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Rédigé le 18/08/2023 à 18:45 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
En 1901, des centaines de musulmans attaquent un village du nord de l’Algérie. L’insurrection, vite réprimée, est un signe annonciateur de la guerre d’indépendance, un demi-siècle plus tard. En partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BNF.
Gravure sur la révolte de Margueritte publiée dans « le Petit Parisien », le 12 mai 1901. (LE PETIT PARISIEN / BNF-PARTENARIATS VIA AFP)
C’était un petit village « français », perché sur le massif du Dahra, à une centaine de kilomètres d’Alger. Avec sa mairie, son église, sa poste et ses vignes. Les habitants s’appelaient Bastien, Gauthier, Girardo, Motto, Ziegler… les noms aux consonances espagnoles, italiennes, alsaciennes, de tous ceux venus peupler l’Algérie conquise à partir de 1830. L’endroit, longtemps appelé « Aïn-Turki » (« la Fontaine des Turcs »), avait été rebaptisé « Margueritte » par l’administration française, en hommage au général de division Jean-Auguste Margueritte, qui avait commandé le 3e régiment de Chasseurs d’Afrique et était tombé en 1870 pendant la guerre contre la Prusse.
En cette année 1901, l’Algérie est « pacifiée », voulait-on croire. Les grandes insurrections des années 1871-1881 en Kabylie ont été écrasées par l’armée française. A Margueritte, on cultive tranquillement son vin, comme si c’était pour l’éternité. Une brève révolte va éclater dans cette région montagneuse du nord de l’Algérie et stupéfier la métropole.
Le 26 avril, le village est assailli par des paysans musulmans, emmenés par un marabout du nom de Yacoub. Les hommes du village sont faits prisonniers, certains forcés de se déshabiller, d’endosser le burnous et de prononcer la profession de foi musulmane (chahada). Cinq Européens sont tués, un garde forestier, une receveuse des postes… Plusieurs autres sont blessés. L’insurrection dure huit heures. Une compagnie de tirailleurs est aussitôt envoyée de Miliana, la ville voisine. Un demi-siècle avant que n’éclate la guerre d’indépendance, la répression va s’organiser, exemplaire. Arrestations, exécutions sommaires…
Le soulèvement fait dès le lendemain les gros titres de la presse française. « Grave révolte d’Arabes en Algérie », annonce à la une le quotidien « la France ». Dans les journaux métropolitains, on ne s’embarrasse guère de détails quand il s’agit de l’Algérie : l’insurrection est forcément « arabe », quand bien même la population du Dahra est en majorité berbère.
« Une révolte indigène a éclaté dans le douar d’Adelia, près de Miliana, peut-on lire dans “le Parisien” dès le 27 avril. Les révoltés appartiendraient à la tribu des Beni-Ben-Asser, voisine du village de Margueritte. L’administrateur adjoint et des cavaliers indigènes auraient été faits prisonniers, un Espagnol a été tué. Le village de Margueritte est saccagé […]. Toutes les autorités de Blida se sont rendues sur les lieux. Demain, à quatre heures, un escadron de chasseurs d’Afrique partira par un train spécial. Les hommes ont reçu des munitions de guerre. »
Dans la même édition, « le Parisien » précise que « l’administration a été prévenue à midi, par dépêche », que la tribu des Beni-Ben-Asser a « fait prisonnier l’administrateur adjoint indigène » et a désarmé « les gendarmes en leur prenant leurs chevaux », mais que « la bande des indigènes a été refoulée, dans la soirée, vers la montagne ».
Les détails sur les morts et les blessés sont assez variables. On parle d’abord d’une trentaine ou d’une cinquantaine de victimes parmi les Européens, puis de dix. « Un garde champêtre français, un tirailleur, deux colons, deux Espagnols et un Italien sont tués. Un capitaine de tirailleurs, un lieutenant de tirailleurs et des gendarmes sont légèrement blessés. Trois indigènes ont été tués par les troupes », annonce le 29 avril le journal « le XIXe Siècle », qui livre les premiers noms identifiés de victimes « Labersèdes, garde-champêtre à Margueritte ; Garriet, colon ; Gay, colon ; Etienne (présumé mort) ; un tirailleur ; Véco, Italien ; Vicente Joseph, Espagnol ; un Espagnol non identifié ».
Le journal publie également le premier récit d’un « témoin oculaire ». Ce « notable négociant d’Alger », qui « habite une grande ferme à Margueritte depuis 15 ans » et « s’est sauvé avec les siens », rapporte que « l’attaque commença à midi : une bande de 300 Arabes, armés de fusils, de matraques et de couteaux, assaillirent une ferme ». Selon lui, « il ne s’agit pas d’un soulèvement dû à des causes politiques mais d’un pillage ».
D’autres témoignages de « colons » sont publiés. « La Liberté » publie le 28 avril celui d’un certain Monsieur Ricome, « grand courtier en vins et propriétaire à Margueritte » :
« J’étais parti ce matin avec ma femme et mes deux enfants pour passer la journée à la ferme que nous possédons à Margueritte et m’occuper des travaux de saison, raconte-t-il au journal. Aucun fait anormal ne s’était produit pouvant nous faire pressentir le drame auquel nous allions assister. Nous nous mettions à table à midi lorsque mon gérant, que vous voyez là à mon côté - car il s’est sauvé avec nous - sortit pour donner quelques ordres aux travailleurs indigènes que nous occupons en ce moment. A peine était-il sorti d’un côté que ma femme entre par l’autre en coup de vent et s’écrie : “Genoudet est assassiné ! Les Arabes viennent de le tuer avec le boulanger du village !” »
« Ma femme parlait encore, lorsque nous entendons des cris de sauvages, poursuit Monsieur Ricome dans les colonnes de “la Liberté”. Je me mets à la fenêtre et vois deux cents à trois cents Arabes à quinze mètres de la maison, armés de fusils, de matraques et de coutelas énormes. Au même moment, des coups de feu retentissent. Je vois tomber un Européen, probablement un Espagnol. […] Les coups de fusil pleuvent dru contre les volets de notre ferme. Instinctivement, je pousse ma femme et mes deux enfants vers la fenêtre et nous sautons du premier étage sur le toit, d’une autre partie du bâtiment en retrait ; nous devons peut-être à cette circonstance particulière de construction notre salut. Nous courons à la gare d’Adelia, où nous arrivons les vêtements en lambeaux. Je préviens le chef de gare, qui télégraphie aussitôt à Affreville, et nous prenons le train pour Alger. Je ne sais pas autre chose ; je crois qu’à l’heure présente ma ferme est saccagée. »« La Liberté », 28 avril 1901
Même si l’ordre a vite été rétabli, la France est abasourdie. Elle décide de renforcer ses troupes militaires sur place. Un bataillon du 1er Zouave est envoyé d’Alger, un escadron de Chasseurs d’Afrique de Blida et deux compagnies de tirailleurs d’Orléansville dès le lendemain, comme l’indique « la Liberté ». Des ordres sont donnés pour armer tous les colons et les villages de la région. Les autorités françaises n’ont pas voulu voir les signes annonciateurs de l’insurrection. Une première explication est vite avancée par la presse métropolitaine : les mauvaises conditions subies par les « indigènes ». Mais la France préfère se raccrocher aux hypothèses – moins susceptibles de remettre en cause l’ordre colonial – d’actes de banditisme ou de fanatisme religieux.
« Au gouvernement général, peut-on lire dans différents journaux, on ne croit pas à un mouvement insurrectionnel, mais on ne pense pas cependant que l’attaque d’hier ait été spontanée. On avait déjà, au mois de décembre, découvert un commencement de complot chez les Beni-Men-Asser. Plusieurs arrestations avaient été opérées. Le but de ce complot était d’organiser une révolte pour protester contre l’accaparement des forêts, des charbons et des bois de chauffage par quelques industriels ; cet accaparement ayant privé les indigènes de la région de leur travail et les ayant réduits à une extrême misère. […] Le conseiller général de Margueritte, rapportait, il y a quelques jours, […] qu’il n’y avait plus de sécurité pour les colons, lesquels étaient journellement bafoués et injuriés. Une première révolte avait eu lieu hier contre le caïd de la tribu, qui, pour échapper à la mort, dut se laisser dépouiller de tout ce qu’il possédait en armes et en montures. A la tête des pillards se trouvait un marabout fort connu dans la région. […] Des mesures très énergiques ont été prises en vue d’empêcher le retour de ces événements et assurer une répression sévère. »
Dans « l’Aube d’une révolution » (Privat, 2012), consacré à « l’affaire de Margueritte », Christian Phéline, évoque une « brève éruption » qui illustre le « cheminement souterrain des forces de refus » face à l’ampleur des dépossessions foncières, ainsi que la sévérité du code forestier et du régime de l’indigénat.
Rédigé le 18/08/2023 à 13:39 dans colonisation, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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Un peu plus d'un an après les femmes le 21 avril 1944, les militaires de carrière sont les derniers représentants français — à l'exception faite de plus d'un million femmes musulmanes en Algérie (1958) et des personnes sans domicile fixe (1998) — à obtenir le droit de vote.
L’ordonnance du 17 août 1945 dispose en effet : "Les militaires des trois armées (de terre, de mer, de l'air et de l'espace) sont électeurs dans les mêmes conditions que les autres citoyens", rompant avec une loi de 1872 les excluant du suffrage universel, héritée de l’époque où l'armée était regardée avec suspicion et tenue hors de la vie politique du pays. Explications.
À la suite de la Révolution française de 1848, de l'abdication du roi Louis-Philippe et ainsi, de la chute de la monarchie de Juillet (1830-1848), la IIe République française est instituée cette même année.
Elle met fin au suffrage censitaire, où seuls les citoyens dont le total des impôts directs dépasse le seuil (le cens) peuvent voter. L'élection d'un président de la République se fait désormais au suffrage universel masculin, pour tous les hommes âgés d'au moins 21 ans jouissant de leurs droits civils et politiques (décret du 5 mars 1848). Le droit d’être élu est accordé aux plus de 25 ans. Le vote est secret. Femmes, membres du clergé, détenus et militaires de carrière en sont toutefois exclus.
Pour cause, dans cette période de vives tensions entre la France et la Confédération germanique, il paraît inconcevable que les troupes soient dispersées au moment des élections à travers le territoire national, dans chaque commune ou canton. Elles seront donc des abstentionnistes forcées du premier scrutin d'avril 1848, où le corps électoral — passé de 250 000 à 9 395 000 inscrits avec le nouveau mode de suffrage — est convoqué dans les bureaux pour élire 880 députés.
C'est finalement la loi du 15 mars 1849 qui, si elle réduit d'une part le corps électoral par de nouvelles conditions, accorde le droit de vote aux soldats : "Les militaires en activité de service et les hommes retenus pour le service des ports ou de la flotte, en vertu de leur immatriculation sur les rôles de l'inscription maritime, seront portés sur les listes des communes où ils étaient domiciliés avant leur départ". Les sections de vote sont alors organisées dans les établissements militaires.
Le 2 décembre 1851, le président Louis-Napoléon Bonaparte, premier chef d'État français élu au suffrage universel, renverse la République à travers un coup d'État, aidé par l’armée.
Il maintient le droit de vote des militaires pour les plébiscites (consultations populaires pour approuver ou refuser les grandes orientations, sortes de référendums) qui approuvent son accession au pouvoir entre décembre 1951 et novembre 1852 — ainsi que lors des élections (plus ou moins galvaudées) organisées sous le Second Empire, établi un an pile après le renversement du précédent régime.
Ce droit demeure ouvert aux soldats jusqu’à la défaite de Sedan le 2 septembre 1870, la chute de Napoléon III et l'instauration de la IIIe République. Le 27 juillet 1872, la loi Cissey instaure le service militaire obligatoire par tirage au sort… et prononce, à travers l'article 5, l’interdiction du vote pour les militaires de tous grades en activité : "Les hommes présents au corps ne prennent part à aucun vote".
À une période où la République est encore fragile, les partisans de celle-ci y voient là, entre autres arguments, une volonté de rompre avec un régime antérieur (auquel l'armée était impliquée) et une manière d'instaurer une neutralité et un loyalisme de l'institution envers la Nation.
Pour exemple, Léon Gambetta, alors l'une des personnalités politiques les plus importantes des premières années de la III République, préconisait ainsi cette suspension du droit de vote pour "empêcher, au foyer de la famille militaire, les dissentiments politiques" (discours du 4 juin 1874 - Dominique Colas, L'État de droit, Presses universitaires de France, 1987).
Les soldats se voient donc dotés de ce statut particulier et, privés de droits civiques, ne peuvent contester ; ils sont "muets". L'armée, à la fois grande et silencieuse dans les urnes, se voit attribuer le surnom de "Grande Muette". Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale, dans une considération des actes accomplis et un rétablissement égalitaire, que ce droit de vote est rétabli.
Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Si le statut général militaire est prévu en vertu de l’article 34 de la Constitution française, il est codifié au sein du Code de la Défense, regroupant l'ensemble des dispositifs législatifs et réglementaires relatifs à la défense française et à son exercice, adopté en 2004.
Son article L4121-1 réaffirme que "les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens". Il précise aussi les droits accordés aux fonctionnaires civils et aux militaires dépendant du Ministère des Armées, avec la possibilité de restreindre l’exercice de certains d'entre eux.
Il leur est ainsi interdit d'adhérer à des groupements ou des associations à caractères politiques. La syndicalisation, par exemple, est à ce titre prohibée. En déniant ce droit, la juridiction du Conseil de l’Europe jugeait en 2014 que les autorités françaises violaient l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme, garantissant la liberté de réunion et d’association.
Si un membre des forces armées en exercice choisit de se porter candidat à une élection, l'interdiction précédemment évoquée est suspendue le temps de la campagne, et le temps du mandat en cas de victoire. Il est alors placé en position de détachement durant l'exercice. Il n'est pas rémunéré, mais continue de bénéficier des droits à l'avancement et à la pension de retraite.
Sur le fond (et si elles sont libres), "les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques [...] ne peuvent être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire", rappelle également le texte. Ce dernier prévoit en outre que cet "état militaire" exige, entre autres, un esprit de "neutralité", de "loyalisme", de discipline".
Des législateurs ont toutefois favorisé l'expression des militaires en dehors du service, en facilitant à travers la réforme du nouveau statut général militaire de 2005, notamment, leur adhésion et à des groupements, qu'elle qu'en soit la forme — à l’exception de ceux à vocation professionnelle ou politique.
Dans la forme, un soldat est également soumis, comme l'ensemble des fonctionnaires, au secret professionnel, à la discrétion, mais également à un devoir de réserve : pendant ou en dehors de son service, il est tenu de peser ses propos et de conserver une certaine mesure dans l'expression de ses opinions personnelles, pour ne pas laisser apparaître une irrévérence envers l’État.
Cette distinction est complexe. Elle se veut purement théorique, car en pratique, seuls les abus de droit sont (officiellement) susceptibles de faire l’objet de sanctions disciplinaires. Ce n'est pas pour autant, en revanche, que la "Grande Muette" a acquis le nouveau surnom de "Grande Pipelette". Si toutes formes de critiques ne sont pas proscrites, elles se sont avérées plutôt rares.
L'avènement d'une société où l'information circule librement et instantanément, ainsi que le recrutement d'une jeune génération de militaires, pourrait changer la donne. Certains apportent désormais leur avis sur des questions touchant à la Défense, à travers des livres, blogs ou leurs réseaux sociaux, outrepassant la nécessité de discrétion imposée par le Ministère et s'exposant ainsi à des sanctions.
Avec l'augmentation du budget alloué à la défense et la volonté de renforcer massivement les rangs de la réserve opérationnelle, et face à ces enjeux, le statut des militaires pourrait être voué à évoluer.
MATHILDE RAGOT Publié le
https://www.geo.fr/histoire/pourquoi-larmee-francaise-est-elle-surnommee-la-grande-muette-216194
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Rédigé le 18/08/2023 à 12:13 dans France | Lien permanent | Commentaires (0)
Le livre de l’historien et journaliste franco-américain Ted Morgan, de son vrai nom Sanche de Gramont, soulève l’ire de Yacef Saâdi et de sa famille. Sorti en 2006 aux États-Unis, l’ouvrage intitulé Ma Bataille d’Alger, qui vient d’être traduit pour la première fois en français, accuse l’ancien chef de la Zone autonome d’Alger (ZAA), d’avoir trahi Ali la Pointe et son groupe : Hassiba Ben Bouali, Petit Omar et Mahmoud Bouhamidi. Hier, le fils et le neveu (le frère du petit Omar) de Yacef Saâdi ont annoncé à Liberté que la famille du héros de la Bataille d’Alger fera d’“importantes révélations”, aujourd’hui, lors de la conférence de presse, qui se tiendra au domicile familial, à Hydra (Alger).
“Des dizaines de documents d’archives françaises”, récupérées à Paris, en France, seront divulguées, portant notamment sur le démantèlement de la ZAA suite à la “trahison” d’un certain Guendriche Hacène, alias Judas-Zerrouk-Safi, et sa collaboration avec les capitaines Paul-Alain Léger et Raymond Chabanes, ainsi que sur des documents relatifs à la “bleuite”, signés par le colonel Yves Godard.
Mais d’autres éléments seront également exposés, incriminant Guendriche Hacène et confirmant à la fois les déclarations de Yacef Saâdi (La Bataille d’Alger, 1997) et celles du capitaine Léger (Au carrefour de la guerre, 1989). Notons au passage que Liberté est en possession d’un courrier datant d’octobre 1957 entre Ali la Pointe (Ali Amara) et Safi (Guendriche Hacène) : il s’agit des copies de 4 lettres tirées des archives françaises, dont 2 (déchiffrables) d’Ali la Pointe, écrites par Hassiba Ben Bouali, et 2 (illisibles) de Safi.
Il est question d’échanges autour du “plan pour l’organisation” tel que demandé par Safi, de “contact” avec la Wilaya III et de propositions sur la “réorganisation” de la ZAA, ainsi que du “transport d’armes”, de certaines “instructions” et “coordinations” d’actions “aussi bien politiques que militaires”. Zerrouk-Hacene Guendriche bascule chez l’ennemi.
Dans son ouvrage La Bataille d’Alger, plus particulièrement dans le chapitre destiné à “la trahison”, Yacef Saâdi révèle avoir rencontré, pour la première fois, en 1944, Guendriche Hacène. “C’est lui qui, quelques années plus tard, allait nous perdre et transformer Alger en un gigantesque navire en perdition”, écrit-il. Plus loin, il indique qu’au mois d’août 1956, lui et Ali la Pointe ont rencontré “par le plus pur des hasards”, Hacène Guendriche et son ami Hamoud Hader, qui se trouve être son ancien “chef” à l’Organisation secrète (OS). “La semaine suivante, une autre rencontre nous réunit, cette fois, chez Guendriche. Nous eûmes une longue discussion, qui déboucha sur un engagement ferme de leur part de s’impliquer immédiatement avec nous. J’en fus ravi, car justement nous manquions de cadres à la Zone III, Alger-Ouest, dont le responsable avait été arrêté.
Hamoud Hader hérita donc du poste et eut comme adjoint Guendriche qui, sans doute impatient de faire la mue, décida de troquer le sobriquet de Judas contre celui de Zerrouk”, poursuit Yacef Saâdi. Ce dernier relève que le 6 août 1957 Zerrouk est arrêté. “Les parachutistes profitent de ce coup de filet pour arrêter par la même occasion Saïd Bakel trouvé dans le même refuge”, précise-t-il, informant, cependant, que Bakel s’évade le 10 septembre et décèdera “aux environs d’un bourg de la Mitidja, appelé Chebli, lors d’un lors d’un accrochage avec l’armée française”, sans avoir pu informer les responsables de la Zone autonome de l’arrestation de Zerrouk.
Yacef Saâdi concède qu’à ce moment-là, “nous ignorions que le plan conçu par Zerrouk et ses manipulants, pour nous perdre, était déjà en route”. Pourtant, énonce-t-il, Zerrouk, une fois arrêté, va “se voir délier la langue par des ‘spécialistes’ que l’on sait’ et ‘se mettre à table’, avouant appartenir aux réseaux, ‘à la Zone III’ pour être précis”. Plus encore, Zerrouk aurait prêté “allégeance” aux services de l’armée coloniale : “Judas-Zerrouk-Hacene Guendriche bascule donc chez l’ennemi”. Pour Yacef Saâdi, Zerrouk, “pris en charge par le capitaine Chabannes, son directeur de conscience, (…) inaugure sa carrière de lâche absolu, par l’envoi d’une lettre à Ramel, son responsable direct”. Une lettre écrite “sous la dictée de Chabannes” et dans laquelle il demande à Ramel de “remplacer les agents de liaisons habituels par des nouveaux”.
Yacef Saâdi aurait livré ses camarades pour sauver sa peau, selon Ted Morgan
https://www.lematindz.net/news/21155-un-livre-dun-americain-accuse-yacef-saadi-davoir-livre-ali-la-pointe.html
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Rédigé le 18/08/2023 à 08:45 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 18/08/2023 à 06:54 dans France | Lien permanent | Commentaires (0)
Les faits
Au Canada, la capitale des Territoires du Nord-Ouest est menacée par un immense brasier. Sa localisation et le faible réseau routier rendent complexe l’évacuation en cours.
Les habitants de Yellowknife continuent à quitter en toute hâte leur maison, ce vendredi 18 août, contraints et forcés de fuir par un feu qui lorgne sur leur ville, à une quinzaine de kilomètres de là, et qui a déjà détruit plus de 160 000 hectares dans la région.
Les Territoires du Nord-Ouest comptent seulement un peu plus de 40 000 habitants, tout en étant deux fois plus étendus que la France, et la capitale est au cœur d’une région très enclavée. La veille, un responsable local, Mike Westwick, ne cachait pas son inquiétude face à une opération d’évacuation rendue « difficile » par le nombre de personnes à déplacer depuis Yellowknife, via la seule et unique autoroute permettant de se déplacer vers le sud. La maire de la ville, Rebecca Alty, confiait de son côté que cet axe vital était susceptible d’être fermé à tout moment en raison des flammes.
Bien conscient du danger, Simon Cloutier a pris la route avant même que l’ordre d’évacuation ne soit émis, mercredi 17 août. Avec lui, cinq adultes et quatre chiens. « À Yellowknife, nous sommes dans un cul-de-sac. C’est le principal problème. Et la route pour fuir traverse le feu de forêt. On se disait que si on continuait d’attendre, la circulation allait rendre le trajet encore plus difficile », explique cet agent de développement économique, établi sur place depuis plus de dix ans. Il n’a pas eu tort. Dès mercredi soir, de longues files d’attente se sont formées devant les stations-service ; des conducteurs ont mis quatre heures pour parcourir 20 kilomètres.
Les premiers centres d’accueil des évacués sont situés à plus de 1 000 kilomètres de Yellowknife. Celui de Valleyview, notamment, affiche déjà complet. Simon Cloutier, lui, a mis le cap vers Edmonton, à une quinzaine d’heures de route, où il logera chez des amis. À mi-parcours, il décrit un début de trajet éreintant. « Sur une soixantaine de kilomètres, il y avait des flammes des deux côtés de la route. À un moment, on roulait complètement dans la fumée. Tout le monde toussait. Il fallait avancer à tout prix. » Sur sa route, il a aussi croisé l’incendie qui a ravagé Enterprise, hameau de 120 habitants presque entièrement détruit, où seule une dizaine de maisons subsistent.
Face à la menace d’une fermeture de l’autoroute, certains habitants ont manifesté leur intention de prendre la voie des mers, et de traverser le grand lac des Esclaves, situé au sud de la ville. Mais les autorités leur ont vivement déconseillé de fuir en bateau : trop risqué. Quelques avions commerciaux et militaires ont également été affrétés pour embarquer les personnes fragiles, incapables de prendre la route. Quelque 1 500 d’entre eux ont déjà pu s’extraire ainsi du guêpier.
Les habitants de Yellowknife et leurs proches doivent aussi faire face à un autre obstacle, inattendu mais de taille : un manque d’accès à l’information, extrêmement dommageable en temps de catastrophe. Comme le reste des Canadiens, ils ne peuvent plus lire de contenus d’information via les principaux réseaux sociaux, en raison du bras de fer en cours entre Meta, la maison mère de Facebook, et le Canada.
Ottawa a fait passer un projet de loi qui vise à forcer les géants du numérique à rétribuer chaque média pour le partage de leurs articles sur les plateformes. En représailles, Meta a décidé de bloquer tout partage de contenu médiatique sur Facebook ou Instagram. « D’habitude, si on rate quelque chose d’important, un ami l’aura partagé ; là, on n’a rien, il faut aller sur le site de chaque média, déplore Simon Cloutier. Pour une évacuation, c’est quand même fondamental de savoir rapidement tout ce qui se passe. »
Il lui reste encore quelques heures de route, avant d’atteindre sa destination finale et pouvoir souffler. À Yellowknife, les derniers habitants ont jusqu’à la mi-journée ce vendredi (heure locale) pour déserter leur ville.
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Rédigé le 18/08/2023 à 05:52 dans Canada, Incendies | Lien permanent | Commentaires (0)
Ami, tu m’as dit :
« Pour construire la démocratie, il faut que l’État restitue la parole confisquée depuis l’indépendance et que les intellectuels arrachent la liberté d’être soi-même ».
Et je te réponds :
« Pour construire la démocratie il faut savoir que la démocratie signifie la protection de l’intégrité de l’individu contre le nombre. Il faut se rappeler qu’aucun État n’a jamais accordé totale liberté d’expression aux gens. Qu’aucune armée n’a jamais protégé un peuple. Que la seule parole qui peut être prise se situe sur la place publique et dans l’espace intime des personnes. La parole indépendante ne surgit que du palais de ta bouche où elle est reine si tu lui fais entendre ton propre cœur. Maintenant, pour être toi-même, tu aimeras ta compagnie dans les moments de solitude. Alors, après avoir fait ce tour du monde tel qu’il est toujours et que tu ne peux changer, tu feras le tour de toi-même. Puis, prenant la liberté d’être libre, et recherchant l’amitié dans l’égalité entre les amis, tu parleras avec les personnes qui osent parler d’elles-mêmes avec leur langue personnelle, tu leur feras tes dons et exprimeras ta curiosité. Car, fraternels nous sommes avec le vivant lorsque nous laissons aller notre chant pour chanter, lorsque nous aimons pour aimer. Il n’existe dans la nature nulle obligation de posséder une autorisation pour pouvoir dire ce qui est propre aux humains.
Pierre Marcel MONTMORY
KATEB YACINE
- poète -
« Ce qui tue certains écrivains, chez nous, c’est qu’ils se font une idée aristocratique de ce qu’ils sont. Ils croient être des gens à part, qui vivent dans une tour d’ivoire ou en solitaires incompris, ou qui sont faits pour vivre dans une société qui les comprend, protégés par des mécènes et entourés d’une cour.
Ce n’est pas possible, surtout à notre époque.
Le monde entier est en révolution. Même un sourd ou un aveugle est obligé de le comprendre.
Ce n’est pas possible d’en rester là. Beaucoup ici l’ont compris, je crois, depuis notre révolution. Ce peuple qui passe devant eux tous les jours et qu’ils ne remarquent même pas, c’est ce peuple qui l’a faite, la révolution. Ils ont tendance à l’oublier en permanence.
Or ce peuple parle, ce peuple lit, ce peuple fait des trouvailles chaque jour et c’est lui qui fait la langue. Il faut revenir à une conception vivante de la culture. Le peuple est une force.
Venir au peuple, ce n’est pas descendre, c’est monter. »
Kateb Yacine
Il y a trente ans disparaissait celui qui a révélé le potentiel littéraire algérien au monde et renouvelé le théâtre populaire, s’adressant aux Algériens sans distinction d’âge ni de niveau d`instruction. Le romancier, dramaturge et metteur en scène Kateb Yacine s’est éteint un 28 octobre 1989 à l’âge de soixante ans.
Né en 1929 à Constantine, Kateb Yacine aura laissé une œuvre littéraire universelle, « Nedjma », publié en 1956 aux éditions françaises « Le seuil ». Ce roman qui va se propager en fragments sur toute l’œuvre théâtrale de son auteur, a fait l’objet de nombreuses thèses universitaires en Algérie et en France, jusqu’aux États-Unis et le Japon, entre autres.
C’est à la prison de Sétif, où il s’est retrouvé après les manifestations du 8 mai 1945, que le jeune Kateb Yacine a découvert l`oppression, la mort, le vrai visage de la colonisation et surtout son peuple, comme il le confiera lui-même.
Suite à cette expérience, traumatisante pour un adolescent de 16 ans, Kateb entame en 1946 l’écriture de son premier recueil de poésie « Soliloques ». « J’ai commencé à comprendre les gens qui étaient avec moi, les gens du peuple (…). Devant la mort, on se comprend, on se parle plus et mieux », écrira-t-il en préface.
Au lendemain de l’indépendance, Kateb Yacine se tourne vers le théâtre populaire, soucieux de s’adresser au peuple dans sa langue. « L`homme aux sandales de caoutchouc » est jouée, pour la première en 1971, au Théâtre national d`Alger. La pièce est le fruit d’une collaboration entre l’auteur, l’homme de théâtre Mustapha Kateb, et la troupe du « Théâtre de la mer » dirigée par Kaddour Naïmi.
Cette expérience donnera ensuite naissance à l’Action culturelle des travailleurs (Act).
Sous la direction de Kateb Yacine, la troupe sillonnera pendant près de dix ans villages et places publiques dans la région de Bel Abbas où elle a élu domicile pour faire découvrir le théâtre à ceux qui n`y ont pas accès: « On ne choisit pas son arme. La nôtre, c’est le théâtre », disait-il pour souligner son engagement politique et social.
Durant toute cette période, Kateb Yacine n’aura de cesse de modifier ses œuvres, jouant avec les personnages, pour mieux coller à l`actualité et aux préoccupations populaires.
Définitivement focalisé sur l’écriture dramaturgique, traduite vers l’arabe dialectal, ainsi que la mise en scène, Kateb Yacine produira « La guerre de deux mille ans », une œuvre universelle, inspirée du théâtre grec et qui a valu à la troupe une tournée de trois ans en France.
« A cette époque, Kateb était la coqueluche à Paris, ses pièces se jouant à guichet fermé tous les soirs », se souvient encore un des comédiens de l’Act, Ahcen Assous.
Selon le comédien, cette pièce évolutive « pouvait se jouer plusieurs jours de suite (…) et s’arrêter sur différentes stations importantes de l’histoire de l’humanité ».
En 1986, Kateb Yacine approche son idéal d’œuvre historique universelle en écrivant un extrait de pièce sur Nelson Mandela, puis « Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc Manceau ». Cette dernière était une commande française pour marquer la célébration du bicentenaire de la révolution française.
Se réapproprier Kateb Yacine
Au théâtre comme dans la littérature et la poésie, l’œuvre de Kateb Yacine est « faite pour que la jeune génération se l’approprie, la revisite et la retravaille », estime l’historien de l’art et romancier Benamar Mediene, auteur de « Kateb Yacine, le cœur entre les dents ».
En fait, le dramaturge est « réfractaire » à la sacralisation de son œuvre, appuie ce compagnon de langue date de l’écrivain.
Depuis la disparition de Kateb Yacine, son œuvre dramaturgique n’a jamais cessé d’alimenter les planches algériennes. Des pièces ont été traduites vers Tamazight et l’Arabe littéraire, d’autres ont été montées en fragments, alors que sa touche en matière de mise en scène garde toute sa fraîcheur.
Cependant, en dehors de « Le cadavre encerclé » ou de « Les ancêtres redoublent de férocité », de nombreuses autres œuvres restent encore méconnues du public et rares encore sont les troupes qui consentent à s’attaquer à un texte de Kateb Yacine.
Au-delà de la recherche universitaire, le roman « Nedjma » a été adapté au théâtre par le metteur en scène et comédien Ahmed Benaïssa qui souhaitait « désacralisé ce roman, réputé inaccessible », alors qu’un collectif d’artistes, étudiants et universitaire ont entamé la traduction du roman vers l’arabe dialectal et son enregistrement en livre audio.
L’auteur de « Nedjma » a également laissé des interviews et des écrits où il expose sa vision de l’Algérie. Une Algérie progressiste qu’il a toujours souhaitée « défendre contre toutes les formes d’intégrisme », ainsi qu’il le soulignait dans sa dernière apparition dans les média à l’été 1989.
Une foule immense d’hommes et de femmes de tous âges a accompagné la dépouille de Kateb Yacine au cimetière d’El Alia d’Alger où il repose.
Témoignage par Youcef Aït Mouloud en hommage à Kateb Yacine, alias Si Amar.
La rencontre avec Kateb Yacine
J’ai rencontré Kateb Yacine par l’intermédiaire d’Abdela Bouzida en 1970, il venait de débarquer d’exil. Il avait conçu le projet de faire pénétrer le théâtre chez les travailleurs et les paysans. Il voulait un vrai théâtre qui s’adressait aux Algériens, avec la langue de tous les jours, de nos mères et de l’Algérie profonde, l’arabe dialectal et le tamazight. Grâce au concours d’Ali Zamoum, qui l’a mis en contact avec la jeune troupe de théâtre de la Mer, qui activait au sein de la formation professionnelle.
C’est ainsi qu’il m’a proposé de rejoindre l’équipe, afin de suivre le travail de création et traduire le texte en kabyle, celui qui allait devenir plus tard la célèbre pièce « Mohamed prends ta valise », ainsi que la version kabyle montée avec un groupe d’étudiants à Ben Aknoun pour la première fois dans l’histoire du théâtre amazigh ayant reçu le premier prix au festival universitaire de Carthage.
Mon premier contact a eu lieu à Kouba, au local du théâtre de la Mer. Au début, j’étais intimidé avant de le rencontrer, je m’attendais à voir un écrivain genre académique tel que représenté par les médias français.
A mon étonnement, je n’ai pas reconnu Kateb Yacine devant le groupe tellement il était effacé : ça aurait pu être, un maçon, un plombier ou un éboueur, avec sa tenue de bleu de Chine et ses sandales ; mais pas un personnage de renommée universelle.
Kateb Yacine et le problème identitaire
Ma première question fut la suivante et la dernière : L’Algérie est-elle arabe, son peuple alors ? On fait comme si l’histoire de l’Algérie s’arrêtait à l’arrivée des arabes. On fait comme si l’Algérie était à perpétuité arabe et musulmane. Or, cela est très grave, car avant de dire l’Algérie arabe, on a dit l’Algérie française aussi : or, il faut voir l’Algérie tout court.
Cette Algérie ne peut renoncer ni à sa langue, ni à son histoire. Elle ne peut s’accommoder du scandale qu’on connait beaucoup plus dans notre pays Jeanne d’arc que la Kahina. Il est temps que ceci cesse.
La Kahina pose donc beaucoup de problèmes, celui de la langue, de l’histoire, de la nation, de la femme…Nous avons posé ces problèmes et les hostilités ont commencé sous forme d’émissions radio, d’ailleurs lamentables.
Des émissions de théâtre qui essayaient de prendre à contre-pied ce que nous faisions et qui tentaient de présenter la Kahina sous la forme d’une espèce de sorcière, de meurtrière, d’ignorante, de monstre… Les choses ne sont pas claires, il ne faut pas que les Algériens soient séparés par de faux problèmes. Certains pensent que nous sommes anti-arabes. C’est un mythe. Ce terme lui-même a été tellement galvaudé qu’il recouvre des conceptions devenues douteuses.
Pendant trois heures, j’ai eu droit à un cours magistral sur l’histoire du Maghreb des peuples, et sur Ibn Khaldoum qu’il regrette qu’il ne soit pas étudié à l’école et à l’université, une façon à lui de tirer la sonnette d’alarme, pour que l’Algérie retrouve son algérianité, et éviter aux générations futures de ne pas avoir de repères de leur identité.
Je dirais revisiter Kateb Yacine est une urgence, et en particulier ses œuvres, et serait un salut pour l’avenir du théâtre, de la littérature et de la culture algérienne en général.
Ce n’est pas les textes de Kateb Yacine qui sont complexes, c’est l’Algérie elle-même qui l’est, depuis l’antiquité à nos jours. C’est cet amalgame de civilisations, qui a fécondé cette lucidité insaisissable qu’on retrouve dans le génie du peuple.
Il y a quelque chose de sacré, un lien ombilical, qui lie et divise le peuple algérien, sans vraiment le diviser. C’est cette équation qui fait que cette diversité pose un problème, alors qu’en réalité, ce n’est qu’un écran de fumé qui faut franchir pour être soit même, un Algérien tout simplement. C’est dans la simplicité de la vie et la limpidité de la nature que navigue Kateb
La fameuse équation on la trouve dans « Nedjma » dont la structure est basée sur la notion de temps-espace. Un aller-retour continuel : midi c’est minuit, minuit c’est midi. Le problème à résoudre pour Kateb Yacine est : comment classer les différents chapitres ? Où est le début et où est la fin ?
La solution était finalement dans le cadran de la montre. Voyager dans le temps et revenir à la même heure, l’éternel ressac de la mer.
Tout Algérien peut comprendre « Nedjma », s’il parle la langue de sa mère.
Ce sont les Français qui ont mystifié l’œuvre à travers des symboles car ils n’ont rien compris à l’Algérie : un tabou à casser pour les générations à venir.
Il nous parlait souvent de Faulkner, d’Ibn Khaldoum, de Joyce, d’Hemingway, de Si Mohand Ou Mhand qu’il comparait à Rimbaud ; de Jean Marie Serrault qui lui a fait découvrir le théâtre ; de ses compagnons d’exil : Issiakhem, Mohamed Zinet et Moh Saïd Ziad qui étaient d’ailleurs nos amis ; de Taous Amrouche ; de Jacqueline Arnaud, amie sincère qui le vénérait et venait souvent de Paris lui rendre visite.
Il nous parlait aussi de ses déboires sous le régime de Ben Bella et de la nomenklatura du pouvoir.
Son génie et sa force de caractère, il les puisait des contacts permanents avec l’Algérie profonde. Il aimait sentir l’odeur de la sueur de l’ouvrier et du paysan. Cette odeur le maintenait proche de la vérité et de la misère des gens.
Il détestait les mondanités, les salons feutrés, les intellectuels de salons, les faux douctours de la télévision. Il n’avait pas de temps à perdre avec la racaille éparpillée dans le système.
Il détestait également l’égocentrisme et le narcissisme ; le monde de la bourgeoisie lui donnait la nausée.
Dans la rue, il rasait les trottoirs ; il se faisait tout petit et s’abaissait au niveau du peuple dont il avait un profond respect. Il préférait l’écouter et lui poser des questions afin de comprendre ses souffrances et épouser sa douleur.
Le véritable écrivain est le peuple, il suffit de l’écouter et lui prêter sa plume.
Il disait que pour construire la démocratie, il fallait que l’Etat restitue la parole confisquée depuis l’indépendance et que les intellectuels arrachent la liberté d’être soi-même.
La révolution, il en a fait un devoir et une religion. La douleur des opprimés le hante et le ronge à chaque instant de sa vie. Sa vraie famille, sa tribu, était sa troupe dont les membres sont venus des quatre coins d’Algérie. C’était sa raison de vivre depuis son retour d’exil.
Décès et enterrement
Une année avant sa mort, on s’est revu au théâtre de Bel Abbès, on venait de commencer les répétitions de « La poudre d’intelligence », tout en lui expliquant, les raisons et le choix du décor, ainsi que les différentes phases de la mise en scène.
La seule intervention qu’il a faite, c’est d’intégrer une scène de 20mn qui ne figurait pas dans le texte officiel « La démystification des idoles ou la mise à nu du pouvoir ». Scène qui a été censurée dans la version filmée et diffusée par l’ENTV, seule pièce filmée du répertoire de la troupe, grâce aux évènements du 5 octobre 1988. Rien ne présageait qu’il était atteint d’une maladie incurable, et condamné à une mort certaine ; aucun signe ne trahissait sa force de caractère et sa douleur qu’il assumait avec dignité.
Le 29 octobre dans l’après-midi, ma femme m’a informé qu’Ali Zamoum a téléphoné pour nous informer du décès de Yacine à l’hôpital de Grenoble et il devait être rapatrié le lendemain, ainsi que la dépouille de son cousin Mustapha, le frère de Nedjma.
Deux jours avant son enterrement, des milliers de gens sont venus lui rendre un dernier hommage au centre familial de Ben Aknoun, sa dépouille est exposée au restaurant du centre, puis dans son humble bicoque d’une pièce-cuisine, pour sa famille, ses amis et ses compagnons de lutte.
Le 31 octobre, l’imam El Ghazali, sortit une fatwa de son génie enturbanné, que cette « lucidité » ne pouvait être enterrée en Algérie, terre d’Islam, sans que le pouvoir ne réagisse à ce dépassement inqualifiable. Le comble de l’ironie a atteint son paroxysme : au lieu d’un message de condoléances de la présidence de la république, ce fut une invitation du président Chadli Ben Djedid sollicitant la présence de Yacine aux festivités du 1er Novembre.
Kateb a préféré commémorer le 1er Novembre à sa manière au cimetière d’El Alia, avec les martyrs de la Révolution trahie.
Les Frères monuments, étaient présents, protocole oblige, se tenant à l’écart du peuple pour s’assurer que le spécimen algérien est bel et bien sous terre.
Des chants berbères et l’Internationale, entonnés par la foule à la gueule des barbes flen et cacique du pouvoir qui ont préféré par sécurité se placer à l’entrée du cimetière. Pour la première fois, le 1er Novembre a été fêté à sa juste valeur, les martyrs étaient de la fête grâce à l’un des leurs.
Plusieurs années après sa mort, sa tombe est restée un amas de terre anonyme. Il a fallu que les compagnons de Nedjma, chômeurs en majorité, se mobilisent pour ériger enfin une tombe plus ou moins décente, que les autorités ont voulu effacer de la mémoire collective. Hélas pour elles! Les étoiles ne s’éteignent jamais.
Youcef Aït Mouloud
L’enterrement de Kateb Yacine, ce jour-là…
Par Djaffar Benmesbah
Comme je me contente, aujourd’hui, du rejet du pouvoir algérien par son propre peuple, en guise de similitude, je prends de ma mémoire un événement : l’enterrement de Kateb Yacine. Ce jour-là, le pouvoir était mis à mal.
Autour du cercueil de Kateb Yacine se jouait par effet de prophétie, une fois encore, sa propre pièce : Le cadavre encerclé. Dans Nedjma, il insistait sur le mont Nador sous lequel il admirait Nedjma surgir du chaudron où elle prenait son bain, innocemment nue.
Ce mont de Tipaza fut secoué par un tremblement de terre au lendemain de sa mort. Il est mort un samedi 28 octobre 1989 et il fallut que son cousin, Mustapha Kateb, 1er directeur du Théâtre national algérien (TNA), décède le même jour, pour que la sœur de celui-ci, Nedjma, en ramenant sur Alger la dépouille de son frère, accompagne en même temps, celle de son éternel amoureux. Nedjma, de son vrai nom, Zouleikha. Elle avait aussi un prénom judéo-chrétien, Odette.
Le ministre de l’intérieur osa une parole, mal lui en prit ; à peine il prononça le nom de Kateb Yacine, la voix de Youcef Aït Mouloud (Mouloud Ait) debout derrière lui, le regard sévère, résonna tel un coup de feu : « votre présence dans sa demeure est une insulte à sa mémoire !!! » Le ministre tenta la sagesse du diable, rester calme les pieds sur du charbon ardent ! Mais Mouloud Aït n’était pas disposé au relax : » Fouttez le camp d’ici !!! » ; » Ya dyouba » (chacals). Malgré la manière seyante qu’eut un larbin pour le retenir, Mouloud posa sur lui un regard insistant en lui retirant la main de son bras. Le ministre crispa les yeux comme si une brusque migraine lui serrait les tempes tandis qu’un autre goût d’insultes lui venait du fond de la salle, celui de Zohra Djazouli.
« Charognards, videz les lieux, vous n’êtes pas les bienvenus ». Ce soir-là, elle était venue habillée comme simple femme au foyer, elle avait noué un léger foulard sur ses cheveux qu’elle avait roulé avec des épingles. Bouzbid, voulant la calmer, se pressa dans sa direction d’une courtoisie simulée ; étrange, pour un directeur général de la police nationale. Il la salue et voulut une bise, feignant une ancienne connaissance. Il avait tendu la joue dans le vide. Zohra s’était faufilée comme une ombre pour harceler le ministre de la culture. Puis, l’Internationale est déclenchée.
L’étonnement des ministres frisait le sinistre. Jamais ils n’auraient imaginé que de simples citoyens viendraient sous leur barbe et crier leur ras-le-bol. Ils avaient habitude du souffle courtisan des larbins comme un naturel des choses. Les usurpateurs ne s’embarrassent pas – c’est le moins qu’on puisse dire- de principes, de dignité et de vérités. Ils restaient toutefois dans un semblant de satisfaction codifiable. Ils se montraient aspirés par un joyeux déferlement d’énergie de toute une foule de jeunes qui manifestaient devant eux et criaient haut et fort leur détermination à défendre leur identité en rejetant d’entrain les iniquités de bases. Dans la litanie commune se répétaient conjointement la guerre d’Algérie, les insurgés du printemps de Prague, le mouvement berbère de 80, les enfants d’octobre, et puis des noms, Rosa Luxembourg, Che Guevara, Issiakhem, Nazim Hekmet, le duo Sacco-Vanzitti et surtout Kateb Yacine.
La hargne commençait à convulsionner les visages des ministres que le sourire narquois ne pouvait dissimuler. Et de notre côté, on se livrait d’une mesure sauvageonne, comme brûlés par une passion refoulée d’une longue aubade tumultueuse où les mots avaient tout leur sens. Des fois des insultes grossières fusaient, tant pis pour les ligues de vertus, tellement, toute notre contestation ce moment-là était légitime.
Comme des vautours, les ministres encerclaient un mort, « un cadavre politique » mais ils prenaient conscience que le mort était là, vivant. Alors, il fallait qu’ils partent, qu’ils s’enfuient, qu’ils se dérobent. Le mot « liberté » surgissait régulièrement et les harcelait à chacun de leurs pas, jusqu’à leur disparition en cortège bringuebalant de leurs berlines noires aux vitres fumées.
La veillée débuta entre camarades et finira entre camarades autour d’un cercueil orné de fleurs. Chants révolutionnaires dans les répertoires de Smail Habar, de Ferhat, Debza, Cheikh Imam, se succédaient dans le souci de perpétuer les vertus de la lutte. De temps à autre, des comédiens de talent surgissaient pour faire revivre un texte de Yacine.
Ils étaient tous là, du militant savourant l’anonymat à l’icône digne de la culture. Tous avaient d’une manière ou d’une autre participé au combat et avaient chacun un souvenir illustre planqué au champ d’honneur dans lequel reposait le poète.
Je suis sorti à l’extérieur avec deux camarades, poussé par une bouffée d’anxiété qui allait progressivement croître et m’envahir. Chaque fois, la porte s’ouvrait, chaque fois une émanation de lumière, de chaleur et de chants nous sautait aux visages.
Plus bas, sur la chaussée, un homme aux bras couvert de durillons était assis grignotant du pain. Son visage témoignait de la dureté de la vie. Les pommettes saillantes et les lèvres scellées, il me souriait à chaque fois que je le regardais. J’étais occupé à déchiffrer tous ces insignes mouvants, ces inscriptions et ces pressentiments mystérieux gravés sur son corps en tatouages, puis Mouloud Ait m’informe que c’était l’un des personnages de Yacine dans Nedjma.
Toujours dans le réfectoire, le mendole aux accents inspirés du poète Ait Menguellet surinait l’air grave et doux de « Agu », une chanson que Kateb chérissait et dont il disait que si un jour elle serait comprise par le peuple, ça serait une vraie révolution. Et la chanson et reprise en cœur par l’ensemble comme un adieu qui s’échappe des âmes attendries, longtemps muettes.
Merzouk et moi avions dîné tristement en face l’un de l’autre sans parler. Merzouk Hamiane, mangeait vite et buvait à grand coup, puis s’arrêtait subitement et songeait. Il était très affairé pour jeter son bonnet par-dessus les moulins.
Nous dormirons dans le pavillon du cinéaste Jean pierre Lledo, parmi d’autres camarades de la Troupe Debza, rivés les uns aux autres sur une couche proportionnellement étroite.
Au matin du 1er novembre, le centre grouillait de monde. Le peintre Aitou avait l’air si malheureux que le poète Djamel Amrani n’eut pas le courage de lui faire des reproches, il venait par étourderie de piétiner ses lunettes. Djamel ne laissait pas à la douleur le privilège de lui ôter son humour; il me dit, le visage caché de sa main en m’observant entre ses doigts ouverts » tiens, voilà Rachid Kassidy et Habilly le Kid qui arrivent » Il parlait des journalistes Rachid Kaci et Mohamed Habili.
Puis arrivait vers nous à pas lents, un peu maigrichonne, dégingandée par une foulure au pied, Khalida Messaoudi, la rousse à la taille sexy et aux cheveux courts avec quelques mèches de feu. C’était juste avant le temps où la circonscription d’El Biar se gaussait de sa candidature gauche et gauchisante et qui ne lui offrit que 7 voix sous l’égide de l’ANDI, parti de son lointain parent, l’honorable poète Mustapha Toumi, auteur de la chanson Soubhan Allah Ya ltif de M’Hamed Hadj El Anka.
Le centre vibre, quatre bus arrivent de Tizi-Ouzou et de Bejaia. Ils étaient nombreux à venir de Kabylie en un élément complémentaire qui allait assurer l’énergie nécessaire à la résistance. Résonne encore « γuri yiwen umeddakkel »de Ferhat Imazighen Imoula, sous le regard consolé, plein de découvertes de Hans -de son vrai prénom, Hans Mohamed Staline- le fils de Kateb Yacine, né d’une allemande, en Allemagne, là où a jalonné l’itinéraire du père.
Mouloud Kacim Nait Belkacem, l’ancien ministre, fanatique de la langue arabe, tente une entrée dans le domicile de Kateb, des œillades complices s’échangent. Mouloud Aït refoule le dignitaire du régime sans ménagement, le poussant à des justifications stériles.
Au moment de la levée du corps, à l’intérieur du pavillon ne sont restés que la famille, les proches du défunt et ses amis de combat. L’internationale tonne au plus fort et à côté de moi, je vis Amazigh, le fils du poète, chanter le poing levé, avec toutes les peines du monde à retenir ses larmes. Il avait juste 17 ans.
Un Mazda transporte la dépouille et des centaines de militants donnent le maximum de cris sous le tempo d’un chef d’orchestre invisible à l’œil du mortel ; « Yacine Amazigh, Yacine communiste » fusaient comme pour entendre le diptyque qui forme l’armature théorique de la pensée berbéro-marxiste.
Les dizaines de voitures progressaient lentement sous la chaleur écrasante, d’à peine dix mètres par minute. Aux carrefours, les conducteurs de voitures extra cortège, émus, taisaient délibérément le répertoire d’injures qu’ils éclataient énergiquement dans des moments d’embouteillage.
Le gouvernement actionne deux motards pour escorter le cortège, plus précisément, pour lui imposer un itinéraire.
On voulait nous incliner directement vers la route moutonnière comme des individus de sacs et de cordes qu’Alger ne saurait voir. Il n’en n’était pas question. Nous avions changé de direction au cortège et l’événement prenait un autre sens, celui de réhabiliter le 1er novembre, ne serait-ce que pour sa seule journée. Du champ de manœuvre, le cortège en klaxons, en slogans et en chants prend la rue Hassiba Benbouali, puis l’avenue du Colonel Amirouche. Arrivées devant le commissariat central de police toutes les voitures freinent, Tout le monde descend et tout le monde crie: YACINE AMAZIGH ! YACINE COMMUNISTE ! Face aux policiers éberlués, sommés pour une fois à la retenue.
À notre arrivée à la Glacière le pneu arrière de la Mazda éclate, en à peine 5 mn, Mouloud Nait, Amazigh, Ahcene Djouzi et Merzouk qui étaient à l’intérieur, changent de roue.
Dans le cimetière El Alia, les membres du gouvernement à leur tête Messaadia, l’ancien chef du Parti FLN, sont surpris par l’arrivée de cette foule désordonnée chantant à tue-tête l’Internationale et portant le corps de l’écrivain. Arrivée à leur niveau, la foule s’écria de la chanson de Ali Ideflawen « laissez-nous donc passer pourquoi nous craigniez-vous tant ? » Les membres du gouvernement se dispersent tels des reflets séniles, usés et souffrants de paraphasie.
Un imam dépêché par un cousin du défunt tente un compromis, il insistait sur l’obligation de la prière, en revanche l’Internationale reprend. Kateb Yacine est inhumé sous l’œil larmoyant d’une autre revue allègre, suave et blessée, Matoub Lounes, cinq balles dans la peau et deux béquilles planquées sous les aisselles.
Djaffar Benmesbah
Les funérailles de Kateb Yacine racontées par Assia Djebar
La leucémie qui se déclara en lui au printemps 89, au moment où Mammeri venait d'être emporté par un accident de voiture, ne lui laissa plus de relâche tout l'été. Il fut soigné à l'hôpital de Grenoble où il mourut le 28 octobre 89.
Il venait d'avoir soixante ans.
Tandis que Ali Zaamoum, son ami le plus proche, renonce aux solennités de l'enterrement pour l'évoquer seul, sans son village, le corps du poète, débarqué à l'aéroport, après le déroulement de maints discours, fut emmené dans le petit logement, à Ben Aknoun, qui lui avait servi de "pied-à-terre"
La troupe de comédiens de Sidi Bel Abbès, tous les autres amis algérois du poète décidèrent de faire de cette veillée funèbre une fête, un happening. On pleurait, on riait, on déclamait, on s'adressait au corps immobile qui, naturellement, tous en étaient sûrs, les entendait.
Le lendemain, ce furent les funérailles pour lesquelles une bonne partie de la ville se préparait, ainsi que le monde de la culture officielle pour qui se montrer était nécessaire, maintenant que la presse indépendante répercutait tous les événements.
Ceux qui avaient veillé autour de Kateb jusqu'à l'aube partirent les premiers dans le soleil d'automne, comme à une kermesse.
Le cercueil fut juché dans une camionnette qui démarra; un cortège bruyant de véhicules suivait. A mi-chemin, la camionnette tomba en panne. Commentaires ironiques des amis :
-Ainsi, c'est bien un de ses tours à Kateb, il maintiendra le suspense jusqu'au bout !
Dans la rue -on se trouvait encore à El Biar-, des jeunes gens, apprenant qu'il s'agissait du cercueil du grand poète, se proposèrent pour aider : ils insistèrent, c'était un honneur pour eux. La foule s'agglutina. Les jeunes changèrent de pneu, vérifièrent l'huile du moteur. Sur leur lancée, certains d'entre eux -ils étaient quatre- décidèrent de suivre le cortège et d'assister à l'enterrement.
Des comédiens, encore un peu éméchés, leur assurèrent qu'avec l'assentiment de Kateb (ils prétendaient avoir dialogué avec lui cette nuit même), ils allaient faire la fête au cimetière! Et tout ce monde de repartir dans un début de liesse.
La voiture funéraire parvint au cimetière d'El Alia alors que le groupe d'officiels, de rang ministériel, se trouvait déjà là. Face à eux, de l'autre côté, montaient en masse des groupe surtout de jeunes: plusieurs associations berbères, banderoles en tête, avec un portrait du poète et des inscriptions en alphabet tifnagh, arrivaient du fond dans une rumeur sourde.
Les jeunes filles, quelques femmes à l'allure populaire, la tête enturbannée de foulards colorés, étaient presque aussi nombreuses que les hommes. Un brouhaha, des piétinements derrière contribuèrent à calmer le groupe des comédiens qui s'approchaient comme vers une représentation. Ils stationnèrent sur le côté, soudain circonspects et méfiants : cette fois, on n'allait par leur faire la comédie de l'aéroport. (...)
Soudain, le soleil resplendit, comme s'il n'était pas d'automne, comme si l'aube allait s'immobiliser dans son scintillement. (...)
Le désordre s'atténue : "l'imam, l'imam!" chuchote-t-on quand apparaît un personnage assez vénérable qui prend place au premier rang, à côté du groupe officiel.
Tous veulent voir l'instant précis de l'inhumation. Mais après un moment d'hésitation (l'imam s'est placé, comme sur scène, les mains jointes, paumes ouvertes, prêt dans son rôle d'officiant religieux), sans doute parce que, à travers les rangs de la foule, le mot a couru : "l'imam, l'imam...pour la prière." D'un coup, les chants s'enfièvrent : les hymnes, du fond du cimetière par vague refluant jusqu'à la tombe, se croisent, se mêlent : en berbère, en arabe dialectal, en français.
Après un creux qui tangue, un suspens éclate alors, plus fort et plus ample que les autres, le chant de l'INTERNATIONALE. Le couplet fuse, un peu incertain, c'est la première fois dans un cimetière musulman. Au refrain, de multiples voix se joignent, et le chant empli l'espace : des étudiants sont tout joyeux, l'un lève le bras, l'autre brandit la photo de Yacine :
-J'y ai cru une seconde au miracle : Kateb entendait ce chant, son chant ! Au moment où le corps saisi par quatre amis allait s'enfoncer en terre, il a frémi une dernière fois grâce à ce chant ! Il a été heureux ! se souviendra l'un des jeunes témoins.
Les chants patriotiques ont repris d'un autre côté, on fait écourter L'International. Les officiels se sont figés de crainte, comme si la foule allait se débander...contre eux. (...)
La cérémonie des adieux continue. L'imam a tenté, au premier arrêt des choeurs et des chants, d'amorcer son discours mais c'est un ami du poète qui le devance, au nom d'Alger républicain. Il évoque, en dialecte et en français, en termes simples, la jeunesse de Yacine au journal; puis ses amitiés personnelles pendant les années de la guerre d'hier.
L'ami communiste a parlé un peu plus de cinq minutes : le public s'est tu, attentif. Aussitôt après, l'imam fait un pas et commence...en arabe classique.
Hurlements : mots violents contre la fausse majesté; "Trahison!" s'exclame un étudiant. Les chants berbères s'élèvent de toutes parts, cette fois pour couvrir le discours. Du fond, les premiers youyous des femmes vrillent, transpercent le vacarme. Et toujours, les premiers rayons de soleil en oblique auréolent le tableau. (...)
L'imam s'est tu; le visage calme, il dévisage à présent les premières rangées de la foule, ses composantes : là le carré des comédiens, là les étudiants des associations, ici les femmes, des enseignantes avec leurs élèves. Il remarque vite l'hétérogénéité : des notables (d'anciens militants vénérables qui veulent manifester une dernière fois leur estime au poète : le visage tendu, ils sont choqués que l'inhumation ne se passe pas dans la sérénité, ni la gravité nécessaire...Puis les ministres, les officiels en exercice, qui semblent mal à l'aise).
L'imam regarde la tombe ouverte où le corps a été placé; il se concentre sur le défunt, "une créature de Dieu, en cet instant, c'est tout!". Il commence des prières en lui-même pour le mort. Son oreille reste aux aguets : les clameurs vont s'épuiser, juge-t-il.
Pense-t-il encore : "Les clameurs des infidèles", "des inconscients, des enfants"? Son regard, ferme, reste fixé sur le fond de la tombe qui reçoit les rayons du soleil matinal. (...)
A peine les rumeurs et les imprécations mêlées ont-elles fléchi que l'imam, s'avançant à nouveau résolu, lance sa première phrase dans un dialecte vigoureux et clair :
-Ô amis du défunt, que Dieu l'ait en Sa sauvegarde, je vous demande, je vous le demande, mes frères, laissons, laissons ensemble Kateb Yacine se reposer.
L'attention se concentre devant la harangue qui ne joue plus que sur la corde de l'amitié et de la simple humanité. Cet écrivain, "ce grand écrivain" précise-t-il, a lutté toute sa vie, a travaillé toute sa vie: laissons-le, pour la première fois, se reposer", répète-t-il.
Une émotion saisit un groupe de femmes en foulard: l'une éclate en sanglots. Les jeunes se taisent : ainsi, Yacine est vraiment mort. A quoi cela sert d'en faire encore un sujet d'affrontements?
L'imam prononça sur le même ton deux ou trois phrases puis, conscients du répit obtenu, il se mit, d'une autre voix plus nasillarde, celle d'un ténor en concert, à lire la litanie coranique.
Vers la fin du texte sacré - débité de plus en plus vite, les notables n'osant reprendre en écho les versets-, quelques jeunes, au fond, transpercèrent à nouveau le silence rétabli de deux ou trois slogans rageurs : "Vive la berbérité!", "Vive l'Algérie libre!" reprit quelqu'un d'autre. Les noms de Kateb, de Yacine furent à nouveau lancés par des voix claires de femmes et leurs youyous, une dernière fois, éclatèrent en ultimes fusées d'un feu d'artifice.
Le soleil, toujours resplendissant, continuait d'aveugler les groupe qui, à regret, s'éloignaient. Autour de la tombe recouverte de Kateb, il fallut, les jours suivants, réparer les détériorations survenues sur la plupart des sépultures qui l'encerclaient.
Ce furent les dernières funérailles d'une Algérie tumultueuse, certes, mais n'ayant pas encore versé dans le fossé sans fond de la guerre ressuscitée.
In "Le blanc d'Algérie" de Assia Djebar, édition Albin Michel, 1995.
Dans ce très beau texte, Ahmed Akkache, militant indépendantiste, journaliste, écrivain, essayiste, qui a subi la prison et la torture sous l'occupant français mais aussi à la suite du coup d'état de juin 1965, décédé en 2010 à l'âge de 84 ans, évoque son plus fidèle ami, Kateb Yacine, qu'il avait connu dans les locaux du journal "Alger Républicain" en 49.
« J’ai connu Yacine il y a plus de cinquante ans, en 48 ou 49. A l’époque, j’étais journaliste à « Alger Républicain ». Un jour, mandé par le directeur, je me suis entendu dire : « Nous recevons un candidat journaliste, si tu peux t’occuper de lui ».
C’était un jeune homme un peu gauche, un peu timide, un peu maladroit, très blanc de peau, il semblait fragile ; mais j’allais apprendre très vite que cette fragilité n’était qu’une apparence. Au fond, il couvait une force intérieure extraordinaire. J’étais son aîné de deux ou trois ans et nous allions très vite devenir de grands amis, une amitié qui allait durer plus de quarante ans, entrecoupée, bien sûr, de périodes de séparation, mais à la suite desquelles nos itinéraires se rejoignaient toujours, jusqu’au jour où je l’ai accompagné, avec d’autres amis et d’autres camarades, à sa dernière demeure, au cimetière d’El Alia.
La période 1948-1949 milieu du siècle, était une période de bouillonnement extraordinaire et Kateb s’est retrouvé là, au confluent de deux grands évènements qui l’ont profondément marqué : les massacres du 8 mai 1945 et la fin de la seconde guerre mondiale ; une guerre terrible contre le fascisme qui avait duré de longues années, à l’issue de laquelle les alliés européens et américains ont fait aux peuples coloniaux des promesses solennelles de libération, de respect des droits de l’homme et de progrès social.
Et Yacine comme beaucoup de jeunes algériens, avait cru en ces promesses. La désillusion devait être grande. Le colonialisme français tenait bon. Nous cherchions alors de nouveaux repères dans les luttes politiques et syndicales. C’était l’époque de l’essor des mouvements de libération nationale, de progrès du socialisme « le temps des grandes espérances ». Quand nous étions à « Alger Républicain », nous travaillions la nuit, car le journal devait être tiré très tôt le matin. Quand nous terminions notre travail à l’aube, il me demandait de l’accompagner au port.
« Nous sommes fatigués, nous avons besoin de dormir, que veux-tu faire au port ? ».
Il disait qu’il allait voir les dockers, s’enquérir de leurs conditions de travail, faire la chaîne avec eux pour obtenir le jeton nécessaire, pour pouvoir travailler. En fait, il voulait faire lui-même l’expérience du travail au port.
Là parmi les dockers, il était heureux ! Il se trouvait dans son élément. Il aimait discuter avec les ouvriers, des hommes de grande valeur, qui peinent et se sacrifient pour leurs enfants, pour leur pays, des gens dignes et fiers dont les paroles étaient souvent pleines de sagesse et de vérité.
Là, il commandait des bols de loubia, et après il me demandait de passer voir les travailleurs de la manufacture de tabac « Bastos » à Bab-el-oued.
-« Mais pour y faire quoi ? Allons dormir, il est passé six heures du matin ! ». Il faisait ça souvent, pas rien qu’une fois ou deux ! ».
A la rédaction, il était connu pour ses sorties très particulières. Par exemple, quand il a été désigné pour ce qu’on appelait « Les chiens écrasés », c'est-à-dire aller ramasser des petites nouvelles de la ville, des faits divers, il allait au commissariat, au tribunal pour recueillir des informations, mais quand il les exploitait dans ses articles, il allait au fond des problèmes, il parlait de la personne incriminée, cherchait à la comprendre.
Pourquoi et comment a-t-elle commis tel délit ? Il exprimait tout ça dans des papiers très poétiques, jusqu’à ce que le rédacteur en chef lui rappelle qu’on lui demandait de traiter des faits divers et non de faire de la poésie.
Pour parfaire son apprentissage, il est passé par toutes les rubriques du journal, la rubrique nationale, puis la rubrique internationale, etc. Jusqu’à ce qu’il devienne polyvalent !
Enfin, il est devenu reporter, et là c’était vraiment son affaire.
Un jour, le journal l’a envoyé en mission en URSS ; il y est allé et il est revenu, après des semaines, avec un tas de reportages qui étaient très beaux mais aussi très politiques.
Ensuite, il a été à la Mecque, pas en pèlerinage, mais en reportage. Il a embarqué clandestinement, il a été arrêté puis relâché ; des mésaventures terribles qu’il a racontées après, dans des articles et des reportages du journal.
Son apprentissage, il le faisait aussi dans les cafés, auprès des gens pauvres, auprès des travailleurs, du petit peuple. Tous les personnages qu’il a créés après, « nuage de fumée », « pas de chance », étaient des personnages réels, qui ont existé. « Pas de chance » par exemple, était un relégué, un repris de justice qui a été arrêté, emprisonné puis libéré plusieurs fois, un relégué de Cayenne, quelqu’un qui n’a jamais eu de chance, ce qui lui a valu son surnom.
Yacine l’a bien connu, il passait des soirées avec lui, à se faire raconter sa vie, parce qu’il aimait bien tout ce qui est la vie, tout ce qui est l’homme, tout ce qui est les sentiments de l’homme…
Un jour, en 1950 je crois, je fus délégué avec mon ami Bachir Hadj-Ali à un congrès d’intellectuels à Paris. Nous emportâmes avec nous quelques-uns des manuscrits de Yacine. Ayant rencontré au congrès le grand écrivain français Louis Aragon, nous lui avons remis, sans trop y croire le petit recueil de Yacine, en le priant de nous dire si c’était publiable.
Le lendemain matin, quelle surprise extraordinaire ! Aragon vient nous voir, les bras levés : « Mes chers camarades, c’est un génie que vous avez-là, un futur grand écrivain dont le monde parlera ».
Voyant notre scepticisme, Aragon reprit : « Je vous assure que les poèmes de ce jeune homme dénotent un très grand talent. La preuve d’ailleurs, cette semaine je vais consacrer un numéro spécial de mon journal aux textes que vous m’avez donnés ».
Cette fois nous étions convaincus. « Les lettres françaises », le plus grand journal littéraire de France qui fait un numéro spécial sur Kateb Yacine ! Quelle magnifique nouvelle !
C’est aussi au cours de l’année 1950 ou 1951 que nous nous sommes un peu séparés. Yacine s’est rendu en France, moi de mon côté, j’ai été désigné à la direction d’un autre journal « Liberté ». En partant, j’avais pris avec moi des poèmes de Yacine. Il commençait déjà à être connu, à produire des textes parfois très émouvants, le plus souvent liés aux massacres du 8 mai 45, mais débordant déjà sur les luttes ouvrières et les combats politiques contre le colonialisme.
Le premier poème que j’ai reproduit dans « Liberté », se trouve dans « L’œuvre en fragments » de Jacqueline Arnaud :
« Jeunes filles de ma tribu, votre silence me poursuit, et le deuil ajoute au silence …Solitaires jeunes filles de ma tribu décimées ».
C’est dans ce poème qu’il évoquait « les brûlés vifs de Millesimo », petit village où Houari Boumédiene, qui est devenu plus tard président de la république algérienne, est né. C’est dans les environs de ce petit village, que les colonialistes français jetaient des Algériens vivants dans les fours à chaux.
Le génie de Kateb s’est nourri des souffrances de son peuple. Son attachement viscéral à l’Algérie, sa révolte permanente contre l’injustice, son affection pour les humbles, les gens simples, ceux qui vivent de leur sueur, quelle que soient leur race ou leur religion, l’ont amené de façon naturelle au parti communiste algérien. Mais son adhésion n’avait rien de dogmatique. Je ne me rappelle pas l’avoir vu plus de deux ou trois fois à une réunion de cellule.
Il n’aimait pas les appareils bureaucratiques, la langue de bois. Par contre, il participait souvent aux meetings et aux manifestations populaires.
Un jour, revenant d’un déplacement à Constantine, nous sommes passés par les gorges de Kherrata, devant les falaises d’où les soldats de la légion étrangère jetaient dans l’abîme des algériens encore vivants. Nous nous sommes arrêtés pour nous recueillir devant le ravin où les militants ont gravé sur le roc le signe de leur passage.
Yacine était bouleversé. Je ne l’avais jamais vu ainsi livide, figé, les yeux grands ouverts, fixant le gouffre béant comme s’il revivait non seulement les massacres du 8-mai 1945, mais le douloureux martyre de son peuple, à travers la lente sédimentation des siècles.
Bien des années plus tard, en lisant « Nedjma », j’ai éprouvé à nouveau le frisson vertigineux des émotions ressenties ce jour là. Illuminé d’un chant profond, comme surgi des entrailles de la terre, Yacine était devenu Kateb. »
Kateb Yacine
et
Mohamed Issiakhem,
... l'un poète, l'autre peintre mais les deux génies écorchés. Ils ont cultivé une amitié qui s'est étalée sur plus de trois décennies, jusqu'à la mort en 1985 d'Issiakhem. Amar Mediene, historien de l'art et leur ami, relate poétiquement leur rencontre dans un bistrot d'Alger en 1951.
"Quand, comment, où, Yacine et M’Hamed se sont-ils rencontrés ?
Rappeler d’abord que se sont Armand Gatti et Choukry Mesli qui ont fait les présentations dans un bistro, rue de la Marine, en basse Casbah. Les deux médiateurs se sont éclipsés. Laissons M’hamed et Yacine nous relater ce sommet à deux.
Chacun des deux acteurs écrit sa version, dit sa réplique, rappelle sa perception de l’autre, rencontré au hasard d’une soif à étancher. Seul Kateb, réflexe de dramaturge, a senti la nécessité de transcrire l’événement dans le respect de la règle trinitaire de temps, de lieu et d’action. Le rappel du nom de l’enseigne est important : pour Kateb comme pour Issiakhem, le Café de la Marine, à Bab-el-Oued, est un espace algérois mythique, hors sol, hors temps ; un petit théâtre agité et extensif. Chaque acteur est tête d’affiche et figurant qui, aux heures du midi et du crépuscule, joue son rôle déjà joué la veille et les jours d’avant. Ici règne le réalisme exubérant et la tchatche pataouète, on passe sans le savoir, sans transition, de la réalité à la fiction, n’importe qui peut accéder à une notoriété de vedette qui s’oubliera dès le rideau baissé, l’ébriété évanouie, la migraine soignée. Dans ce spectacle brechtien sans précédent, sans avenir et non écrit, Kateb et Issiakhem sont accoudés à un coin du comptoir. (...) Selon Kateb ce premier face à face fut celui de deux duellistes suspicieux : Yacine introverti et taciturne hésitait à l’engagement direct, M’hamed volubile et excité était prêt à en découdre. Fallait-il chercher la touche décisive, frapper au cœur ou à la bouche, ou prolonger le duel à fleuret moucheté ou boucler l’affaire en un sprint de ‘’cul sec’’ ? Adopter la voie civilisée et attendre que le brouillard alcoolisé fasse baisser les bras et rende pacifiques les deux convives qui se sépareront dès le dernier verre ingurgité ? Quel tempo donner aux échanges entre un manchot furieusement expressionniste et un chétif échevelé et inquiet qui fait gicler des vers éblouissants entre deux rafales d’onomatopées bégayées ? Dramatiser et se lamenter, ironiser et rire, ou banaliser, et vite se fatiguer dans un ennui rédhibitoire, devant un verre vide ou tiédi ? Les libations se prolongent. Kateb, chômeur, sans éditeur, n’a pas le sou et doit, chaque jour, assurer le maigre couffin qu’attendent ses jeunes sœurs, sa tante et sa cousine.
Après le journalisme, à Alger-républicain, il s’est essayé au métier de docker, métier de forçat avec un physique de malingre. Issiakhem, argenté, ouvre ses poches. Les censures se lèvent, les aveux de l’un s’accrochent aux aveux de l’autre. Les silences, les non-dits sont intuitivement décodés. Mon père est mort l’an dernier, dit Yacine. Il ne nous a laissés que le subtil parfum de ses dettes. J’ai fait un faux voyage à la Mecque, un vrai au Soudan, j’ai visité Tachkent. Il me faut repartir à Paris. Je reviens de Paris, précise M’hamed, j’ai fait la connaissance d’une jeune femme, Georgette Pelcat (surnommée plus tard Pouchkina), nous sommes fiancés. Elle est enceinte, nous allons vivre ensemble. Je travaillerai tout en préparant le concours d’entrée à l’École nationale supérieure de Paris. Si tu le veux, nous partirons ensemble. Ou tu me rejoindras. J’habite un meublé nommé Hôtel de l’Avenir. Quel présage ! Ils commencent par parler de sujets non contagieux, qui ne prêtent pas à polémique, des sujets de sympathie, de solidarité. Chacun est sur ses gardes. Aborder la politique ne leur fait pas peur. Il n’y a pas à proprement parler de rapport de force ni de divergences fâcheuses. On n’est quand même pas des traitres, des ‘’retournés’’, des votants en cachette et rémunérés pour le candidat libéral du premier collège. Ce qu’ils craignent, c’est que l’un soit démasqué avant l’autre, en mettant à nu sa désespérance, son côté folie suicidaire. Les pupilles deviennent miroirs, chacun habite l’œil de l’autre. Ils comprennent en même temps qu’ils sont des rescapés, des survivants, des bagnards en fuite. Des survivants coupables, endettés en monnaie de sang. Les deux, implicitement d’accord, veulent endiguer, peut-être noyer, l’indicible secret qui pèse sur leur âme.
(...) Ont-ils vraiment besoin de mots pour se dévoiler ? Qui dira quoi ? Qui interrogera, qui répondra, qui avouera ? Le silence a du sens, pas le déni ou la supercherie. Identifier l’un et l’autre n’a aucune importance ; ils sont jumeaux, des siamois, héros d’une légende oubliée et réincarnée en un Janus imazighen, ancêtre évadé d’une captivité millénaire au cœur du Tassili.
Parler de choses pratiques ou banales n’écarte pas l’intime. Qui es-tu ?, interroge une des deux figures de Janus. Je suis le manchot pyromane et condamné à être peintre… peintre par malédiction, par culpabilité ou par ce qui me reste d’instinct vital, dit l’Autre, l’Abimé, qui agite une manche vide pour chasser une mouche imaginaire ou égarer une pointe de douleur…
Le 27 juillet 1943, la guerre dévorait le monde. Il n’y avait pas assez de terre et de poussière pour couvrir les morts. Du camp américain de Relizane, j’ai volé une grenade, comme on vole le feu ou une pomme. La grenade ressemblait à une noix. J’ai tiré sur un anneau. La chose a explosé. Des enfants gisaient. J’ai perdu un bras, mon âme et l’amour de ma mère. La terrasse de notre maison était devenue Guernica. J’avais quinze ans, j’avais appris la natation pour un jour traverser des mers. J’ai mis le feu à ma maison… Chaque jour ma mère pleure à fleur de peau sur les tombes de ses filles et de son petit-fils, mes deux sœurs et mon neveu, innocentes victimes, sacrifiées au nom d’un défi puéril… Sous la manche vide de ma veste, le bruit de la scie mordant l’os ne cesse jamais de grincer, le bras fantôme est greffé sur mon cerveau et envoie des ondes électriques qui irradient mon corps. Et toi, d’où te vient cette fièvre qui court sur ton front comme une araignée affolée? Je suis un petit Sidna Moussa sétifien, un Moïse sauvé d’un fleuve de sang, poursuivi par un pharaon habillé comme Tartarin de Tarascon. Un Négro lynché, pendu à une branche, la corde tranchée au dernier moment par un Faulkner ivre. De mes jambes grêles, j’ai couru dans les rues de Sétif, poursuivi par une horde de pyromanes et de mouches. Je suis et veux être poète, enfant j’allais au bord de l’oued et bombardais la lune dans la rivière. J’ai connu le poison du vin et le venin de l’amour fou, j’ai fui l’amante, abandonnée sur la couche de l’adultère et de l’inceste. Je l’ai appelée Nedjma. Je ne pouvais ni rester couché à ses flancs ni aller au lycée apprendre l’algèbre.
Le 8 mai 1945, j’ai couru, égaré, la tête enfoncée dans la foule en désordre, j’étouffais et trébuchais sur des corps désarticulés, râlant ou suppliant. Une foudre cosmique était-elle tombée sur Sétif ? Pris d’une démence soudaine, avais-je mis le feu à la ville ? Ivre des odeurs de sang, de poudre et de fumée âcre, agressé par des essaims d’insectes nécrophages, j’ai couru comme un possédé à travers les rues pour éteindre l’incendie… Des colons, vareuse de chasseur et casque colonial, chassaient le bougnoule, fêtaient l’armistice en brailleurs avinés. Ils m’ont ligoté les poignets et attaché à d’autres prisonniers hagards. Troupeau de moutons conduit à l’abattoir … J’appelais : Mère où es-tu ? Je ne voyais ni sa silhouette frêle, ni ses nattes noires descendant sur le buste, ni sa mlaya déployée au-dessus de sa tête pour se signaler à moi. Maintenant elle voyage dans les ténèbres, d’un hôpital à l’autre et dans ses pensées… Pour se distraire elle rit, fume des cigarettes et à toute occasion, allume des feux, joue et rit avec les flammes, comme une fillette avec des chiffons, et tente de les étouffer de ses mains nues, insensibles aux brûlures.
D’où viens-tu, camarade éclopé ? demande Yacine, histoire de revenir à terre et de se repérer dans la vaste Numidie perdue. D’un doigt trempé dans un verre de vin, M’hamed dessina sur le comptoir une carte d’Algérie, traça un cercle, forma la lettre R de Relizane, à l’autre bout un second cercle et le S de Sétif, au milieu, le A d’Alger. Tu es bon géographe, approuva Yacine, qui ajouta : nous sommes de bons marathoniens d’avoir fait jonction dans cette ville qui n’est pas tout à fait la nôtre. Pas encore la nôtre !
D’un coup de torchon agacé, le barman essuya le croquis, fit disparaitre le territoire. M’hamed, têtu, d’un index décapité et rougi de vin redessina la carte, en l’étendant à Bône et Constantine, à l’est, et à Oran et Tlemcen, à l’ouest. Le barman, maniaque, prit cette récidive pour un jeu d’ivrognes, effaça de nouveau la carte géographique (...) Notre pays est un mirage, remarqua Yacine d’un ton philosophique, nous le faisons apparaitre, d’autres l’escamotent. Connais-tu la Source aux illusions et le Bain des maudits ? Je t’en parlerai, quand nous aurons cuvé notre vin et notre amertume.
Ils apprennent à se connaitre en voyageant dans les mots. Pas facile de les extirper de la gorge quand ils sont tranchants comme des silex. Les dits et les non-dits se bousculent, des questions brûlent les lèvres : De quel enfer sors-tu, mon frère ? De quel bois ton enfer se nourrit-il ? Aucun des deux ne cherchait chez l’autre des raisons d’espérer. Qui aurait pu dire : donne-moi un peu de ton optimisme, je te donnerai un peu de mon malheur ? Ils étaient à égalité, armés de la même puissance créatrice, mais si difficile à extirper, à la rendre visible. L’espoir était hors de prix en cette saison de chômage, de famine, d’exil et de bagne. Ils voulaient seulement comprendre ce que dans le monde, notre monde, les désespérait."
Benamar Mediene
https://www.poesielavie.com/2019/10/kateb-yacine-poete.html
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Rédigé le 17/08/2023 à 20:33 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Jeudi 17 août 2023
Voici très certainement l’une des chansons françaises les plus sulfureuses de son temps. Le Déserteur, poème écrit par Boris Vian en 1954 puis mis en musique, a beau avoir été modifié, édulcoré pour mieux plaire aux autorités, il n’a pu échapper à la censure.
Ce texte antimilitariste, contant la volonté d’un jeune homme de ne pas répondre à la mobilisation militaire et rédigé durant les derniers mois de la Guerre d’Indochine, est devenu, au fil du temps, l’un des plus célèbres de son auteur. Par son histoire, donc, mais aussi par sa beauté et son impact politique.
Une version pacifiste
Retour en arrière : en février 1954, l’armée française est définitivement embourbée dans une guerre face au Việt Minh qu’elle ne peut plus gagner, retranchant près de 50 000 hommes dans la vallée de Diên Biên Phu, au nord de l’actuel Vietnam. Quelques jours plus tard, une ultime bataille sanglante verra les forces françaises totalement défaites. En attendant, Boris Vian, déjà auteur des romans J’irai cracher sur vos tombes (1946), L’Ecume des jours (1947) ou encore L’Arrache-cœur (1953), et qui s’est lancé dans une carrière de chanteur, écrit ce poème, Le Déserteur, qui démarre par une phrase devenue célèbre : « Monsieur le président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps. » Il s’achève par une promesse aux « gendarmes », jurant qu’ils peuvent venir le chercher, qu’il sera armé, terminant son texte par : « Et que je sais tirer. »
cette chanson
Boris Vian propose Le Déserteur à plusieurs chanteurs en vue, mais tous refusent d’entonner ce brûlot. Si ce n’est Marcel Mouloudji, artiste engagé, qui accepte tout en demandant quelques modifications à Boris Vian. Pacifiste convaincu, il propose notamment de changer les derniers vers, les transformant en : « Si vous me poursuivez / Prévenez vos gendarmes / Que je n’aurai pas d’armes / Et qu’ils pourront tirer », ôtant son arme au protagoniste et supprimant la probable fin violente de cette désertion.
Le jour même où l’armée française est défaite à Diên Biên Phu, à savoir le 7 mai 1954, Mouloudji chante pour la première fois ce texte sur scène avant de l’enregistrer sur disque deux mois plus tard. Malgré l’adoucissement des paroles, et dans un contexte de défaite et de patriotisme exacerbé, le puissant Comité d’écoute radiophonique en interdit la diffusion, empêchant certes son passage sur les ondes, mais pas Mouloudji de l’interpréter une seule fois à la radio, sur France Inter, en octobre 1954.
Huit ans d’attente
En 1955, Boris Vian décide finalement de se réapproprier le texte. Il change quelques paroles précédemment modifiées avec Mouloudji, rédigeant les paroles finales qu’il enregistre au mois d’avril, en 45 tours. Présent sur un album nommé Chansons impossibles, sa diffusion est très limitée par le label Philipps, qui préfère ne pas faire de remous en raison du caractère contestataire du contenu. Rien n’y fait : Le Déserteur version Boris Vian est, comme celle de Marcel Mouloudji, censurée à la radio pour antipatriotisme. Trois ans plus tard, c’est même la commercialisation de l’enregistrement qui est stoppée par les autorités culturelles, Boris Vian devant attendre jusqu’en 1962, et donc la fin de la Guerre d’Algérie, pour voir son ode pacifiste enfin libérée de toute censure. Plus de huit ans après sa rédaction initiale.
Par Brice MICLET.
Jeudi 17 août 2023
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-08-17/le-deserteur-de-boris-vian-un-monument-de-la-chanson-francaise-interdit-au-nom-de-la-guerre-e3963990-0087-4604-b006-4d0f332a17a4
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Rédigé le 17/08/2023 à 18:22 dans Chansons, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
17 août 2023 à 13h34
Russie, Kadhafi, corruption, Afrique : « Le Figaro » a présenté un Nicolas Sarkozy ne craignant pas de « bousculer le politiquement correct ». Ni la réalité des faits, aurait pu ajouter le quotidien. Mediapart produit donc une version complétée « exclusive » de l’entretien.
CommeComme une sorte de jeu estival, Le Figaro a surpris son monde en proposant un texte à trous, mercredi 16 août, autour de l’interview « exclusive » de l’ex-président de la République Nicolas Sarkozy.
Ce dernier est en pleine promotion de son nouveau livre Le Temps des combats, à paraître le 22 août aux éditions Fayard, trois ans après Le Temps des tempêtes. Entre-temps, l’ancien chef de l’État avait aussi publié en 2021, année de ses condamnations à de la prison en première instance dans les affaires Bygmalion et Bismuth, un autre ouvrage fort à propos, puisqu’il était intitulé Promenades.
Guerre en Ukraine, corruption en Afrique, problème de « délinquance » en France : tout y passe dans l’entretien fleuve accordé par Nicolas Sarkozy au directeur de la rédaction du Figaro Magazine Guillaume Roquette et au grand reporter Charles Jaigu.
Seulement, les journalistes et l’ancien président ont omis dans leurs questions et réponses de rappeler des éléments de contexte – contrats avec la Russie, condamnations, etc. – pourtant essentiels à la compréhension des choses. Mediapart a donc complété l’entretien.
Question du « Figaro » :
Parmi les combats que vous avez connus, certains nous rapprochent de l’histoire immédiate. En 2008, vous aviez partiellement réussi à raisonner Vladimir Poutine. Aujourd’hui, il ne veut plus rien entendre…
Extraits des réponses de Nicolas Sarkozy :
L’échec vient de loin. Il est séculaire. Et je veux ici rendre hommage à Hélène Carrère d’Encausse, qui nous a hélas quittés. Elle a été une grande passeuse de l’histoire russe pendant quarante ans. Mais je reviens à votre question. Les Russes sont des Slaves. Ils sont différents de nous. La discussion est toujours difficile et a suscité beaucoup de malentendus dans notre histoire commune. Malgré cela nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous. J’ai eu de profonds désaccords avec Vladimir Poutine, j’ai pris mes responsabilités en 2008, quand j’étais président du Conseil des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne.
[…]
On ne peut pas s’en tenir à l’idée étrange de « faire la guerre sans la faire ». Nous serons obligés de clarifier notre stratégie, surtout si cette guerre devait durer. La diplomatie, la discussion, l’échange restent les seuls moyens de trouver une solution acceptable. Sans compromis, rien ne sera possible, et nous courrons le risque que les choses dégénèrent à tout moment. Cette poudrière pourrait avoir des conséquences redoutables.
Ce qu’ils auraient pu rappeler :
Étrangement, Nicolas Sarkozy comme les journalistes occultent un élément de contexte fondamental : l’argent. Et plus précisément : l’argent russe reçu par l’ancien président de la République depuis son départ de l’Élysée en 2012.
L’ex-chef de l’État a pourtant conclu en 2019 un contrat de conseil pluriannuel, dont le montant total s’élève à 3 millions d’euros, avec le groupe d’assurances russe Reso-Garantia, contrôlé par les milliardaires Sergey et Nikolay Sarkisov, comme l’avait révélé Mediapart. Début 2020, il a reçu 500 000 euros en provenance de Russie au titre de ce contrat sur son compte à la banque Edmond de Rothschild, ce qui a provoqué l’ouverture d’une enquête préliminaire par le Parquet national financier (PNF) à la suite d’un signalement de Tracfin, le service de renseignement de Bercy (relire notre enquête ici).
Un an avant la conclusion de ce contrat, Nicolas Sarkozy vantait les mérites de Vladimir Poutine lors d’une soirée à Moscou organisé en novembre 2018 par le Russia Direct Investment Fund (RDIF), principal fonds souverain de l’État russe. Au même moment, l’ancien président a touché 300 000 euros d’une mystérieuse entité, portant le même nom qu’une des filiales de RDIF, comme l’a révélé Mediapart (relire ici).
Comme le montre une vidéo de l’événement (voir ci-dessous), Nicolas Sarkozy avait rappelé au cours de cette soirée sa grande proximité avec Vladimir Poutine, le présentant comme un « ami » de « toujours », « parce que c’est un homme avec qui on peut parler, y compris quand on a des désaccords ». Les Ukrainiens peuvent aujourd’hui en témoigner.
À la fin de son intervention, l’ancien président français, visiblement ravi de sa prestation, affirmait aussi à l’attention du président de RDIF Kirill Dmitriev : « C’est la première fois que tu m’invites ici, l’année prochaine, je veux être invité aussi. »
Enfin, selon des témoignages recueillis par Mediapart en mai 2022, l’intermédiaire Alexandre Djouhri, particulièrement proche de l’ancien président français à l’époque, a pour sa part réclamé « 5 à 7 % » de commission aux dirigeants de Naval Group lors de la vente des navires Mistral à la Russie, vente finalement annulée par François Hollande après l’invasion de la Crimée en 2014.
Question du « Figaro » :
Avez-vous donné l’ordre d’éliminer Kadhafi ?
Réponse de Nicolas Sarkozy :
Certains ont osé dire que j’aurais donné cet ordre. Cette polémique indigne s’est effacée devant les faits. Ce qui se passait en Libye était une action collective coordonnée, conduite par l’Otan. Bien plus tard, le clan Kadhafi s’est vengé en prétendant avoir financé ma campagne. Aucune trace du moindre financement n’a pu être trouvée après onze années d’enquête ! Je ne regrette pas cette intervention en Libye. Ce n’est pas la France qui a déclenché le printemps libyen. Ce pays sombrait dans le chaos. Si nous n’étions pas intervenus, il y aurait eu des milliers de morts.
Ce qu’ils auraient pu rappeler :
Il n’y a tellement rien dans le dossier des financements libyens que, après dix ans d’enquête judiciaire, le Parquet national financier (PNF) a demandé, dans un réquisitoire définitif signé le 10 mai 2023, le renvoi devant un tribunal correctionnel de l’ancien président de la République et de trois de ses ex-ministres. Mais cette information, qui a fait le tour de monde, a peut-être échappé aux journalistes du Figaro.
Dans ce dossier, l’ancien chef de l’État français est soupçonné d’avoir noué avec le dictateur libyen un pacte de corruption avant l’élection présidentielle de 2007 et d’avoir ensuite favorisé les intérêts économiques, diplomatiques, juridiques et sécuritaires de son régime.
Question du « Figaro »
On connaît la corruption de nombreux pays africains, qui absorbent les aides du monde entier et le détournent pour l’enrichissement de quelques-uns…
Réponse de Nicolas Sarkozy :
Je ne dis pas que c’est facile. C’est même tout le contraire. C’est un immense défi. Cela supposera évidemment de changer les règles de la concurrence au niveau européen. Il ne s’agit pas de financer des infrastructures qui profiteraient aux entreprises russes, turques ou chinoises. Mais nous n’avons pas le choix. Agir ou subir, tel est le dilemme.
Ce qu’ils auraient pu rappeler :
La corruption ne s’observe pas qu’en Afrique. Pour la première fois dans l’histoire de la République française, un ancien chef de l’État a d’ailleurs été reconnu coupable en appel dans une affaire de corruption. C’était le 17 mai 2023, et cela concernait un certain Nicolas Sarkozy.
Propriété de la famille Dassault, Le Figaro connaît également bien le phénomène. À la tête du groupe de presse jusqu’à sa mort en 2018, Serge Dassault a lui-même été condamné, en 1998, pour des faits de corruption en Belgique dans le cadre de l’affaire Agusta (achat d’hélicoptères de combat). Le système d’achat de votes mis en œuvre à Corbeil-Essonnes a aussi donné lieu à la condamnation, en 2020, de l’ancien bras droit de Serge Dassault.
Enfin, le nouveau livre de Nicolas Sarkozy est édité par Fayard, qui vient d’être avalé par son ami Vincent Bolloré. Lequel milliardaire est actuellement poursuivi, après avoir échoué à conclure une procédure par un plaider-coupable, pour la corruption présumée de deux présidents africains (Faure Gnassingbé au Togo et Alpha Condé en Guinée-Conakry), en échange de la prolongation d’une concession portuaire.
Question du « Figaro » :
Votre quinquennat s’éloigne dans la mémoire des Français, et quand ils ont de vos nouvelles, c’est au travers de la chronique judiciaire. Comment vivez-vous cette situation ?
Réponse de Nicolas Sarkozy :
Je ne pense pas que ma place dans la vie des Français se réduise aux procédures qui sont intentées contre moi. Mes rencontres avec les Français durant mes nombreux déplacements me montrent qu’ils font la part des choses. D’abord parce que j’ai fait face sans jamais me dérober. J’ai été perquisitionné, auditionné des centaines d’heures.
Ensuite parce que les Français seraient bien en peine de résumer ce qu’on me reproche. Personne n’y comprend rien. Est-ce que j’ai détourné de l’argent ? Est-ce que j’ai fraudé le fisc ? Y a-t-il eu le moindre enrichissement personnel ? Non, non et non ! Personne n’a été plus contrôlé, examiné, vérifié que je ne l’ai été. Si quoi que ce soit de réellement répréhensible avait été trouvé et prouvé, cela se saurait. Je reste serein car la vérité finira par triompher. C’est juste une question d’endurance. Et croyez-moi : je n’en manque pas !
Ce qu’ils auraient pu rappeler :
« Si quoi que ce soit de réellement répréhensible avait été trouvé et prouvé cela se saurait », affirme Nicolas Sarkozy. On ne peut que partager ce constat.
L’ancien président a été condamné à un an de prison ferme pour financement illégal de campagne dans l’affaire Bygmalion. Il a fait appel (procès en novembre 2023). Il a aussi été condamné à trois de prison, dont un ferme, pour corruption et trafic d’influence en mai 2023 en appel dans l’affaire Bismuth. Il a formé un pourvoi en cassation et déjà promis de saisir la Cour européenne des droits de l’homme s’il était débouté.
Il est aussi menacé d’un procès pour corruption, financement illégal de campagne, recel de détournement de fonds publics et association de malfaiteurs dans l’affaire des financements libyens, depuis que le PNF a demandé son renvoi en mai 2023.
Au-delà de sa situation pénale personnelle, c’est tout l’entourage de l’ancien président de la République, depuis ses mentors jusqu’à ses plus proches collaborateurs, qui est aujourd’hui dans le viseur de la justice (voir la liste ici).
Question du « Figaro » :
Gérald Darmanin a-t-il raison de vouloir inscrire dans la loi l’interdiction de placer des policiers en détention provisoire ? N’est-ce pas une décision qui doit être prise au cas par cas ?
Réponse de Nicolas Sarkozy :
En ce qui concerne les policiers mis en cause à Marseille, ou ailleurs, il faut s’en tenir aux principes. On met en prison quelqu’un avant le jugement principalement pour deux raisons. Soit parce qu’il y a un risque qu’il fasse disparaître des preuves, soit parce qu’on craint qu’il fasse pression sur des témoins.
Ce n’est pas le cas de ce policier soupçonné de violence. Il n’est certainement pas au-dessus des lois, mais il n’est pas en dessous non plus. Son maintien en liberté ne faisait pas obstacle à la recherche de la vérité.
Ce qu’ils auraient pu rappeler :
La « recherche de la vérité » importe visiblement bien peu à Nicolas Sarkozy. En effet, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, devant laquelle le policier de Marseille a fait appel de son incarcération, a précisément considéré, dans sa décision rendue le 3 août 2023, que la détention provisoire était indispensable pour éviter toute concertation entre les mis en examen avant leurs interrogatoires (lire ici notre compte-rendu).
Pendant l’audience, l’avocat général avait également soutenu que la détention du fonctionnaire de police était aussi le seul moyen de « préserver l’information judiciaire », en évitant la concertation frauduleuse entre les mis en examen, qui s’étaient téléphoné juste après avoir reçu leurs convocations à l’IGPN, ou une éventuelle destruction de preuves.
Antton Rouget
17 août 2023 à 13h34
https://www.mediapart.fr/journal/france/170823/interview-de-sarkozy-au-figaro-mediapart-rectifie-les-questions-et-les-reponses
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Rédigé le 17/08/2023 à 17:57 dans France | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 17/08/2023 à 14:46 dans Bombe atomique | Lien permanent | Commentaires (0)
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