Le Pen
LES POETES DANS LA GUERRE !
(Extrait)
par Christophe DAUPHIN
La guerre a fauché mon lyrisme dans la racine. Je ne retrouve plus les mots de l’enthousiasme ni de la louange. Plus d’images. Je vois toutes choses avec médiocrité.
Jacques Rivière.
"... La guerre, c’est toujours la même violence, qui revêt des masques divers. La guerre est le fruit des hommes et non pas un phénomène qui s’acharnerait sur la communauté humaine, à la manière d’un cyclone ou d’un tremblement de terre. La guerre est, comme le dit Voltaire, « l’une des trois épices les plus mal famées du monde », même lorsqu’à certaines époques elle prend le visage d’un juste combat pour la libération des peuples. La brutalité, la rapidité avec laquelle elle frappe, les horreurs immédiates et les ravages qu’elle laisse derrière elle, ont un tel pouvoir d’étourdissement, comme l’écrit Dusan Matic, que l’homme a du mal à concevoir qu’un tel monstre pouvait déjà germer dans ces prétendus jours de paix. Ce monstre naît des rapports « pacifiques » entre les hommes. La guerre n’est que le résultat d’une politique menée en période de « paix ». Le conflit guerrier naît de la rencontre entre des activités, des intérêts, des flux. La paix et la guerre résultent de la manière dont hommes et organisations gèrent les tensions et les antagonismes issus de cette rencontre... L’actualité récente nous a incité à établir un dossier, qui n’entend pas présenter un choix de poèmes écrits à chaud contre la guerre (bien peu crédible, ce type d’exercice abouti le plus souvent à de bien piètres résultats), mais au contraire, un choix de poèmes écrits dans le vif de la guerre. La poésie a pour vocation la renaissance de l’être : Il s’agit, par le poème – quête de ressaisissement, labour de l’être – d’éveiller l’homme à une vie nouvelle, et de s’y fertiliser dans le déchiffrement du monde intérieur et extérieur. Loin d’être une discipline artificielle, un jeu futile, la poésie réclame du poète une force, une présence, une vision, où se contiennent, s’équilibrent et se mesurent, la violence des passions comme le tumulte ou l’ordonnance du monde. Car, dès lors que le « mécanisme » du langage, du poème, se déclenche chez le poète, c’est uniquement pour répondre à une prise de conscience, à une émotion, un trouble profond en l’occurrence ; et cette prise de conscience se mue, bien souvent, en prise de possession. Dans le poème, la voix qui anime le langage, n’est autre que celle qui anime la voix de révolte, de courage et de sursaut qui habite le poète, affrontant la souffrance et se mesurant à la mort, aux horreurs qu’il voit, qu’il ressent, qu’il côtoie, qu’il vit, jusqu’à, parfois, y laisser la vie. Tous les poèmes de ce dossier montrent le poète aux prises avec les démons de son époque, qu’il s’agisse de la première guerre mondiale (Maïakovski, Huidobro), la seconde et l’inhumaine réalité des camps et des massacres (Matic, Illyès, Voronca,Dumont, Radnoty, Cohn, Youssef, Cabral, Taurand), de la guerre de libération nationale (Tchicaya U’Tam’si, Rabemananjara, Rode, Mihalic, Jonker, Darwich), la guerre du Vietnam (Komunyakaa), la guerre d’Algérie (Sénac, Simonomis), la guerre civile (Hernandez, Hwang Chi’u, Jonker)… Car le poète n’isole pas sa propre expérience de l’expérience des autres..."
Christophe DAUPHIN
(Extrait de la présentation du dossier, Les Poètes dans la guerre !, in Les Hommes sans Epaules n°15, 2003).
LA VILLA DES ROSES
Rappel - LE CAS DE LE PN J. M.-
Rappel
1 -
2 -
Ali des colonies
jamais tu n’oublieras le salon rouge
de la villa des roses
la cave aux portes de l’enfer
où trois sous-officiers dirigent les chorales
trois cuisiniers français dont le maître est chinois
Ali aimes-tu la cuisine française
disent-ils en aiguisant leurs yeux sadiques
et leur rire
énorme
résonne
pendant plus de sept ans
Ils t’ont mis nu comme un enfant
ils te montrent leur serviteurs
anneaux de fer cordes et chaînes
un fauteuil mécanique
la baignoire
un casque spécial
et tout un appareillage électrique
Faut-il donc tant souffrir pour mourir
Parle Ali raconte nous
passé présent futur de ton groupe assassin
où sont tes camarades
et que devient ton frère
nous avons pris ton père il est mort l’imbécile
ta mère est avec nous veux-tu son sacrifice
parle-nous de ton frère Ali
nous saurons l’apprécier
et l’armement de tes copains
quel est leur objectif prochain
Tu n’aimes plus ta mère
Ali mon tout petit
jamais tu n’oublieras le cuisinier chinois
ses marmitons lubriques
les instruments de haine et de plaisir
oui
tu reconnais leur rire
dans les coins épargnés de ton cerveau brisé
Qui ose
parler de Gestapo d’inquisition
nous sommes en 1961
en Algérie
dans la villa des roses
Ce couteau dessinant sur ta peau
et ces yeux de père de famille
qui cernent ton silence
ces poings réglés sur ton visage
ces pieds cloutés bondissant sur ton ventre
ces cannes tes palmiers zébrant ton dos
et leur baignoire et leur fauteuil
et leurs anneaux sur ton corps impuissant
Ali mon tout petit
Jamais tu n’oublieras
Les boxeurs intrépides
Sans peur
Et sans reproche
Qui t’ont appris la vie dans la villa des roses
Maintenant
c’est fini
dis merci
Embrasse-les
Ali
Dommage
ils sont partis vers d’autres devoirs
ton baiser
est trop dangereux.
Jacques SIMONOMIS (La Villa des roses, poèmes sur la Guerre d'Algérie)
(In Les Hommes sans Epaules n°15, 2003).
http://www.leshommessansepaules.com/revue-Dossier___LES_POETES_DANS_LA_GUERRE-19-1-1-0-1.html
Durant les mois de février, mars et début avril 1957, la villa des « roses », sise 74 boulevard Gallieni à El Biar, abritera une unité de parachutistes étrangers, commandée par le capitaine Martin. Celle-ci, y avait installé ses bureaux d’interrogatoires et leur complément désormais indispensable : les locaux e torture.
L’un des chefs qui administraient la « question » et dirigeait la torture, n’était autre que le lieutenant Le Pen, député à l’assemblée nationale Française.
Le Pen, accompagné de ses hommes, en civil ou en uniforme, procédait aux enlèvements . Les personnes enlevées étaient séquestrées dans la villa durant des semaines; mais avant, le « suspect était d’abord accueilli par les paras, Le Pen en tête, et se faisait assaillir de coups de pieds et de coups de tête, jusqu’à l’abrutissement complet. On commençait ainsi, par le mettre en « condition », pour favoriser la reconnaissance de sa participation à un attentat, sabotage, ou action quelconque : s’il protestait, et continuait à affirmer son innocence : on lui administrait alors, le supplice des électrodes.
Le Pen, en assumait la direction; il déshabillait complètement la victime, lui liait les pieds et poings, l’aspergeait d’eau, et lui bandait les yeux. C’est alors qu’il lui administrait plusieurs décharges électriques.
Si le « détenu » arrivait à supporter le choc et persistait dans ses dénégations, on lui plaçait sur la tête pendant des heures, un casque relié par fil à une prise de courant. La douleur, absolument intolérable, faisait hurler ceux qui subissaient cette coiffure. Pour varier ces « réjouissances », Le Pen plaçait sur l’oreille de la victime, des électrodes, et les y laissaient jusqu’à ce que la chair fut complètement brûlée.
Puis, on administrait, à eux très rares, qui proclamaient encore leur à ce stade leur innocence, le supplice de l’eau, qu’on leur faisait ingurgiter de force avec un tuyau…
Ces tortures duraient des semaines, à raison de deux ou trois séances par jour. Dans l’intervalle des interrogatoires, les « inculpés » étaient jetés, les mains liées, dans une tranchée profonde de 1.60 à 1.70m environ.
Dans cette fosse, trop courte pour permettre à un détenu de s’allonger, trop étroite pour lui permettre de se retourner, l’infortuné était jour et nuit sous la menace de la mitraillette du geôlier.
Il convient de préciser que certains gardiens (étrangers), absolument écœurés, n’ont pas hésité à l’insu à prodiguer, à l’insu de Martin, Le Pen, et autres gradés, quelques soins aux suppliciés. Parmi ces militaires de cœur, il y avait aussi des français : le soldat Borniche, De Laborit, De Paris…
Toutefois, les souffrances endurées lors des interrogatoires étaient tellement atroces que, dès les premières séances, le détenu acceptait la mort comme une bienheureuse délivrance. C’est pour cela que certains d’entre eux, ont même tenté de se suicider. Le dénommé Dahman, était l’un d’entre eux; et il fut tellement insulté, frappé, brutalisé, et supplicié par Le Pen, qu’il s’égorgea, et fut transporté mourant à l’hôpital.
Par ailleurs, les « activités » de Le Pen, débordaient du cadre de la villa des « Roses ». Il sévissait également dans une autre villa : la « Susini »; depuis longtemps connue comme lieu de torture par les algériens. C’est là que furent commis des actes odieux, comme celui de jeter de l’essence sur le visage d’un détenu, et y mettre le feu. La victime défigurée fut dans cet état, écrouée à la prison de Barberousse à Alger. La dernière « trouvaille » de Le Pen avant qu’il ne quittât le Service des Renseignements, fut d’extorquer des informations au détenu, en le « travaillant » au chalumeau.
Tels furent en Algérie les hauts faits d’armes du député Le Pen, qui lui valurent une décoration des mains du général Massu.
Sources :
- Documents de la Résistance Algérienne, N°32, du 1er au 10 juin 1957
https://babzman.com/le-pen-depute-a-paris-tortionnaire-a-alger/
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