Après les émeutes, place au débat. De plus en plus de voix s’élèvent en France pour réclamer de faire payer aux familles les coûts des dégâts occasionnés pendant les émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel, et même de supprimer les programmes de développement débloqués chaque année pour les quartiers défavorisés.
C’est par exemple l’avis d’Eric Zemmour qui a saisi l’opportunité de la violence des émeutes pour appeler à la fin de l’immigration et des prétendus avantages dont bénéficieraient les familles d’origine étrangère.
« Les Français n’ont pas à payer pour réparer les dégâts des émeutiers », a-t-il clamé, proposant des sanctions financières contre les émeutiers, des travaux d’intérêt général pour les « casseurs » et des sanctions contre les familles des émeutiers mineurs.
Selon lui, l’Etat français dépense chaque année 10 milliards d’euros pour financer les banlieues dans le cadre de la politique de la ville.
Si ce chiffre n’est pas erroné, il est toutefois à relativiser et il ne saurait cacher les difficultés des quartiers abritant les populations d’origine étrangères.
Sur le plateau de RMC, des chiffres de divers organismes crédibles ont été dévoilés. Ils tordent simplement le cou à l’idée reçue qui veut que les banlieues difficiles bénéficient de la générosité de l’État plus que le reste des quartiers, villes et villages de France.
Selon la chaîne de télévision, 7,5 % de la population française vivent dans les banlieues et leur condition sociale n’est pas enviable.
Le taux de chômage des jeunes y est de 45 %, soit trois fois plus élevé que dans le reste du pays, 40 % des habitants n’ont aucun diplôme (2 fois plus que le reste de la France) et le taux de pauvreté est trois fois plus élevé dans les banlieues que dans les autres quartiers français.
Certes, au moins 10 milliards d’euros par an sont dépensés ces dernières années pour les banlieues (on parle de 100 milliards sur 40 ans) mais, tempère RMC, le montant n’est pas très élevé proportionnellement au budget de l’État.
D’autant plus que d’autres chiffres révèlent que l’Etat français dépense moins pour les habitants des banlieues que pour le reste de la population (6.100 euros par an contre 6.800 euros de moyenne nationale selon l’Institut Montaigne).
Émeutes en France : propos racistes et nouveau crime
Dans les banlieues, il y a 2 fois moins de personnels de santé, indique RMC, citant l’Observatoire national de la politique de la ville.
Aussi, 40% de ces quartiers n’ont pas une seule crèche, alors qu’ils abritent deux fois plus de familles monoparentales, il y a 3 fois moins de bibliothèques et d’équipements sportifs par rapport aux autres quartiers.
Les habitants des banlieues bénéficient certes des transferts sociaux mais « ce sont des aides nationales », ce qui fait conclure à RMC qu’il est erroné de considérer ces quartiers comme « prioritaires« .
Le débat post-émeutes n’est pas aussi dénué de propos ouvertement racistes, y compris en dehors de l’extrême-droite. Bruno Retailleau, sénateur des Républicains, n’a pas hésité à faire le lien entre la violence des émeutes et les origines ethniques des révoltés.
« Bien sûr que si, il y a un lien avec l’immigration », a-t-il déclaré sur Franceinfo. « Pour la deuxième, la troisième génération, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques », a-t-il insisté.
La réponse lui est venue de la journaliste et femme politique Audrey Pulvar. « Pour Retailleau, si on est français depuis 3 générations, on ne l’est pas tout à fait et on «remonte à ses origines ethniques». Mais encore ? Peut-on être noir et français ? À partir de quand ? », a tweeté l’élue à la mairie de Paris.
Le brasier de la mort de Nahel n’est pas totalement éteint que la France est secouée par une autre affaire de meurtre commis sur un homme d’origine immigrée.
Mohamed B. a été tué dimanche 2 juillet au cours de la cinquième nuit d’émeutes à Marseille. Il serait mort après avoir reçu un projectile de type flash-ball au thorax.
Le parquet et l’inspection générale de la police (IGPN) ont été saisis, mais nul ne sait à ce stade qui est à l’origine du tir ni l’endroit exact où il a eu lieu.
La femme de la victime est formelle quant au fait que son mari de 27 ans, qui travaillait comme livreur, n’a pas participé aux émeutes. Des chaînes de télévision françaises ont diffusé ce mercredi les dernières images filmées par la victime quelques instants avant sa mort. Mohamed B. filmait des policiers en train de maîtriser à terre un émeutier.
L’ancien président des États-Unis Donald Trump sera jugé à partir du 4 mars 2024. Il est accusé d’avoir tenté d’inverser le résultat de l’élection de 2020, qu’il a perdue. Ce procès aura lieu en pleine campagne dans laquelle le magnat de l’immobilier est favori.
L’ex-président américain Donald Trump sera jugé à partir du 4 mars 2024 par un tribunal fédéral à Washington pour ses tentatives d’inverser le résultat de l’élection de 2020, en pleine campagne pour reprendre la Maison-Blanche.
La juge Tanya Chutkan, qui présidera les débats, a tranché lundi sur cette date lors d’une audience consacrée aux propositions des deux parties.
Le procureur spécial Jack Smith souhaitait que le procès de Donald Trump à Washington débute le 2 janvier 2024, un délai trop court selon elle pour lui permettre de se préparer, tandis que la défense réclamait une échéance lointaine, en avril, « bien au-delà de ce qui est nécessaire », selon la juge.
Cette date n’a aucun caractère hâtif, a ajouté la magistrate, soulignant que le procès s’ouvrirait exactement trois ans, deux mois et six jours après le 6 janvier 2021. Elle faisait référence à l’assaut du Capitole, siège du Congrès, par des centaines de partisans de Donald Trump chauffés à blanc pour y empêcher la certification de la victoire de son adversaire démocrate Joe Biden.
Il s’agira donc du premier procès au pénal pour le favori des primaires républicaines, qui doit également être jugé à partir de fin mars 2024 dans l’État de New York pour des paiements suspects à une ancienne actrice de films X, en mai 2024 par un tribunal de Floride (sud-est) pour sa gestion négligente de documents confidentiels après son départ de la Maison-Blanche.
La date de son procès dans une quatrième affaire, celle de pressions électorale en Géorgie en 2020, inculpation qui lui a valu la semaine dernière sa prise de photo d’identité judiciaire, un cliché déjà historique pour un ancien président, n’a pas encore été fixée.
« Crimes historiques »
Sans surprise, la juge Chutkan a balayé la plupart des arguments de la défense qui réclamait deux ans et demi, soit l’équivalent de la durée de l’enquête, pour examiner les documents de l’accusation.
L’avocat de Donald Trump, John Lauro, s’est indigné avec véhémence contre la proposition de date de l’accusation, en janvier 2024. « Vous demandez un procès spectacle, pas un procès rapide », a-t-il lancé à l’audience. « Vous n’allez pas avoir deux ans de plus, cette affaire ne sera pas jugée en 2026 », a-t-elle déclaré lundi.
Pour l’accusation, la procureure Molly Gaston a invoqué « l’intérêt public extraordinaire pour un procès rapide », compte tenu du fait que « le prévenu est accusé de crimes historiques » pour un président en exercice au moment des faits.
La juge avait déjà mis en garde Donald Trump contre toute « déclaration incendiaire susceptible de polluer la sélection du jury », qui ne pourrait qu’encourager la magistrate à fixer une date rapprochée pour le procès.
« Crapule »
Cela n’a pas empêché le milliardaire républicain d’accuser sans preuves lundi le président Biden d’être responsable de ses inculpations, qualifiant à nouveau le dirigeant démocrate de « crapule ». Les deux hommes pourraient une nouvelle fois être opposés lors de la présidentielle de novembre 2024.
Il n’était pas clair dans l’immédiat quelles conséquences cette nouvelle date pourrait avoir sur le calendrier judiciaire chargé de Donald Trump, bien que la juge Chutkan ait indiqué avoir avisé de sa décision sa collègue en charge du procès à New York.
« Je suppose que les quatre juges en charge de ces dossiers ont tenté de coordonner l’ordre des procès et que les procureurs de New York et de Géorgie reporteront les leurs par déférence pour les affaires fédérales », avait expliqué avant l’audience Carl Tobias, professeur de droit à l’université de Richmond.
Pour Whit Ayres, un consultant politique républicain, un acquittement de Trump à son premier procès à venir, quel qu’il soit, contribuerait à rendre son avance dans les primaires républicaines irréversible. « Je ne vois pas comment il serait possible de l’arrêter » dans sa course à l’investiture, a-t-il dit dans une interview en ligne. « Mais s’il est condamné pour une accusation grave, je ne sais pas comment les gens réagiraient », a-t-il poursuivi, « parce que nous n’avons jamais connu de situation qui ressemble de près ou de loin à celle-ci ».
De nombreuses autrices algériennes portent aux nues Assia Djebar pour ce qu’elle a révolutionné et apporté dans le paysage littéraire, ainsi qu’au cinéma. Toutes regrettent qu’elle n’ait pas été davantage célébrée et reconnue dans son pays natal.
AssiaAssia Djebar a toujours ressenti un manque. L’autrice se sentait dépourvue de généalogie littéraire, souffrait de l’absence d’une lignée nourrie de femmes écrivaines et algériennes, « des guides, des ancêtres, des repères culturels », dans laquelle s’inscrire. Elle s’en est souvent ouverte à son amie et professeure de littérature Mireille Calle-Gruber. À elle de défricher et d’éclairer le chemin. À elle de transmettre par ses écrits. « Elle avait l’impression qu’elle posait par ses œuvres les premières pierres de quelque chose », raconte la spécialiste.
En effet, dans le paysage littéraire algérien, difficile de trouver une figure de cette ampleur. Pour Sofiane Hadjadj, éditeur et cofondateur des éditions Barzakh à Alger, Assia Djebar est « la seule » ou presque à occuper cette place de premier ordre. « Il y a peut-être Taos Amrouche qui peut se prévaloir d’être une grande figure mais elle est différente, évidemment. Socialement, religieusement et sur le plan littéraire. Mais son chef-d’œuvre, La Solitude, ma mère, c’est immense. » Assia Djebar, elle-même, apprécie Taos Amrouche. Elle lui rend hommage dans Le Blanc de l’Algérie.
Aujourd’hui, le vœu d’Assia Djebar, décédée en février 2015, semble avoir été exaucé. Des femmes algériennes ont pris la plume à sa suite pour raconter leur monde. Ces autrices contemporaines, de Kaouther Adimi à Maïssa Bey, en passant par Hajar Bali, se sentent toutes redevables à Assia Djebar d’avoir ouvert la voie, mais elles lui sont aussi reconnaissantes d’avoir construit une œuvre magistrale innervée par l’histoire sanglante de l’Algérie presque toujours incarnée par des femmes.
L’écrivaine algérienne Maïssa Bey ne se considère pas comme une héritière d’Assia Djebar. Nuance. Elle se considère « de sa lignée ». Fin novembre, elle publiera un livre sur le lien sans équivalent qui la lie à cette « artiste dans le sens le plus complet du terme » et à laquelle elle voue une admiration depuis sa tendre enfance : « Je la connais presque par cœur. » L’essai à paraître chez Chèvre-feuille étoilée, une maison d’édition de femmes des deux rives de la Méditerranée, fait suite à sa participation en 2020 au podcast « Les Parleuses », qui a consacré un épisode à Assia Djebar.
L’écrivaine algérienne Kaouther Adimi, elle aussi, ressent un lien à part avec sa compatriote romancière. Elle marque une hésitation avant de raconter cette anecdote, par peur de passer pour prétentieuse. En 2005, lorsqu’Assia Djebar est élue à l’Académie française, Kaouther Adimi est encore étudiante en Algérie. La nouvelle y est accueillie avec une fierté patriotique soutenue, malgré le lourd passif entre les deux pays. « On aurait pu imaginer que ce soit perçu de manière négative en Algérie, se remémore Kaouther Adimi, parce qu’on aurait pu avoir l'impression d’une récupération. Mais non, collectivement, les gens étaient extrêmement fiers. »
Son père, enseignant, arrive à la maison avec cinq ou six journaux avec en « une » la photo d’Assia Djabar, première femme algérienne, maghrébine de surcroît, à intégrer l’institution. Il tend un journal à sa fille et lâche : « Essaye d’en faire autant. Il n’y a pas de raison que tu ne puisses pas en faire autant. » Cette injonction paternelle aurait pu être stérilisante. Elle fut au contraire un encouragement bienvenu à embrasser cette voie littéraire déjà désirée.
Kaouther Adimi raconte partager avec Assia Djebar cet attachement très fort au père qui l’a encouragée, surtout sur le plan des études. Un père « très strict, qui ressemble beaucoup à celui d’Assia Djebar mais qui [la] laissait tout faire dès que ça concernait l’école ».
Pour l’autrice Hajar Bali, l’apport de l’écrivaine algérienne est aussi fondamental. « Assia Djebar m’a réconciliée avec le fait d’écrire en français. Elle m’a appris à déconstruire le regard orientaliste sur les femmes algériennes », assure celle dont le prénom de plume, Hajar, est un hommage à la figure d’Agar (qui se lit Hajar en arabe) mobilisée par Assia Djebar dans Loin de Médine.
L’autrice d’Écorces (Barzakh/Belfond), une saga transgénérationnelle qui mêle étouffement familial et asservissement national au sud de la Méditerranée, était adolescente lorsque sa mère, grande lectrice, lisait Loin de Médine et lui a fait découvrir Assia Djebar. « J’étais fascinée par son écriture. »
urer cette pionnière dans son programme scolaire, mais elle n’a étudié alors « que Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Mohamed Dib ».D’autres ont aussi exploré les romans de Malek Haddad. Car le panthéon de la littérature algérienne se conjugue au masculin.
Kaouther Adimi a elle aussi découvert Assia Djebar, « une révélation », en dehors du cadre scolaire stricto sensu. Le premier roman qu’elle lit est L’Amour, la fantasia. « Une enseignante à l’université d’Alger nous avait donné une conférence et nous l’avait conseillé. C’était en dehors du programme… »
Lors de ses études de littérature de langue française en Algérie, l’écrivaine, aujourd’hui trentenaire, se souvient d’avoir étudié Honoré de Balzac, Émile Zola ou encore Gustave Flaubert. « Tous parlaient d’une réalité d’un autre siècle et d’un pays qui n’était pas le nôtre avec une idée que c’était universel. »Puis il y eut Jean-Paul Sartre et évidemment Albert Camus. Avant, elle a pu découvrir la même trinité littéraire masculine algérienne qu’Hajar Bali.
Le constat se vérifie de génération en génération et suscite une incompréhension, voire de la colère : « On parle des pères fondateurs de la littérature algérienne mais jamais des mères fondatrices. Assia Djebar n’y figure pas. Parce que c’est une femme ! »
Les romans d’Assia Djebar sont présents dans toutes les librairies algériennes, elle n’est pas censurée ni interdite mais « rien n’est fait pour la valoriser »,regrette encore Kaouther Adimi. « On ne va pas questionner cette œuvre-là parce qu’elle traite de sujets qu’on ne souhaite pas aborder, dans une forme d’hypocrisie générale. Elle a un regard beaucoup trop libéré, elle est libératrice par ses livres. »
Un « grand prix Assia Djebar du roman » a bien été créé en Algérie en 2015, après sa mort, pour promouvoir la littérature algérienne, mais cet honneur posthume ne saurait réparer l’indifférence à laquelle l’académicienne a fait face dans sa terre natale, alors qu’elle était reconnue et célébrée à travers le monde, qu’elle a frôlé plusieurs fois le prix Nobel de littérature. En 2014, Le Monde demande à Mireille Calle-Gruber de se tenir prête à écrire un article, au cas où. C’est manqué, l’Académie Nobel choisit Patrick Modiano. Assia Djebar décède l’année suivante.
Sa sœur, Sakina Imalhayène, déplore encore que le président algérien de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, avec lequel Assia Djebar avait noué une amitié tumultueuse de plusieurs décennies, n’ait pas daigné se rendre à son enterrement. « Ses premières reconnaissances sont venues des Allemands », poursuit sa cadette, qui rappelle qu’elle y a reçu l’équivalent du Goncourt et combien elle a brillé à l’international.
Elle a été élue à l’Académie royale de Belgique en 1999. Elle a aussi mené une carrière académique aux États-Unis. De 1997 à 2001, elle y dirige le Centre d’études francophones et françaises, à la suite d’Édouard Glissant, à l’université d’État de Louisiane. Vivant entre la France et les États-Unis, elle enseigne à compter de 2001 au département d’études françaises de l’université de New York. Elle est docteur honoris causa de l’université de Vienne (Autriche), de l’université Concordia de Montréal (Canada) et de l’université d’Osnabrück (Allemagne).
Mais avec son pays natal, les liens demeurent compliqués. Alors que l’écrivaine a pourtant toujours conservé les droits de ses livres afin qu’ils y soient publiés et à un prix modeste.
Selma Hellal, cofondatrice des éditions Barzakh, a épousé cette même logique, comme elle l’expliquait à Mediapart. La maison d’édition a permis au public algérien de redécouvrir les deux premiers romans d’Assia Djebar, à l’époque introuvables. « Nous, nous avons voulu republier ces livres en Algérie et d’abord pour une raison pragmatique : afin de proposer ces textes, désormais considérés comme des classiques, à des prix raisonnables. »
« L’Algérie n’a pas été à la hauteur de cette immense artiste », soupire Maïssa Bey, qui, elle non plus, n’a pas découvert Assia Djebar à l’école mais dans une bibliothèque de quartier à Alger.
« Je devais avoir 12-13 ans, juste après l’indépendance de l’Algérie, j’étais boulimique de lecture, je lisais tout. J’ai trouvé au milieu des livres de Mammeri, Feraoun, un livre d’Assia : Les Enfants du nouveau monde. J’ai appris par la suite que le livre était paru en 1962 à la charnière de l’indépendance. Ce livre a été un coup de tonnerre dans ma vie. » Maïssa Bey découvre une autrice « qui parle de notre société, des femmes comme [elle-même] les voi[t] dans notre société ».L’adolescente prend conscience du pouvoir de l’écriture : « Cette femme dans l’intimité de nos maisons raconte des choses que je pourrais raconter : les rêveries, les révoltes, les interdits. »
Hajar Bali décrit une même fascination devant « la faculté d’Assia Djebar à parler d’intime à une époque où il n’est pas possible d’avoir un discours intime sur soi ».
Au point d’adopter « une façon d’écrire qui ressemble à celle d’Assia Djebar » : « J’ai interprété le mouvement de la pensée. Je n’ai pas voulu être linéaire, je n’ai pas voulu être chronologique, être trop dans la narration. Pas idéologique non plus, être dans une fiction qui puise dans l’histoire, mais m’accrocher au côté fictionnel, intime, très personnel du récit, et ça, je le lui dois à elle. »
Assia Djebar a marqué l’histoire de son empreinte en littérature comme au cinéma, avec deux films, devenant la première écrivaine-cinéaste maghrébine (lirele troisième volet de notre série). « Dans les années 2000, j’ai fait partie d’un ciné-club, Chrysalide, qui a projeté une copie de très mauvaise qualité de La Nouba des femmes du mont Chenoua, raconte Hajar Bali. Ce film m’a paralysée : voir nos aïeules, entendre leur voix, leur façon de penser, de prier, c’était tellement précurseur. J’ai été éblouie par la scène dans la grotte. Je me demandais si c’était réel ou de la fiction, toutes ces femmes âgées qui apportent un regard et un récit sur l’histoire, et qui sont complètement négligées. »
« Elle a mis dans son film La Nouba des femmes du mont Chenoua toute la bienveillance envers les aînées, ce que j’appelle la connivence entre femmes, abonde Maïssa Bey. Elle est un modèle de ce que l’on appellerait aujourd’hui la sororité. »
Ce premier film, réalisé dans l’Algérie de 1977, à une époque où être femme était un obstacle majeur pour faire du cinéma, marque un tournant dans la carrière d’Assia Djebar comme dans le cinéma algérien. « Elle a montré le chemin. Elle a été d’une précocité extraordinaire, témoigne, admirative, l’écrivaine et militante féministe algérienne Wassyla Tamzali. Elle a été plus loin que nous tous. »
Multidisciplinaire, avant-gardiste, Assia Djebar a fait du cinéma, du théâtre, de l’opéra, écrit des livres sulfureux pour l’époque, sorti La Soif, en 1957, l’année où l’héroïne de l’indépendance Djamila Bouhired a été condamnée à mort, « un livre sur les tracas amoureux d’une jeune musulmane de la bourgeoisie d’Alger, qui ouvre des portes sur la sexualité des jeunes filles, mais peut-être aussi sur l’homosexualité en mettant en scène l’héroïne dans une relation ambiguë avec son amie ».
L’essayiste féministe Wassyla Tamzali se revoit encore saisie par la lecture de l’ultime roman de l’autrice, paru en 2007, Nulle part dans la maison de mon père, et découvrir cette scène fondatrice où Assia Djebar a sept ans quand son père refuse qu’elle fasse du vélo car il ne veut pas qu’elle montre ses jambes.
Les deux femmes se rencontrent en 1974 à la cinémathèque d’Alger, laboratoire culturel mythique des lendemains d’indépendance. Elles sont dans la trentaine, se vouvoient et continueront à se vouvoyer tout au long de leur amitié. Assia Djebar a cinq ans de plus.
« On parlait de liberté entre socialistes, révolutionnaires, se remémore Wassyla Tamzali, mais elle était au-dessus de nous, elle était fascinante dans la recherche concrète de la liberté. Prendre la plume, la caméra, c’était prendre le pouvoir pour elle. Son premier film a marqué un tournant dans ma vie : c’est à partir de son film que je me suis intéressée au cinéma algérien. »
« Assia Djebar, c’est une espèce de surprise permanente. Tu peux lire la quatrième de couverture, ça ne pourra jamais raconter ce que tu as trouvé, remarque l’écrivaine Kaouther Adimi. Et en cela, je trouve que c’est un peu la patte d’un grand auteur parce qu’elle arrive à te surprendre. Elle est précurseure dans le style, dans la modernité de ses textes et dans le fait qu’elle s’affranchit des genres. »
D’Assia Djebar, cette « écrivaine du dedans et du dehors »,Maïssa Bey dit qu’elle lui a « ouvert les chemins de l’écriture ». Son ancienne assistante aux États-Unis, Jennifer Dumont, conserve une seule tristesse aujourd’hui : qu’Assia Djebar soit décédée sans avoir su que tant de femmes ont eu accès à son œuvre, qu’elles en sont sorties bouleversées et qu’elles ont eu à leur tour envie d’écrire. « Elle ne rêvait que d’une chose : que les femmes écrivent. »
Pour sauver son pouvoir, fondé sur le mensonge, le racisme, le mépris du droit, la violence, la corruption, Nétanyahou s’est allié aux religieux et aux colons les plus fanatiques. Ruinant les derniers espoirs d’un dialogue avec les Palestiniens.
BenyaminBenyamin Nétanyahou, qui multiplie depuis son retour au pouvoir les menaces à destination de l’Iran, du Hezbollah, du Hamas, des Palestinien·nes, de ses ennemis politiques en général et même des magistrats de la Cour suprême d’Israël, est-il un va-t-en guerre ? « En paroles, oui, indiscutablement, affirme un ancien haut fonctionnaire qui l’a bien connu. Il adore les discours et les postures martiales, les interventions menaçantes, comme tous les politiciens populistes. Mais c’est surtout un menteur dépourvu de tout scrupule et dont personne n’ignore plus le degré de corruption : il vient d’ailleurs de démontrer qu’il est capable de sacrifier le sort et la sécurité de son pays à son intérêt personnel. »
« Pour le reste, nous voyons désormais chaque jour aux concessions qu’il fait aux deux extrémistes racistes dont il est l’otage volontaire, Ben-Gvir et Smotrich, qu’il a probablement atteint les limites de son habileté politique, poursuit notre interlocuteur. Et qu’il semble même en être conscient. Ce qui expliquerait sa mauvaise mine et peut-être même, au moins en partie, ses problèmes de santé. Il n’est pas si facile, lorsqu’on est, comme lui, drogué au pouvoir et à ses avantages et privilèges depuis des décennies, de découvrir qu’on n’est plus le seul maître de son propre destin et qu’une erreur de décision peut vous coûter votre position, voire, demain, votre liberté. »
Aveuglé par sa fuite en avant, Nétanyahou ne voit ni n’entend manifestement plus rien du monde dans lequel il vit. Ses rêves de pouvoir et ses caprices de roitelet ont eu raison de ses légendaires dons de politicien. Une anecdote illustre les dérisoires vanités qui l’habitent et son imprudente cécité devant ses responsabilités historiques face à l’ampleur de la crise dans laquelle se trouve aujourd’hui plongé son pays : une fuite de ses services vient de révéler que sa visite à Emmanuel Macron, en février dernier, avait coûté au gouvernement israélien cinq fois plus cher que le montant normalement affecté à un tel voyage. Pourquoi ?
Agrandir l’image : Illustration 1
Parce qu’au lieu du Boeing 737 prévu, le premier ministre a exigé un avion – un Boeing 777 – d’une taille comparable à celle de l’Airbus A330 utilisé par le président français pour ses déplacements officiels à l’étranger. Compte tenu du climat social tendu en Israël et de la difficulté à trouver dans ces circonstances un équipage volontaire, ce sont le chef pilote d’El Al et l’un des directeurs de la compagnie nationale qui ont pris les commandes de l’appareil.
Idéologiquement, « Bibi » continue à invoquer de manière insistante l’héritage de son père, Benzion Nétanyahou, secrétaire et disciple de Zeev Jabotinsky, père spirituel de la droite nationaliste israélienne. Il persiste à rêver, avec ses alliés, colons et extrémistes religieux, d’un « Grand Israël », de la Méditerranée au Jourdain, voire jusqu’aux frontières de l’Irak, débarrassé d’un maximum de Palestinien·nes. Militairement, il se place volontiers dans le sillage de son frère aîné, Yonatan, tué à la tête de son commando des forces spéciales lors du raid d’Entebbe, en 1976, qui avait permis de libérer les otages de l’Airbus d’Air France détourné par des terroristes.
Mais, en réalité, il déteste avoir à prendre des décisions importantes qui relèveraient d’un véritable homme d’État ou d’un chef militaire. Ce qui faisait dire à Barack Obama et à plusieurs de ses conseillers : « C’est un trouillard, il a peur de lancer des guerres, la seule chose qui l’intéresse est de se prémunir contre une défaite politique »(voir le 3e épisode de notre série : « La bombe iranienne, arme de “Bibi” »).
C’est un fait, sa détestation des Palestinien·nes, le mépris dans lequel il les tient ne l’ont pas conduit, contrairement à d’autres dirigeants israéliens, à multiplier les aventures militaires. Même s’il n’hésite pas à recourir à la force et à la violence des armes lorsqu’il s’agit d’intervenir dans la vie quotidienne des habitant·es de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, sans parler des « Arabes israélien·nes », c’est-à-dire des citoyennes et citoyens palestiniens d’Israël.
Le choix du Hamas
« Au cours des vingt dernières années, Nétanyahou a été chef du gouvernement pendant près de 15 ans. Pendant cette période, il y a eu seize affrontements graves entre Israël et les organisations armées islamistes qui contrôlent Gaza et une dizaine d’opérations militaires d’une certaine envergure, depuis “Arc-en-ciel” en 2004 jusqu’à “Bouclier et flèche” en mai dernier », souligne un ancien officier supérieur engagé dans la mobilisation de la société civile contre les projets de la coalition au pouvoir.
« Nétanyahou n’a été à l’origine que de cinq de ces opérations, constate l’ancien officier. Et tout en tenant des propos guerriers contre l’Autorité palestinienne, il a permis au Qatar et à la Turquie d’aider le Hamas, et autorisé l’entrée à Gaza, via l’Égypte, mais aussi via Israël, de carburant, de produits alimentaires, de matériaux de construction, de pièces de rechange, de médicaments et d’équipements médicaux payés par Doha ou Ankara. Le tout en laissant 23 000 résidents de la bande de Gaza entrer chaque jour en Israël pour travailler. »
Agrandir l’image : Illustration 2
En d’autres termes, Nétanyahou a acheté un certain apaisement avec le Hamas en éliminant, au cours de l’opération « Bouclier et flèche », une dizaine de responsables du Jihad islamique, l’organisation concurrente, et près de 40 % de son stock de roquettes. Il a en même temps renforcé l’image et la réputation du Hamas, dont Israël avait encouragé la naissance, dans les années 1970, puis le développement dans les années 1980.
Le Hamas avait conquis lors du conflit de 2021 le rôle de défenseur de Jérusalem et de la mosquée al-Aqsa, au détriment de l’Autorité palestinienne, affaiblie par les accusations d’illégitimité démocratique, d’inefficacité, de collaboration et de corruption qui l’accablent depuis des années.
« Faillite morale »
Dans cette manœuvre, le Hamas a gagné un – modeste – rebond de sa popularité et surtout une posture avantageuse en vue de la succession du Fatah et de son vieux chef, fourbu et discrédité, Mahmoud Abbas, à la tête de l’Autorité palestinienne. Le bénéfice pour Nétanyahou est double : il conforte, comme représentation des Palestinien·nes, une organisation islamiste a priori rejetée par les alliés d’Israël et une bonne partie de la communauté internationale comme fanatique et terroriste. Facilitant ainsi les frappes contre elle, voire sa liquidation lorsqu’elle sera gênante.
Et il affaiblit par contrecoup le Fatah et l’Autorité palestinienne, qui incarnent encore, tant bien que mal, la disposition au dialogue et à la coexistence avec Israël. Dialogue et coexistence qu’il affecte d’accepter dans les cercles diplomatiques, mais qu’il rejette, en réalité, depuis toujours.
Le gain à long terme pour Israël semble ici très modeste. « Quand j’entends Nétanyahou affirmer que l’opération “Bouclier et flèche” nous a permis de changer l’équation stratégique, sourit un vétéran du renseignement militaire qui a abandonné depuis quelques années son béret vert, je pense immédiatement à la radio de propagande en hébreu que Le Caire avait créée au siècle dernier et qui annonçait : “Nos forces progressent sur tous les fronts”... à la veille de notre victoire totale lors de la guerre des Six Jours. »
« Ce qui est inquiétant, aujourd’hui, pour les responsables de la sécurité du pays,poursuit l’ancien officier, c’est qu’il n’existe ni véritable stratégie, ni même de vision globale pour Gaza. Et que nous avons du mal à agir, même face à une petite organisation comme le Jihad islamique qui n’a pas plus de 9 000 militants actifs, dont 6 000 combattants. »
« En fait,estime dans Haaretz Yossi Melman, spécialiste des questions de renseignement, on peut dire que le cabinet du sixième gouvernement de Nétanyahou est devenu la principale menace pour la sécurité nationale d’Israël. »
« Il est difficile de dire que le pays affronte une crise constitutionnelle, puisque nous n’avons pas de Constitution, constate un diplomate. Mais puisque Nétanyahou entend s’attaquer aux lois fondamentales qui en tiennent lieu et à la Cour suprême qui veille à leur application, c’est bien à une crise constitutionnelle que nous faisons face aujourd’hui en raison de la faillite morale et de l’irresponsabilité politique de notre premier ministre. »
L’extrême droite au gouvernement
À l’origine de cette situation, il y a en effet la volonté obstinée de Benyamin Nétanyahou d’échapper aux poursuites judiciaires engagées contre lui depuis près de quatre ans pour « corruption », « fraude » et « abus de confiance ». Nées d’une longue présence à la tête du gouvernement, de l’habitude des faveurs et d’un goût croissant pour les privilèges du pouvoir, les relations coupables de Nétanyahou avec le luxe et l’argent facile ont été longuement entretenues par l’assurance de l’impunité. Elles semblent d’ailleurs avoir gagné aussi sa femme et son fils.
En novembre 2019, lors de sa mise en examen par le procureur général d’Israël, Avichaï Mendelblit, qui fut de 2013 à 2016 l’un de ses plus proches collaborateurs, le premier ministre avait, comme à son habitude, tenté avec l’aide dévouée de son entourage de délégitimer la procédure en dénonçant une opération politique montée contre lui par la magistrature avec la complicité de la police, des médias, des intellectuels et de l’opposition. Contraint en juin 2021, après douze années consécutives au pouvoir, d’abandonner ses fonctions au terme d’une campagne centrée sur la dénonciation de la corruption par l’opposition, il est redevenu premier ministre en décembre 2022, à la tête de la coalition la plus à droite de l’histoire du pays, mêlant partis ultraorthodoxes et d’extrême droite, nationalistes, homophobes et racistes.
La presse rapporte alors que, selon l’accord de coalition, Bezalel Smotrich, chef du Parti sioniste religieux et ancien détenu pour incitation à la violence, a obtenu le ministère des finances et un rôle imprécis au ministère de la défense, lui donnant la haute main sur la vie quotidienne des Palestinien·nes de Cisjordanie et le développement de la colonisation. Chef du parti Force juive, Itamar Ben-Gvir, nouveau ministre de la sécurité publique, ancien délinquant lui aussi, et connu pour ses provocations à l’encontre des Palestinien·nes, est chargé du maintien de l’ordre.
Cerné par la justice
En échange de ces deux postes clés et de l’engagement du Likoud à « étendre la souveraineté juive à la Judée et à la Samarie », c’est-à-dire à annexer la Cisjordanie, Smotrich et Ben-Gvir auraient promis à Nétanyahou de l’aider à faire voter des textes destinés à placer la Cour suprême sous le contrôle de la Knesset, afin de permettre au premier ministre d’échapper définitivement aux griffes de ses juges qui, en trois ans d’audiences, ont déjà entendu 37 des 341 témoins de l’accusation. Pour l’heure, le premier ministre israélien est inculpé dans trois dossiers de gravité inégale devant le tribunal de district de Jérusalem :
Le dossier 1 000, dans lequel il est inculpé de « fraude » et « abus de confiance », porte sur les luxueux cadeaux, d’une valeur de 185 000 euros, reçus de richissimes personnalités, dont le milliardaire australien Arnon Milchan, en échange de faveurs financières ou personnelles.
Le dossier 2 000, dans lequel Nétanyahou est poursuivi pour les mêmes motifs, vise la négociation entamée avec Arnon Mozes, propriétaire du plus grand quotidien payant du pays, Yediot Aharonot, qui lui aurait offert une couverture médiatique favorable en échange d’une loi limitant la diffusion du quotidien gratuit Israël Hayom, favorable au Likoud mais concurrent du Yediot. « Ce dossier est très problématique pour le premier ministre,confiait en novembre 2019 à Mediapart l’ancien procureur d’État adjoint Yehuda Sheffer, car le procureur détient l’enregistrement d’une conversation entre Nétanyahou et Mozes. C’est un document presque incroyable, une preuve accablante qui va stupéfier la cour. »
Le dossier 4 000, enfin (« corruption », « fraude » et « abus de confiance », encore), est, selon Yehuda Sheffer, « le plus difficile des trois, car il porte sur les très fortes sommes d’argent » – environ 500 millions de dollars – obtenues par Shaul Elovitch, patron du groupe de télécommunications Bezeq et du site d’information Walla, grâce à la complaisance de Nétanyahou : celui-ci avait bénéficié en contrepartie d’une couverture favorable de Walla.
« À eux seuls, ces trois dossiers, qui révèlent à la fois les goûts de luxe, l’amour de l’argent, le besoin éperdu de soutien médiatique et le cynisme déployé pour l’obtenir, en disent long sur Nétanyahou, sa personnalité et sa conception de la politique et du pouvoir. Mais il y a encore bien pire pour lui, ajoutait Yehuda Sheffer, désormais à la retraite, devenu consultant anticorruption et antiblanchiment pour des entreprises ou des États étrangers. Il y a le dossier 3 000, dans lequel sept de ses proches ont été inculpés. Jusqu’à présent, le premier ministre n’a pas été entendu dans cette affaire mais il aurait dû l’être car tout ce que nous savons désormais semble l’impliquer. Et l’impliquer dans un scandale potentiellement dévastateur. »
L’affaire des sous-marins allemands
Un scandale qu’en mars 2019 Haaretz a tenté de réveiller après plusieurs années de sommeil en réclamant, arguments à l’appui, la poursuite d’une information assoupie. Et que les manifestant·es du week-end contre les « réformes » du premier ministre n’ont pas oublié, comme l’a rappelé le faux sous-marin gonflable apparu à plusieurs reprises dans les cortèges.
Agrandir l’image : Illustration 4
L’enquête sur le dossier 3 000, appelé aussi « affaire des sous-marins allemands », a été formellement ouverte en février 2017, sur ordre du procureur de l’État Shai Nitzan. Mais ses racines remontent à 2007, lorsque Nétanyahou, redevenu chef de l’opposition après un premier passage au pouvoir, a acheté pour 600 000 dollars 1,6 % du capital de l’entreprise métallurgique texane Seadrift Coke, alors dirigée par son cousin Nathan Milikowsky (mort en 2021).
Première bizarrerie, Nétanyahou a bénéficié d’un prix d’ami, bien inférieur à la valeur réelle des actions : lors de la revente des parts à son cousin, trois ans plus tard, il a réalisé, grâce à cette faveur, une plus-value de 700 %. Entre-temps, il est redevenu premier ministre et Seadrift Coke a été acheté par la firme GrafTech International, détenue par son cousin. Basée dans l’Ohio, GrafTech International était un fournisseur régulier du chantier naval allemand ThyssenKrupp, qui venait de livrer à la marine israélienne ses trois premiers sous-marins de haute technologie.
Trois autres sous-marins du même type compléteront la flottille entre 2012 et 2019. Ces six submersibles capables de lancer des missiles de croisière à ogive nucléaire ou de débarquer discrètement sur un rivage ennemi un commando de dix membres des forces spéciales sont au cœur d’un scandale multiforme mais à bas bruit, qui a abouti en décembre 2022 à la condamnation d’un ancien ministre de la science et de la technologie à sept mois de travail communautaire. Un scandale dont les étapes ont jalonné, une décennie durant, les mandats successifs de « Bibi ». Sans, pour l’heure, l’atteindre directement.
Une seule chose est claire dans ce dossier : Nétanyahou a porté pendant des années un intérêt particulier aux activités de ThyssenKrupp et à ses relations avec Israël. À peine revenu au pouvoir, en 2009, il charge ainsi son avocat et confident David Shimron, qui est, lui aussi, son cousin, d’organiser le remplacement de Yeshayahu Barkat. Ce dernier représentait depuis 25 ans l’entreprise allemande en Israël.
Grâce à l’intervention de Shimron, c’est Michael « Miki » Ganor, un homme d’affaires proche du pouvoir israélien, qui est choisi par la direction de ThyssenKrupp. En 2014, lorsque le ministère israélien de la défense lance un appel d’offres pour l’achat de patrouilleurs chargés de surveiller les exploitations de gaz offshore en Méditerranée, seuls des chantiers navals sud-coréen, italien et espagnol sont candidats. Nétanyahou, soutenu par le Conseil national de sécurité, impose alors la fermeture de l’appel d’offres. Un an plus tard, quatre patrouilleurs sont commandés à ThyssenKrupp. Prix : 430 millions d’euros.
En octobre 2016, un nouveau projet d’achat direct, sans appel d’offres, de trois sous-marins est adopté par le cabinet de sécurité. Entre-temps, une autre vente de sous-marins, celle-ci à la marine égyptienne, va attirer l’attention des services de renseignement, de plusieurs responsables militaires et de certains magistrats. Des informations en provenance du Caire, en 2015, indiquent que l’Égypte recevra dans quelques mois le premier de quatre sous-marins fabriqués par ThyssenKrupp.
Au ministère israélien de la défense, la surprise est de taille. En vertu d’un accord non écrit, il est en effet convenu entre les gouvernements allemand et israélien que le premier consultera le second et sollicitera même son feu vert avant de vendre des armes ou de la technologie militaire à un pays arabe. Ni le Mossad, ni les Renseignements militaires, ni l’état-major de l’armée, ni le ministère de la défense n’ont pourtant été consultés sur une décision de si haute importance stratégique : la mise à la disposition d’un pays arabe – certes en paix avec Israël, mais pour combien de temps ? – d’une arme équivalente à celles dont dispose l’armée israélienne.
Envoyé en Allemagne, un haut fonctionnaire du ministère revient avec une information explosive livrée par les collaborateurs d’Angela Merkel : Benyamin Nétanyahou a bien été consulté et c’est lui qui a donné son feu vert. « Ceux qui devaient savoir savaient », répondra alors Nétanyahou aux ministres et aux journalistes qui l’interrogent. En laissant entendre que le procureur général Avichaï Mandelblit et l’ancien conseiller à la sécurité nationale savaient. Ce que les deux nient. « La version de Nétanyahou n’a aucun sens,observe alors de son côté Tamir Pardo, patron du Mossad au moment des faits. Je ne crois pas qu’il puisse exister un secret qui doive être caché à la fois au chef d’état-major de l’armée, au ministre de la défense et au patron du Mossad. »
Ajoutée aux suspicions accumulées depuis plusieurs années sur les marchés conclus avec ThyssenKrupp, cette affaire des sous-marins égyptiens va inciter le procureur de l’État Shai Nitzan à ouvrir, le 27 février 2017, une information qui deviendra le dossier 3 000. Dans le cadre de cette investigation et à la suite des informations recueillies, le procureur général décide, fin 2019, d’inculper sept personnes, dont David Shimron, Michael Ganor, l’ancien chef d’état-major de la marine Eliezer Marom, l’ancien chef de cabinet de Nétanyahou David Sheran et l’ancien chef adjoint du Conseil de sécurité Ariel Bar-Yosef.
« En raison de son rôle central dans cette affaire, de ses liens financiers désormais établis avec son cousin Milikowsky, Nétanyahou aurait dû être interrogé, notamment sur ses conflits d’intérêts et sur sa conduite déraisonnable dans l’épisode des sous-marins égyptiens, qui pose un véritable problème de sécurité de l’État », estimait alors l’ancien procureur adjoint Yehuda Sheffer. Le temps est venu, estime aujourd’hui Haaretz, d’établir une commission indépendante chargée de contrôler les achats d’armes du ministère de la défense. Mais il est peut-être trop tard.
« Lorsque Nétanyahou et sa bande ont menacé les enquêteurs qui travaillaient sur les dossiers de corruption du premier ministre, nous avons pensé qu’ils n’agiraient pas de la même manière avec les procureurs,raconte un magistrat. Lorsqu’ils ont menacé les procureurs, en particulier le procureur principal chargé de ces dossiers, et le procureur général, nous avons espéré que les menaces ne s’étendraient pas aux juges. Maintenant, la plus haute cour du pays est directement menacée. Aucun chef d’un gang du crime organisé n’avait jusque-là osé menacer le président et les juges de la Cour suprême. Il y a des normes de base qu’on ne viole pas. Sauf quand on est le premier ministre de notre gouvernement, ou le ministre de la justice, ou n’importe quel membre de sa bande. »
Alors qu’Israël est depuis huit mois en proie à une crise historique, l’espoir d’une paix entre Israélien·nes et Palestinien·nes, trente ans après l’assassinat de Yitzhak Rabin, est à l’agonie. Les ennemis de la coexistence paisible entre les deux peuples, qui ont nourri en 1994 le discours fanatique de l’assassin du premier ministre, sont au pouvoir en Israël. Avec l’intention de mettre en place une justice à leurs ordres. Ils projettent aussi de doubler le nombre de colons en Cisjordanie, qu’ils entendent annexer et vider de ses habitant·es.
Côté palestinien, face à un présent insupportable et à un avenir désespérant, les jeunes sont de plus en plus nombreux à croire, de nouveau, que la lutte armée est la seule voie vers la dignité et la liberté. Parmi les Israélien·nes, le gouffre n’a jamais été aussi béant entre celles et ceux qui croient encore pouvoir vivre en paix avec leurs voisins et ceux qui ne reculent pas devant les pogroms pour pousser, une nouvelle fois, les Palestinien·nes à l’exil.
L’enquête sur le tir de LBD fatal à un jeune homme de 27 ans, à laquelle Mediapart et « Libération » ont eu accès, montre comment cette unité d’exception a été mise au service d’un rétablissement de l’ordre spectaculaire alors qu’elle n’avait ni l’équipement, ni les compétences, ni le raisonnement adaptés à cette situation d’émeute.
LeLe 2 juillet, à 00 h 58, au niveau du 73, rue de Rome à Marseille, Mohamed Bendriss, au guidon de son scooter, est atteint par deux tirs de lanceur de balles de défense (LBD). Il remonte alors le long d’une colonne de véhicules du Raid, déployés pour « rétablir l’ordre » à Marseille. Le jeune homme de 27 ans parvient à continuer sa route et s’effondre deux minutes plus tard devant chez sa mère, cours Lieutaud.
Mohamed Bendriss est le seul mort recensé lors de ces nuits d’émeutes qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk, tué par un tir policier à Nanterre. L’un des deux impacts de LBD, au thorax, a provoqué une crise cardiaque ayant entraîné sa mort. L’autre a laissé une marque sur l’intérieur de sa cuisse droite. Sous l’effet d’un troisième projectile, un « bean bag » tiré à trois ou quatre mètres, le phare de son scooter a éclaté.
Le 10 août, soit six semaines après les faits, trois policiers du Raid soupçonnés d’être à l’origine de ces tirs sont mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». L’information judiciaire, qui se poursuit, vise à déterminer s’ils ont agi dans les règles et de manière proportionnée. L’enquête confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et à la police judiciaire (PJ), à laquelle Mediapart et Libération ont eu accès, permet d’éclaircir dans quelles conditions le Raid est intervenu ce soir-là à Marseille et pourquoi il a décidé d’ouvrir le feu.
Les dépositions des mis en cause et d’une trentaine de témoins (policiers ou non), ainsi que l’exploitation de nombreuses vidéos, révèlent que cette unité d’exception au sein de la police, particulièrement peu préparée à assurer des missions de maintien de l’ordre, obéit à des logiques à part. Elles montrent aussi que très tôt, le Raid a eu conscience de sa possible implication dans le décès de Mohamed Bendriss et a préféré en discuter collectivement, en interne, plutôt que d’en référer à la justice.
« Mohamed a été tué par une balle de LBD 40, tirée avec une arme non adaptée et illégale, par une unité spéciale inadaptée au maintien de l’ordre, couverte par la hiérarchie du Raid qui a dissimulé le crime en connaissance de cause », affirme Arié Alimi, l’avocat de la veuve de Mohamed Bendriss.
Agrandir l’image : Illustration 1
Au soir du 1er juillet, comme les deux jours précédents, le Raid est déployé à Marseille pour faire face à des émeutes et pillages de magasins. Sur décision de Gérald Darmanin, c’est la première fois que cette unité d’élite, spécialisée dans les prises d’otages et les interventions antiterroristes, est ainsi employée à lutter contre des violences urbaines en métropole.
« On se demandait ce qu’on foutait là », résume en garde à vue Alexandre P., un des policiers mis en examen. « C’était ma toute première nuit d’émeute dans ma carrière, ajoute son collègue Jérémy P. Nous ne sommes pas du tout formés pour ce genre d’émeute, nous ne sommes pas habitués à cela. Nous n’avons même pas de protection adaptée. »
Dans les rues de Marseille, le Raid se déplace en convoi de sept véhicules. À sa tête, le « PVP » (« petit véhicule de protection »), un blindé très reconnaissable avec un opérateur du Raid juché sur une tourelle. Ce soir-là, c’est Alexandre P. qui s’y colle. Son rôle : « signaler aux autres des faits suspects » et « assurer la protection du convoi ». Pour ce faire, il dispose d’un LBD multicoups, approvisionné par six munitions.
« Nous devions suivre le PVP où qu’il aille, sans jamais nous séparer ni changer la position de la colonne », explique un opérateur assis dans un autre véhicule. Le convoi est là pour impressionner, mais aussi pour interpeller si nécessaire, ou disperser un attroupement.
Si les fonctionnaires du Raid sont novices en maintien de l’ordre, ce sont de bons tireurs : habilités à toutes les armes, ils s’entraînent plus souvent que les autres policiers. Signe qu’ils appartiennent à une unité à part, chacun d’entre eux peut choisir ses armes et les embarquer en mission sans formalités particulières. Au point que leur hiérarchie est incapable de déterminer, a posteriori, qui a pris quoi.
Au total, dans la nuit du 1er au 2 juillet, les 22 opérateurs composant la colonne ont tiré 107 « bean bags » (des projectiles en petits sacs compacts remplis de billes), 30 munitions de LBD, 10 grenades lacrymogènes et 4 grenades de désencerclement. Ils n’ont rempli aucune « fiche TSUA » (traitement et suivi de l’usage des armes), obligatoire après chaque tir pour les policiers classiques, en gage de traçabilité. Ils ne sont pas non plus équipés de caméras-piétons et leurs échanges radio, en circuit fermé, ne font l’objet d’aucun enregistrement.
Un premier tir depuis la tourelle
Lors du « briefing », la hiérarchie du Raid a appelé ses troupes à faire preuve d’une vigilance particulière sur les deux-roues, qui pourraient leur tourner autour et s’attaquer à elles. « Nous avions la sensation que les scooters étaient les leaders d’une guérilla urbaine, explique l’un des policiers placés en garde à vue, puis relâché sans suite. Nous avions la crainte de recevoir des cocktails Molotov comme les collègues de Strasbourg, qui se sont même fait tirer dessus à la kalachnikov… Les collègues de Nîmes se sont fait tirer dessus au 9 mm. »
C’est dans ce contexte que les policiers assistent, peu avant 1 heure du matin, à une scène qui attire leur attention. Alors qu’ils sont requis en centre-ville, pour sécuriser un magasin Foot Locker pillé, ils voient un piéton courir vers eux, tenant à la main un sac de marchandises volées. À sa hauteur, un scooter semble le suivre et se livrer à un étrange manège : il pourrait être son complice ou essayer d’arracher son butin. Dans tous les cas, « il y a matière à interpeller », estime Alexandre P. depuis sa tourelle.
Alors que certains de ses collègues mettent pied à terre, le policier tire au LBD à deux reprises. Il vise d’abord le piéton, puis se retourne vers le scooter de Mohamed Bendriss, qui « continue d’avancer alors qu’on lui demande de s’arrêter ».
« J’ai considéré son geste d’accélérer en direction du convoi comme un geste d’agression », explique Alexandre P., estimant sa distance de tir à dix mètres. « Je n’ai pas visé la tête, je voulais arrêter ce putain de scooter », qui « fonce sur nous », « met en péril notre capacité opérationnelle » et pourrait représenter « une menace », ajoute-t-il. « Je me protégeais et je protégeais les personnels du convoi à terre. »
Le policier constate que le scooter continue sa route. Sur le moment, il n’aurait même pas été certain de toucher Mohamed Bendriss. Les images, qu’il a visionnées par la suite, le lui confirment : « On voit mon projectile sortir de la veste du scooter du conducteur. […] C’est ma balle de défense qui sort de sa veste et qui vient tomber par terre. » C’est probablement ce tir qui a atteint Mohamed Bendriss en pleine poitrine.
« J’ai toujours fait mon travail dans les règles de l’art ; je ne veux pas la mort des gens », a indiqué Alexandre P. aux enquêteurs. « J’ai jamais été aussi stressé alors que j’ai vécu l’Hyper Cacher. C’est le ciel qui me tombe sur la tête. » Contacté par Mediapart et Libération, son avocat, Dominique Mattei, n’a pas souhaité s’exprimer.
Un « bean bag » dans le phare
« Au départ, c’est le monsieur du fourgon qui était sur le toit qui tirait et ses collègues se sont mis à faire pareil », indique à l’IGPN une riveraine, témoin de la scène. Une fois le scooter hors de portée d’Alexandre P., d’autres fonctionnaires prennent effectivement le relais : ils sortent du deuxième véhicule de la colonne, un multivan Volkswagen.
Les agents « E » et « F » (désignés ainsi dans l’enquête pour préserver leur anonymat) tirent chacun un « bean bag » en direction du piéton, touché dans le dos, et parviennent à l’interpeller. Nabil B. sera condamné à quatre mois de prison ferme pour le vol de deux paires de Nike.
Au même moment, Jérémy P., le passager arrière gauche du multivan, se retrouve face au scooter. Celui-ci n’est plus qu’à une dizaine de mètres et fait « des embardées de droite à gauche ». Depuis leur fenêtre, des riveraines en déduisent que « le conducteur a dû être touché » et tente de garder l’équilibre. « Je me suis senti clairement en danger […] car je ne parvenais pas à comprendre ses intentions », avance de son côté Jérémy P. Il crie « stop » et met en joue Mohamed Bendriss avec son fusil « bean bag ».
« Le scooter n’a jamais ralenti, j’ai vu qu’il n’avait pas les mains sur les freins car il se rapprochait de plus en plus. À trois mètres de moi, je me suis rendu compte qu’il était trop près pour que je lui tire dessus, alors j’ai visé la calandre. […] Je l’ai impacté au phare, qui était éclairé et qui a explosé. Il a volé en mille morceaux, il y avait des éclats au sol. »
Quatre jours après les faits, c’est bien une munition « bean bag », fichée dans le phare du scooter, qui met les enquêteurs sur la piste du Raid. « Je suis certain d’avoir tiré en direction de son scooter et non de sa personne », répète Jérémy P. face à la juge d’instruction qui le met en examen. Son avocate, Chantal Fortuné, n’a pas souhaité s’exprimer.
Le troisième mis en examen soupçonné du tir à la cuisse
Malgré ce nouveau tir, le scooter continue à remonter le convoi. Grâce aux vidéos récoltées au fil de l’enquête, l’IGPN établit qu’en quelques secondes, six détonations – des tirs de LBD ou de « bean bags » – retentissent. Ils ont du mal à attribuer la dernière, mais considèrent qu’il pourrait s’agir du tir de LBD qui a touché Mohamed Bendriss à la cuisse.
Un fonctionnaire fait office de suspect privilégié : Sylvain S., conducteur de la Laguna en troisième position dans le convoi. Sur certaines images, le canon de son LBD dépasse de sa fenêtre. « Je n’ai pas fait usage de cette arme », faute de « fenêtre de tir » satisfaisante, assure pourtant ce policier. « Le tir éventuel qui m’est reproché, c’est une blessure au niveau de la cuisse et c’est improbable au niveau de l’angle de tir », ajoute-t-il. Il est tout de même mis en examen. Son avocat, Nicolas Branthomme, n’a pas souhaité s’exprimer.
Comment comprendre que le Raid ait vu Mohamed Bendriss comme une menace ? Par des réflexes propres à son fonctionnement, mais inconnus du grand public. « Tout ce qui s’approchait de notre bulle de protection était considéré comme dangereux », résume l’un des opérateurs lors de sa garde à vue. « Il faut vraiment être stupide pour forcer un barrage de convoi du Raid », complète un autre, pour lequel « on ne pouvait pas se retrouver avec des émeutiers au milieu [du] convoi ».
Tous le répètent : au sein de leur colonne, deux médecins sont là pour prendre en charge d’éventuels blessés. Ils ont d’ailleurs porté assistance à Nabil B., le voleur de baskets. S’ils ne se sont pas inquiétés du sort de Mohamed Bendriss, c’est parce qu’il a continué sa route sans encombre et paraissait en bonne santé.
Vingt-six jours pour envoyer une vidéo
Pour aboutir à la convocation de toute la colonne du Raid les 8 et 9 août, le placement en garde à vue de cinq fonctionnaires susceptibles d’avoir tiré et la mise en examen de trois d’entre eux, les juges d’instruction et les enquêteurs de l’IGPN ont mené un énorme travail de collecte et de recoupement d’indices pendant un mois.
La nuit des faits, le scooter de Mohamed Bendriss, abandonné devant chez sa mère et volé dans la foulée, est retrouvé par un équipage de la brigade anticriminalité (BAC) à 3 heures du matin. Coïncidence : deux des trois policiers qui contrôlent et interpellent le voleur seront mis en examen, trois semaines plus tard, pour des « violences aggravées » contre Hedi R. la même nuit.
À la recherche du deux-roues, l’IGPN apprend le 6 juillet qu’il est stocké dans un commissariat marseillais et découvre qu’un « bean bag » est resté encastré dans le phare. Comprenant alors que le Raid pourrait être impliqué, la « police des polices » envoie une série de réquisitions à cette unité pour connaître l’équipement de ses membres, la chronologie de ses interventions au cours de la nuit et la composition de ses équipages. Elle obtient des réponses rapides, mais pas toujours complètes.
En parallèle, la géolocalisation téléphonique de Mohamed Bendriss montre qu’il se trouvait au 54, rue de Rome à 00 h 57, puis sur le cours Lieutaud une minute plus tard. L’IGPN lance aussitôt une enquête de voisinage, récupère les images issues de caméras de la ville et de plusieurs commerces. Certaines retracent le trajet de Mohamed Bendriss, d’autres la progression de la colonne du Raid dans le centre-ville.
Une vidéo amateur de 25 secondes, tournée par une habitante de la rue de Rome depuis sa fenêtre, s’avère même cruciale. Elle montre l’interaction entre les policiers et le scooter, et permet aux enquêteurs de distinguer, à l’oreille, six détonations. Auditionnée par l’IGPN, la vidéaste prête un étrange serment sur procès-verbal : « Conformément à vos instructions, je m’engage à ne pas diffuser ce film à qui que ce soit ou à le montrer. Je prends acte qu’en cas de diffusion je pourrais être poursuivie par la justice. J’ai compris ce que vous me dites, je m’engage à respecter la loi. » La loi n’impose pourtant rien de tel.
Le 11 juillet, au détour d’un courrier sur la géolocalisation de ses véhicules, la patronne locale du Raid mentionne l’existence d’une caméra sur le « petit véhicule de protection », filmant en continu la progression du convoi. « Je vous précise que je tiens à votre disposition les enregistrements », indique la commissaire divisionnaire qui coordonne les antennes de l’échelon zonal sud du Raid (Marseille, Nice, Montpellier et Toulouse).
Cette vidéo n’est finalement transmise à l’IGPN que le 28 juillet, deux jours après une nouvelle réquisition formelle et presque un mois après les faits. Ce sont pourtant ces images de bonne qualité qui montrent, le plus clairement, le tir probablement fatal à Mohamed Bendriss.
Comme l’écrit l’IGPN dans son exploitation, « alors que le scooter progresse face au convoi, la veste de Mohamed Bendriss fait un mouvement soudain et s’étire de manière brusque du côté gauche. Au même instant, un objet rond et noir de petite taille se détache de la silhouette de Mohamed Bendriss semblant provenir du pan de la veste qui vient de sursauter et chute au sol ». Cet objet, qui tombe sur les rails du tram, « ressemble au projectile tiré par un LBD ».
Un visionnage collectif
Pourquoi le Raid n’a-t-il pas, de lui-même, transmis cette vidéo ? Si l’on se fie à leurs dépositions, les policiers de l’unité, dont le chef de l’antenne marseillaise et la coordinatrice zonale elle-même, craignaient pourtant depuis plusieurs semaines que le Raid soit impliqué dans le décès de Mohamed Bendriss.
Le 4 juillet, les premiers articles de presse évoquent le décès d’un conducteur de scooter touché par un tir de LBD à Marseille, dans des circonstances encore floues. A posteriori, les policiers du Raid expliquent s’être posé la question d’un lien avec leur intervention, mais l’adresse où a été retrouvé le jeune homme a tendance à les rassurer : ils ne se sont pas rendus cours Lieutaud. « L’adjoint au chef d’antenne a dit que nous n’étions pas concernés », affirme Alexandre P., pour qui « l’information était classée ».
Le doute persiste cependant, raconte leur chef d’antenne. « Des sources internes à la police semblent insister en pensant que le tir pourrait être celui d’une personne de la colonne. Avec mon adjoint, nous décidons par acquit de conscience de questionner les gars de manière globale. Certains nous font remonter qu’un scooter a traversé le dispositif au moment de l’interpellation rue de Rome et certains disaient qu’en traversant le dispositif, il a certainement essuyé des tirs. Ces déclarations ont motivé chez nous le souhait de visionner les images du PVP. »
Plusieurs opérateurs du Raid confirment qu’un débriefing ou une « réunion de crise » a eu lieu pour clarifier la position de chacun, regarder ensemble les images et identifier les potentiels tireurs. Si aucun ne donne la date de ce visionnage collectif, la coordinatrice zonale la situe « avant » la réception des réquisitions de l’IGPN, c’est-à-dire entre le 4 et le 6 juillet. Alexandre P., lui, estime qu’elle a eu lieu « suite aux réquisitions IGPN ». « Ça fait à peu près un mois qu’on sait qu’on est reliés à la mort de ce jeune homme », résume-t-il.
Selon ses dires, la coordinatrice a déjà connaissance des images lorsqu’elle rédige sa première réponse à l’IGPN, le 6 juillet, dans laquelle elle relate les événements marquants de la nuit du 1er au 2. Et semble s’appuyer dessus quand elle décrit, avec précision, « l’interpellation d’un individu sortant du magasin Foot Locker un sac à la main ».
« Un individu en scooter venait à sa rencontre. Les deux individus prenaient la fuite, le scooter forçait le passage de la colonne du Raid et parvenait à s’enfuir malgré l’usage de MFI [moyens de force intermédiaires – ndlr]. L’auteur du vol était interpellé rue de la Palud, en état d’ébriété et impacté par un tir de MFI. » Pour autant, dans son courrier, la commissaire divisionnaire ne propose pas à l’IGPN de lui transmettre la vidéo du PVP.
D’après elle, plusieurs agents « se sont signalés rapidement » à leur hiérarchie, « beaucoup pensant avoir tiré, sans certitude cependant ». Mobilisés plusieurs nuits de suite sur les émeutes à Marseille, ils ne se souviennent pas de tous leurs faits et gestes et confondent parfois les scènes entre elles. Le 26 juillet, le Raid transmet finalement à l’IGPN une liste de cinq fonctionnaires « se trouvant sur le flanc gauche » du convoi – donc « susceptibles d’avoir utilisé » leurs armes contre Mohamed Bendriss. Au moment de se rendre à la convocation de l’IGPN, ils ont eu plus d’un mois pour préparer leurs réponses.
Alors que l’écologiste Sandrine Rousseau dénonce une volonté de « contrôle social sur le corps des femmes et des jeunes filles », le communiste Fabien Roussel estime que cette mesure est une « bonne chose ».
Le ministre de l’Education Gabriel Attal lors de sa conférence de presse de rentrée, le 28 août 2023. (BERTRAND GUAY / AFP)
Intronisé ministre de l’Education nationale en juillet dernier, Gabriel Attal a choisi de faire sa rentrée médiatique en s’en prenant à… l’abaya. Invité du JT de TF1 dimanche 27 août, le tout nouveau locataire de la rue de Grenelle a annoncé que cette longue robe traditionnelle portée par une poignée d’élèves musulmanes serait désormais interdite, au nom de la laïcité. Lors de sa conférence de presse de rentrée, ce lundi, Gabriel Attal a justifié sa décision en appelant à « faire bloc » contre les atteintes à la laïcité, estimant que l’école de la République était « testée ».
Applaudie à droite et à l’extrême droite, la mesure a, en revanche, suscité plusieurs réactions indignées dans les rangs de la gauche, à commencer par ceux de La France insoumise. Députée de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain a dénoncé une mesure « anticonstitutionnelle », « contraire aux principes fondateurs de la laïcité » et « symptomatique du rejet obsessionnel des musulmans ». « Jusqu’où ira la police du vêtement ? », s’est interrogée l’élue LFI sur X (ex-Twitter).
Illustration : Paris, 30 septembre 1955. Des appelés français se sont rassemblés dans l’église Saint-Séverin pour protester contre leur départ vers l’Algérie
Avec Désobéir en guerre d’Algérie. La crise de l’autorité dans l’armée française, et à travers les traces laissées dans les archives des tribunaux, Marius Loris Rodionoff passe en revue les différentes formes de la désobéissance de soldats réfractaires de l’armée française en Algérie
« En se concentrant sur les soubresauts au sein de l’armée française durant la guerre d’Algérie, sur les désobéissances, désertions, révoltes qui agitèrent la « Grande Muette », jusqu’à une tentative de coup d’État contre le général de Gaulle, Marius Loris Rodionoff nous donne à comprendre l’évolution de la France depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Son livre Désobéir en guerre d’Algérie. La crise de l’autorité dans l’armée française est issu d’une thèse soutenue en 2013, grâce à une ouverture partielle des archives de la justice militaire, à la faveur de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Jospin. »
« L’originalité de l’approche de l’auteur réside dans la mise en regard de réfractaires qui s’insurgèrent pour des choix radicalement opposés : d’un côté ceux, le plus souvent des appelés, qui refusaient de servir cette guerre, avatar de plus d’un siècle de colonisation, et une hiérarchie qui n’hésitait pas à recourir à la torture et aux assassinats. De l’autre, de petits chefs et des officiers supérieurs qui voulaient la mener jusqu’au bout, et par toutes les méthodes, décidés qu’ils étaient à garder la mainmise de la France sur l’Algérie. Dans les deux camps se trouvaient des soldats “en résistance”. »
Il faut parfois attendre des décennies avant de mesurer l’ampleur d’un événement et de ses effets sur une société, un pays, un État. Ce qui se passa en Afrique du Nord, et plus précisément en Algérie, de 1954 à 1962, était alors identifié par des périphrases, des expressions, choisies avec constance pour diminuer, démilitariser ce qu’il se passait de l’autre côté de la Méditerranée : « événements d’Algérie », « opérations de police », « actions de maintien de l’ordre », « opérations en Afrique du Nord » ou encore « pacification ». Tandis que les combattants du FLN n’étaient surtout pas nommés, réduits à la qualité de « suspects, terroristes, hors-la-loi ou rebelles ».
Sur le terrain, les combattants du FLN, les militaires français engagés et appelés, les insoumis pacifistes employaient, eux, les mots pour la dire, cette guerre d’Algérie qui changea radicalement l’État français. Il fallut attendre 1999 pour que l’Assemblée nationale vote la reconnaissance de cette « guerre ».
En se concentrant sur les soubresauts au sein de l’armée française durant la guerre d’Algérie, sur les désobéissances, désertions, révoltes qui agitèrent la « Grande Muette », jusqu’à une tentative de coup d’État contre le général de Gaulle, Marius Loris Rodionoff nous donne à comprendre aussi l’évolution de la France depuis les années 1960 jusqu’aujourd’hui. Son livre Désobéir en guerre d’Algérie. La crise de l’autorité dans l’armée française est issu d’une thèse soutenue en 2013, grâce à une ouverture partielle des archives de la justice militaire, à la faveur de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Jospin. Ouverture temporaire : conservées dans une caserne de la ville de Le Blanc, une sous-préfecture de l’Indre, siège en outre d’un célèbre lycée militaire, elles sont redevenues inaccessibles pour des raisons politico-sanitaires : le bâtiment serait gangréné par l’amiante…
L’originalité de l’approche de l’auteur réside dans la mise en regard de réfractaires qui s’insurgèrent pour des choix radicalement opposés : d’un côté ceux — le plus souvent des appelés — qui refusaient de servir cette guerre, avatar de plus d’un siècle de colonisation, et une hiérarchie qui n’hésitait pas à recourir à la torture et aux assassinats. De l’autre, de petits chefs et des officiers supérieurs qui voulaient la mener jusqu’au bout, et par toutes les méthodes, décidés qu’ils étaient à garder la mainmise de la France sur l’Algérie. Dans les deux camps se trouvaient des soldats passés par la résistance, une constatation perturbante parmi d’autres.
Cette autre guerre, au sein de l’armée française, portait aussi en germe l’abandon du service militaire et l’avènement d’une armée exclusivement de métier, a priori obéissante sans réserve. Pas sûr que les citoyen·nes y aient gagné en pratique démocratique.
****
Sylvie Braibant. — Vous dédiez votre livre à vos grands-parents, Andrée Tissot-Rodionoff qui vous a donné « le goût de l’histoire » et Nicolas Rodionoff « qui réussit à ne pas partir en Algérie ». Est-ce cela qui vous a mené vers l’étude de la guerre d’Algérie ?
Marius Loris Rodionoff. — En 1960, mon grand-père terminait ses études et il ne voulait pas partir en Algérie. C’était la fin de la guerre, mais en 1961-1962, et jusqu’en 1964, on continuait à y envoyer des appelés, et lui ne voulait vraiment pas y aller. Alors, il a organisé, avec d’autres, des grèves de la faim, plus précisément des grèves de réfectoire, ces grèves qui avaient lieu aussi bien en Algérie qu’en France. Il a fait ce qu’il a pu, il n’a pas été déserteur, il n’a pas été insoumis, mais il a été sanctionné. Il a quand même réussi à ne pas partir, à rester dans sa caserne en France, grâce à un acte de désobéissance.
Mon intérêt pour l’Algérie passe par le lycée Buffon, dans le XVe arrondissement de Paris, grâce à Claude Basuyau, un professeur d’histoire, à la retraite aujourd’hui, qui recueillait, avec ses élèves la parole de témoins, d’abord de déportés revenus d’Auschwitz, puis quand moi je l’ai eu pour professeur, de 2002 à 2004, il faisait la même chose avec les appelés du contingent en Algérie. Et donc j’ai découvert la guerre d’Algérie par cette recherche orale, et aussi par des archives que nous avions consultées. Quand en 2011 je suis arrivé en master, à l’université, mon parcours a croisé celui d’une Franco-Algérienne, écrivaine, donc mon intérêt pour l’Algérie passe aussi par l’intime. Il y avait aussi une question générale, politique, qui m’intéressait : cette mémoire cachée d’un événement fondamental.
B. — Vous évoquez donc la « mémoire cachée » de la guerre d’Algérie. Vous citez nombre de sources militaires dans votre ouvrage ; l’accès aux archives sur cette période a donc été possible ?
M. L. R. — Au début des années 2000, avec Lionel Jospin, il y a eu une première ouverture. Elle a permis à des historiennes comme Raphaëlle Branche ou Sylvie Thénault de mener leurs travaux universitaires sur cette période, grâce à des demandes de dérogation. Cette période a duré, mais il restait des pans d’archives totalement inaccessibles, notamment du côté des archives de la justice militaire. Moi, je suis arrivé au bon moment. J’ai commencé ma thèse en 2013, nous étions alors en période d’alternance politique, et les socialistes revenaient au pouvoir. S’ouvrait la possibilité d’accéder aux archives de la justice militaire en Algérie, conservées dans une caserne à Le Blanc dans l’Indre.
Bien sûr, il faut toujours s’y prendre longtemps à l’avance, passer les obstacles des demandes, des autorisations, mais elles sont progressivement ouvertes, ce qui me permet de terminer ma thèse. Depuis, ces archives se sont refermées, avec le changement de gouvernance et la mise en œuvre en 2019 d’une interprétation beaucoup plus restrictive de l’instruction générale interministérielle (IGI) 1300 sur la protection du secret de la défense nationale), et la fermeture du bâtiment en raison de la présence d’amiante. Et en plus aujourd’hui, les archives de la défense sont en plein déménagement… Ça va devenir très compliqué de faire de la recherche en histoire militaire et sur les guerres de décolonisation.
B. — Est-il nécessaire de revoir, de transformer l’historiographie de la guerre d’Algérie ? L’histoire de l’armée durant cette période est-elle l’un des moyens d’y parvenir ?
L. R. — Il y avait eu la thèse sur La justice dans la guerre d’Algérie de Sylvie Thénault (1999), qui allait dans ce sens, puis celle de l’historienne Raphaëlle Branche, L’armée et la torture pendant la guerre d’Algérie : les soldats, leurs chefs et les violences illégales (2001), celle de Tramor Quemeneur : Une guerre sans « non » ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie : 1954-1962 (2007). À leur suite est arrivée une génération d’historiens — dont moi — intéressés à travailler sur d’autres champs, tels « la doctrine de la guerre révolutionnaire » mise en œuvre durant la guerre d’Algérie avec Denis Leroux, le rôle du « cinquième bureau », les camps de regroupement avec Fabien Sacriste, ce qui était assez nouveau.
Mais dans le même temps — celui où j’arrive —, la guerre d’Algérie est passée de mode dans le champ universitaire, au profit de la colonisation en général. J’ai soutenu en 2018 ma thèse Crises et reconfigurations de la relation d’autorité dans l’armée française au défi de la guerre d’Algérie (1954-1966), dirigée par Raphaëlle Branche, mais je n’ai toujours pas de poste universitaire en France, ce qui montre le désintérêt pour la question.
Ce qui m’a intéressé, c’est de faire une histoire sociale de la justice militaire, de comprendre de manière beaucoup plus globale ce que sont les relations d’autorité, de négociation et de résistance dans l’armée, et je me suis aussi inspiré, au-delà de la guerre d’Algérie, des recherches de ceux qui ont travaillé sur l’histoire sociale de l’armée en général et des historiens et des sociologues de l’autorité, tel Yves Cohen.
B. — Vous faites le parallèle entre ceux qui ont désobéi parce qu’ils étaient contre la guerre d’Algérie, et ceux qui se sont insurgés parce qu’ils étaient pour plus de guerre contre les combattants algériens…
L. R. — Je les distingue clairement dans le livre. Mais ce que je voulais montrer c’est la crise de l’autorité dans l’armée. Et cette crise prend des chemins différents, à l’image de la société française. Il y a ceux qui pensent que la guerre est un droit et qu’il faut aller plus loin, et ceux, à gauche, qui luttent contre cette guerre. Ces résistances ne vont pas dans le même sens, mais elles ébranlent, les unes et les autres, l’institution. C’est une réalité majeure de la guerre qui fait que cette institution, qui n’est pas un monolithe, sort très affaiblie de la guerre d’Algérie. C’est aussi une réalité, plus généralement, des mouvements sociaux : par exemple, dans celui des « Gilets jaunes », on trouvait aussi bien l’extrême gauche que l’extrême droite.
Il ne s’agit pas de mettre en équivalence — et je ne le fais pas — les actions de l’Organisation armée secrète (OAS) et celles des réfractaires. Dans cette histoire des résistances militaires durant la guerre d’Algérie, il n’y a pas que ceux du contingent, il y a aussi ceux de « l’active », etc. L’armée est le reflet de la société française, de la France coloniale, et des forces très différentes s’opposent.
B. — Ces multiples désobéissances, petites ou grandes, sont-elles la manifestation d’une demande de plus de liberté ou de plus d’obéissance ?
L. R. — C’est l’une des questions sous-jacentes au livre. Dans le chapitre consacré aux formes discrètes de désobéissance, la question qui se pose est : est-ce un vrai refus d’obéissance ou bien au contraire une manière de mieux accepter ? Une question qui reste irrésolue, mais qui semble indiquer quand même un rejet général de la discipline, même si le rejet ne va pas jusqu’à la remise en cause de la guerre parce que c’est trop risqué. Aller jusqu’à la désertion, au risque de l’emprisonnement, très peu de personnes peuvent le faire.
Mais certaines formes de désobéissance témoignent aussi d’un souhait d’être mieux ou plus commandé, c’est le paradoxe soulevé par Michel Foucault à travers plusieurs crises de désobéissance. La révolte contre un chef, c’est au cas par cas. Elle naît d’un ras-le-bol de la discipline, et aussi de la peur de se faire tuer à cause de ce chef.
B. — Pourquoi les combattants indépendantistes algériens et les harkis sont-ils si peu présents dans le livre ?
L. R. — Les tirailleurs ou les appelés algériens sont présents. J’évoque plus rapidement les « supplétifs » (les harkis), parce que d’autres travaux leur ont été consacrés, et que ce sont d’autres ressorts qui sont à l’œuvre : ils sont, par exemple, mieux payés que les soldats normaux, les appelés du contingent. Il me semble qu’ils ne sont pas soumis à la même relation contractuelle d’obéissance avec l’armée.
B. — À travers l’approche des soubresauts au sein de l’armée durant la guerre d’Algérie, vouliez-vous aussi montrer ses conséquences sur la société et la République françaises, jusqu’à aujourd’hui ?
L. R. — Ce qui est sûr, c’est qu’on vit les conséquences de la guerre d’Algérie, ne serait-ce que parce que l’avènement et les modalités de la VeRépublique en sont issus, tels les pouvoirs exceptionnels du président, renforcés par son élection au suffrage universel, un mode de scrutin directement lié à la guerre, puisque c’est la tentative d’assassinat de Charles de Gaulle par l’OAS en août 1962 qui le conduit à faire ce choix constitutionnel.
D’un autre côté la guerre d’Algérie a aussi provoqué une crise d’autorité générale. Les soldats qui rentraient en métropole ne supportaient plus aucun ordre, en particulier de la part des chefs, des patrons, dans les usines, les ateliers où beaucoup travaillaient. Ce n’est pas un hasard si les années 1960 sont un moment de révolte contre l’autorité, dont bien sûr celle de Mai 1968. Il y a eu aussi un grand recyclage des chefs de l’armée, dans les préfectures, dans les grandes entreprises françaises. Ainsi Marcel Bigeard, dont je parle souvent. Bigeard, c’est l’Indochine, c’est l’Algérie, et où le retrouve-t-on dans les années 1970 ? Secrétaire d’État à la défense nationale, un poste qui lui est offert en 1975 par le président Valéry Giscard d’Estaing, qui lui demande explicitement, entre autres, de lutter contre les comités de soldats1.
Et puis bien sûr, il y a la question de la mémoire de la guerre d’Algérie, en particulier pour les Algériens de France et pour leurs descendants, mais aussi pour les pieds-noirs et leurs enfants. On entre alors dans la question plus générale de la mémoire de la colonisation. Entre la France et l’Algérie, la guerre n’est pas terminée sur le plan mémoriel et elle ne le sera pas tant qu’un discours au plus haut niveau, tel celui, en juillet 1995, de Jacques Chirac sur la responsabilité de Vichy dans le génocide des juifs, ne viendra pas reconnaître cette guerre. En France, le champ politique est encore polarisé sur ce sujet, avec par exemple, un parti, le Front national (rebaptisé depuis Rassemblement national, RN,) directement issu de cette histoire. On voit aussi que la recherche sur cette guerre est encore minée en France.
B. — Votre livre raconte une histoire d’hommes, comme souvent quand il s’agit de l’armée. Et pourtant les femmes sont « entrées » officiellement dans l’armée en 1952.
L. R. — Dans les épisodes de la guerre d’Algérie que je rapporte, je ne rencontre effectivement pas de femmes. Il y a des femmes dans l’armée qui occupent divers postes, mais sur les questions d’autorité, comme elles ne sont pas dans les troupes combattantes, je ne les vois pas. Les femmes que je « rencontre » sont des Algériennes, victimes de viols dont les auteurs sont très rarement poursuivis devant la justice militaire.
B. — Vous évoquez un « devoir de désobéissance » à tout ordre manifestement illégal. Un principe inscrit dans la loi en 1972, puis réaffirmé par une « instruction » parue au Bulletin officiel des armées en décembre 2005. Est-ce une réponse directe, par un vrai droit, à la tentative de putsch des généraux en avril 1961 à Alger ?
L. R. — Il y a une querelle byzantine sur la formulation. Le fait est que finalement, pour éviter un nouveau putsch, dans le discours militaire, de Gaulle, ses ministres et chefs d’état-major ont opté pour une formulation alambiquée : il faut désobéir si on est face à des ordres illégaux, mais si l’ordre n’est pas jugé illégal, alors il ne faut pas désobéir. Et le fait que ce soit juste un texte réglementaire, et pas un devoir inscrit dans la Constitution, en atténue considérablement la portée. Par ailleurs, lorsque l’armée n’était pas seulement de métier, lorsqu’il y avait encore un contingent d’appelés, la désobéissance était encore envisageable. Avec la fin du service militaire, la possibilité d’un contre-pouvoir à l’armée de métier disparaît.
Illustration : Paris, 30 septembre 1955. Des appelés français se sont rassemblés dans l’église Saint-Séverin pour protester contre leur départ vers l’Algérie (Intercontinentale/AFP).
En relatant la vie de plusieurs réfractaires inconnus à travers les traces laissées dans les archives des tribunaux, Marius Loris décrit les différentes formes de la désobéissance – de la contestation discrète à la résistance plus directe – parmi les soldats de l’armée française en Algérie. Si l’on connaît l’épisode du putsch d’avril 1961 ou le mouvement des rappelés en métropole contre le service militaire en 1955-1956, les résistances quotidiennes et les déviances de guerre restent largement inconnues et sous-estimées. Des épisodes d’importance mais ignorés, comme les nombreuses mutineries ayant eu lieu après les Accords d’Évian (mars 1962) jusqu’au départ définitif du contingent en 1964, ont pourtant émaillé le conflit. Comment et pourquoi des appelés ont refusé les ordres ? C’est toute la question de la discipline dans une armée en guerre que pose ce livre à un moment où le commandement ne va plus de soi. Après la Seconde Guerre mondiale, le sentiment de l’honneur perdu couplé à celui de la perte de prestige de l’uniforme forme en effet un terrain explosif pour des officiers français qui se sentent méprisés et déclassés. Parallèlement, la guerre d’Algérie est aussi un moment de politisation intense du contingent, à l’image des mutations à l’œuvre dans la société française des années 1950-1960. L’heure est au refus de l’autorité et à l’antimilitarisme. La multiplication des petits actes de résistance dans le contingent en témoigne. À la sortie de la guerre, le pacte qui lie l’armée aux citoyens doit être repensé.
Docteur de l’Université Paris 1 Sorbonne, Marius Loris Rodionoff a mené des recherches sur la guerre contre-révolutionnaire durant la guerre d’Algérie. Il est par ailleurs poète et performeur.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 28 Août 2023 à 10:35
Il y a cinquante ans, le meurtre d’un chauffeur de bus dans la cité phocéenne par un Algérien atteint de troubles mentaux engendre une grande vague de violences xénophobes. En représailles, 16 Maghrébins sont tués dans les jours qui suivent.
Plus d’une dizaine de personnes assassinées en quelques jours parce que maghrébines et, pourtant, cette page de l’histoire de France a été oubliée. Le 25 août 1973, un fait divers va libérer une haine raciste d’une violence inouïe sur Marseille et le reste de l’Hexagone.
Ce jour-là, le chauffeur de bus Émile Guerlache est tué par un passager à coups de couteau. Légitimement, le meurtre du traminot suscite, dans les journaux, une émotion générale. Les gros titres s’attardent sur le profil du passager. Il s’appelle Salah Bougrine, est atteint de troubles mentaux depuis une agression xénophobe subie en 1968, mais, surtout, comme le souligne Paris Match, le lendemain : « Le tueur est un Algérien. »
Dès le 27 août, la Marseillaise et l’Humanité sont les seuls à s’inquiéter des conséquences de ce drame. Dans le quotidien national, Claude Lecomte témoigne déjà de l’atmosphère nauséabonde qui règne à Marseille : «Les nostalgiques de l’Algérie française, les aigris du colonialisme d’antan se réveillent, trempent leur plume dans le venin raciste, appellent quasi ouvertement au pogrom.»
Un appel au lynchage signé Gabriel Domenech, qui en 1986
sera élu député du Front national
Un éditorial du quotidien local Le Méridionial est distribué massivement par le comité de défense des Marseillais, qui se constitue pour l’occasion. Un appel au lynchage signé Gabriel Domenech, qui en 1986 sera élu député du Front national.
Celui-ci écrit : «Bien sûr, on nous dira que l’assassin est fou, car il faut bien une explication, n’est-ce pas, pour satisfaire ceux qui refusent d’admettre que le racisme est arabe avant d’être européen. (…) Nous en avons assez. Assez des violeurs algériens, assez des proxénètes algériens, assez des fous algériens, assez des tueurs algériens.»
«Dans cette période post-guerre d’Algérie, de 1970 à 1982, le racisme anti-Arabes n’a jamais été aussi fort»,plante Yvan Gastaut, de l’université Côte-d’Azur. La mort du traminot va alors provoquer une colère haineuse «auprès de centaines, de milliers de personnes qui ne sont pas des militants d’extrême droite, et que le FN dans les années suivantes va commencer à convertir en électeurs», raconte l’historien.
Le parti de Jean-Marie Le Pen a été fondé un an plus tôt et va tenter de surfer sur le meurtre d’Émile Guerlache en coorganisant une manifestation «contre l’immigration sauvage».Des centaines de badauds mais aussi de militants d’extrême droite et d’anciens de l’OAS, très présents politiquement à Marseille, y exhibent leurs armes au cri de : «Les bicots dehors! »
Une prise de conscience: entre 10000
et 25000 ouvriers débrayent dans la région marseillaise
Dans un tel climat, la vengeance raciste ne tarde pas. Dès le 26 août, le corps criblé de balles de Saïd Aounallah est découvert près d’un dépôt de la compagnie de bus marseillais d’Émile Guerlache. Le même jour, Abdel-Wahab Hemahoum est tué à coups de planche sur le Vieux-Port. Les trois jours suivants, au moins quatre autres hommes arabes sont abattus à Marseille.
D’après les recherches de la sociologue Rachida Brahim, 16 Nord-Africains sont exécutés dans la région marseillaise entre le 25 août et décembre 1973. Cette vague de crimes racistes ne se cantonne pas à Marseille. Ailleurs en France, plus de 10 immigrés sont tués, d’autres sont victimes de lynchage, d’agressions comme à Toulouse où une cinquantaine de militaires d’une compagnie de parachutistes organisent une ratonnade, la nuit du 27 au 28 août.
À Marseille, un homme va devenir le symbole de tous ceux qui ont perdu leur vie dans cette période. Ladj Lounès, 16 ans, interpellé par un policier en civil le 29 août, alors qu’il sort de chez lui. Il est abattu de sang-froid.
Il faudra un an et demi pour que le brigadier François Canto soit interpellé, quelques semaines avant de mourir, malade, en détention. «Le brigadier Canto aurait sans doute été un des seuls auteurs de ces meurtres racistes de 1973 àêtre condamné,pense Yvan Gastaut. Car la grande majorité de ces crimes est restée impunie. La police a fermé les yeux sur les auteurs, et les rares inculpés ont eu du sursis ou obtenu un non-lieu. Et aucun juge d’aucune affaire n’a reconnu le caractère raciste de ces meurtres.» Une injustice qui n’a jamais été réparée, ni reconnue officiellement.
La mort de Ladj Lounès, présenté dans plusieurs journaux comme un voleur de motocyclettes, provoque une émotion immense dans la population immigrée, qui vit dans la terreur. Une marche blanche, lors de ses obsèques le 1er décembre, réunit 2 000 personnes brandissant dans le silence le portrait de l’adolescent. Elles ne veulent pas en rester là.
Le 3 décembre, le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) appelle à une grande «grève générale contre le racisme». Dans la région marseillaise, entre 10 000 et 25 000 ouvriers débrayent. Cette journée du 3 septembre constitue une des premières grandes organisations autonomes d’immigrés en France.
Pour eux, l’été 1973 a commencé par l’application d’un décret établissant la reconduite à la frontière de toute personne n’ayant pas de contrat de travail ou d’adresse, et se termine dans un bain de sang. «Ces crimes vont accélérer une prise de conscience pour ces travailleurs qui étaient très stigmatisés, socialement cantonnés à ce rôle de travailleur»,relate l’historien Yvan Gastaut.
«Le 3septembre, ils demandent la justice et la fin des violences racistes. Mais ils vont très vite dénoncer aussi les inégalités qu’ils subissent par rapport aux autres travailleurs, celles d’une sous-classe ouvrière qui vit dans des bidonvilles avec de maigres salaires», explique Samia Chabani, directrice de l’association marseillaise Ancrages.
Les animateurs du MTA, à l’initiative du mouvement de 1973, seront d’ailleurs les mêmes qui, entre 1975 et 1980, organisent la grève des loyers dans les foyers Sonacotra qui hébergent des migrants à des prix élevés. «Ce mouvement des travailleurs arabes, autonome, était relativement puissant mais a été oublié, explique l’historienne Naïma Yahi. Contrairement à ce qu’on a appelé la “ marche des Beurs”, en 1984, l’histoire n’a pas du tout retenu celle de 1973 car il n’y a pas eu de communion avec la population française, pas de fraternisation.»
Georges Pompidou est longtemps resté muet
Emmanuel Macron n’a pas prévu de commémoration
À l’automne 1973, les agressions racistes, quotidiennes, se poursuivent à Marseille. Les représailles à la mort d’Émile Guerlache s’étendent au moins jusqu’au 13 décembre. Ce jour-là, une bombe explose dans le hall du consulat d’Algérie. Quatre personnes sont tuées et 28 blessées.
Le groupe d’extrême droite nommé Club Charles-Martel revendique très vite cet attentat, mais ses auteurs ne seront jamais retrouvés. Pour plusieurs historiens, cette attaque marque la fin de cette période de crimes racistes commencée après le 25 août.
Mais «ces événements de Marseille ne sont pas une simple parenthèse», alerte Naïma Yahi. «Août 1973 est l’épicentre d’une décennie qui voit la haine raciste se déchaîner et va questionner la place de l’immigration dans la société française, ajoute l’historienne. La France a connu 200 arabicides entre 1970 et 1990. Ces drames s’inscrivent dans un continuum colonial qui aujourd’hui n’a toujours pas été purgé car, de la police jusqu’au sommet de l’État en passant par la justice, le caractère raciste et systémique de ces crimes a rarement été reconnu.»
À propos de ceux de Marseille, le président de la République Georges Pompidou est longtemps resté muet. Il a fallu que son homologue algérien Houari Boumédiène l’interpelle sur le sujet pour qu’il prenne officiellement la parole. En déplorant les drames, tout en assurant : «Il y a bien peu d’actes qui peuvent être suspectés, même indirectement, de réactions racistes.» Cinquante ans plus tard, son successeur à l’Élysée n’a prévu aucune commémoration pour les victimes de cette fin d’été meurtrier de 1973.
MON PÈRE ET LA FRANCE… LE RETOUR D’UN FILS DE HARKI
Par Sophie Serhani est journaliste à « Sud Ouest ». Elle a accompagné son père, Messaoud, sur les traces de son enfance en Algérie, jusqu’au village où fut tué son propre père, combattant harki.
C’est ici, à Constantine, en Algérie, de l’autre côté de la Méditerranée, que mon père, Messaoud Serhani, a embarqué pour la France il y a soixante ans. Nous sommes partis ensemble sur les traces de son passé.
Son village d’enfance a été difficile à retrouver. Les noms des villes ont été arabisés à l’Indépendance. Edgar-Quinet est ainsi devenu Kaïs. Le village se situe à une centaine de kilomètres de Batna, que l’on rejoint par une route cabossée à travers les montagnes rondes et arides des Aurès.
PAR SOPHIE SERHANI
Le pont de Constantine par lequel Messaoud Serhani est arrivé des Aurès pour rejoindre le port d’Annaba en 1962.
« Viens, c’est par là », dit-il, la voix tremblante. Mon père marche toujours en regardant droit devant. Il se retourne. Son visage rond, habituellement serein, est mâché par le doute. Comme si la reconnaissance des lieux exigeait le rappel immédiat de souvenirs longtemps enfouis. « À l’époque, c’était un hameau de 1 000 villageois avec des champs… » Aujourd’hui, ce sont 41 000 habitants, comptabilisés lors du dernier recensement, et des immeubles en construction, jamais terminés.
MORT DANS UNE EMBUSCADE
C’est ici que tout a basculé. Le 27 novembre 1961, l’armée française a tapé à la porte de la maison familiale. « Les soldats m’ont dit : ‘‘Il est mort dans une embuscade, tué par une balle perdue.’‘ » Slimane Serhani, né à Yabous, avait 33 ans. Les soldats ont présenté à la famille le corps, allongé sur un brancard, recouvert d’un drap. Seul le visage ensanglanté dépassait : « Je l’ai vu une dernière fois. Une balle dans la tête. » Harki « depuis toujours », il est décédé en service à Menaa, dans la région de Batna.
Son fils, Messaoud, avait 9 ans. Aujourd’hui encore, son père lui revient en rêve, assassiné : le regard fier et ce sourire innocent pris dans une mâchoire carrée. Il tient sa mitraillette, il approche, on lui tire dessus, il tombe.
Ce cauchemar fait écho aux nuits de terreur qu’il a connues plus jeune, quand les Fellaga arrivaient dans le village, hurlant, tirant des coups de feu. « Mon père s’accroupissait devant la porte. Il tenait une mitraillette contre sa poitrine. Il était prêt à nous défendre. Heureusement, les chars français faisaient fuir le FLN. »
ANCIEN FIEF DU FLN
Bien sûr qu’on avait peur. Dans toutes les guerres, ce sont les pauvres qu’on envoie se faire tuer !
Messaoud Serhani
À Edgar-Quinet, Slimane Serhani n’était pas le seul combattant harki. Comme beaucoup d’autres, ce jeune agriculteur avait rejoint les rangs, car « le salaire faisait vivre une famille ».
L’armée française avait établi un camp dans son village des Aurès, montagnes qui étaient un fief du FLN. « Bien sûr qu’on avait peur. Dans toutes les guerres, ce sont les pauvres qu’on envoie se faire tuer ! »
De l’Algérie, mon père n’a connu que les Aurès et la guerre. Et, une succession de séparations. Avec sa mère. Son père. Une rupture avec sa terre natale. Il évacue. « C’est la vie. » Longtemps tiraillé par le mythe du retour, aujourd’hui médecin à la retraite, Messaoud Serhani n’était jamais retourné dans son village d’enfance jusqu’à ce voyage. L’Algérie, l’Indépendance, le déracinement… « La guerre, on n’en parle pas. On a tout étouffé. Je ne t’ai rien dit, car c’est à toi de te faire ta propre philosophie. J’ai eu du mal, moi-même, à sortir de cette fournaise. » Il avait tourné la page. Avait-il oublié ?
La guerre, on n’en parle pas. On a tout étouffé. Je ne t’ai rien dit, car c’est à toi de te faire ta propre philosophie
Messaoud Serhani
Il ne garde qu’un « vague souvenir » de Menina Fatma Bent Mohamed, sa mère, « brune aux cheveux longs ». Il n’avait que 3 ans lorsqu’elle est décédée en allant chercher du blé. « Elle est tombée dans un silo. Elle est morte étouffée par les émanations d’acide hyaludrique. »
Messaoud adore les mots scientifiques. C’est sa manière de rappeler qu’il est parti de loin. Il n’a même pas de livret de naissance. Ses parents l’ont déclaré, né le 31 décembre 1952, à M’Toussa. « C’est à peu près ça. Tout était déclaratif à cette époque. Et Messaoud, ça veut dire chanceux ! C’est vrai, je peux m’estimer heureux de mon parcours… »
QUELQUES CLICHÉS JAUNIS
Mort dans une embuscade
L’acte de décès de Slimane Serhani, mort dans une embuscade en novembre 1961, en Algérie, fait partie des quelques documents officiels que son fils, Messaoud, a gardé avec lui.
Il a été élevé par son père, un petit homme « trapu et costaud, qui portait toujours une casquette et une chemise militaires ». Le gamin, au sourcil ébouriffé d’un côté du visage parce qu’il avait été « léché par un sanglier », jouait dans les montagnes à perte de vue, l’hiver, sous la neige. « Chaque matin, avant l’école, j’avais une pièce pour un beignet. Et cette roue de vélo que je poussais avec un fil de fer. Je courais derrière. Quand je vois tout ce que vous avez, maintenant, et vous n’êtes jamais content ! »
Lui ne garde qu’une dizaine de documents officiels : « L’acte de décès du Harki Serhani Slimane » ; une « situation des membres de la famille du rapatrié » ; une « déclaration de nationalité en vue de la reconnaissance de la nationalité française ». Et deux courriers de la République française allouant des allocations suite au décès de l’ancien supplétif : 55 000 et 33 000 francs.
Mon père garde aussi avec lui un album photos. Des clichés jaunis de son enfance qu’il a emportés de son Algérie natale, à l’âge de 10 ans, quand il a été rapatrié en France en 1962.
Il était alors avec sa demi-sœur, du même père, Fatima Serhani. Son oncle, Lakdar Serhani, sa tante, Fettouma Nasroui et son cousin, Lakdar Serhani, faisaient partie du voyage. « À la fin de la guerre, après la mort de mon père, l’armée française nous a demandé si on voulait aller en France. On a dit oui. C’est là qu’on est monté dans un camion militaire, pour rejoindre le port d’Annaba, direction Marseille. On nous a accueillis sur le camp du Larzac. En partant d’Algérie, on savait ce qu’on quittait. On ne savait pas ce qu’on trouverait… »
ENFIN, LE RETOUR AUX SOURCES
Il dit de l’Algérie : « C’est compliqué », « c’est difficile », « ça fait longtemps ». Il livre des versions parfois différentes, toutes aussi floues : « Disons… Je suis Français. J’ai toujours été Français. Je suis du Nord. Du Nord de la France… » Mon père ne s’est jamais appesanti sur son histoire.
Parfois, qu
and j’étais enfant, je l’entendais parler arabe au téléphone. Des conversations entrecoupées de mots français où il prenait un accent : « télévision », « téléphone », « Internet ». Chez sa tante, qu’il appelait « grand mère », à Roubaix, dans le nord de la France, il faisait froid. Au-dessus des murs en brique, de la fumée s’échappait des cheminées. Derrière la porte d’entrée en ferraille, se cachait cette vieille dame berbère, Fettouma Nasroui, au visage ridé et tatoué : un trait vertical entouré de points sur le menton, un autre entre les sourcils.
Elle portait une longue robe colorée. Pour embrasser mon père, elle lui tenait affectueusement le visage entre ses mains orange ; les cheveux rougis par le henné, quelques mèches dépassaient de son turban orné de grelots dorés. Il y avait aussi ceux qui ont rejoint le continent avec lui en 1962 : sa demi-sœur, Fatima, et Lakdar, qui était parfois son « frère », parfois son « cousin ». De toute façon, « c’est pareil. C’est la même famille ».
Quand on leur rendait visite, dans mon enfance, mon père passait des heures à discuter. Il les aidait à remplir des papiers et mangeait quelques gâteaux sucrés. La vie normale reprenait. Nous retournions dans notre grande maison, il continuait à travailler au cabinet médical, jusqu’à tard le soir…
QUELS SOUVENIRS ?
En retournant dans son village d’enfance algérien, soixante ans après son départ, qu’allait-il y trouver ? Se souviendrait-il de son passé, de sa langue maternelle, de la guerre, de ce qu’il y a laissé ?
Ce matin de septembre, de retour en Algérie, à Kaïs, autrefois Edgar-Quinet, mon père interpelle en chaoui un vieil homme planté sur une chaise en plastique devant la porte d’entrée d’une épicerie où l’on vend de tout : des piles, des chips, de l’eau, des lunettes de soleil… Le vieil homme arbore un tatouage sur l’avant-bras. L’encre a bavé. Une phrase aux traits épais est gravée à vif : « Ma mère avant tous. »
Mon père ne semble rien avoir perdu de ce dialecte. Il lui explique que nous recherchons sa famille. Le vieux monsieur remonte dans sa boutique. Il ressort avec des tabourets et trois cafés.
Rapidement, ce n’est plus un, mais deux, trois, puis quatre hommes qui rejoignent le cercle. Finalement, Walid, un homme d’une soixantaine d’années au grand chapeau de paille, approche, curieux. « Je connais la famille Serhani. ». Un coup de fil. « Rendez-vous demain, ici, à 10 heures. Je vous emmènerai chez eux. » Mon père est impatient. « Je n’en reviens pas. Ils vont te présenter ma famille. » Notre famille.
LA FAMILLE SERHANI
Walid attend sur le bord de la route, devant l’épicerie. En sortant de Kaïs et en s’enfonçant dans les montagnes, un verger de pommiers s’étend sur des kilomètres. C’est ici. Un vieillard au visage émacié arrive d’un pas lent, turban blanc enroulé sur la tête. Avec une élégance tranquille et dans des vêtements poussiéreux, il referme la porte d’une petite baraque montée sur des parpaings et couverte de tôle.
Mohamed Tayeb Serhani ne parle qu’en « chaoui » traduit mon père. « Il dit qu’il est de la famille Serhani, mais il ne connaît pas mon père. On porte le même nom. Sans doute, parce qu’on vient du même village. Là où est né mon père, à Yabous. » Rapidement, Messaoud est invité à rejoindre le salon avec les hommes. Une femme voilée sort pour m’accueillir côté femmes.
Elles servent du Rfiss sur la table, ce gâteau de semoule à base de dattes. Puis du pain chaud, tout juste sorti d’un plateau en terre cuite. De la pastèque, du lait. Il y en a tant, trop, entassé sur cette petite table en plastique qui tient sur trois pieds fragiles. Le sens de la famille, par-delà la barrière de la langue.
Halima, 40 ans, est la seule à parler français. Ingénieure à Kaïs, elle fait la traduction de ce qui se dit au gré des rires et sourires de la petite dizaine de femmes réunies dans la cuisine. Des enfants de tous âges se cachent dans les jupons. Sont-ils de lointains cousins ? Elle ne connaît pas mon grand-père. N’en revient pas que l’on porte le même nom. Elle n’a pas vécu la guerre d’Algérie, mais raconte que sa grand-mère n’aurait quitté le pays pour rien au monde. « C’est pour ça que la famille est encore là. C’est le Mektoub (NDLR, le destin). »
On s’est quitté un peu comme ça : sans que mon père ait dit un mot sur ce qui s’était vraiment raconté entre hommes. On s’est quitté avec beaucoup de dattes. Des pommes. Et des silences.
« ON VA LE TROUVER »
C’était notre famille. Peut-être. Mohamed Tayeb Serhani « m’a juste dit où était enterré mon père. » Il s’appelait Slimane, il était un combattant harki, mort au combat en novembre 1961. Direction Yabous, un hameau en dehors de l’agitation de la ville. La terre jaune trouble l’air d’un nuage sablonneux permanent. Le cimetière musulman est désert ce jour-là.
Il y a une connexion entre les vivants et les morts. C’est sûr. Au moins, il saura que son fils est venu le voir…
Messaoud Serhani
Mon père descend de la voiture. Sa jambe tremble. Ses yeux brillent. « On va le trouver. » Il remonte l’allée principale, les bras ballants, comme s’il ne savait pas où chercher. « Je ne me souviens pas de l’enterrement. » Les yeux baissés et l’allure prudente, il serre les poings et suit les cailloux alignés délimitant le corps des défunts enterrés en pleine terre. Des inscriptions en arabe sont gravées sur les plaques funéraires : quelques versets du coran et des dates. Mais pas de nom. Impossible de retrouver la tombe de Slimane.
« Il y a une connexion entre les vivants et les morts. C’est sûr. Au moins, il saura que son fils est venu le voir… » Messaoud Serhani tient à sa culture, la terre de son enfance, à ses origines. Il tient à ce père « toujours aimant ». Mais, répète-t-il, « mon pays, c’est la France. » À 70 ans, ce jour-là, il faut l’imaginer : heureux.
LA FRANCE, SA VRAIE PATRIE
Soixante ans après son départ d’Algérie, Messaoud Serhani est donc revenu sur sa terre natale, dont il n’a rien perdu de la culture ni de la langue. Il a vécu plus longtemps en France que là-bas, mais il a toujours été tiraillé entre les deux.
Dans son quartier, à Roubaix, « il y avait un Tunisien, une Polonaise, des Espagnols, et des Italiens qu’on appelait les ritals. Et moi, j’étais le petit bougnoule. Il y a eu quelques bagarres dans la cour d’école… » Messaoud Serhani a commencé l’école à Roubaix, vers 13 ans, trois ans après avoir été rapatrié d’Algérie en 1962. « Il fallait passer un concours pour être accepté en quatrième d’accueil, et j’ai été pris ! Après, j’ai continué en troisième d’accueil. C’était des classes qui accueillaient les jeunes, comme moi. » Comme lui, orphelin de Harki. Il n’a jamais eu honte de l’engagement de son père parmi les supplétifs de l’armée française. Bien au contraire.
Il était fier comme un premier de la classe, recueilli par son oncle et sa tante, avec son cousin et sa demi-sœur, à la maison. Le petit bonhomme aux cheveux bruns et lisses, coiffés avec une raie sur le côté, était le seul à savoir lire et écrire. Le seul à avoir eu le baccalauréat. Un « sésame. Ça permettait d’être libre. »
LE MYTHE DU RETOUR
J’étais persuadé qu’en devenant médecin, j’allais préserver et honorer l’héritage de mon père
Messaoud Serhani
Mais il grandissait avec le mythe du retour, tiraillé entre la soif de s’affranchir et la tradition berbère dans laquelle il baignait. « Psychologiquement, c’était compliqué. Dans ma famille, je vivais comme en Algérie. Bien sûr, j’étais aimé, et ça allait. Mais ici, en France, tout était différent. J’étudiais, j’apprenais des choses. Je voulais vivre comme tout le monde, m’intégrer. »
Un jour, un ami de la famille, Benbia, leur a rendu visite à Roubaix. « Il m’a demandé ce que je voulais faire après le bac. J’ai dit médecine. J’étais persuadé qu’en devenant médecin, je ne modifierais pas mon caractère : je savais que je n’allais pas devenir un bourgeois. Que j’allais préserver et honorer l’héritage de mon père. Je voulais faire des études. C’est en se cultivant qu’on grandit. Ça me permettait de fuir les images de la guerre. Docteur, c’est bien. C’est pacifique. »
On avait fui, parce qu’on y avait été contraints. Mais c’était comme s’ils étaient toujours restés là-bas
Messaoud Serhani
Boursier à la fac de Lille, il a réussi la première année de médecine du premier coup. Dans son costume, pour « être présentable », Messaoud Serhani étudiait, matin, midi et soir, huit années jusqu’au diplôme. Sans répit. En quatrième année, il alternait avec un boulot d’infirmier la nuit. « J’étais fatigué. »
Lorsqu’il rentrait chez lui, c’était l’Algérie qu’il retrouvait. « On n’avait pas les codes sociaux français. Ma tante était toujours habillée en vêtements traditionnels. On avait fui, parce qu’on y avait été contraints. Mais c’était comme s’ils étaient toujours restés là-bas. »
DEUX CULTURES
Pris en étau entre deux cultures, Messaoud gardait un pied dans l’Algérie figée des années 1960 à la maison, et voulait croire à un destin français réussi. Dans son esprit, tout s’emmêlait. Les réminiscences de la guerre apparaissaient, troublaient le sommeil et l’humeur. Les mêmes questions lui revenaient en tête sans pouvoir y échapper. Allait-il rentrer dans le pays où il était né ? Ne reniait-il pas ses origines en vivant en France ? « Je ne savais pas si j’allais finir mes études en Algérie, si j’allais rester en France. Est-ce que je pourrais seulement revenir là-bas, et pour qui, et pour quoi ? J’étais orphelin après tout. Alors pourquoi je me demandais tout ça ? »
Des Arabes, je n’en avais pas rencontré avant la fac. Mais chez moi, ton père a été accepté.
Josiane Serhani
La famille sentait son désarroi. Les questionnements commençaient à se faire de plus en plus oppressants. Messaoud prenait ses distances. Mais il n’était toujours pas libre de ses choix. « Ils m’ont dit, c’est le mariage qui te manque ! » Une Française aux parents algériens était toute trouvée. Ils ne se connaissaient pas. Ils ont pris un café ensemble et se sont mariés. Deux enfants sont nés. « Après, s’est posée la question du troisième, du quatrième : j’ai dit non ! Et j’ai compris que c’était fini. Je suis pour la femme libre et indépendante. Ce n’est pas normal qu’une femme ne réussisse pas autant qu’un homme et vive à son crochet. J’ai divorcé et j’ai rencontré ta mère. J’étais fier que ce soit une femme intelligente qui ait réussi. Mais c’était une Française, et à l’époque, les couples mixtes, ce n’était pas accepté comme aujourd’hui. »
Sans doute avait-il l’impression qu’en aimant ma mère, Josiane Volpato, il tournait le dos à son passé. « Quand tu es née, tout s’est apaisé. Ta mère a eu la sensation d’être reconnue. » Il allait rencontrer une belle famille, des Italiens immigrés dans le Lot-et-Garonne. « Des Arabes, je n’en avais pas rencontré avant la fac, s’amuse ma mère. Mais chez moi, ton père a été accepté. Il était médecin, ça aide. On n’est plus vraiment un Arabe quand on est médecin. »
UNE HISTOIRE UNIVERSELLE
Les années passaient, les questions restaient. La France, l’Algérie. Quel est ton pays ? Celui où tu es né où celui où tu vis ? « C’est important de savoir qui on est. Mais se remettre en question, c’est douloureux », marmonne-t-il, le regard fermé avant de s’affairer à autre chose pour évacuer.
Lors de la dernière élection présidentielle, lorsqu’il a entendu qu’on questionnait l’identité de la France, il s’est emporté : « Qu’est-ce que ça veut dire ? Moi, j’ai toujours été pour l’intégration. À partir du moment où tu t’intègres, que tu travailles, tu t’adaptes au pays et aux coutumes. C’est tout. »
La politique, il n’y croit plus beaucoup. Ni même en Dieu. Issu d’une famille musulmane, il s’est toujours dit athée. « Je ne crois plus. Sauf en la médecine, c’est-à-dire à la science, car là, on voit des résultats. Et c’est réel. Comme la musique, c’est universel. »
Médecin retraité à Langon, en Gironde, Messaoud Serhani a été victime d’un AVC en 2018. Son pronostic vital était engagé. Plongé dans le coma, il a entendu cette voix, au fond d’un couloir blanc : « Tu veux rester ou tu veux partir ? » Il a réappris à marcher, à parler et il a retrouvé la mémoire. « Papa, la voix dans le couloir blanc, tu lui as répondu quoi ? » Il m’a regardé, avec son regard doux et son sourire d’enfant : « Eh bien, ma fille, je lui ai dit que je voulais rester. »
Des manifestes laissés par le tireur, qui était âgé d’une vingtaine d’années et blanc, détaillent sa « répugnante idéologie de haine », selon le shérif local. Trois personnes sont mortes dans la fusillade.
Le tireur qui a ouvert le feu et tué trois personnes noires samedi 26 août dans un magasin de Jacksonville, en Floride, avant de se suicider, était motivé par la « haine » raciale, a annoncé le shérif local.
« Il a visé un certain groupe, et ce sont les Noirs », a affirmé lors d’une conférence de presse le shérif TK Waters, estimant que le motif racial était « très clair ». Des manifestes laissés par le tireur, qui était âgé d’une vingtaine d’années et blanc, détaillent sa « répugnante idéologie de haine », selon TK Waters. Des croix gammées ont été dessinées à la main sur au moins une de ses armes, a-t-il dit.
« Il a agi complètement seul »
Le tireur, équipé d’une veste tactique et armé d’un fusil d’assaut ainsi que d’un pistolet, a fait feu dans un magasin Dollar General, a précisé le shérif, expliquant que deux hommes et une femme avaient perdu la vie. « Nous savons qu’il a agi complètement seul », a assuré TK Waters.
Le FBI enquêtera sur les faits en tant que crime de haine, a affirmé l’agent Sherri Onks. La fusillade a eu lieu près de l’université Edward Waters, historiquement fréquentée par des étudiants noirs.
Un officier de sécurité du campus avait repéré un homme « non identifié » près de la bibliothèque universitaire, et lui avait « demandé de partir », a expliqué l’établissement dans un communiqué. Cet homme, qui s’est avéré ensuite être le tireur, avait quitté les lieux « sans incident ».
« Pourriture »
Le gouverneur de la Floride Ron DeSantis, en lice pour l’investiture républicaine en vue de la présidentielle de 2024, a parlé d’un crime « horrible » et qualifié l’auteur de « pourriture », tout en affirmant lui aussi que le tireur avait choisi ses victimes en se « basant sur la race ». « C’est totalement inacceptable », a-t-il ajouté. « Ce type s’est suicidé plutôt que (…) d’assumer la responsabilité de ses actes, et donc il a choisi la voie de la lâcheté », a encore lancé le gouverneur.
Les Etats-Unis comptent davantage d’armes individuelles que d’habitants, en raison notamment de la facilité avec laquelle les Américains y ont accès. Un adulte sur trois possède au moins une arme et près d’un adulte sur deux vit dans un foyer où se trouve une arme. La conséquence de cette prolifération est un taux très élevé de décès par arme à feu aux Etats-Unis, sans comparaison avec celui des autres pays développés.
Plusieurs autres fusillades ont eu lieu en fin de semaine dans le pays. Plus tôt samedi, au moins sept personnes ont été hospitalisées après des coups de feu lors d’un festival caribéen à Boston (nord-est), selon la police. La veille, deux femmes ont été blessées par balle à Chicago (nord) alors qu’elles assistaient à un match des White Sox, équipe de la Ligue majeure de baseball nord-américaine.
Et dans la nuit de vendredi, une dispute en marge d’un match de football américain lycéen dans l’Oklahoma (centre) a dégénéré, faisant une victime de 16 ans tuée par balle ainsi que quatre blessés, selon la police locale.
Le président américain Joe Biden a reçu un briefing sur les événements de Jacksonville et sur les autres fusillades qui ont eu lieu dans les 24 heures, a déclaré la Maison Blanche.
Les commentaires récents