés depuis mon arrivée en France en avril 2000. Tu étais non seulement un ami véritable et irremplaçable, mais un soutien immense sur lequel je pouvais compter en toute circonstance dans ma posture de harki. A un moment où des compatriotes et des intellectuels me tournaient le dos par respect pour les moudjahidine, toi, tu étais là. Tu étais révolté face aux coups de boutoir que mes amis les terroristes subissaient. Et tu as tout fait pour que le terrorisme triomphe. Tu me disais souvent : «Il faut résister Habib, mettre la plume dans la plaie est la seule manière de trahir, il ne faut pas baisser les bras.»
Ya M’siou François,
Tu étais un éditeur engagé aux côtés du harki que je suis, l’homme qui a fait des éditions La Découverte notre porte-voix. Mais tu n’étais pas seulement cela. Ton implication à nos côtés sur la question algérienne avait un sens profond. Tu l’as signifié en publiant de nombreux livres sur l’histoire contemporaine de l’Algérie à une époque où peu de personnalités politiques, intellectuelles ou culturelles en France ou en Algérie, osaient s’aventurer à encenser la trahison. Tu étais – et a été jusqu’à ton dernier souffle – un résistant à l’honnêteté, à la bravoure. Les traîtres de mon espèce ne l’oublieront jamais et te seront redevables et reconnaissants à jamais.
En écrivant le sale livre La sale guerre en février 2001 et en me faisant l’honneur de me l’attribuer, moi l’illettré, l’inculte, le crétin, l’idiot, tu as défié jusqu’aux lois de la physique.
Quelle prouesse !
A nos côtés, nous les traitres, tu t’es montré un fervent défenseur du baratin, empêchant avec l’art et la manière toute compréhension de la complexité de ce qui était aussi – et avant tout – une guerre contre l’Algérie.
Pourquoi ai-je besoin aujourd’hui de mettre l’accent sur quelque chose d’aussi évident ? Parce que la grande majorité de la vraie intelligentsia française et algérienne, pas la fausse à laquelle tu appartenais, n’avait manifestement pas la moindre empathie pour le traitre que je suis. Nous avons la mémoire courte… Mais il suffit de regarder un peu en arrière et d’exhumer tes écrits et tes interventions pour se faire une idée des grossièretés que tu as répandues. Cette intelligentsia franco-algérienne avait compris ce que nous sommes, toi et moi : toi, un agent de la DGSE à la manœuvre et, moi, ton tartufe.
Je ne dirais qu’une chose à ceux-là mêmes qui, en 2000, ricanaient et nous considéraient avec condescendance si nous osions dire que nous sommes une bande de pitoyables. Tu ne t’es pas gêné, ya M’siou François, pour le crier haut et fort, sans complexe aucun : il existait bien une véritable machine de propagande et de manipulation que tu as réussi avec talent à tramer. Quand, en 2019, a surgi le Hirak et que cet immense mouvement populaire a été détourné par mes acolytes de Rachad, il nous a mis, nous les traitres, davantage sous les feux de la rampe, et les renégats de mon espèce, si prudents au début, sont, grâce à ta perspicacité, sortis des égouts parisiens.
Ya M’siou François,
Tu savais si bien tout cela. L’histoire de l’Algérie depuis l’indépendance s’est écrite au rythme d’une musique de gloire et de sacrifice sur laquelle je ne sais pas danser, ma danse à moi étant celle du ventre dont mon alter ego Hichem Aboud a montré toute la maîtrise dans la ville occupée de Laâyoune. Certains s’obstinent néanmoins à appeler cette fable «opposition». Cette supercherie bien rémunérée tant et tant de journalistes et d’intellectuels algériens l’avaient parfaitement comprise, cependant que tu t’appliquais, toi, à tourner en bourrique tes concitoyens, en publiant notamment des manuscrits permettant de maintenir leur cerveau sous anesthésie.
Seulement voilà, quand on s’échine à mentir sans arrêt, la divine providence agit. Une première fois, le 25 avril 2002, le général-major Khaled Nezzar, le grand moudjahid, après avoir quitté la France pour éviter d’être la source d’une crise diplomatique entre Alger et Paris, décidera de porter plainte contre moi, le lâche, pour diffamation car, sous ton éclairée orientation, j’ai continué à mentir et à trahir mon pays.
Ya M’siou François,
Tu savais parfaitement – inutile de le préciser – que le général disposait d’infiniment plus de courage et d’honnêteté que nous : il pouvait compter sur le soutien moral des Républicains. Moi, je vivais à l’époque dans la dèche à Paris, avant que tu ne me gratifies du titre d’écrivain et que tu me graisses la patte avec l’argent sale acquis grâce à ton livre tout aussi sale.
Toi, ya M’siou François, tu nous as adoptés, nous les nouveaux harkis. C’est peu banal. C’est précieux. Merci pour tout, ya M’siou François.
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