Une centaine de tombes anonymes d’enfants ont probablement été découvertes à proximité d’un ancien pensionnat religieux pour autochtones, a annoncé mardi 29 août une communauté de l’ouest du Canada. Depuis un peu plus de deux ans, plus de 1 300 tombes d’enfants ont été retrouvées à proximité de ces institutions.
Une communauté autochtone de l’ouest du Canada a annoncé mardi 29 août avoir découvert ce qu’elle pense être près d’une centaine de tombes anonymes d’enfants à proximité d’un ancien pensionnat religieux pour autochtones.
« Ce que nous avons trouvé est déchirant et accablant : à ce jour, 93 possibles tombes anonymes ont été découvertes, 79 enfants et 14 nourrissons », a déclaré mardi Jenny Wolverine, cheffe de la communauté autochtone First nation English River, lors d’une conférence de presse. Et « ce n’est pas un chiffre définitif », a-t-elle renchéri, mettant en garde que ce nombre pourrait être plus élevé.
Depuis un peu plus de deux ans, plus de 1 300 tombes d’enfants ont été retrouvées à proximité de ces institutions où étaient enrôlés de force les enfants autochtones, provoquant une onde de choc dans le pays et une prise de conscience nationale du sombre passé colonial.
150 000 enfants enrôlés de force jusqu’au milieu des années 1990
Ces découvertes ont été effectuées au terme de recherches par géoradar à proximité du site du pensionnat autochtone Beauval Indian, dans la province du Saskatchewan. Selon l’Université de Régina, les bâtiments de l’école ont été détruits par d’anciens pensionnaires à sa fermeture en 1995.
Entre la fin du XIXe siècle et le milieu des années 1990, quelque 150 000 enfants autochtones ont été enrôlés de force dans 139 pensionnats à travers le pays, où ils ont été coupés de leur famille, de leur langue et de leur culture.
Cette page sombre de l’histoire canadienne a été remise en lumière après la découverte au printemps 2021 des premières tombes d’enfants. Gérées par l’Église catholique et le gouvernement canadien, ces institutions avaient pour objectif de « tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant », selon un documentaire consacré à ce sujet.
« Transformer les mots en action »
En juillet 2022, le pape François avait fait une visite historique au Canada pour présenter ses « excuses », après avoir demandé pardon quelques mois auparavant à une délégation autochtone qui s’était rendue au Vatican. Ottawa a pour sa part présenté des excuses officielles pour la première fois en 2008.
« Nous demandons que le Canada et la Saskatchewan reconnaissent leurs torts », a insisté Jenny Wolverine, ajoutant que les gouvernements devaient « reconnaître le génocide culturel et la déshumanisation des peuples autochtones ». Elle les a exhortés à « transformer les mots en action », déplorant avoir trop de fois entendu des excuses. En 2015, une commission d’enquête nationale avait qualifié ce système des pensionnats autochtones de « génocide culturel ».
Le 25 juillet 2022, le pape François demande pardon aux autochtones du Canada
Vendredi 25 août, les juges d’instruction décidaient de renvoyer Nicolas Sarkozy en correctionnel, dans l’affaire des financements libyens. Du jamais-vu dans l’histoire politique et judiciaire française, et assurément l’occasion pour les médias français d’en faire ses gros titres. En réalité, la nouvelle a engrande partie été occultée par la sortie de son livre, apparemment plus digne de l’intérêt journalistique.
DesDes interviews kilométriques sur TF1 ou Europe 1, des entretiens fleuves dans Le Parisien et Le Figaro, et un portrait-photo brossé au pinceau fin dans Paris Match. Depuis que Nicolas Sarkozy s’est lancé dans la promotion de son nouveau livre, Le Temps des combats, toute la presse, « bollorisée » ou pas, se l’arrache. Tous les sujets y passent : guerre en Ukraine, dialogue avec Poutine, immigration, révoltes des banlieues, police. La pensée de l’ancien président compte encore pour une bonne partie de la presse française, qui le fait savoir.
Un sujet en revanche fait rarement l’objet de plus d’une question, planquée généralement en fin d’interview, quand il n’est pas carrément occulté : les affaires judiciaires du sixième président de la Vᵉ République intéressent décidément peu ou pas les médias. Peu importe si Nicolas Sarkozy a voulu faire de la parution de son ouvrage « une campagne de défense contre ses soucis judiciaires », comme le rapporte le journal Le Point, avançant de plusieurs jours la date de publication pour coller au timing
Et pourtant, au rayon judiciaire, s’agissant de l’ancien chef d’État, il y aurait de quoi remplir des journaux entiers. Il a d’abord été condamné à un an de prison ferme pour financement illégal de campagne dans l’affaire Bygmalion. Il a fait appel (procès en novembre 2023). Il a aussi été condamné à trois ans de prison, dont un ferme, pour corruption et trafic d’influence en mai 2023 en appel dans l’affaire Bismuth. Il a formé un pourvoi en cassation et déjà promis de saisir la Cour européenne des droits de l’homme s’il était débouté.
Une affaire politico-judiciaire hors norme... pour quelques lignes dans les journaux
Le dernier épisode en date, et certainement pas le dernier, a mis un terme à dix années d’enquête judiciaire d’une affaire hors norme. Deux juges d’instruction ont estimé qu’il existait suffisamment de charges contre l’ancien chef de l’État pour qu’il soit jugé dans l’affaire des financements libyens. Un procès inédit s’ouvrira donc en 2025 et verra comparaître Nicolas Sarkozy et trois de ses anciens ministres devant un tribunal correctionnel.
Une affaire hors norme, où un ancien président de la République est soupçonné de s’être laissé corrompre par une dictature, celle de Mouammar Kadhafi. Du jamais-vu dans l’histoire politique et judiciaire française, et assurément l’occasion pour les médias français d’en faire ses gros titres. Et pourtant, la nouvelle n’a guère passionné : aucun grand journal national n’y a consacré sa « une ». La plupart se sont pour l’instant contentés de relayer dans un unique article l’information du renvoi devant le tribunal de l’ancien chef d’État. Idem pour les journaux télévisés. TF1 a évoqué le sujet quelques secondes au travers d’une brève. Le « 20 heures » de la 2, lui, n’en a pas dit un mot. Le vendredi 25 août, jour où l’information est tombée, consacrait de longues minutes à l’inculpation de l’ancien président américain Donald Trump.
Mais pourquoi les affaires d’atteinte à la probité de Nicolas Sarkozy occupent si peu de place dans les médias français, et a fortiori ceux qui l’interrogent pour la promotion de son livre ? Nous avons directement posé la question aux rédactions.
Le quotidien national consacrait la « une » de son magazine du 18 août à l’interview exclusive accordée par Nicolas Sarkozy. En plus des omissions nombreuses que nous nous étions permis de compléter dans cet article, le journal fait silence dans ses éditions du week-end du renvoi de l’ancien président en correctionnel. Les soupçons de « corruption passive », d’« association de malfaiteurs », et de « financement illicite de campagne électorale » n’apparaissent nulle part dans le journal. L’ex-chef d’État n’est pas pour autant absent des pages du Figaro. Loin de là.
Dans l’édition du samedi 26 août, le quotidien consacre une pleine page à ses interventions médiatiques de la semaine écoulée et aux réactions qu’elles ont suscitées, notamment sur le sort des territoires occupés par la Russie en Ukraine. Deux occasions manquées de rappeler un élément de contexte essentiel, susceptible d’éclairer les déclarations de Sarkozy sur la Russie de Poutine.
En effet, Nicolas Sarkozy vantait en novembre 2018 les mérites de Vladimir Poutine lors d’une soirée à Moscou organisée par le Russian Direct Investment Fund (RDIF), principal fonds souverain de l’État russe. Au même moment, l’ancien président a touché 300 000 euros d’une mystérieuse entité, portant le même nom qu’une des filiales de RDIF, comme l’a révélé Mediapart (à relire ici).
Dans « Le Figaro », un édito en lieu et place de l’info
D’abord, dans une tribune, Lionel Jospin répond aux prises de position de Nicolas Sarkozy sur la guerre en Ukraine, accusant notamment l’ancien chef d’État d’« adopter la thèse et servir les intérêts du pays agresseur d’un peuple dont nous nous déclarons l’ami ».
Sur la même page, on peut lire un éditorial du polémiste de CNews, Mathieu Bock-Côté, où est encensée la « présence » de l’ancien chef d’État, et aussi sa « capacité rare de faire croire à la politique ». Dans un paragraphe qui fait complètement l’impasse sur les faits, l’actualité judiciaire de Nicolas Sarkozy est retracée par une interminable périphrase qui évoque « un harcèlement judiciaire qui heurte le bon sens et n’enthousiasme qu’une gauche judiciaire qui n’a jamais pardonné à Nicolas Sarkozy d’avoir fait éclater [...] le tabou de l’identité nationale ».
Interrogés sur ces choix éditoriaux, les journalistes concernés ainsi que le directeur des rédactions, Alexis Brézet, n’ont pas répondu à nos questions.
Rappelons qu’en mai dernier, le directeur des rédactions du Figaro, Alexis Brézet, qualifiait la condamnation à trois ans de prison de l’ancien président dans l’affaire Bismuth de jugement « ahurissant, et j’ajouterais, franchement scandaleux ». Le directeur délégué de la rédaction du Figaro, Vincent Trémolet de Villers, reprenait également les éléments de défense du condamné. « Un ancien président de la République est donc condamné à trois ans de prison (dont deux avec sursis) pour avoir conversé au téléphone, sous une fausse identité, avec son avocat », tentait-il de résumer.
Autre entretien fleuve, celui accordé par Nicolas Sarkozy au Parisien et qui a fait la couverture de l’édition du dimanche 27 août. Une nouvelle fois, les interviewers, qui sont des lecteurs du journal, s’enquièrent de l’avis de l’ancien chef d’État sur une multitude de sujets : plusieurs questions portent sur la « crise d’autorité » que serait en train de traverser la France et l’insécurité qui régnerait dans le pays. Les journalistes font rapidement mention des démêlés judiciaires de Nicolas Sarkozy en tête de papier et l’interview y revient très succinctement au travers d’une question posée en fin d’article, sur un ensemble de 34 questions.
La veille, un papier factuel et relativement complet évoquait le renvoi de Sarkozy dans l’affaire des financements libyens, dans les pages police-justice du journal. La direction du quotidien se défend d’avoir « fait son travail de transmission de l’information auprès des lecteurs » et précise que lors de la rencontre entre Nicolas Sarkozy et les lecteurs du journal, « les journalistes de la rédaction sont là pour faire des relances et compléter les questions des lecteurs s’ils le jugent nécessaires ».
En 2021, un édito signé du directeur des rédactions de l’époque, Jean-Michel Salvator, et fustigeant « la sévérité » de la condamnation en première instance de l’ex-président dans l’affaire Bismuth, avait déclenché une vive réaction des journalistes, qui redoutaient une dérive éditoriale.
Une partie de la presse nationale a tout de même couvert cette actualité judiciaire. C’est le cas du Monde qui y a consacré un long article d’une page et de Libération, dont le site internet et la version papier ont produit des articles complets sur le sujet. Dov Alfon, directeur de la publication et de la rédaction du quotidien, est le seul patron de presse à s’être prêté au jeu du retour critique. Il évoque des choix éditoriaux guidés par la volonté de « donner l’information brute aux lecteurs dans un premier temps », même si elle ne figurait pas sur la couverture de l’édition papier du week-end, quitte à y revenir plusieurs jours après.
« Quand une nouvelle est donnée à tout le monde, ce qui compte pour nous, c’est de la relayer au plus vite, puis de trouver des angles différents, de continuer à la creuser pour trouver des informations propres à Libération. C’est de cette façon qu’on fait vivre cette actualité et qu’on la laisse en lumière plus longtemps. » Il l’assure, à Libération, « il n’y a pas de volonté de dire : “On en a trop entendu sur Sarkozy”. Le renvoi devant un tribunal d’un ancien président pour des soupçons de corruption est pour nous une information civique considérable. »
Paris Match, journal préféré du couple Sarkozy-Carla Bruni, consacre quant à lui huit pages de portrait-photo, où la journaliste, Catherine Nay, qui officie aussi sur Europe 1, raconte sa rencontre avec l’ancien président dans sa résidence de vacances au Cap Nègre. Elle en profite pour rappeler que dans le dernier sondage de popularité du magazine, « l’ex-président s’arroge une flatteuse cinquième place. Mais dans le baromètre du cœur de Carla, il reste le premier ». Rappelons que le magazine est la propriété du groupe Lagardère, dont Nicolas Sarkozy est membre du conseil d’administration.
En huit pages, la journaliste a semble-t-il manqué de caractères pour évoquer l’actualité judiciaire de Nicolas Sarkozy et ses condamnations passées. Étonnant quand on sait que l’hebdomadaire avait fait sa « une » au printemps 2020 sur la rétractation de Ziad Takieddine. Le revirement filmé de l’intermédiaire en fuite au Liban s’est plus tard avéré être une manipulation médiatique et judiciaire, destinée à peser sur le cours de l’affaire des financements libyens de Nicolas Sarkozy. Dans cette autre affaire judiciaire, qui vaut déjà à neuf personnes d’être mises en examen comme révélé par Mediapart, plusieurs personnes sont inquiétées, dont Mimi Marchand (mise en examen), femme d’affaires et papesse de la presse people, et l’ancien directeur de Paris Match, Hervé Gattegno (entendu sans mise en cause judiciaire).
Contactée par nos soins pour tenter de comprendre l’absence de ces informations, Catherine Nay a décroché, puis expliqué « avoir trop de travail, désolée », avant de nous raccrocher brutalement au nez. Le directeur délégué de la publication ne nous a pas davantage répondu.
BFMTV avait à l’automne 2020 aussi enchaîné les éditions spéciales au moment de la fausse rétraction de Ziad Takieddine. Ce week-end, l’information du renvoi de Nicolas Sarkozy devant un tribunal n’a pas connu le même sort dans les éditions de la chaîne d’information en continu. La direction de la chaîne n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Autre chaîne de télévision, pratiques différentes. Sur TF1, où l’ancien président de la République s’est entretenu 19 minutes avec le journaliste Gilles Bouleau, les liens troubles entre Sarkozy et la Russie de Poutine n’ont là encore pas été évoqués. Quelques jours plus tard, la présentatrice Anne-Claire Coudray évoque dans une brève d’une vingtaine de secondes le procès auquel devra faire face l’ancien président, aux côtés de trois de ses anciens ministres, dans l’affaire des financements libyens. Suit un long sujet sur l’inculpation de Donald Trump aux États-Unis.
La direction de la chaîne n’a pas répondu à nos sollicitations. Toutefois, une journaliste a bien accepté d’expliquer les choix éditoriaux de sa rédaction. « En télévision, c’est assez commun de donner une information sur la tenue d’un procès en plateau, sans traiter le fond de l’affaire, justifie-t-elle. On attrape tout en général au moment du procès, que l’on va surement couvrir, en récapitulant toute l’affaire. »
La tournée médiatique de Nicolas Sarkozy a connu sa dernière étape ce mardi sur Europe 1, au micro de Pascal Praud. Au cours de cet entretien fort complaisant, les démêlés judiciaires de l’ancien chef d’État sont évoqués très succinctement, à la toute fin, sans rappeler qu'il vient tout juste d'être renvoyé devant un tribunal. Contacté par Mediapart, Pascal Praud justifie ces omissions en évoquant « un entretien consacré uniquement au livre de Nicolas Sarkozy », même si dans cet ouvrage, l’ancien président s’en prend dans les grandes largeurs aux juges.
Après deux heures de discussion, le journaliste phare des médias sauce Vincent Bolloré, le milliardaire ami de Sarkozy, conclut l’interview, en s’adressant à l’ancien chef d’État : « Merci, on a vécu un moment formidable en vous écoutant ».
Il fut grand et mieux encore il fut un militant de la guerre de libération, proche même de quelques dirigeants historiques du FLN.
Un fou de l’Algérie
Triste 30 août qui marque la date du 50e anniversaire de l'assassinat du poète Jean Sénac, alias Yahia Al Wahrani. Poète au verbe magique et poète inspiré, ses deux émissions à la radio: Le poète dans la cité puis Poésie sur tous les fronts, avant qu'on ne mette fin à cette dernière en septembre 71, étaient particulièrement suivies par les jeunes. Cet espace de libre poésie leur permettait de respirer sous la poigne de fer de Boumediene. Quand on a 20 ans, on peut vivre d'amour et de poésie. Mais cela n'a qu'un temps. Et Sénac ne l'avait pas compris, lui qui approchait du virage de la cinquantaine en continuant à vivre comme un adolescent. Il l'était d'ailleurs comme le sont tous les poètes. Ceux qui économisent l'argent ne seront jamais poètes. L'odeur de l'argent coupe toute inspiration.
Il ne s'agit pas ici de revenir sur l'oeuvre de cet homme qui fut assurément l'un des plus grands poètes algériens de graphie française, expression qu'il employait pour parler de la langue française. Il fut grand et mieux encore, il fut un militant de la guerre de libération, proche même de quelques dirigeants historiques du FLN.
«Ma mort est optimiste»
Contrairement à beaucoup d'écrivains et d'intellectuels algériens - on les appelait alors indifféremment sous les vocables arabe, kabyle, musulman- qui s'adressaient à Camus révérencieusement, lui qui avait osé le traiter de lâche pour ne pas avoir pris position avec la révolution algérienne. Oui, monsieur, il avait traité le prix Nobel, celui qu'il considérait comme son père de substitution et son maître, de lâche. Qui pourrait en dire autant? Sénac l'a fait. Il était fou. Fou de l'Algérie. Il l'aimait plus que tout, plus même que sa propre mère qui mourut en France sans qu'il assiste à ses funérailles. En vérité, sa vraie mère était l'Algérie. D'ailleurs, il mourut d'avoir trop aimé cette Algérie que ses écrivains de souche autochtone -Dib, Kateb, Farès, Bourboune, Bencheikh pour ne citer que ceux-là- fuyaient à l'indépendance, alors que lui restait pour la chanter avec mille vers dont le moindre n'est pas «Tu es belle comme une coopérative agricole», tiré du magnifique poème Citoyens de beauté.
Pauvre, Sénac le fut à l'indépendance, comme il le fut pendant la colonisation. Il avait les poches trouées et le coeur encore plus. Il n'eut jamais la nationalité alors qu'il la méritait plus que quiconque, puisqu'il s'était battu pour son indépendance, puisqu'il était algérien de coeur, de tripes et d'engagement. Dans son livre Un homme debout, Mohamed Harbi lui rend hommage en des termes touchants. C'est grâce à Jean Sénac que la revue clandestine du FLN fut éditée en France.
Le 2 septembre 1973, deux jours après son assassinat, on découvrit, dans son sous-sol, son corps troué de 5 coups de couteau. Émoi dans le monde de la culture ici et en France. Version des autorités: crime crapuleux, qualificatif pudique pour qualifier un crime de moeurs, car Sénac était homosexuel. Pour ses biographes étrangers et beaucoup d'intellectuels algériens qui l'ont connu, Boudjedra en tête, c'est un crime politique. Comprendre qu'il avait été tué par des islamistes. Sénac lui-même disait qu'il allait mourir comme le poète Lorca et qu'on maquillerait sa mort en une affaire de moeurs. Qu'en est-il vraiment? Cette légende d'un crime politique tissée par lui-même, ainsi que ses amis ne résistent pas à l'analyse. L'analyse de ceux qui ne sont ni ses disciples ni ses contempteurs, l'analyse de ceux qui connaissaient l'Algérie de Boumediene et les risques que prenaient Sénac à accueillir chez lui le tout-venant. Primo, à l'époque de Boumediene, il n'y avait pas l'ombre d'un intégriste. Et s'il y en avait eu un seul, les services de sécurité l'auraient identifié et annihilé avant même qu'il ne passe à l'action.
Politiquement correct
Deuxio: si c'était un intégriste, la belle affaire, le pouvoir aurait exploité cet assassinat pour faire le ménage en dénonçant, comme il en avait l'habitude, les nageurs en eaux troubles, avant de réprimer brutalement ce courant qui était quasiment inexistant à l'époque sinon dans le parti du pouvoir, mais ces gens-là, en costume 3 pièces n'étaient pas des assassins mais des notables. Pourquoi alors les autorités ont-elles arrêté un jeune lycéen pour le désigner comme le présumé coupable, alors qu'il n'était pas convertible sur le plan politique si le crime ne relevait pas de la rubrique du fait divers? Insistons: ça aurait été un intégriste, rien n'aurait empêché le pouvoir de le dénoncer comme tel et de lui réserver le châtiment qu'il mérite pour dissuader d'autres candidats au meurtre d'autres personnalités déviantes. On le voit, cette piste islamiste ne tient pas la route. Djaout mort sous les coups des intégristes, comme le souligne Boudjedra pour accréditer cette idée? Djaout, c'est 20 ans plus tard et l'Algérie d'alors n'était plus celle de Boumediene. La vérité la voilà: jamais les proches et admirateurs du poète n'ont accepté qu'il finisse comme Pasolini, écrivain et cinéaste homosexuel assassiné par un jeune prostitué qui se rétracta 20 ans plus tard. Ils le voulaient en Lorca, exécuté par les franquistes. Le problème avec ceux qui n'admettent pas une mort sans gloire, c'est qu'ils politisent tout: sa mort pour en faire un martyr, son limogeage de la radio pour en faire un paria, ses conditions de vie pour en faire un misérable, sa poésie pour en faire un rebelle alors qu'il soutenait le régime à fond. Il était politiquement correct n'était-ce son mode de vie sur le fil du rasoir. En vérité, Sénac était un derviche comme le qualifiait son ami Mostefa Lacheraf. Un derviche qui ne savait pas tourner sur lui-même comme un soufi. Lui ne tournait qu'autour des mots. Et que peut-on faire avec des mots sinon des phrases qui ne protègent de personne. Il voulait mourir en Algérien. À défaut d'en avoir les papiers, il a eu la terre dans laquelle il repose. Il voulait être inhumé dans un cimetière musulman, mais ne l'étant pas sa tombe a vue sur un cimetière musulman. C'est toujours ça de gagné. Écoutons sa voix d'outre-tombe: «Vous serez des hommes libres/ Vous construirez une culture sans races/ Vous comprendrez pourquoi ma mort est optimiste.» 50 ans plus tard, l'amour de Sénac pour l'Algérie fait chaud au coeur. Un homme qui ne renie pas sa patrie avant et après l'indépendance mérite bien un hommage des braves. Comme lui-même le fut dans une période noire de notre Histoire.
*Ecrivain, auteur du roman sur Jean Sénac, On dira de toi, éditions Dalimen
Dix ans après avoir expliqué que « Marine Le Pen [était] compatible avec la République », Nicolas Sarkozy propose désormais une gouvernance avec les « amis » d’Éric Zemmour. Malgré les défaites et les affaires, il continue de faire la leçon. Et poursuit son entreprise de normalisation de l’extrême droite.
Sept ans après avoir été balayé au premier tour de la primaire de la droite et du centre, on aurait pu imaginer que le message était passé : Nicolas Sarkozy est persona non grata jusque dans sa propre famille politique. Sans même parler des conséquences que cette défaite aurait dû entraîner sur quiconque possède un semblant de surmoi, les affaires qui touchent l’ancien président de la République auraient, elles aussi, pu lui inspirer une forme de discrétion.
Mais non. Aidé par une autolâtrie à tous crins et des médias amis, l’ex-chef de l’État continue de faire la leçon, à l’occasion de la sortie de son dernier livre, dans lequel il parle de lui, mais aussi de lui et également de lui. Mardi 29 août, Pascal Praud l’a encore accueilli pendant deux heures – ressenti : 3 jours – au micro d’Europe 1. Un entretien sans complaisance durant lequel il a été interrogé tour à tour sur sa femme, son amitié avec Johnny Hallyday et sa passion pour le PSG.
Par un tour de passe-passe dont seuls les médias français ont le secret, les affaires disparaissent dès lors que Nicolas Sarkozy est invité quelque part. Une petite question lui est parfois posée, mais seulement du bout des lèvres, parce qu’il faut bien le faire. La plupart des échanges portent sur sa « vision politique », laquelle se résume à distribuer des bons et des mauvais points, tout en laissant entendre que, de toute façon, personne ne sera jamais à sa hauteur.
Comme il le fait depuis plusieurs jours, il a aussi répété « détester la diabolisation » du Rassemblement national (RN) et de sa cheffe de file Marine Le Pen, dont il estime qu’elle a « progressé ». « Je trouve absurde qu’on dise que le Rassemblement national n’est pas dans l’arc républicain, a-t-il affirmé sur Europe 1. Un parti qui présente des élus à toutes les élections, dans toutes les circonscriptions, il est dans l’arc républicain, sinon la République l’empêcherait de présenter des candidats. »
L’arc Sarkozy, Zemmour, Le Pen
En fin de semaine dernière, dans les colonnes du Parisien, Nicolas Sarkozy indiquait cependant que l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République ne serait pas « une bonne chose ». Non pas parce que son programme est foncièrement xénophobe et contraire aux droits fondamentaux – de ça, il n’en est même pas question –, mais simplement parce qu’elle n’a « ni l’expérience ni l’entourage » lui permettant d’exercer les plus hautes fonctions.
« Quant à son projet, il fait penser à celui de la gauche dans les années 1970. C’est totalement démagogique et conduira à l’échec », a-t-il cru bon d’ajouter, alimentant davantage encore la normalisation du parti d’extrême droite. Rappelant que son ancienne majorité allait de Bernard Kouchner à Philippe de Villiers, l’ex-chef de l’État plaide aujourd’hui pour « trouver un leader qui soit capable de rassembler les amis de messieurs Zemmour, Macron et Ciotti ».
Nicolas Sarkozy ne parle plus seulement de la nécessité, pour la droite républicaine, d’aller chercher les électeurs et électrices tenté·es par l’extrême droite. Il va jusqu’à lui proposer de s’ouvrir aux « amis » d’Éric Zemmour, dont certains furent longtemps les siens puisque l’actuel vice-président exécutif de Reconquête, Guillaume Pelletier, qui travaille avec Marion Maréchal et Nicolas Bay, est resté l’un de ses plus fidèles soutiens longtemps après l’échec de la présidentielle de 2012.
Du ministère de l’identité nationale au tristement célèbre discours de Grenoble, il n’a cessé de reprendre à son compte les mots et les idées de l’extrême droite.
Ce faisant, l’ancien président de la République franchit un pas supplémentaire et brise la dernière digue de la droite classique, celle qui considérait encore, au début des années 2000, l’extrémisme comme « un poison » et refusait de débattre avec ses représentant·es. Car il ne se contente plus de dire, comme il l’avait fait en 2012, que « Marine Le Pen est compatible avec la République », il explique désormais que LR doit gouverner avec l’extrême droite d’Éric Zemmour.
On le sait aujourd’hui, mais il est toujours bon de le rappeler : Nicolas Sarkozy a joué un rôle déterminant dans l’extrême droitisation du débat public. Du ministère de l’identité nationale au tristement célèbre discours de Grenoble, il n’a cessé de reprendre à son compte les mots et les idées du parti de Marine Le Pen. Il a ainsi largement contribué au confusionnisme ambiant – ce qui lui permet aussi de qualifier, sans rougir, le JDD, dirigé par Geoffroy Lejeune, de « journal de centre-droit ».
De façon générale, l’ex-chef de l’État ne rougit pas beaucoup. Ni lorsqu’il juge « illusoire » un « retour en arrière » sur la Crimée, annexée en 2014 par la Russie, ni lorsqu’il parle de l’ancien dictateur égyptien Hosni Moubarak d’« homme de paix ». Dans un autre contexte – pour ne pas dire un autre pays – ce type de propos, tenus de surcroît par un ancien président de la République, auraient suscité de vives réactions parmi les responsables politiques qui le sont vraiment.
Mais lorsqu’il s’agit de Nicolas Sarkozy, tout glisse. Les affaires, comme les reproches. À l’image de Manuel Valls, cette autre personnalité dont les médias raffolent bien plus que les urnes, le retour incessant de l’ex-chef de l’État est avant tout le symptôme d’un climat délétère, qui fait la part belle aux crispations identitaires et au grand n’importe quoi. L’ex-chef de l’État peut parler de « crise d’autorité » tout en déniant celles des institutions, ou mettre en garde contre la montée de l’extrême droite tout en la nourrissant, personne ne voit le problème.
Il peut avoir été récemment renvoyé devant le tribunal correctionnel, dans l’affaire des financements libyens, avoir été condamné à de la prison ferme dans les dossiers Bismuth et Bygmalion – il s’est pourvu en cassation dans le premier ; le procès en appel du deuxième doit se tenir cet automne –, et être sous enquête dans l’affaire Mimi Marchand, dans celle de l’attribution de la coupe du monde au Qatar et pour ses financements russes, aucune question ne lui est posée sur le sujet.
Corruption, association de malfaiteurs, trafic d’influence... Il y aurait sans doute de quoi dire. Malheureusement, dans son émission de mardi, Pascal Praud n’a pas trouvé une minute pour questionner l’ancien président de la République. À peine lui a-t-il demandé en fin d’émission, après une chanson de Carla Bruni et des paroles de fans regrettant le « père de la Nation », de réagir sur ce qui ressemble fort, selon lui, à une vengeance de magistrats. L’intéressé a ainsi pu dérouler son discours rodé sur cette fameuse vérité qui éclatera bien un jour.
Quant à ses propos sur l’extrême droite – une expression qu’il semble d’ailleurs avoir bannie de son vocabulaire –, ils n’ont évidemment pas fait lever un sourcil à l’animateur, lui aussi habitué à rassembler les « amis » d’Éric Zemmour.
En 2012, l’Action française enterre René Resciniti de Says, l’homme qui a revendiqué le meurtre de Pierre Goldman, et lui paye sa sépulture. Trois ans plus tard, un livre dévoile ses aveux sur l’assassinat du militant tiers-mondiste Henri Curiel, le 4 mai 1978, provoquant la réouverture de l’enquête.
« Demain« Demain sur nos tombeaux, les blés seront plus beaux » : c’est par cette phrase anodine sortie d’une chanson antisémite écrite par Charles Maurras en 1908 (« La France bouge, Elle voit rouge »,« Le Juif ayant tout pris »)qu’un petit chef royaliste a salué la mémoire de René Resciniti de Says, le mercenaire qui a revendiqué l’assassinat de Pierre Goldman en 2010.
Une messe en latin donnée en l’honneur du tueur à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, à Paris, puis son enterrement dans un village de l’Allier, le 24 avril 2012, ont rassemblé de nombreux royalistes de toutes obédiences, et des nationalistes de diverses chapelles. « Néné » était populaire en dépit de ses aveux. À moins que ces aveux ne l’aient rendu populaire. Car il avait aussi confié autour de lui, et à plusieurs journalistes, avoir exécuté Henri Curiel, le militant tiers-mondiste, un an avant Goldman.
Présent à la messe, Christian Rol, ancien collaborateur du Choc du mois et du Figaro, avait été à deux doigts de signer un livre avec lui, mais « Néné » s’était ravisé. Pour Rol, la disparition soudaine de René tournait la page du « contrat moral » entre eux. Il ferait ce livre tout seul, nourri de ses pages d’entretien avec lui, révélant les conditions de l’assassinat de Curiel. À condition « d’avoir le feu vert de certains amis ».
Les hommages pleuvent devant le cercueil de l’ancien mercenaire. « Adieu Néné, tu as rejoint les autres, ces phalanges de camelots qui nous attendent là-haut et qui nous regardent ici-bas », résume Frédéric Winkler, leader du Groupe d’action royaliste (GAR). « Néné est mort : il fut un camelot du roi exemplaire », salue Olivier Dejouy dit « Perceval », l’actuel secrétaire général de l’Action française (AF). Dejouy avait hébergé René, à court d’argent, pendant de nombreux mois. C’est d’ailleurs à son domicile que l’assassin de Pierre Goldman est décédé brutalement. Signe de son amitié, le chef de l’AF a laissé jusqu’à aujourd’hui un cliché de lui avec « Néné », lors d’une fête de Jeanne d’Arc, en couverture de son compte Facebook.
« À la fin de sa vie, René était pris en main, logé, nourri, blanchi et abreuvé par les réseaux royalistes, raconte son ami, l’ancien journaliste Grégory Pons. Et c’est la mouvance qui l’a enterré aussi. Qui lui a payé sa tombe. Il ne faut pas oublier ça. » René était un peu « le grand ancien, mystérieux et sulfureux de la mouvance royaliste », résume Grégory Pons. Il apparaît d’ailleurs sur des images des cérémonies royalistes, tiré à quatre épingles, ce qui rappelle qu’il était aussi surnommé « Néné l’élégant ». N’ayant pas d’autres proches, il a même été enterré dans le village de Bernard Lugan, l’ancien chef du service d’ordre de l’AF en 1968, qui avait apporté ses troupes au Service d’action civique (SAC) pour faire le coup de poing contre les gauchistes.
« À son enterrement, on a fait une apologie succincte, gentille, qui représentait bien la partie claire du personnage, mais aucune allusion aux affaires, relève un autre ami, Claude. Tout le monde savait qu’il avait flingué Goldman. Pour Curiel, c’était moins clair. »
L’assassinat d’Henri Curiel, René en parlait, mais moins. Ce meurtre, survenu le 4 mai 1978, un avant celui de Pierre Goldman, avait été une onde de choc à gauche. Juif communiste égyptien, devenu apatride, Henri Curiel s’était installé en France, et après avoir milité pour l’indépendance algérienne, au sein d’un réseau de « porteurs de valises », ce qui lui avait valu 18 mois de prison, il s’était consacré au soutien d’autres mouvements anticoloniaux, et à l’accueil de militants exilés comme lui. Il avait fondé un réseau, Solidarité, qu’il définissait lui-même comme un « mouvement clandestin » d’aide à la libération du tiers-monde. Le réseau Curiel.
En juin 1976, deux ans avant son assassinat, il avait été placé en résidence surveillée à Digne, après la publication par l’hebdomadaire Le Point d’un dossier qui le désignait comme le « patron des réseaux d’aide aux terroristes ». L’hebdomadaire publie une note interne de Solidarité à ses nouveaux membres leur expliquant « les risques » pris par l’organisation, et prétend surtout que des faux papiers saisis sur un militant de l’Armée rouge japonaise proviennent du réseau. L’article relie Solidarité à une vingtaine d’organisations, au premier rang desquelles l’African National Congress (ANC) sud-africain ou l’ETA indépendantiste basque, et soutient que Curiel est en « liaison constante » avec le KGB.
Curiel conteste, demande en vain un droit de réponse. « Je sais qu’on qualifie facilement les militants des mouvements de libération de terroristes [...] mais pour moi il y a une différence fondamentale, rétorque-t-il, à Antenne 2, en novembre 1977. Les mouvements de libération, si je peux les aider, je n’hésiterai jamais à le faire. Par contre, les terroristes, bien que je n’aie jamais dénoncé personne de ma vie, je me demande parfois si je ne le ferais pas, tellement je considère que ces gens-là ont une action sinistre. »
Aucune charge n’est retenue contre lui par les autorités françaises.
Son réseau par ailleurs a des convictions pacifistes. Il s’active en coulisses pour rendre possibles des rencontres israélo-palestiniennes, à l’insu des faucons des deux parties. En juillet 1976, Curiel réunit un conseiller de Yasser Arafat, le docteur Issam Sartaoui, et un général israélien, Matti Peled, dans un local du réseau, posant la première pierre de rencontres élargies, placées sous le patronage de Pierre Mendès-France.
À son retour de Digne, le militant avait repris une vie normale à Paris. Une vie de quasi retraité, en apparence, réglée comme du papier à musique : un emploi peu chronophage dans la maison d’édition d’un ami, quelques rendez-vous « politiques », et des cours de yoga. Après un retour chez lui pour déjeuner avec sa femme, Rosette, il en ressortait à heure fixe, tous les jours à 14 heures, pour rejoindre une amie, Joyce, une membre active de son réseau. L’heure précise à laquelle les tueurs sont entrés dans son immeuble, et l’ont attendu au pied de son ascenseur.
L’enquête judiciaire avait échoué à identifier les assassins, mais elle avait été rouverte à plusieurs reprises – contrairement à l’investigation sur le meurtre de Pierre Goldman.
L’écrivain Gilles Perrault, récemment décédé, en avait fait un livre monument de 600 pages, Un Homme à part (Fayard, 1984), détaillant les nombreux engagements de Curiel et les possibles commanditaires des tueurs. Une association avait été créée, et la famille Curiel était restée attentive au moindre fait nouveau, si bien que le délai de prescription avait été régulièrement repoussé.
Le livre de Christian Rol (1), qui paraît en avril 2015, révèle « pour la première fois » l’implication de René dans l’exécution d’Henri Curiel, signale la quatrième de couverture. Mieux, il expose que l’opération a été effectuée avec deux complices policiers, les mêmes, semble-t-il, qui l’avaient accompagné pour tuer Goldman.
Une cible politique à éliminer
Le 4 mai 1978, vers 14h, deux hommes assez jeunes, d’allure sportive, sont entrés sous le porche du 4 rue Rollin, dans le Ve arrondissement de Paris, et ont traversé la cour pour pénétrer dans le bâtiment où habite Henri Curiel. Un témoin voit l’un d’eux enfiler des gants avant d’entrer. Chose plutôt étrange car il fait chaud. À 14 heures, trois ou quatre détonations, sèches et rapprochées, résonnent soudain dans l’immeuble sur cour. Les deux individus repartent, retraversent la cour d’un pas rapide, et quittent l’immeuble. À sa fenêtre, le témoin qui les a vus entrer les entend échanger quelques mots avant de disparaître, côte à côte, vers la rue Monge.
Dans l’immeuble, les gens se sont précipités vers la cage d’escalier. Ils découvrent leur voisin du 7e étage, effondré dans l’ascenseur bloqué au rez-de-chaussée. Criblé de balles. Lorsque les pompiers arrivent, à 14 h 09, Henri Curiel, 63 ans, respire encore, difficilement, mais ne peut répondre. Il est blessé au visage, il a du sang sur le nez et la bouche, et il est aussi touché au thorax et à la clavicule. Les pompiers l’extraient de la cabine et l’allongent dans le couloir. Lorsque le Samu arrive à son tour, le blessé est en état de mort apparente. Il a fait un arrêt cardiaque. Les secours ne parviendront pas à le réanimer. Dans la cabine de l’ascenseur, les policiers ramassent trois douilles de 11.43.
Selon Rol, c’est René, « le Colt 45 bien en mains », qui a « tiré dans la cible, à bout portant ». Son complice assurait sa couverture. Sortant du 4, rue Rollin, les deux hommes ont pris l’escalier, qui dessert la rue Monge en contrebas, où les attendait un troisième homme, chargé de récupérer l’arme du crime. Le Colt aurait été extrait d’un stock d’armes saisies à la préfecture de police, selon le récit que René a livré au journaliste.
Comme va le montrer l’expertise balistique, Curiel a été abattu avec la même arme que Laïd Sebaï, le gardien de l’amicale des Algériens, cinq mois plus tôt. Le meurtre est revendiqué à l’AFP une heure plus tard au téléphone :
« Aujourd’hui à 14 heures, l’agent du KGB Henri Curiel, militant de la cause arabe, traître à la France qui l’a adopté, a cessé définitivement ses activités. Il a été exécuté en souvenir de tous nos morts. Lors de notre dernière opération nous avions averti. Delta. »
L’étiquette Delta, du nom des commandos de l’OAS pendant la guerre d’Algérie, avait déjà été reprise pour signer plusieurs attentats à l’explosif commis depuis décembre 1977, contre deux foyers d’immigrés, une maison des syndicats, un local du Parti communiste, et surtout pour l’assassinat du gardien de l’amicale des Algériens en France, rue Louis-le- Grand à Paris. Delta est une signature d’extrême droite, sans ambiguïté. L’allusion « à nos morts », à la supposée « trahison » de la France, aussi.
« Comme toujours, le crime se nourrit d’imbécillité, souligne le journaliste Jean Lacouture. C’est en tant qu’“agent du KGB” que des assassins ont frappé Henri Curiel, ce Curiel que tous les appareils du stalinisme, celui des années 1950, comme ceux des années 1970, ne cessaient de dénoncer comme un dangereux franc-tireur, sinon comme une sorte de Trotsky de la vallée du Nil. »
Selon René, le commanditaire de l’opération est celui qu’il a dévoilé à Canal+ en 2010 s’agissant de l’assassinat de Goldman : Pierre Debizet, le secrétaire général du Service d’action civique. « On bosse pour Debizet. Point final », déclare René, qui n’exclut pas que l’assassinat ait été sous-traité pour un État étranger. « On nous a situé Curiel comme un agent de la subversion internationale, ce qui était vrai et l’article de Suffert dans Le Point était très clair là-dessus. Mais au profit de qui on l’a flingué, ça j’en sais rien », dit-il à Rol.
René dit qu’il « ne se pose pas de questions » : « Un agent de Moscou à refroidir, qui plus est traître à la France en Algérie, c’est dans le cahier des charges, poursuit-il. [...] Curiel, pour moi et les autres – nous sommes tous nationalistes –, c’est une cible politique à éliminer qu’on nous désigne. Il n’y a rien de personnel. »
Rien de personnel, c’est possible. « L’histoire Curiel ça me paraît être une mission de barbouzerie, opine son ami, l’ancien journaliste Grégory Pons. Une exécution à la demande d’un certain nombre de personnes. Je pense que le SAC a dû toucher un gros paquet d’enveloppes pour ça. Et Néné, des petits paquets, une petite enveloppe pour ça. Il fallait bien qu’il vive de quelque chose. Voilà. »
La question du mobile de l’assassinat reste ouverte. L’hypothèse que le crime ait été commandité par un État étranger, gêné par l’activisme du réseau Curiel, a souvent été formulée, sans jamais être précisée. Une chose est sûre, les amis de René, eux, se sont félicités de l’assassinat. « Curiel, moi, je ne regrette pas, je vous le dis franchement, dit l’ancien mercenaire Olivier Danet, qui a bien connu René. Il finançait quand même le terrorisme international. C’était pas un ange. Quelquefois, on joue et on perd. »
« Je sais beaucoup plus de choses »
Lors de la sortie de son livre Le Roman vrai d’un fasciste français, en 2015, Christian Rol donne quelques interviews. Le journaliste est prudent. Dans le récit, il a affublé de pseudos de nombreux proches de René, notamment ses deux amis policiers, qu’il surnomme Charly et Tango. Il y a aussi Philippe, le frère d’un futur député, Olivier Lenormand, un mercenaire bien connu, et Éléonore, sa petite amie, « une fasciste pure et dure », selon Rol.
« Je sais beaucoup plus de choses que ce je dis dans le livre, parce que ça mettrait en cause des amis, des gens que je connais, confie Christian Rol dans l’émission d’un petit média d’extrême droite, Radio Méridien Zéro. Il y avait un groupe d’une quinzaine de personnes qui travaillaient indirectement pour les services et qui étaient chapeautées par un ancien de l’OAS qui avait recruté dans les milieux nationalistes parmi les plus résolus. » L’animateur de Méridien Zéro rappelle que « Néné » n’a jamais été inquiété, et se demande « si le livre n’est pas dans une réalité un peu exagérée ». « J’ai bien peur que tout soit vrai, répond Rol. Et même qu’on soit en deçà de la réalité. René avait le profil, les relations, les connexions, la nébuleuse. René avait le profil pour ces choses-là. »
« Je marche sur des œufs », confie pourtant le journaliste. « Soyons clairs : il a tué Pierre Goldman, René me l’a dit, et les gens avec qui il était, dont je connais l’identité et que je ne cite pas, sont toujours de ce monde. Même chose pour Henri Curiel. »
Mais le livre donne des précisions sur la chronologie des rencontres, la biographie des uns et des autres. Charly, qui est flic à la DST, s’avère être « un condisciple de René au 9e RCP », en même temps qu’un « membre officieux du SAC ». Durant l’été 1976, René retrouve ce dernier au Liban, parmi le petit contingent de Français qui a rejoint les phalanges chrétiennes, tous des nationalistes attirés par l’odeur de la poudre. Au retour en France, après l’aller-retour de René au Bénin avec l’équipe de Bob Denard, Charly provoque selon Rol « la dérive meurtrière de René ».
Le journaliste rapporte une autre histoire cocasse survenue un mois après l’assassinat de Curiel. En juin 1978, René et Charly ont tenté de braquer un vieil antiquaire. Pris de court par les hurlements de leur victime, ils ont pris la fuite, mais Charly a été interpellé, mis en examen et écroué. Il est libéré au bout d’un mois mais sa carrière de flic est terminée.
Dans une note de bas de page, Rol précise qu’un article du journal local fait figurer « la véritable identité de Charly ».
Cet indice et quelques autres éveillent la curiosité de la famille Curiel et de ses avocats, William Bourdon et Vincent Brengarth, qui s’emparent du livre pour demander la réouverture du dossier Curiel. Le dernier acte d’enquête datant de 2009, le délai de prescription expire en avril 2019. Il est encore temps d’y voir clair. À la lecture du livre, les confessions de René Resciniti de Say « confirment l’existence de donneurs d’ordre », relèvent les avocats. L’attentat semble bien « le fait d’un groupe organisé » avec « des ramifications qu’il appartient à l’enquête de mettre au jour ». Le livre de Rol apporte « une base factuelle nouvelle » pour rouvrir l’instruction.
Trois ans plus tard, en septembre 2018, Christian Rol s’assoit dans un bureau de la brigade criminelle avec une seule idée en tête : démentir.
Pour être « honnête », René ne lui a « pas fait de confidence », à part avoir dit qu’il était « l’un des auteurs de l’exécution d’Henri Curiel », déclare-t-il.
Le policier : « Que vous a-t-il raconté précisément sur le déroulement et sur sa participation à l’assassinat d’Henri Curiel ? »
Christian Rol : « Il ne m’a rien dit du tout, il a juste dit : “Curiel, Pan dans l’ascenseur !” » Je ne suis pas en mesure de vous donner un quelconque détail quant au mode opératoire de l’assassinat d’Henri Curiel. »
« J’ai regroupé plusieurs éléments issus de maintes rumeurs, tente-t-il d’expliquer au commandant de police qui l’interroge. J’ai grossi le trait et j’ai pris un titre scandaleux pour tenter de le vendre. » René venait voir son frère aîné quand il était enfant. Il l’avait revu lorsqu’il était devenu journaliste au Choc du mois. « Je ne le rencontrais que très peu. On se voyait une fois tous les dix ans », dit-il. S’agissant des complices de René, Rol dit qu’il n’est « pas certain que ces deux policiers existent ». « Je me suis basé sur des rumeurs, et en plus c’est trop sensible. Je pense que ces personnes sont mortes », tranche-t-il.
Il a inventé des noms, créé des personnages. « Philippe J. n’existe pas, ainsi que Tango et Charly », assure-t-il encore.
Vraiment ? Le policier extirpe un extrait de son livre et questionne :
« Pour quelle raison faites-vous référence à l’agression d’un antiquaire à Marseille en indiquant que le complice de René était Charly tout en précisant que sa véritable identité est parue dans un article de la presse locale ?
– J’ai inventé tout cela afin de donner plus de relief anecdotique à un récit qui se perdait dans des barbouzeries parfois ennuyeuses. J’ai inventé des passages qui ont l’air d’être très sensibles pour donner une dimension mystérieuse.
– Qu’en est-il de cet article ?
– Il n’y a jamais eu d’article. »
Hélas pour Rol, l’enquêteur se plonge dans ses dossiers et lui en présente une photocopie.
Le policier : « Nous vous présentons cet article de Nice Matin, du 25 juin 1978, titré “Marseille : Un inspecteur de la DST arrêté à la suite d’une mystérieuse agression”, retrouvé à partir des références que vous indiquez dans votre livre en page 192. Ne trouvez-vous pas que vous allez un peu trop loin dans le côté invention ? Ne perdez-vous pas un peu en crédibilité ? »
L’article mentionne le nom du policier qui accompagnait René lors de son braquage, un certain Marc Ducarre.
Christian Rol : « Je ne sais pas quoi vous répondre. Je n’ai pas vocation à dénoncer les gens. Je n’ai jamais entendu parler d’un Marc Ducarre. L’article m’est complètement sorti de la tête. »
Le policier lui demande s’il a « quelque chose à ajouter ? »
« Je me protège et je protège certaines personnes, tente d’expliquer Christian Rol. J’ai une rectitude morale et une droiture. Ce n’est pas pour autant que je ferai obstruction à la justice. »
Le nom du complice présumé de René, le « Charly » du livre, est désormais dans l’enquête judiciaire.
(1) Le Roman vrai d’un fasciste français, Christian Rol, La Manufacture des livres, avril 2015.
Cet ancien inspecteur du contre-espionnage est soupçonné d’avoir fait partie du commando qui a tué les deux activistes d’extrême gauche à la fin des années 1970. Placé en garde à vue, il a nié sa participation aux faits mais a révélé avoir été proche du patron du Service d’action civique, désigné comme le commanditaire.
Cet ancien inspecteur du contre-espionnage est soupçonné d’avoir fait partie du commando qui a tué les deux activistes d’extrême gauche à la fin des années 1970. Placé en garde à vue, il a nié sa participation aux faits mais a révélé avoir été proche du patron du Service d’action civique, désigné comme le commanditaire.
26 août 2023 à 17h41
faut aller à Paris, j’irai à Paris, a répondu Marc Ducarre au policier qui lui disait qu’il serait peut-être déféré. Ça fait longtemps que je suis pas monté à Paris... Moi j’ai gardé en réserve certaines choses. Vous savez, remuer la boue, je sais pas si c’est une bonne chose... »
Soupçonné d’avoir été le complice de René Resciniti de Says, dit « Néné », lors de l’assassinat d’Henri Curiel, le militant tiers-mondiste exécuté en 1978, Marc Ducarre, 66 ans, a été interpellé au petit matin, le 21 octobre 2020, chez lui, dans un village proche d’Aix-en-Provence. Les flics de la brigade criminelle l’ont fait monter dans une voiture grise, direction Toulon, l’hôtel de police.
C’est lui qui, du vivant de René, avait gentiment prévenu les journalistes de Canal+ qu’il ne « fallait pas faire sortir le loup du bois ». C’était resté anonyme, mais René l’avait désigné comme membre du commando qui avait assassiné Goldman dans l’émission dans laquelle il avait détaillé le meurtre. Des détails figurant dans le livre de Christian Rol sur René ont permis par la suite d’identifier formellement l’ancien policier comme l’un des deux fonctionnaires proches du royaliste au moment des faits. Il est présumé innocent. En 2020, quarante-deux ans après les faits, l’affaire d’État reprend discrètement à Toulon. Sans que la presse n’en parle.
Ancien inspecteur de la Direction de la surveillance du territoire (DST, l’ancienne DGSI), Marc Ducarre est placé en garde à vue pour « assassinat, complicité d’assassinat et association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime » dans l’affaire du meurtre d’Henri Curiel.
« J’ai quand même été entendu de 11 heures du matin jusqu’à 2 heures le lendemain », raconte Marc à son frère Bruno, un ancien policier comme lui, le lendemain, alors qu’ils sont sur écoute.
« Sans interruption..., ajoute-t-il.
— Oui mais il n’y a pas eu de prolongation, ni de défèrement..., tempère Bruno.
— Et on a un peu crevé un abcès, tu vois, dit Marc.
— Ouais mais il ne faut pas qu’ils viennent t’emmerder sans billes, sans quoi ça sera toutes les cinq minutes, avertit son frère.
— Ouais voilà, il n’y avait pas de billes. »
Au téléphone avec Frédéric, un autre frère, Marc, commente :
« C’était vraiment le flic taciturne, très bon. Vraiment, il voulait me coincer, tu vois, me mettre dans une position embarrassante, il l’a fait, tu vois. Mais sans insister. Pour me montrer que c’était quelqu’un qui pouvait. D’un autre côté, j’ai montré que je pouvais embarrasser des gens, tu vois. »
Ducarre croyait exercer une pression sur les enquêteurs avec de vagues avertissements. Il fait le point avec Bruno sur les affaires évoquées.
« On a fait le tour de la question sur le principal truc qui pouvait m’incriminer, poursuit Marc. C’est toujours pareil, il y a une affaire. Je peux le dire, ils m’ont entendu sur Goldman.
— Oui, oui, on n’est pas en contact ni avant ni après, répond Bruno, qui semble connaître et partager la chronologie de ces affaires. Ils vont rester sur leur faim [...] dans leur connerie.
— À la fin, le flic est venu me voir,reprend Marc, et il m’a dit : “Bon, vous n’êtes pour rien dans cette histoire Henri Curiel.” Alors j’ai dit : “Je vous le fais pas dire...” “Par contre, pour l’affaire Goldman, je pense que vous êtes dans le coup.”
— Ils ont des...
— Bon, l’affaire Goldman est prescrite, hein, tranche Marc.
— Ouais.
— Mais bon, pour l’autre affaire, c’est plus emmerdant,poursuit Marc. Ils sont persuadés... Ils ont rien. Ils ont pas d’éléments. [...] Alors j’ai dit : “Mais en fait, la synthèse de toute cette histoire, c’est Les Tontons flingueurs croisés avec Les Pieds nickelés.” »
« Le shérif est en prison »
Les Pieds nickelés, c’est possible. Le 19 juin 1978, Marc et René s’étaient retrouvés à Marseille. Presque deux mois après l’assassinat d’Henri Curiel, le 4 mai précédent. Ils avaient sonné chez un vieil antiquaire, Jean Cherpin, rue de Belloi, deux valises à la main censées contenir « des tableaux à expertiser ». Ils avaient sur eux de quoi bâillonner l’antiquaire (sparadrap, ficelle et couteau) et, aussitôt entrés, ils l’avaient ceinturé et plaqué au sol pour le saucissonner.
Mais rien ne s’était passé comme prévu. Le temps que René aille fermer les fenêtres, Marc avait perdu le contrôle, Cherpin s’était mis à hurler, en cherchant à s’emparer du couteau, et la situation avait empiré, si bien que les deux agresseurs avaient précipitamment lâché l’affaire.
Le braquage aurait pu en rester là. Mais, dans sa fuite, Marc avait fait « une grosse connerie ». Et même deux. D’abord, il avait laissé chez l’antiquaire les clés d’une voiture de location. Puis il s’était rendu à l’agence, où l’attendait la police. René, lui, avait déjà pris le premier train pour Paris.
En garde à vue, Marc avait d’abord prétendu qu’il voulait faire « œuvre de policier », car il soupçonnait le vieil antiquaire de trafic de drogue. Puis il avait reconnu le braquage. D’après lui, René et Marc avaient été tuyautés par un de leurs camarades, ancien volontaire comme eux chez les Phalanges chrétiennes au Liban, et élève commissaire-priseur, Franck B., aujourd’hui patron d’un prestigieux hôtel de ventes. Ce dernier avait loué le véhicule.
Selon l’enquête, le groupe espérait faire main basse sur un autoportrait et deux terres cuites originales d’Honoré Daumier, un artiste graveur du XIXe siècle, ainsi que sur soixante reproductions en bronze, le tout valant plusieurs centaines de milliers de francs. Marc est inculpé et reste écroué pendant un mois. De même que René peu après lui.
L’histoire de Ducarre fait ricaner la presse. « Le shérif est en prison ou plus exactement l’inspecteur aux Baumettes », s’amuse L’Aurore dans un article titré « Drôle de contre-espion ». Mentionnée dans le livre de Christian Rol, cette histoire de braquage a permis aux enquêteurs de mettre la main sur le dossier de l’inspecteur aux Archives nationales à Fontainebleau : l’enquête de l’IGPN, la police des polices, sur le braquage et l’arrêté ministériel qui l’a révoqué, en janvier 1979. L’inspecteur radié a été condamné par la suite à deux ans de prison avec sursis.
À l’hôtel de police de Toulon, on revient brièvement sur cet épisode. « J’ai honte de cette affaire, concède Marc. Je n’étais pas fait pour être un truand... » Il explique désormais qu’il « voulait financer des actions pour le Liban », pour « la cause », avec ce butin. « Je le pensais sérieusement », dit-il. Aujourd’hui encore, il se définit comme « nationaliste » et « patriote ».
Curiel avait « trahi la France »
« René était un ami très proche, raconte-t-il aux enquêteurs. Il était mon témoin de mariage en 1995. Je l’avais rencontré au 9e RCP lors de mon service militaire, puis au Liban en 1976, quand je me suis engagé dans les milices chrétiennes de Gemayel. »
Marc se dit victime d’une « rumeur ». « La rumeur, c’est que René ou des proches de René auraient participé à l’assassinat d’Henri Curiel, et comme moi j’étais proche de René, on me met dans les proches qui auraient pu commettre les crimes avec lui. » Dès la fin des années 1970, d’autres rumeurs circulaient, selon Marc, « sur le fait que René participait à des actions criminelles de type enlèvement ».
Le policier lui demande ce qu’il sait précisément sur l’assassinat d’Henri Curiel le 4 mai 1978.
« Je pense qu’il est mort à cause de ses actions passées durant la guerre d’Algérie et celles qu’il avait encore en 1978, répond l’ancien inspecteur.
— Êtes-vous en mesure de dire où vous étiez et quelles étaient vos occupations en mai 1978, et le jour des faits, le 4 mai ?
— À l’époque, mes préoccupations tournaient principalement autour de mon boulot à la DST, je n’étais pas marié, je vivais seul, je faisais du sport. »
Même question concernant le 2 décembre 1977, jour de l’assassinat de Laïb Sebaï, gardien de l’amicale des Algériens en France, tué avec la même arme que Curiel.
« Je faisais la même chose », répond Marc.
À la DST, Marc Ducarre opérait sous le pseudo de « Duchesne ». Il avait été inspecteur au sein de la « division B2 », basée au ministère de l’intérieur, rue des Saussaies, et chargée de suivre « les militants basques de l’ETA notamment ». Mais il s’était aussi occupé des « affaires palestiniennes », « notamment Abou Nidal, OLP, etc. ». « Mon travail consistait à faire des surveillances. Je me débrouillais pour trouver des postes d’observation, des lieux stratégiques pour surveiller les gens. »
« Est-ce que M. Curiel faisait partie de vos surveillances?,questionne l’enquêteur.
— Aucunement, répond Marc. Je n’ai pas mis en place de poste d’observation pour Curiel. »
Il ne connaissait pas non plus les collègues qui étaient chargés de suivre le militant. « Je pense qu’il était surveillé en permanence, ne serait-ce que par des écoutes, ajoute-t-il.
— Revenons au jour où M. Curiel a été tué, reprend l’enquêteur. Où étiez-vous ? Qui vous l’a annoncé ?
— Je pense qu’on en a parlé au bureau, mais je ne sais pas si je l’ai appris à ce moment-là ou si je le savais déjà. C’est très loin tout ça.
— Certes, c’est loin, mais Curiel était quelqu’un de suivi par la DST, et qui représentait des idéaux qui étaient à l’opposé des vôtres...
— Curiel n’était pas un type que je suivais en particulier dans mon groupe. Moi, en tout cas, je ne l’ai pas suivi dans mon travail, jamais. Personne ne l’aimait, à vrai dire, chez nous, mais je ne me suis pas spécialement réjoui de sa mort, même si je n’aimais pas ce qu’il représentait. Il avait trahi la France.
— Vous pensez qu’il a mérité son sort ?,rebondit l’enquêteur.
— Je pense qu’il méritait de rester plus longtemps en prison »,répond Marc.
L’enquêteur signale qu’un nouveau témoin s’est manifesté et qu’il fait lui aussi le lien entre lui, René et les homicides. Ce nouveau venu s’appelle Claude C., c’est un ancien de l’OAS et de Jeune Nation. Il a bien connu « Néné », qui lui a présenté Ducarre. Et ce dernier lui a beaucoup parlé, avant qu’une embrouille immobilière ne survienne entre eux.
Le policier : « [Selon ses déclarations] René aurait dit que vous faisiez partie du commando qui a tué Pierre Goldman et que vous avez tiré sur Pierre Goldman vous aussi ?
— Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation, répond Marc.
— Ce n’est pas la réponse d’une personne qui n’a pas tiré sur quelqu’un, ça,signale l’enquêteur. Vous n’êtes pas d’accord sur quoi exactement ? Sur ce que dit le témoin ou sur ce qu’a pu dire René ?
— Je ne suis pas d’accord avec ce qu’a dit René.
— Pourtant, il y avait bien des raisons pour que vous lui en vouliez, à cet homme. Qui gênait-il ?
— Pierre Goldman n’était qu’un tueur de femmes [il a été accusé puis acquitté de l’assassinat de deux pharmaciennes lors d’un braquage en 1969 – ndlr]. Je pense qu’il gênait la France avec l’attirance qu’il a eue sur l’intelligentsia de la gauche à l’époque. »
L’ancien flic révoqué conteste son implication dans les meurtres. Mais sans énergie. Et il n’est pas loin de les approuver.
L’autre surprise des enquêteurs est qu’il se dit proche du commanditaire des assassinats désigné par René : Pierre Debizet, secrétaire général du Service d’action civique (SAC). Selon Ducarre, le chef du SAC avait été informé de l’affaire du braquage raté, et il avait même accepté de remettre 6 000 francs à René à sa sortie de prison.
« Quatre ans de bagarres contre les gauchistes »
Le policier : « Si Goldman gênait la France, est-ce que cela aurait pu être géré par Debizet, cette affaire ?
— Lui ou d’autres. Je ne sais pas,répond Ducarre.
— Debizet, je ne l’ai pas caché, on était proches, on a dit homme de confiance, je dirais qu’on était même amis, poursuit-il. Ce qui lui a plu, c’est ce que j’ai fait au Liban, et l’engagement à l’UNI, le syndicat étudiant dont j’étais proche à Toulon, c’était quatre ans de bagarres contre les gauchistes. Au Liban, j’ai été sniper sans chercher à le devenir. [...] En faisant ça, j’ai eu une certaine réputation. Debizet, bien que je pense qu’il le savait, ne m’en a jamais parlé. J’ai su, car il me l’a dit pas la suite, que M. Debizet m’appréciait vraiment.
— Vous a-t-on demandé de faire des choses, des actions que vous regrettez à cette époque ?,reprend le policier.
— Pas vraiment.
— M. Debizet vous a-t-il demandé de commettre des crimes ?
— Pas exactement, mais il m’a dit de faire des vérifications pour un homme qui avait à l’époque volé de l’argent à Omar Bongo, et dont il fallait s’occuper. J’ai reçu un contre-ordre le même jour pratiquement. Je crois que le gars en question a été pris en charge officiellement.
Dès que M. Debizet pouvait faire prendre les choses officiellement, il le faisait. C’était un homme qui avait le sens de l’État et le sens du devoir. C’était un homme d’appareil, il contrôlait environ 5 000 personnes, du légionnaire au chef d’état-major. Il était efficace. S’il avait voulu faire des choses malsaines, il aurait pu le faire sans problème. Il ne faisait que ce qui lui paraissait bon pour l’État et ce que le chef de l’État lui demandait. Moi j’étais fidèle à Debizet mais pas au SAC. L’affaire de la tuerie d’Auriol [l’assassinat par le SAC d’une famille entière à Auriol, en 1981 – ndlr], ce n’est pas le système Debizet, c’est quelque chose qui lui a échappé et qui a mené à cette tuerie. Il a tout fait pour arranger les choses. »
L’enquêteur signale un autre meurtre lié à la légende noire du SAC, celui de l’amant de Marie-Joséphine Bongo, la femme du président gabonais Omar Bongo, un certain Robert Luong, le 27 octobre 1979.
« Vous connaissez cette affaire ?
— Oui, répond Marc. Robert Luong avait été averti de cesser de voir Mme Bongo, mais il a continué et il a été assassiné. Je ne sais pas qui l’a tué, je ne dis aucunement que c’est le SAC qui l’a fait. »
Selon l’ancien inspecteur, son activité principale, « c’étaient des surveillances et de la sécurité », « ce n’était pas de l’ordre de l’homicide ». « On sortait avec toute une armée pour surveiller Mme Bongo ou le frère d’Omar Bongo, c’était ridicule. Cela n’a pas empêché l’histoire de se terminer tragiquement par l’élimination de l’amant de Mme Bongo. Cela n’avait rien à voir avec nos surveillances. »
René Resciniti de Says connaissait aussi « des mecs du SAC », poursuit Marc. Mais d’après l’ancien inspecteur, « Debizet n’aimait pas trop René ». Marc, lui, avait gagné sa confiance, jusqu’à assurer « la sécurité de sa propriété, de lui-même et de sa famille » au début des années 1980, « car il était menacé » et il avait « entièrement confiance » en lui.
Par la suite, Marc avait fait une formation de bûcheron et s’était installé au Pays basque, où il avait vécu entre 1985 et 1987. « Il avait appris le métier de bûcheron pour pouvoir approcher les gars de l’ETA, dénonce Claude C. Il a éliminé des crapules de l’ETA, des cibles que l’État français lui donnait. »
Ducarre, lui, conteste vivement avoir « fait quoi que ce soit » avec les Groupes antiterroristes de libération (GAL) qui ont multiplié les assassinats d’exilés et de sympathisants d’ETA à l’époque, comme l’a aussi écrit le biographe de René, Christian Rol.
« On vient parler des Basques aussi parce que j’étais dans une division à la DST qui s’occupait des militants ETA, mais c’est de la construction pure et simple », se défend-il.
Une fois son audition fleuve terminée, Ducarre est remis en liberté, sans poursuites. Dès le lendemain, il débriefe son audition avec deux de ses frères.
« Marc Ducarre, méfiant de nature, avait sans doute envisagé que sa ligne serait placée sur écoute », commentent les enquêteurs. « Cette ironie sur les dossiers criminels évoqués semblait néanmoins cacher une gêne réelle sur son éventuelle implication », relèvent-ils.
Revenant sur son activité de bûcheron au Pays basque, il s’amuse d’un de ses échanges avec le policier :
« Il m’a dit : “Monsieur Ducarre, il y a quelque chose qui me gêne quand même parce que, vous comprenez, partout où vous vous installez, il y a des problèmes...” [Rires de Marc et de son frère Bruno.] Alors il me dit : “Et vous comprenez, les deux années où vous êtes bûcheron dans les Pyrénées-Atlantiques, nous déplorons 30 décès.” [Rires de Marc et de son frère.] Alors je lui dis : “Vous savez, je suis quelqu’un qui travaille jour et nuit [rire de Bruno Ducarre]. Je suis un excellent abatteur, et je travaille jour et nuit.” »
Marc et Bruno rigolent encore.
Ils peuvent être soulagés, car les enquêteurs sont passés à côté d’un indice important.
Le nom de Bruno apparaît lui aussi dans le dossier judiciaire de l’affaire Curiel. Il a été soupçonné d’avoir pris part à deux opérations signées « Delta » – signature des meurtres d’Henri Curiel et Laïd Sebaï –, en mars 1978, avec un ancien parachutiste membre du Parti des forces nouvelles (PFN).
Ces attentats commis contre le siège du Parti communiste à La Garde-Le Pradet, le 25 mars, et celui de l’amicale des Algériens à Toulon, le 14 mars, n’avaient fait que des dégâts matériels. Mais le procès-verbal de la garde à vue de Bruno Ducarre dans ces affaires par la brigade des recherches de gendarmerie de Toulon était rapidement joint à la procédure Curiel du fait de la signature « Delta ». La vie de Bruno allait reprendre son cours. Il allait devenir policier, passer par la brigade criminelle de Paris, puis revenir diriger des unités à Toulon et à La Garde, pour finir, en 2022, retraité, et brièvement attaché parlementaire d’un député Rassemblement national.
Questionné par Mediapart, Bruno Ducarre a mis fin à la conversation. Son frère Marc n’a pas répondu.
En 2005, Jean Bataille, un ancien inspecteur des Renseignements généraux, racontait dans un roman autobiographique la constitution d’un « commando Île-de-France » pour lutter contre la subversion dans les années 1970. Il s’agit du contact de René Resciniti et Marc Ducarre aux RG.
Une deuxième barbouze gravitait autour de René Resciniti de Says lorsqu’il a commis ses crimes. Un deuxième policier que le biographe de René avait baptisé « Tango ». L’enquête judiciaire ne l’a pas identifié, et pourtant cet homme s’est lui-même signalé en faisant paraître un roman autobiographique, Commando Sud (In octavo Éditions, 2005). Jean Bataille est l’ancien policier des Renseignements généraux qui a frayé avec « Néné ». Sur Amazon, il a illustré sa notice biographique d’une photo de lui portant un fusil à lunette.
Jean Bataille y est présenté comme « un spécialiste de la contre-subversion à la fin de la guerre froide pour la période 1971-1996 », ancien inspecteur aux RG de la préfecture de police (RGPP) de Paris « chargé de la surveillance des menées terroristes », ancien « volontaire » à Beyrouth aux côtés des phalanges chrétiennes en 1976. Lié à un groupe d’extrême droite qui venait de commettre un mitraillage en plein Paris, il a été incarcéré en 1980, et radié de la police, comme avant lui, pour d’autres raisons, l’inspecteur Marc Ducarre, l’autre ami de René, qui émargeait au contre-espionnage.
« Ce roman relate certains épisodes de la guerre secrète livrés par une poignée de garçons pour délivrer un message de fermeté aux tenants de la révolution mondiale », explique la quatrième de couverture du livre de Bataille.
Plusieurs proches de René Resciniti de Says ont confirmé à Mediapart l’identité de « Tango », sans toutefois pouvoir préciser son rôle exact aux côtés de René. Dans les affaires Curiel et Goldman, Jean Bataille est présumé innocent. « La connexion Néné, Ducarre, Bataille, s’est faite dans le réseau des anciens du Liban, explique Grégory Pons, l’ancien journaliste proche de René. Néné est arrivé sur Debizet [l’ancien patron du Service d’action civique – ndlr] par Bataille et Ducarre. Lequel des deux je ne sais pas, mais ils fonctionnaient en binôme permanent, les deux. »
Grégory Pons se souvient d’avoir déjeuné avec eux jusqu’au début des années 1980. « Je n’ai jamais su s’ils étaient allés [au Liban] en mission, ou par patriotisme pro-libanais, mais à mon avis ils étaient déjà mouillés dans des barbouzeries, ça se voyait, ça se sentait. Ils avaient ça dans le sang. »
« Un noyau de notre police »
Le roman autobiographique de Bataille commence par l’assassinat à la machette d’un apparatchik est-allemand. Il se poursuit au Liban, par l’enrôlement de son personnage principal dans les phalanges, le voyage initiatique de nombreux nationalistes français, tous courants confondus, à l’époque. Selon les services de renseignement, près d’une centaine s’y sont rendus entre 1975 et 1976, avec un pic à l’été 1976. Lorsqu’ils n’avaient pas d’expérience militaire, leur séjour débutait dans un camp d’entraînement par une formation au maniement des armes et des explosifs, et se poursuivait dans le quartier d’Achrafieh, à Beyrouth.
Sur place, René avait retrouvé l’inspecteur Ducarre, parti sur ses congés, sans prévenir sa hiérarchie, à l’été 1976.
« Je suis allé à Athènes, puis de là à Larnaca à Chypre dans un couvent qui servait de liaison pour aller ensuite vers Beyrouth, a expliqué Ducarre aux policiers. On faisait des actions de type reprise de bâtiments sur la ligne de front. Il y avait René, que je n’avais pas revu depuis le 9e RCP. On est devenus amis au Liban. Il y avait mes deux frères, Bernard et Patrick. Il y avait les frères Pochez, l’un d’eux a été blessé. Il y avait Titi dit “le Chinois”, très connu. Il y avait pas mal de royalistes de Paris, dont René. » Ducarre se flattait d’être devenu un bon sniper à Beyrouth.
Volontaire au même moment, Olivier Danet, ancien d’Ordre nouveau et du Parti des forces nouvelles (PFN) qui marchera sur les pas du mercenaire Bob Denard aux Comores, côtoie le groupe au Liban. René a d’ailleurs failli le « flinguer » accidentellement d’un tir de kalachnikov. « À mon avis, il ne faut pas trop chercher dans nos milieux politiques, avance l’ancien mercenaire, s’agissant des exécutions de Curiel et Goldman. C’était plutôt une barbouzerie. Un noyau de notre police qui déconnait... » Lorsqu’on évoque le binôme de policiers proche de René, Danet répond qu’il ne « confirme rien ». « Mais c’est dans ces coins-là qu’il faut chercher », concède-t-il.
« Je ne crois en rien à cette hypothèse selon laquelle cette fraternité [des volontaires français au Liban – ndlr] serait concernée par ce dossier », juge aussi un autre volontaire proche de Denard, Patrick Klein, qui a également connu les frères Ducarre à Beyrouth et qui a consacré un chapitre de son autobiographie à l’engagement libanais(1).Selon lui, Ducarre, René et Bataille « formaient un groupe indépendant car ils avaient été militaires au préalable », explique-t-il.
Dans son livre, Jean Bataille raconte son séjour chez les milices chrétiennes, en octobre et novembre 1976. Il y rencontre Pierre, un corse, « qui avait un grand passé de chevalier à la barre de fer à Nice », et s’était déjà illustré à Beyrouth, dans de nombreux combats de rue. Il fait ainsi apparaître Pierre Bugny-Versini, un jeune militaire d’extrême droite, formé chez les paras du 1erRPIMa, qui deviendra une figure du milieu, et son grand ami. Les volontaires « formaient une équipe de choc qui pouvait intervenir rapidement à peu près partout dans la ville », écrit Bataille. En regagnant Paris, son héros se dit « un peu déçu par l’intensité des combats », mais « rassuré sur sa conduite au feu ».
Au retour, le double de Bataille crée une « petite organisation » avec un groupe de camarades, autour de « Pierre », avec l’objectif de résister à une insurrection communiste, voire à l’Armée rouge. Ce « Commando Sud » se met à réaliser des opérations extérieures en Afrique, commanditées par un mystérieux colonel. Ponctuelles. Contre des forces cubaines, vraisemblablement en Angola ; puis en Rhodésie, pour contrer les mouvements nationalistes zimbabwéens. Et d’autres actions, en France, celles-là.
« La plus grande partie des actions étaient impulsées par le colonel [...]. De temps à autre, exploitant leurs propres sources de renseignement, ils s’accordaient un petit plaisir en liquidant une équipe plus proche du banditisme que de la politique. C’était un accord tacite avec le colonel, une contrepartie au fait qu’ils n’étaient pas rétribués, pas décorés, et encore moins reconnus. Cette forme de paiement en nature leur donnait l’illusion d’être libres. »
Ils étaient « obligés de laisser s’échapper du beau gibier par manque de temps, de moyens », « et parce que la désignation des objectifs n’était théoriquement pas de leur niveau ». Il fallait créer une « équipe supplémentaire », et « sous-traiter des objectifs ».
C’est alors, page 133 de son livre, que le double de Jean Bataille rencontre le double de Marc Ducarre :
« Parmi les gars qu’il avait contactés, il y avait un ancien du Liban dont la conduite au feu avait été semble-t-il irréprochable. Il semblait désireux de s’engager dans la lutte antisubversive avec son groupe de camarades. On l’aurait cru sorti d’une affiche de propagande pour les T.A.P. [troupes aéroportées parachutistes – ndlr]. Même lorsqu’il était en civil, on avait l’impression qu’il revenait de manger du mess des officiers. Il se la jouait “bête de guerre” au repos et portait en permanence un foulard sous sa chemise et des lunettes de soleil même lorsque le ciel était gris. »
L’alias de Bataille lui avait proposé « une sorte de prestation clefs en main du contre-terrorisme », ainsi qu’une « aide logistique et technique ». Le para qui « ne lâchait pas plus de cinq mots à l’heure » s’était dit d’accord sur le principe.
Mais ses camarades étant « également des pisse-froid, d’un naturel soupçonneux »,il avait fallu « sous-entendre que les plus hautes autorités étaient dans le coup », et leur rendre quelques menus services. Ils étaient friands de notes de renseignement. Un jour, l’un d’eux a demandé un coup de main pour protéger une prostituée qui exerçait « dans une galerie des Champs-Élysées » – coïncidence, René Resciniti de Says vivait au-dessus de la galerie du Lido –, une faveur fermement refusée.
« Ce projet avançait vite, car ce commando, appelons-le Île-de-France, était un clone du leur », écrit Jean Bataille.
Le roman n’en dit pas plus sur la destinée du mystérieux commando et ses actions en Île-de-France.
Un mitraillage à Paris
C’est que la carrière de l’inspecteur Jean Bataille a été stoppée net, le 2 juin 1980, après l’interpellation de Pierre Bugny-Versini, son ami corse, dans l’enquête sur le mitraillage de l’ambassade d’Iran, le 14 mai précédent. Cet attentat, qui blesse plusieurs gendarmes en faction devant l’ambassade, est revendiqué par le FLNC, dont certains leaders, notamment Alain Orsoni, sont liés à l’extrême droite – Bugny-Versini et Orsoni ont frayé avec le GUD à l’université d’Assas quelques années plus tôt. À Paris, les policiers perquisitionnent un box situé impasse de l’Église, dont Bugny-Versini a la clé. Ils découvrent les armes utilisées pour le mitraillage, des pistolets mitrailleurs, des pistolets automatiques, mais aussi des explosifs, des cagoules, et même des perruques. Ils mettent la main également sur des notes des Renseignements généraux sur des personnalités et des mouvements de gauche et d’extrême gauche, ainsi qu’une photocopie de la carte de policier de Jean Bataille – Jean-Pierre de son état civil.
Le policier est inculpé et écroué en même temps que Bugny-Versini. Puis il est révoqué le 19 septembre suivant. Lorsqu’il comparaît au tribunal, en décembre, Jean Bataille tente vainement d’expliquer qu’il n’a été « guidé que par la recherche de renseignement ». L’inspecteur est condamné à deux ans de prison, dont neuf mois avec sursis. Quant à Pierre Bugny-Versini, il meurt déchiqueté avec un camarade, en novembre 1985, par l’explosion de sa voiture, dans le parking George-V aux Champs-Élysées. Il avait fait partie des chefs du groupe action du PFN.
La vie de Jean Bataille devient en apparence plus tranquille, comme attaché d’administration dans une université du sud de la France. Après l’écriture de Commando Sud, il publie un livre et un article sur la « cryptie » (un rite de passage des jeunes guerriers à Sparte) dans la revue Sparta animée par Philippe Baillet, l’ancien secrétaire de rédaction des revues du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), auteur de textes favorables aux théories raciales du Troisième Reich, et Jean Plantin, un révisionniste convaincu.
À l’occasion de la sortie de son livre, Kryptie, les services secrets de Sparte (Dualpha, 2022), Bataille explique qu’assez jeune il a été, « dans le cadre de la défense de [ses] idées, un spécialiste de la contre-subversion ». « À l’époque, 1970-1985, le danger était bien réel et après quelques aventures, je me suis retrouvé en prison, reconnaît-il, et c’est pendant mon incarcération que j’ai vraiment pu me consacrer à la lecture des textes de Platon, Plutarque, Xénophon et d’autres auteurs de la Grèce antique. »
L’ancien inspecteur signale « l’histoire du jeune Spartiate qui se laisse dévorer le ventre par un renard plutôt que de parler ». « La Kryptie implique, sur le plan mental et physique, un don total de sa personne, la conservation absolue du secret, et une résistance stoïque allant jusqu’au sacrifice de sa propre vie », souligne-t-il. Joint via son éditeur Philippe Randa, le patron des éditions Dualpha, Jean Bataille a fait savoir qu’il ne souhaitait « pas entrer en contact avec Mediapart ». Il n’a donc pas répondu à nos questions.
L’amie qui « savait »
Dans cette affaire, le secret, d’abord brisé par René, continue de s’effriter. Après le nom de Marc Ducarre, l’ancien contre-espion dont il était proche, l’enquête a révélé l’identité de plusieurs personnes de l’entourage de René Resciniti de Says qui figuraient sous pseudonyme dans le livre de son biographe et ami Christian Rol.
La femme qui partageait la vie de René, baptisée Éléonore dans ce livre, s’avère être Catherine Barnay, une figure de la droite radicale, membre du comité national d’Ordre nouveau en 1973, puis de celui du Parti des forces nouvelles en 1976. « Une fasciste pure et dure » comme le signale Rol, qui fera carrière dans les médias d’extrême droite, Le Choc du mois et Minute, dont elle reprendra le titre en 1999, avant d’entrer dans le groupe Causeur (voir ici l’enquête de René Monzat sur le contrôle de ce groupe de presse). Catherine Barnay est à l’époque partie prenante de plusieurs officines (L’Institut européen de recherches et d’études politiques, l’IREP, qui fait paraître la revue Confidentiel, en 1979), liées aux radicaux italiens et espagnols, dont certains sont activement recherchés.
Selon ses propos rapportés par Christian Rol, elle a été informée de l’attentat contre Goldman deux jours avant les faits, mais elle dit n’avoir rien su de l’assassinat de Curiel. Catherine Barnay n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
« Pour Goldman, je savais,raconte-t-elle au journaliste d’extrême droite. Il [René] m’a prévenue deux jours avant de commettre l’attentat. Je me suis toujours tue évidemment [...]. Tout ce que je sais c’est que, lorsqu’ils sont revenus à la maison, ils étaient comme en état d’hypothermie, tremblants. Je ne sais pas si René a tiré comme il l’assure, en tout cas, il était de l’opération. Quant à Curiel, je ne sais rien. Pour la bonne raison que je n’ai jamais entendu parler de cette opération quand nous vivions ensemble. »
Elle confie aussi qu’elle a présenté le néofasciste italien Stefano Delle Chiaie à René. Ce dernier est d’origine italienne par ses deux parents, et il se fait une joie de servir d’agent de liaison au terroriste activement recherché par la police italienne. « René avait l’habitude de dire : “Je suis monarchiste en France et fasciste en Italie” »,va d’ailleurs expliquer Christian Rol, sur Radio Courtoisie, pour justifier le titre de son livre, inapproprié de l’avis des royalistes, Le Roman vrai d’un fasciste français.
Via Catherine Barnay, le tueur s’est aussi rapproché, épisodiquement, de l’équipe du Choc du mois, puis de certains membres de Jalons, un groupe parodique animé par un conseiller de Charles Pasqua, Bruno Telenne, alias Basile de Koch. René avait ainsi raconté ses actions à Pierre Robin, représentant de l’aile nationaliste de Jalons, « Nazisme et dialogue », et ils avaient réfléchi ensemble à un projet de livre. Une idée finalement concrétisée par Christian Rol.
Mais Rol a fini par regretter d’avoir écrit cette biographie qu’il « traîne comme un boulet »,raconte-t-il sur sa page Facebook. Il espérait raconter les exploits de René, sans éclabousser ses proches et sa mouvance. C’est raté. « Bon, je ne vais pas faire le malin outre mesure et jouer les cadors alors que j’ai gentiment collaboré pour me sortir de ce piège à con et pour absoudre tous les protagonistes de ce livre qui eurent à déplorer parfois ma légèreté coupable », écrit-il, après sa deuxième audition par les policiers de la brigade criminelle. Sur Facebook, le journaliste laisse libre cours à ses haines, en gratifiant au passage la famille Curiel de remarques antisémites. « En fait, la famille Curiel et les héritiers spirituels du macchabée ont le bras très long,écrit-il. Essentiellement parce qu’ils appartiennent à la fameuse Kommunauté [sic], comme Curiel lui-même, et qu’ils comptent bien faire payer l’État français pour les barbouzeries fatales au cher grand homme. »
Sur une écoute judiciaire, l'ancien journaliste du Choc du mois s’inquiète d’en avoir trop dit aux policiers. « Est-ce qu’il est encore dangereux machin là, Ducarre ? » demande-t-il à un ami de René. « Il bougera pas,lui répond ce dernier. C’est un flic, donc il est quand même solide. S’il ne se sent pas menacé, il bougera pas. »
Devant les policiers, Rol précise qu’il a demandé à Catherine Barnay de l’introduire auprès de Marc Ducarre pour la préparation de son livre, mais que « cela faisait vingt ans – depuis le milieu des années 1990 – qu’elle ne l’avait pas vu ». Ducarre, lui, s’était souvenu de Barnay comme d’une femme « sympa », au « caractère bien trempé ».
La cellule « Néné, DST, Poulets »
Un autre ami a su, mais bien plus tard, ce que René avait fait. Ancien militant de Jeune Nation, et ancien de l’OAS, Claude C. avait rencontré René en 1994, et Marc Ducarre peu après. Les deux hommes lui avaient confié qu’ils étaient responsables de l’exécution de Pierre Goldman.
« Les deux me l’ont dit,a exposé Claude aux policiers. Chacun à leur tour. Marc Ducarre m’avait dit que c’était lui qui avait monté l’opération et que c’est lui qui avait tiré le premier, et que René l’avait achevé. C’était une affaire commanditée en haut lieu [...] Marc Ducarre travaillait pour Debizet entre autres, qui était la courroie de transmission du pouvoir. »
Joint par Mediapart, et obsédé par un long conflit immobilier qui l’oppose à Ducarre, Claude C. exhume en vrac toutes les confidences de René et de Marc. D’abord sur l’assassinat d’Henri Curiel. « Quand René m’a présenté Marc, il m’a dit : “Ça va te faire plaisir, il m’a aidé à flinguer un porteur de valises”,dit-il. Parce que René me reliait à l’affaire algérienne. Pendant cette action [contre Curiel] Ducarre avait fait la protection. Pour eux, c’était très facile. »
Les deux hommes avaient parlé à Claude d’autres opérations. René lui avait confié qu’il avait « donné le coup de grâce » à Pierre Goldman. « René m’a dit : “Quand je l’ai donné, il m’a bien regardé en face.” Goldman avait été touché par les premiers tirs, donc il est tombé, et c’est René qui est arrivé, et boum, qui lui a mis une balle en plein cœur. Goldman l’a bien regardé dans les yeux. »
Ils lui parlent aussi de l’assassinat de Mahmoud Ould Saleh. Palestinien d’origine mauritanienne, cet ancien représentant de l’OLP a été exécuté devant sa librairie, par deux balles de 11.43 dans la tête, par deux inconnus, rue Saint-Victor à Paris, le 3 janvier 1977. « Le libraire, Ducarre m’a dit comment il l’avait flingué, poursuit Claude. Il avait ouvert un volet, et l’autre, boum. Il m’avait dit que c’était un libraire gauchiste. » Grégory Pons, l’ancien journaliste proche de René, confie à Mediapart qu’il avait lui aussi « relié cette affaire à Néné », mais « sans avoir de vraie preuve ». « J’avais toujours mis ça du côté de la cellule Néné, DST, Poulets », dit-il.
La « cellule terroriste », comme l’appelle aussi Grégory Pons, se disperse en 1980. À peu près au moment où Jean Bataille est incarcéré dans l’affaire du mitraillage de l’ambassade d’Iran. René s’envole pour l’Amérique centrale, pour former des « Contras » à la frontière du Guatemala et du Salvador, recruté par Jean-Denis Raingeard de la Blétière, un ancien d’Aginter, l’agence de contre-subversion basée à Lisbonne jusqu’en 1973.
Marc Ducarre, occupé par les derniers soubresauts du SAC, est chargé de la sécurité de son patron, Pierre Debizet, dit « Gros sourcils ». L’assassinat de la famille d’un membre du SAC à Auriol, en juillet 1981, provoque la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’organisation parallèle, puis sa dissolution en août 1982. Mais des soupçons subsistent sur les raisons de l’arrivée de Ducarre au Pays basque, après sa formation de bûcheron, en 1984. Il s’installe à Hasparren et à La Bastide, où il passe deux ans, de 1985 à 1987. « Il a appris le métier de bûcheron pour flinguer les mecs de l’ETA, témoigne encore Claude C.. Il m’a raconté qu’il en avait buté un qui faisait son footing dans les bois. »
« C’est délirant cette histoire de GAL [Groupes antiterroristes de libération – ndlr], a démenti Ducarre devant les policiers. Alors oui j’ai habité au Pays basque. Je vous rappelle qu’en 1984, j’ai tout lâché pour faire une formation de bûcheron. Ce n’est pas pour me retrouver dans les GAL. »
L’enquête sur l’assassinat d’Henri Curiel déborde d’indices et de faits nouveaux. Elle est désormais entre les mains d’une juge du pôle dédié aux affaires non élucidées et aux crimes en série à Nanterre.
(1) Patrick Klein, Par le sang des autres. Coup d’état d’âme, éditions du Rocher, 2013.
(Genève, le 29 août 2023) – L’ancien ministre algérien de la Défense Khaled Nezzar sera jugé en Suisse pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Après presque douze ans d’une procédure tumultueuse, l’annonce d’un procès fait renaître l’espoir pour les victimes de la guerre civile algérienne (1991–2002) d’obtenir enfin justice. M. Nezzar sera le plus haut responsable militaire jamais jugé au monde pour de tels crimes sur le fondement de la compétence universelle.
Une photo prise le 9 janvier 2016 montre l’ancien ministre algérien de la Défense Khaled Nezzar s’exprimant lors d’une conférence de presse à Alger. (Photo Ryad KRAMDI / AFP)
Le Ministère public de la Confédération (MPC) a transmis le 28 août 2023 au Tribunal pénal fédéral (TPF) un acte d’accusation à l’encontre de Khaled Nezzar. Les faits reprochés à l’ancien général algérien sont lourds : ils font état de crimes de guerre sous forme de torture, de traitements inhumains, de détentions et condamnations arbitraires ainsi que crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats qui se seraient déroulés de janvier 1992 à janvier 1994, durant les premières années de la guerre civile. Le conflit qui a opposé le gouvernement algérien et divers groupes armés islamistes a fait près de 200 000 morts et disparus, ainsi que de multiples victimes de tortures, de violences sexuelles et d’autres violations massives de la part de l’armée algérienne autant que de ces groupes armés. Le procès à venir marque une étape historique dans la lutte contre l’impunité des crimes commis durant la « décennie noire », une loi d’amnistie garantissant en Algérie une impunité complète pour les atrocités commises par toutes les parties au conflit.
TRIAL International avait déposé en 2011 une dénonciation pénale contre Khaled Nezzar, menant à son interpellation rapide et à l’ouverture formelle d’une procédure à son encontre. Cette mise en accusation est accueillie positivement par l’organisation, qui plaide pour une ouverture du procès à bref délai. «Durant les presque douze années de procédure, l’état de santé du prévenu s’est dégradé et il ne serait pas concevable pour les victimes que leur droit d’obtenir justice leur soit maintenant nié», explique Benoit Meystre, conseiller juridique chez TRIAL International, avant de poursuivre : «le Tribunal doit rapidement faire la lumière sur les crimes commis en Algérie et la responsabilité que porte M. Nezzar, si l’on veut éviter un déni de justice».
Le combat des parties plaignantes pour mener Khaled Nezzar devant la justice a en effet été extrêmement éprouvant. Encore dernièrement, une victime a retiré sa plainte à la suite de pressions exercées sur sa personne depuis l’Algérie. Une autre plainte a été classée en 2023 du fait que la victime, vivant en Algérie, n’était plus joignable, laissant craindre le pire en ce qui la concerne. Une troisième victime est décédée récemment sans connaître l’issue du combat judiciaire qu’elle avait entamé en 2011.
Abdelwahab Boukezouha, l’une des cinq parties plaignantes, qui a fait preuve d’un courage indéfectible tout au long des presque douze années d’instruction, explique : «je ne me bats pas seulement pour moi, mais pour toutes les victimes de la décennie noire de même que pour les plus jeunes et les générations futures. Jamais plus un Algérien ou une Algérienne ne devra subir ce que j’ai moi-même vécu !».
L’instruction pénale et le futur procès contre Khaled Nezzar sont possibles en application du principe de compétence universelle, qui permet et parfois impose aux États d’enquêter et de poursuivre les personnes suspectées d’avoir commis des crimes internationaux, et ce, quel que soit le lieu où les crimes ont été commis et peu importe la nationalité des suspects et des victimes. TRIAL International souligne que le Général Nezzar deviendra le plus haut responsable militaire jugé où que ce soit dans le monde sur le fondement de ce principe. Il sera également le troisième accusé à comparaître devant le TPF pour répondre de sa participation dans des crimes internationaux.
Benoit Meystre conclut : «aucune autre poursuite concernant la décennie noire n’aura lieu, où que ce soit dans le monde. Ce procès est dès lors l’unique – mais aussi la toute dernière – opportunité de rendre justice aux victimes de la guerre civile algérienne».
Le général algérien Nezzar prêt à être jugé en Suisse
Accusé de crimes contre l’humanité, le célèbre général algérien devra passer devant le Tribunal pénal fédéral. Mais le temps presse.
-Ancien homme fort du pouvoir algérien, le général Khaled Nezzar, ici en 2001.
AFP
Lundi 28 août, Le Ministère public de la Confédération (MPC) a transmis au Tribunal pénal fédéral (TPF) un acte d’accusation à l’encontre de Khaled Nezzar, général algérien arrêté en 2011 à Genève suite à une dénonciation de l’organisation Trial International. La décision du MPC marque une nouvelle étape importante dans l’enquête ouverte contre ce général impliqué dans la guerre civile qu’a connu l’Algérie au début des années 90.
Né en 1937, le général Nezzar est très connu en Algérie, où il réside actuellement. En 2019 encore, il a fait parler de lui après avoir appelé à un soulèvement de l’armée avec d’autres anciens militaires. Il a été accusé de complot et d’atteinte à l’ordre public et condamné par contumace à 20 ans de prison. Mais finalement, il a pu rentrer en Algérie en décembre 2019 et n’a pas été autrement inquiété depuis.
Torture et traitements inhumains
Dans les années 90, les faits reprochés à l’ancien général algérien sont graves, note Trial International: «Ils font état de crimes de guerre sous forme de torture, de traitements inhumains, de détentions et condamnations arbitraires ainsi que crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats qui se seraient déroulés de janvier 1992 à janvier 1994, durant les premières années de la guerre civile».
Maintenant que l’acte d’accusation a été transmis au Tribunal pénal fédéral, Trial International espère que le procès pourra se tenir rapidement en raison de l’état de santé du général, qui n’a cessé de décliner depuis l’ouverture de l’enquête en 2011. En cas de décès, le procès n’aurait évidemment pas lieu. Pour son conseiller juridique Benoit Meystre: «Ce ne serait pas concevable pour les victimes que leur droit d’obtenir justice leur soit maintenant nié».
Viendra-t-il à son procès? «Nous l’espérons, répond-il. Jusqu’ici, il a répondu aux convocations de la justice suisse, la dernière fois en 2022. Selon ses avocats, il a fait savoir qu’il tenait à s’expliquer devant le tribunal».
Un combat pour tous les Algériens
En douze ans d’enquêtes du MPC, certaines parties plaignantes ont dû abandonner pour diverses raisons, l’une étant même décédée. Mais le procès reste très attendu pour celles qui se battent depuis si longtemps pour obtenir justice: «Je ne me bats pas seulement pour moi, déclare l’une d’entre elles, mais pour toutes les victimes de la «décennie noire» de même que pour les plus jeunes et les générations futures. Jamais plus un Algérien ou une Algérienne ne devra subir ce que j’ai moi-même vécu!»
La dernière opportunité
Rappelons qu’entre 1992 et le début des années 2000, l’Algérie a connu une guerre, où la population civile a énormément souffert. On dénombre environ 200 000 morts, 20 000 disparus, des centaines de milliers de gens déplacés, des dizaines de milliers de torturés et de déportés. Ces violences impliquaient des groupes armés se réclamant de l’Islam, mais les principaux responsables de cette «sale guerre» ont été les forces spéciales de l’armée, les services de renseignements, des milices ou des escadrons de la mort. De 1992 à 1994, Khaled Nezzar a été l’un des cinq membres du Haut Comité d’État, la junte militaire qui avait pris le pouvoir et prenait les décisions.
Pour Benoît Meystre: «Aucune autre poursuite concernant la «décennie noire» n’aura lieu, où que ce soit dans le monde. Ce procès est dès lors l’unique, mais aussi la toute dernière opportunité de rendre justice aux victimes de la guerre civile algérienne». Dans quel délai le procès pourrait-il se tenir devant le Tribunal pénal fédéral: «Pour nous, vu son état de santé, le plus vite possible. Nous avons peu d’expérience dans ce type de procédures. Ce ne sera pas demain, mais probablement dans quelques mois».
Un précédent rwandais
Trial International précise que le droit suisse autorise la poursuite de certaines infractions au droit international, notamment les violations des Conventions de Genève, dès lors que le suspect se trouve sur le territoire suisse.
Par le passé, un ressortissant rwandais a ainsi été condamné en Suisse à 14 ans de prison pour sa participation au génocide.
L’enquête sur le tir de LBD fatal à un jeune homme de 27 ans, à laquelle Mediapart et « Libération » ont eu accès, montre comment cette unité d’exception a été mise au service d’un rétablissement de l’ordre spectaculaire alors qu’elle n’avait ni l’équipement, ni les compétences, ni le raisonnement adaptés à cette situation d’émeute.
Le 2 juillet, à 00 h 58, au niveau du 73, rue de Rome à Marseille, Mohamed Bendriss, au guidon de son scooter, est atteint par deux tirs de lanceur de balles de défense (LBD). Il remonte alors le long d’une colonne de véhicules du Raid, déployés pour « rétablir l’ordre » à Marseille. Le jeune homme de 27 ans parvient à continuer sa route et s’effondre deux minutes plus tard devant chez sa mère, cours Lieutaud.
Mohamed Bendriss est le seul mort recensé lors de ces nuits d’émeutes qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk, tué par un tir policier à Nanterre. L’un des deux impacts de LBD, au thorax, a provoqué une crise cardiaque ayant entraîné sa mort. L’autre a laissé une marque sur l’intérieur de sa cuisse droite. Sous l’effet d’un troisième projectile, un « bean bag » tiré à trois ou quatre mètres, le phare de son scooter a éclaté.
Le 10 août, soit six semaines après les faits, trois policiers du Raid soupçonnés d’être à l’origine de ces tirs sont mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». L’information judiciaire, qui se poursuit, vise à déterminer s’ils ont agi dans les règles et de manière proportionnée. L’enquête confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et à la police judiciaire (PJ), à laquelle Mediapart et Libération ont eu accès, permet d’éclaircir dans quelles conditions le Raid est intervenu ce soir-là à Marseille et pourquoi il a décidé d’ouvrir le feu.
Les dépositions des mis en cause et d’une trentaine de témoins (policiers ou non), ainsi que l’exploitation de nombreuses vidéos, révèlent que cette unité d’exception au sein de la police, particulièrement peu préparée à assurer des missions de maintien de l’ordre, obéit à des logiques à part. Elles montrent aussi que très tôt, le Raid a eu conscience de sa possible implication dans le décès de Mohamed Bendriss et a préféré en discuter collectivement, en interne, plutôt que d’en référer à la justice.
« Mohamed a été tué par une balle de LBD 40, tirée avec une arme non adaptée et illégale, par une unité spéciale inadaptée au maintien de l’ordre, couverte par la hiérarchie du Raid qui a dissimulé le crime en connaissance de cause », affirme Arié Alimi, l’avocat de la veuve de Mohamed Bendriss.
Au soir du 1er juillet, comme les deux jours précédents, le Raid est déployé à Marseille pour faire face à des émeutes et pillages de magasins. Sur décision de Gérald Darmanin, c’est la première fois que cette unité d’élite, spécialisée dans les prises d’otages et les interventions antiterroristes, est ainsi employée à lutter contre des violences urbaines en métropole.
« On se demandait ce qu’on foutait là », résume en garde à vue Alexandre P., un des policiers mis en examen. « C’était ma toute première nuit d’émeute dans ma carrière, ajoute son collègue Jérémy P. Nous ne sommes pas du tout formés pour ce genre d’émeute, nous ne sommes pas habitués à cela. Nous n’avons même pas de protection adaptée. »
Dans les rues de Marseille, le Raid se déplace en convoi de sept véhicules. À sa tête, le « PVP » (« petit véhicule de protection »), un blindé très reconnaissable avec un opérateur du Raid juché sur une tourelle. Ce soir-là, c’est Alexandre P. qui s’y colle. Son rôle : « signaler aux autres des faits suspects » et « assurer la protection du convoi ». Pour ce faire, il dispose d’un LBD multicoups, approvisionné par six munitions.
« Nous devions suivre le PVP où qu’il aille, sans jamais nous séparer ni changer la position de la colonne », explique un opérateur assis dans un autre véhicule. Le convoi est là pour impressionner, mais aussi pour interpeller si nécessaire, ou disperser un attroupement.
Si les fonctionnaires du Raid sont novices en maintien de l’ordre, ce sont de bons tireurs : habilités à toutes les armes, ils s’entraînent plus souvent que les autres policiers. Signe qu’ils appartiennent à une unité à part, chacun d’entre eux peut choisir ses armes et les embarquer en mission sans formalités particulières. Au point que leur hiérarchie est incapable de déterminer, a posteriori, qui a pris quoi.
Au total, dans la nuit du 1er au 2 juillet, les 22 opérateurs composant la colonne ont tiré 107 « bean bags » (des projectiles en petits sacs compacts remplis de billes), 30 munitions de LBD, 10 grenades lacrymogènes et 4 grenades de désencerclement. Ils n’ont rempli aucune « fiche TSUA » (traitement et suivi de l’usage des armes), obligatoire après chaque tir pour les policiers classiques, en gage de traçabilité. Ils ne sont pas non plus équipés de caméras-piétons et leurs échanges radio, en circuit fermé, ne font l’objet d’aucun enregistrement.
Un premier tir depuis la tourelle
Lors du « briefing », la hiérarchie du Raid a appelé ses troupes à faire preuve d’une vigilance particulière sur les deux-roues, qui pourraient leur tourner autour et s’attaquer à elles. « Nous avions la sensation que les scooters étaient les leaders d’une guérilla urbaine, explique l’un des policiers placés en garde à vue, puis relâché sans suite. Nous avions la crainte de recevoir des cocktails Molotov comme les collègues de Strasbourg, qui se sont même fait tirer dessus à la kalachnikov… Les collègues de Nîmes se sont fait tirer dessus au 9 mm. »
C’est dans ce contexte que les policiers assistent, peu avant 1 heure du matin, à une scène qui attire leur attention. Alors qu’ils sont requis en centre-ville, pour sécuriser un magasin Foot Locker pillé, ils voient un piéton courir vers eux, tenant à la main un sac de marchandises volées. À sa hauteur, un scooter semble le suivre et se livrer à un étrange manège : il pourrait être son complice ou essayer d’arracher son butin. Dans tous les cas, « il y a matière à interpeller », estime Alexandre P. depuis sa tourelle.
Alors que certains de ses collègues mettent pied à terre, le policier tire au LBD à deux reprises. Il vise d’abord le piéton, puis se retourne vers le scooter de Mohamed Bendriss, qui « continue d’avancer alors qu’on lui demande de s’arrêter ».
« J’ai considéré son geste d’accélérer en direction du convoi comme un geste d’agression », explique Alexandre P., estimant sa distance de tir à dix mètres. « Je n’ai pas visé la tête, je voulais arrêter ce putain de scooter », qui « fonce sur nous », « met en péril notre capacité opérationnelle » et pourrait représenter « une menace », ajoute-t-il. « Je me protégeais et je protégeais les personnels du convoi à terre. »
Le policier constate que le scooter continue sa route. Sur le moment, il n’aurait même pas été certain de toucher Mohamed Bendriss. Les images, qu’il a visionnées par la suite, le lui confirment : « On voit mon projectile sortir de la veste du scooter du conducteur. […] C’est ma balle de défense qui sort de sa veste et qui vient tomber par terre. » C’est probablement ce tir qui a atteint Mohamed Bendriss en pleine poitrine.
« J’ai toujours fait mon travail dans les règles de l’art ; je ne veux pas la mort des gens », a indiqué Alexandre P. aux enquêteurs. « J’ai jamais été aussi stressé alors que j’ai vécu l’Hyper Cacher. C’est le ciel qui me tombe sur la tête. » Contacté par Mediapart et Libération, son avocat, Dominique Mattei, n’a pas souhaité s’exprimer.
Un « bean bag » dans le phare
« Au départ, c’est le monsieur du fourgon qui était sur le toit qui tirait et ses collègues se sont mis à faire pareil », indique à l’IGPN une riveraine, témoin de la scène. Une fois le scooter hors de portée d’Alexandre P., d’autres fonctionnaires prennent effectivement le relais : ils sortent du deuxième véhicule de la colonne, un multivan Volkswagen.
Les agents « E » et « F » (désignés ainsi dans l’enquête pour préserver leur anonymat) tirent chacun un « bean bag » en direction du piéton, touché dans le dos, et parviennent à l’interpeller. Nabil B. sera condamné à quatre mois de prison ferme pour le vol de deux paires de Nike.
Au même moment, Jérémy P., le passager arrière gauche du multivan, se retrouve face au scooter. Celui-ci n’est plus qu’à une dizaine de mètres et fait « des embardées de droite à gauche ». Depuis leur fenêtre, des riveraines en déduisent que « le conducteur a dû être touché » et tente de garder l’équilibre. « Je me suis senti clairement en danger […] car je ne parvenais pas à comprendre ses intentions », avance de son côté Jérémy P. Il crie « stop » et met en joue Mohamed Bendriss avec son fusil « bean bag ».
« Le scooter n’a jamais ralenti, j’ai vu qu’il n’avait pas les mains sur les freins car il se rapprochait de plus en plus. À trois mètres de moi, je me suis rendu compte qu’il était trop près pour que je lui tire dessus, alors j’ai visé la calandre. […] Je l’ai impacté au phare, qui était éclairé et qui a explosé. Il a volé en mille morceaux, il y avait des éclats au sol. »
Quatre jours après les faits, c’est bien une munition « bean bag », fichée dans le phare du scooter, qui met les enquêteurs sur la piste du Raid. « Je suis certain d’avoir tiré en direction de son scooter et non de sa personne », répète Jérémy P. face à la juge d’instruction qui le met en examen. Son avocate, Chantal Fortuné, n’a pas souhaité s’exprimer.
Le troisième mis en examen soupçonné du tir à la cuisse
Malgré ce nouveau tir, le scooter continue à remonter le convoi. Grâce aux vidéos récoltées au fil de l’enquête, l’IGPN établit qu’en quelques secondes, six détonations – des tirs de LBD ou de « bean bags » – retentissent. Ils ont du mal à attribuer la dernière, mais considèrent qu’il pourrait s’agir du tir de LBD qui a touché Mohamed Bendriss à la cuisse.
Un fonctionnaire fait office de suspect privilégié : Sylvain S., conducteur de la Laguna en troisième position dans le convoi. Sur certaines images, le canon de son LBD dépasse de sa fenêtre. « Je n’ai pas fait usage de cette arme », faute de « fenêtre de tir » satisfaisante, assure pourtant ce policier. « Le tir éventuel qui m’est reproché, c’est une blessure au niveau de la cuisse et c’est improbable au niveau de l’angle de tir », ajoute-t-il. Il est tout de même mis en examen. Son avocat, Nicolas Branthomme, n’a pas souhaité s’exprimer.
Comment comprendre que le Raid ait vu Mohamed Bendriss comme une menace ? Par des réflexes propres à son fonctionnement, mais inconnus du grand public. « Tout ce qui s’approchait de notre bulle de protection était considéré comme dangereux », résume l’un des opérateurs lors de sa garde à vue. « Il faut vraiment être stupide pour forcer un barrage de convoi du Raid », complète un autre, pour lequel « on ne pouvait pas se retrouver avec des émeutiers au milieu [du] convoi ».
Tous le répètent : au sein de leur colonne, deux médecins sont là pour prendre en charge d’éventuels blessés. Ils ont d’ailleurs porté assistance à Nabil B., le voleur de baskets. S’ils ne se sont pas inquiétés du sort de Mohamed Bendriss, c’est parce qu’il a continué sa route sans encombre et paraissait en bonne santé.
Vingt-six jours pour envoyer une vidéo
Pour aboutir à la convocation de toute la colonne du Raid les 8 et 9 août, le placement en garde à vue de cinq fonctionnaires susceptibles d’avoir tiré et la mise en examen de trois d’entre eux, les juges d’instruction et les enquêteurs de l’IGPN ont mené un énorme travail de collecte et de recoupement d’indices pendant un mois.
La nuit des faits, le scooter de Mohamed Bendriss, abandonné devant chez sa mère et volé dans la foulée, est retrouvé par un équipage de la brigade anticriminalité (BAC) à 3 heures du matin. Coïncidence : deux des trois policiers qui contrôlent et interpellent le voleur seront mis en examen, trois semaines plus tard, pour des « violences aggravées » contre Hedi R. la même nuit.
À la recherche du deux-roues, l’IGPN apprend le 6 juillet qu’il est stocké dans un commissariat marseillais et découvre qu’un « bean bag » est resté encastré dans le phare. Comprenant alors que le Raid pourrait être impliqué, la « police des polices » envoie une série de réquisitions à cette unité pour connaître l’équipement de ses membres, la chronologie de ses interventions au cours de la nuit et la composition de ses équipages. Elle obtient des réponses rapides, mais pas toujours complètes.
En parallèle, la géolocalisation téléphonique de Mohamed Bendriss montre qu’il se trouvait au 54, rue de Rome à 00 h 57, puis sur le cours Lieutaud une minute plus tard. L’IGPN lance aussitôt une enquête de voisinage, récupère les images issues de caméras de la ville et de plusieurs commerces. Certaines retracent le trajet de Mohamed Bendriss, d’autres la progression de la colonne du Raid dans le centre-ville.
Une vidéo amateur de 25 secondes, tournée par une habitante de la rue de Rome depuis sa fenêtre, s’avère même cruciale. Elle montre l’interaction entre les policiers et le scooter, et permet aux enquêteurs de distinguer, à l’oreille, six détonations. Auditionnée par l’IGPN, la vidéaste prête un étrange serment sur procès-verbal : « Conformément à vos instructions, je m’engage à ne pas diffuser ce film à qui que ce soit ou à le montrer. Je prends acte qu’en cas de diffusion je pourrais être poursuivie par la justice. J’ai compris ce que vous me dites, je m’engage à respecter la loi. » La loi n’impose pourtant rien de tel.
Le 11 juillet, au détour d’un courrier sur la géolocalisation de ses véhicules, la patronne locale du Raid mentionne l’existence d’une caméra sur le « petit véhicule de protection », filmant en continu la progression du convoi. « Je vous précise que je tiens à votre disposition les enregistrements », indique la commissaire divisionnaire qui coordonne les antennes de l’échelon zonal sud du Raid (Marseille, Nice, Montpellier et Toulouse).
Cette vidéo n’est finalement transmise à l’IGPN que le 28 juillet, deux jours après une nouvelle réquisition formelle et presque un mois après les faits. Ce sont pourtant ces images de bonne qualité qui montrent, le plus clairement, le tir probablement fatal à Mohamed Bendriss.
Comme l’écrit l’IGPN dans son exploitation, « alors que le scooter progresse face au convoi, la veste de Mohamed Bendriss fait un mouvement soudain et s’étire de manière brusque du côté gauche. Au même instant, un objet rond et noir de petite taille se détache de la silhouette de Mohamed Bendriss semblant provenir du pan de la veste qui vient de sursauter et chute au sol ». Cet objet, qui tombe sur les rails du tram, « ressemble au projectile tiré par un LBD ».
Un visionnage collectif
Pourquoi le Raid n’a-t-il pas, de lui-même, transmis cette vidéo ? Si l’on se fie à leurs dépositions, les policiers de l’unité, dont le chef de l’antenne marseillaise et la coordinatrice zonale elle-même, craignaient pourtant depuis plusieurs semaines que le Raid soit impliqué dans le décès de Mohamed Bendriss.
Le 4 juillet, les premiers articles de presse évoquent le décès d’un conducteur de scooter touché par un tir de LBD à Marseille, dans des circonstances encore floues. A posteriori, les policiers du Raid expliquent s’être posé la question d’un lien avec leur intervention, mais l’adresse où a été retrouvé le jeune homme a tendance à les rassurer : ils ne se sont pas rendus cours Lieutaud. « L’adjoint au chef d’antenne a dit que nous n’étions pas concernés », affirme Alexandre P., pour qui « l’information était classée ».
Le doute persiste cependant, raconte leur chef d’antenne. « Des sources internes à la police semblent insister en pensant que le tir pourrait être celui d’une personne de la colonne. Avec mon adjoint, nous décidons par acquit de conscience de questionner les gars de manière globale. Certains nous font remonter qu’un scooter a traversé le dispositif au moment de l’interpellation rue de Rome et certains disaient qu’en traversant le dispositif, il a certainement essuyé des tirs. Ces déclarations ont motivé chez nous le souhait de visionner les images du PVP. »
Plusieurs opérateurs du Raid confirment qu’un débriefing ou une « réunion de crise » a eu lieu pour clarifier la position de chacun, regarder ensemble les images et identifier les potentiels tireurs. Si aucun ne donne la date de ce visionnage collectif, la coordinatrice zonale la situe « avant » la réception des réquisitions de l’IGPN, c’est-à-dire entre le 4 et le 6 juillet. Alexandre P., lui, estime qu’elle a eu lieu « suite aux réquisitions IGPN ». « Ça fait à peu près un mois qu’on sait qu’on est reliés à la mort de ce jeune homme », résume-t-il.
Selon ses dires, la coordinatrice a déjà connaissance des images lorsqu’elle rédige sa première réponse à l’IGPN, le 6 juillet, dans laquelle elle relate les événements marquants de la nuit du 1er au 2. Et semble s’appuyer dessus quand elle décrit, avec précision, « l’interpellation d’un individu sortant du magasin Foot Locker un sac à la main ».
« Un individu en scooter venait à sa rencontre. Les deux individus prenaient la fuite, le scooter forçait le passage de la colonne du Raid et parvenait à s’enfuir malgré l’usage de MFI [moyens de force intermédiaires – ndlr]. L’auteur du vol était interpellé rue de la Palud, en état d’ébriété et impacté par un tir de MFI. » Pour autant, dans son courrier, la commissaire divisionnaire ne propose pas à l’IGPN de lui transmettre la vidéo du PVP.
D’après elle, plusieurs agents « se sont signalés rapidement » à leur hiérarchie, « beaucoup pensant avoir tiré, sans certitude cependant ». Mobilisés plusieurs nuits de suite sur les émeutes à Marseille, ils ne se souviennent pas de tous leurs faits et gestes et confondent parfois les scènes entre elles. Le 26 juillet, le Raid transmet finalement à l’IGPN une liste de cinq fonctionnaires « se trouvant sur le flanc gauche » du convoi – donc « susceptibles d’avoir utilisé » leurs armes contre Mohamed Bendriss. Au moment de se rendre à la convocation de l’IGPN, ils ont eu plus d’un mois pour préparer leurs réponses.
L'historien Gilles Manceron s'est exprimé sur franceinfo dimanche à propos d'un décret publié au Journalofficiel le même jour qui assouplit l'accès aux archives sur la guerre d'Algérie.
Le président Emmanuel Macron tient le rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie par l’historien français Benjamin Stora, à l’Elysée à Paris le 20 janvier 2021. (CHRISTIAN HARTMANN / POOL)
"Cela devrait permettre de faire davantage la lumière sur la période de la fin de la guerre d'Algérie", a salué dimanche 27 août sur franceinfo l'historien Gilles Manceron, alors qu'un décret publié au Journal officiel le même jour assouplit l'accès aux archives sur la guerre d'Algérie, en autorisant la consultation des dossiers impliquant des mineurs.
Ce geste de la France était réclamé par les historiens et les familles. "C'est quelque chose de positif", selon Gilles Manceron. "Cela vise les tribunaux spéciaux qui ont été mis en place à la fin de la guerre, durant la période où l'OAS avait continué le combat", explique-t-il. "Des attentats ont été commis en grand nombre, y compris par de très jeunes hommes qui étaient alimentés en armes et explosifs par les réseaux de l'OAS".
Selon l'historien, "cela devrait permettre de faire davantage la lumière sur la période de la fin de la guerre d'Algérie, au moment où les tribunaux ont travaillé sur des dossiers impliquant de très jeunes hommes".
Ce nouvel assouplissement s'inscrit dans la politique d'apaisement décidée par Emmanuel Macron durant son premier quinquennat, après les recommandations du rapport de Benjamin Stora sur le conflit mémoriel entre l'Algérie et la France sur le passé colonial.
SOURCE : Guerre d'Algérie : l'assouplissement de l'accès aux archives va permettre de "faire davantage la lumière" sur la fin de la guerre, selon l'historien Gilles Manceron (francetvinfo.fr)
Par micheldandelot1 dans Accueil le 29 Août 2023 à 07:25
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