Après Washington, Israël a décidé de "reconnaître la souveraineté du Maroc" sur le territoire disputé du Sahara occidental, a annoncé lundi le cabinet royal à Rabat, en citant une lettre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, dans un contexte régional tendu.
"Par cette lettre, le Premier ministre israélien a porté à la Très Haute Attention de Sa Majesté le Roi (Mohammed VI) la décision de l'Etat d'Israël de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental", indique le Palais dans un communiqué.
Dans sa missive, M. Netanyahu précise que la position de son pays sera "reflétée dans tous les actes et les documents pertinents du gouvernement israélien".
Elle sera "transmise aux Nations Unies, aux organisations régionales et internationales dont Israël est membre, ainsi qu'à tous les pays avec lesquels Israël entretient des relations diplomatiques", ajoute le dirigeant israélien, selon des extraits de sa lettre cités dans le communiqué royal.
Enfin, M. Netanyahu a informé le souverain marocain qu'Israël examinait positivement "l'ouverture d'un consulat dans la ville de Dakhla", située dans la partie du Sahara occidental contrôlée par le royaume.
Rabat souhaite que ses alliés ouvrent des représentations diplomatiques au Sahara occidental en reconnaissance de la "marocanité" du vaste territoire et en gage de leur soutien au royaume.
De fait, pour le roi Mohammed VI, "le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international", avait-il souligné lors d'un discours télévisé.
"Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une dynamique enclenchée ces dernières années, avec la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté du royaume sur ses Provinces du Sud (NDRL, le Sahara occidental), le soutien d'une quinzaine de pays européens au plan d'autonomie et l'ouverture d'une trentaine de consulats à Laâyoune et Dakhla", a déclaré à l'AFP un haut responsable marocain sous couvert de l'anonymat.
"Cette reconnaissance renforce cette dynamique", a-t-il assuré.
Tensions avec l'Algérie
Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est considéré comme un "territoire non autonome" par l'ONU en l'absence d'un règlement définitif. Depuis près de 50 ans, un conflit y oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario, soutenus par Alger.
Carte du Sahara occidental
AFP
Rabat prône un plan d'autonomie sous sa souveraineté exclusive, tandis que le Polisario réclame un référendum d'autodétermination sous l'égide de l'ONU.
A Jérusalem, le ministre israélien des Affaires étrangères Eli Cohen a salué la décision.
"Cette mesure va consolider les relations entre les Etats et les peuples, et la poursuite de la coopération afin de renforcer la paix et la stabilité régionale", a-t-il déclaré.
La décision israélienne, qui était attendue, survient dans un climat de rivalité exacerbée entre le Maroc et l'Algérie, les deux voisins ayant rompu leurs relations diplomatiques en 2021 à l'initiative d'Alger.
Le Maroc et Israël ont normalisé leurs relations diplomatiques en décembre 2020 dans le cadre des accords d'Abraham, un processus entre Israël et plusieurs pays arabes, soutenu par Washington.
Cette alliance entre le Maroc et Israël –- en contrepartie d’une reconnaissance américaine de la "souveraineté marocaine" sur le Sahara occidental -– a encore avivé les tensions avec Alger qui a dénoncé des "manœuvres étrangères".
Coopération accélérée
Depuis leur normalisation diplomatique, le Maroc et Israël s'activent à accélérer leur coopération, essentiellement militaire, sécuritaire, commerciale et touristique.
Ainsi, lundi, le chef d'Etat-major israélien a fait part de la nomination d'un attaché militaire pour la première fois au Maroc, le colonel Sharon Itah.
Il prendra ses fonctions dans les prochains mois, a précisé un porte-parole militaire à l'AFP, alors que le bureau de liaison israélien à Rabat doit être élevé au rang d'ambassade et que le Maroc s'apprête à faire de même à Tel Aviv.
Le président du Parlement marocain, Rachid Talbi Alami (d) et président de la Knesset israélienne, Amir Ohana, le 8 juin 2023 à Rabat, au Maroc
AFP/Archives
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Depuis la fin mai, trois ministres israéliens ainsi que le président du Parlement, le conseiller à la Sécurité nationale et des soldats d'une unité d'infanterie d'élite --une première-- se sont rendus au Maroc.
Mais ce rapprochement tous azimuts ne fait pas l'unanimité au Maroc, surtout depuis l'accession au pouvoir en Israël de courants ultra-nationalistes.
Si la mobilisation militante a faibli, la cause palestinienne continue de susciter une immense sympathie au sein de la population marocaine.
"Le renforcement de nos relations avec Israël ne se fera pas au détriment de notre position de principe en soutien au peuple palestiniens et à ses droits légitimes", a assuré lundi le haut responsable marocain.
Cela fait près de cinquante ans que le Maroc et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario s’affrontent pour reprendre le contrôle de cette ancienne colonie espagnole. Cette annonce lundi 17 juillet fait suite au processus de normalisation des relations entre Tel-Aviv et Rabat entamé en décembre 2020 en vertu des « accords d’Abraham ».
Pourquoi Israël reconnaît-elle, aujourd’hui, le Sahara occidental comme un territoire marocain ?
Dans une lettre adressée au roi Mohammed VI, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a déclaré « reconnaître la souveraineté du Maroc » sur le territoire disputé du Sahara occidental, a annoncé, lundi 17 juillet, le cabinet royal à Rabat. Une reconnaissance qui fait suite au processus de normalisation des relations entre Israël et le Maroc, inauguré en 2020 dans le cadre des accords d’Abraham. Un ensemble de traités négociés avec l’aide des États-Unis, prévoyant la reprise des relations entre l’État hébreu et plusieurs pays : à ce jour, les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn, le Maroc et le Soudan. Cette alliance entre le Maroc et Israël a été négociée en décembre 2020 par Washington en échange d’une reconnaissance américaine de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental.
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU, en l’absence d’un règlement définitif. Depuis près de cinquante ans, un conflit y oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario, soutenus par Alger. Rabat prône un plan d’autonomie sous sa souveraineté exclusive, tandis que le Polisario réclame un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU.
► Qu’est-ce que cela implique ?
La reconnaissance se traduit dans un premier temps par l’ouverture de représentations diplomatiques. Dans sa lettre, Benyamin Netanyahou a informé le souverain marocain qu’Israël examinait positivement « l’ouverture d’un consulat dans la ville de Dakhla », située dans la partie du Sahara occidental contrôlée par le royaume, en gage de leur soutien au royaume.
Dès lundi, le chef d’état-major israélien a fait part de la nomination d’un attaché militaire pour la première fois au Maroc, le colonel Sharon Itah. Il prendra ses fonctions dans les prochains mois, a précisé un porte-parole militaire à l’Agence France Presse, alors que le bureau de liaison israélien à Rabat doit être élevé au rang d’ambassade et que le Maroc s’apprête à faire de même à Tel-Aviv.
► Quelles sont les positions des autres pays sur le sujet ?
En échange de la reprise des relations entre le Maroc et Israël, Donald Trump a reconnu officiellement le Sahara occidental comme territoire marocain, le 10 décembre 2020. Une reconnaissance réaffirmée par Joe Biden, en juillet 2021. Contre toute attente, c’est ensuite l’Espagne, pourtant longtemps en conflit avec le Maroc sur ce sujet, qui a apporté son soutien au royaume, en mars 2022. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, avait déclaré dans un communiqué que le plan marocain « d’autonomie » pour le territoire du Sahara occidental était « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend », une manière d’afficher son soutien au Maroc.
L’Allemagne s’est également alignée sur la position de l’Espagne. Soucieuse de ne pas abîmer ses relations avec l’Algérie, qui soutient les indépendantistes sahraouis, la France n’a pas pris de position officielle.
Les pays du Maghreb sont, eux aussi, touchés par des fortes chaleurs. C'est le cas de l'Algérie, notamment où le thermomètre frôle parfois les 50 degrés. Dans ce contexte, les conditions de travail sont extrêmement difficiles.
Canicule en Algrie : Plusieurs wilayas du nord du pays en alerte rouge
Bakou, 18 juillet
L’Algérie fait face, depuis le début de mois de juillet courant, à des vagues de chaleur caniculaire. Des températures très élevées dépassant les 48 °C sont enregistré par l’office algérien de météorologie (ONM) qui a classé, ce mardi, treize wilayas du nord du pays en alerte rouge, indique l’Agence Anadolu.
En raison des « températures exceptionnelles » enregistrées depuis lundi dernier dans plusieurs régions, l’ONM a élevé, selon un nouveau BMS (bulletin météorologique spécial) diffusé ce mardi, le niveau d’alerte à la troisième catégorie.
« Des températures extrêmes dépassant les 48 degrés Celsius à l’ombre sont attendues. Les températures minimales seront quant à elles comprises entre 34 et 38 degrés Celsius. Ces conditions s’étendront de 10 heures à 18 heures après midi », a noté la même source.
Les wilayas (départements) concernées par ce nouveau BMS, a précisé l’ONM, sont : « Alger, Tipaza, Tizi Ouzou, Boumerdès et Blida (Centre du pays), Relizane, Chlef et Ain Defla (Ouest) ainsi que Béjaia, Mostaganem, Annaba, Skikda et El Tarf (Est).
Il s’agit de la deuxième forte vague de chaleur qui frappe le nord algérien en quelques jours. Cette situation est marquée par des températures élevées, des vents très chauds et un fort taux d’humidité.
En raison des fortes chaleurs, plusieurs villes du pays, ont enregistré des pics de consommation de l’électricité dépassant les 18.377 mégawatts, le 11 juillet dernier. L’utilisation intense des climatiseurs provoque régulièrement des coupures de l’électricité qui durent pendant plusieurs heures.
Cette situation risque de durer jusqu’à la fin de l’été. Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM) des Nations unies, les vagues de chaleur vont se répéter et devenir plus intenses. «Ces phénomènes continueront à s’intensifier et le monde doit se préparer à des vagues de chaleur plus intenses », a estimé l’OMM, qui a expliqué cette situation par l’effet El Niño.
« Le phénomène El Niño, qui s’est récemment déclaré, ne fera qu’amplifier l’occurrence et l’intensité des vagues de chaleur extrême », a alerté la même source. Cette vague chaleurs concerne, selon la même source, l’Amérique du Nord, l’Asie, l’Afrique du Nord et le bassin méditerranéen, avec des températures qui vont dépasser les 40 °C pendant plusieurs jours.
« L’un des phénomènes notables que nous avons observés est que le nombre de vagues de chaleur simultanées dans l’hémisphère Nord a été multiplié par six depuis les années 1980. Cette tendance ne montre aucun signe de diminution », a noté l’OMM.
L’organisme onusien, rappelons-le, avait affirmé que la planète a connu, du 3 au 9 juillet courant, « la semaine la plus chaude jamais enregistrée », précisant que ce n’est que le début de « l’effet cumulé du réchauffement climatique causé par l’activité humaine et du retour du phénomène El Niño ».
« La situation actuelle est la preuve que le changement climatique est hors de contrôle », avait déploré le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à l’occasion de la présentation du dernier rapport d’évaluation des objectifs de développement durable (ODD).
Dans ce document, l’ONU a affirmé que « le monde connaît déjà un réchauffement proche de 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, sous l’effet de l’activité humaine, essentiellement l’utilisation des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), provoquant un cortège de catastrophes, à savoir les canicules, la sécheresse, les incendies, la montée des eaux ».
PARIS-MAGHREB. Tous les quinze jours, une histoire qui résonne d’un côté de la Méditerranée à l’autre. Cette semaine, la question de la transmission mémorielle parmi les jeunes. Farah Khodja, jeune juriste de 25 ans, a lancé il y a deux ans « Récits d’Algérie », un projet de collecte de témoignages. Elle en a tiré un livre illustré qui sort ce 25 novembre.
C’est l’histoire de deux destins tragiques entremêlés et de deux versions opposées des faits. L’histoire d’un passé partagé par des héritiers aux blessures impossible à panser. Une histoire sans point final, comme la guerre d’Algérie en a tant laissé dans les intimités familiales. D’un côté, il y a la famille Boucif. De l’autre, la famille Vallat. Mokhtar Boucif était directeur d’une école à Thiersville, petit village à l’ouest de l’Algérie, près de Mascara, aujourd’hui appelé Ghriss. Félix Vallat en était le maire. Le premier avait été accusé d’avoir organisé l’embuscade qui avait coûté la vie au second : le 8 avril 1958, en pleine guerre d’Algérie (1954-1962), le maire et sa femme avaient été tués, près de leur ferme, sous les yeux de leurs enfants. Quelques jours après, le directeur d’école avait été brutalement arrêté, détenu dans une caserne et n’avait plus donné signe de vie. L’affaire avait fait grand bruit avant d’être enfouie, transmise seulement dans la sphère étroite des mémoires familiales.
Aux enfants et petits-enfants de Mokhtar Boucif, on a raconté l’histoire d’un homme brillant, instituteur à 17 ans, en 1937, une époque où très peu d’Algériens accédaient à un emploi qualifié. Mokhtar était décrit comme un infatigable pourfendeur des abus coloniaux, qui avait tissé de forts liens d’amitié dans tous les milieux y compris celui des « Européens » comme on disait à l’époque. Il n’hésitait pas à réclamer à l’administration davantage de justice et d’égalité, et à utiliser son entregent dans ce but. On leur a raconté que l’édile, Félix Vallat, était responsable de nombreuses mesures discriminatoires, d’arrestations, de brimades.
Aux enfants et petits-enfants de Félix Vallat, on a raconté l’histoire d’un grandhumaniste. Dans un livre écrit par Maïa Alonso, avec la participation de la famille Vallat, « Le rêve assassiné » (Editions Atlantis Allema, 2017), Félix est décrit comme un « apôtre du rapprochement franco-musulman, qui dérangeait les nationalistes algériens et qu’il fallait éliminer avec toute sa famille ». « Ils ont assassiné le rêve d’une Algérie nouvelle, une Algérie autonome, fraternelle, multiethnique et tolérante, liée étroitement à la France. L’Algérie dont rêvait aussi Albert Camus », écrit-elle encore. Elle dit aussi que Mokhtar Boucif était le « commanditaire d’un odieux assassinat », d’autant plus odieux qu’elle le présente commeun ami du maire qu’il aurait trahi.
Aux petits-enfants Boucif, on a raconté que, sur la base de soupçons d’accointances avec le FLN (Front de Libération nationale), Mokhtar avait été arrêté à son domicile, à deux heures du matin, devant ses six enfants âgés de 2 à 10 ans, par des militaires français. Qu’il avait été jeté en prison, sans autre forme de procès. Puis plus rien. Il fait partie des dizaines de milliers de disparus dont les familles cherchent, encore aujourd’hui, les corps. Dans une lettre adressée à ses proches, reçue quelques jours après son arrestation, ce militant pour l’indépendance raconte être enfermé « dans une cellule seul sans communication avec l’extérieur », mais que « la santé est bonne, le moral excellent ». Il nie son implication dans l’assassinat de Félix Vallat, et assure que les « interrogatoires sont très corrects, conduits par le capitaine de gendarmerie ».
Soixante ans plus tard : deux orphelins des deux camps
Cette lettre, dernière preuve de vie de Mokhtar Boucif, est retranscrite dans l’ouvrage « Recits d’Algérie. Témoignages de nos aînés de la colonisation à l’indépendance », qui paraît le 25 novembre (Editions Faces cachées). Elle a été communiquée à Farah Khodja, qui mène depuis 2019 une collecte des paroles et des vécus autour de la guerre d’Algérie et de la colonisation, maîtresse d’ouvrage de ce livre illustré de dessins et de photographies d’archives. L’un des petits-enfants de Mokhtar Boucif, Younès, a pris la plume pour participer à ce projet et écrire sur ce grand-père qu’il n’a jamais connu mais dont la disparition le heurte dans son intimité :
« Mon père n’a jamais pu faire le deuil de son père correctement. Personne ne sait où il a été tué, dans quelles circonstances, par qui. Si l’Etat français le souhaitait, il pourrait y avoir une enquête, des ouvertures d’archives, pour permettre à des gens, comme mon père, de se sentir mieux. »
En 2020, accompagné de son père — qui n’avait que6 ans lors de l’arrestation de Mokhtar –, de son frère et de sa sœur, Younès Boucif a assisté à une réunion organisée en France par l’association Josette et Maurice Audin qui réclame la vérité sur les disparitions dues aux forces de l’ordre françaises pendant la guerre d’Algérie. Dans le public, les témoignages se déversent comme souvent dans ce genre d’événement, petit théâtre d’expression des plaies toujours à vif. Un homme intervient. Younès Boucif écrit : « Il s’indignait que nous commémorions seulement la disparition des combattants algériens, brandissant le fait qu’ils n’avaient pas le monopole de la souffrance. Il ajoute “moi-même, j’ai vu mon père se faire tuer devant mes yeux. Il était le maire d’une petite ville nommée Thiersville”. Le temps s’est alors figé, comme suspendu… Il s’agissait du fils de Félix Vallat. Une vive émotion nous a envahis, ma famille et moi. Soixante ans plus tard, deux orphelins, des deux camps, dans cette même salle. Ces deux hommes, mon père et lui, ont leurs destins liés : mon grand-père mort car le père de cet homme est mort. Les deux hommes sont décédés en Algérie et leurs deux enfants se retrouvent dans la même pièce en France, confrontés l’un face à l’autre. »
Si l’on en croit l’écrivaine Maïa Alonso, pour la famille Vallat, la culpabilité de Mokhtar Boucif ne fait aucun doute, reposant surl’accusation, largement diffusée mais dénuée de preuves, de l’armée française – qui visait sans doute à justifier son arrestation et sa très probable mort. Pour la famille Boucif, impossible d’appuyer leur récit sur des sources : ils n’ont pas accès aux documents qui pourraient éclaircir les zones d’ombre sur l’emprisonnement et l’assassinat du directeur. Malgré les promesses réitérées, en particulier d’Emmanuel Macron, de faciliter l’accès aux archives, en pratique cela reste difficile pour les familles comme pour les historiens. On ne peut donc que raconter ce qui a été transmis, souvent oralement, parfois grâce à des documents comme la dernière lettre de Mokhtar Boucif, avant que cela ne soit trop tard.
C’est ici que se situe le cœur de « Récits d’Algérie » : écrire ces Mémoires avant qu’elles ne disparaissent, les derniers témoins directs s’éteignant les uns après les autres. La démarche de Farah Khodja, 25 ans, juriste fraîchement diplômée, n’est ni scientifique ni journalistique. La vingtaine de récits qu’elle a réunis dans des formats variés, dont celui des Boucif, est livrée presque à l’état brut, tels qu’ils ont été recueillis. Farah Khodja a été mû par un sentiment d’urgence et de nécessité. « Je voulais archiver ces histoires. Des témoins sont décédés entre le moment de la collecte et celui de la parution de l’ouvrage. Si nous ne le faisons pas maintenant, ça ne sera jamais fait », dit-elle.
Petite-fille d’un militant du FLN dont le frère avait disparu dans une embuscade des soldats français, Farah Khodja ne prend conscience de son lien personnel avec la guerre d’Algérie qu’à 19 ans, lors d’une conversation avec sa mère. Comme pour beaucoup des sept millions de personnes en France ayant un lien avec ce passé, cette mémoire était voilée par un silence épais dans son enfance.
« Mon grand-père ne m’avait jamais parlé de la guerre d’Algérie. Encore moins de la disparition de son frère. J’ai appris qu’il n’avait jamais pu faire le deuil de ce frère. Je connaissais la guerre d’Algérie par l’école, et je n’avais pas réalisé les conséquences qu’elle avait eues sur les familles. »
Elle se met alors en quête de témoins pour comprendre le vécu de cet aïeul taiseux, sans jamais vraiment en trouver dans les livres et dans les textes des chercheurs, malgré les milliers de documents publiés sur la colonisation et la guerre d’Algérie. « J’ai alors décidé de faire un appel à témoignage. J’ai reçu tant de récits que ma démarche, au départ personnelle, a abouti à la création d’un site internet en février 2020. Qui à son tour, au gré des rencontres, a donné naissance à cet ouvrage. »
Un foisonnement de littérature et de témoignages
La diversité des témoins (combattants indépendantistes, harkis, pieds-noirs, appelés, civils, proches…) et des souvenirs de gens ordinaires font de ce livre un objet salutaire. La mosaïque de profils permet d’expliquer la complexité de la guerre, et peut-être de faire tomber certains préjugés sur un conflit souvent dépeint de façon binaire et simplificatrice. Si les atrocités de la guerre d’Algérie sont des faits bien connus et documentés, ce livre permet de mesurer davantage ce que cela signifiait de vivre cette guerre. Ainsi pour cette femme, qui a raconté le subterfuge utilisé pour échapper aux viols : « On prenait de la merde, de la bouse de vache, de la vraie merde et on la mélangeait avec de la pisse pour s’en mettre partout sur le visage, comme ça, ça puait quand les goumis [terme péjoratif désignant les supplétifs musulmans de l’armée française] arrivaient. » Ou encore pour cet appelé, Roger Winterhalter, qui a rejoint une cellule du FLN, infiltrée au sein de l’armée française, chargée de faire de la contre-propagande : « Comme j’étais en charge des affectations, je m’assurais que les militaires dont je recevais les noms tous les quatre mois sur un petit billet de la part du FLN étaient affectés à tel ou tel régiment, jugé stratégique par l’organisation. Je n’étais pas au courant des missions exactes. Je me contentais de suivre les instructions. […] Je voulais apporter ma contribution, moi l’enfant qui ai connu l’Occupation allemande dans mon village, même si parfois la peur me gagnait, car nous n’étions pas des héros. »
Aux décennies de mutisme qui ont suivi la fin de la guerre d’Algérie, parce qu’il ne fallait pas tourmenter les nouvelles générations avec ces souffrances, parce que souvent personne ne pouvait ni ne voulait comprendre, a succédé un foisonnement de littérature et de témoignages, dans lequel Farah Khodja s’inscrit. Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie et de130 ans de colonisation, les héritiers de cette histoire ont désormais le souhait et les moyens de sortir du silence, sans attendre les discours politiques de reconnaissance et de vérité, souvent considérés comme insincères.
Nul doute que les témoignages recueillis dans « Recits d’Algérie » se confronterontà d’autres témoignages parfois concurrents. Mais en croisant la grande histoire avec la petite, les témoins d’hier et les mémoires d’aujourd’hui, Farah Khodja prend le parti – et le risque – de construire un récit, sinon de vérité partagée, mais d’accord sur l’existence d’un passé commun. Et pourquoi pas ajouter sa pierre, non à un point final, mais à un point de départ d’une histoire collective.
Enquête« Le cas Depardieu » (2/6). Un retour sur la carrière de l’acteur aide à comprendre l’homme, ses excès et les accusations portées aujourd’hui contre lui. Le film « Les Valseuses », sorti en 1974, incarne ces changements d’époque, dans le cinéma comme en dehors.
A 24 ans, Gérard Depardieu semble en avoir dix de plus. Sa carrure est impressionnante. De l’embrasure de la porte, on croirait une statue de Rodin, se dit Bertrand Blier. Le réalisateur, installé dans les bureaux de la production, boulevard des Invalides, à Paris, où il vient de commencer le casting de son troisième film, Les Valseuses, se demande s’il ne faut pas pousser les murs pour permettre au colosse d’entrer.
Avec Depardieu, Bertrand Blier a le sentiment d’être propulsé dans une zone inconnue. Il y a sa gueule : nez vallonné, menton en forme de théière, cheveux blonds, très longs, si raides. Il y a aussi la tenue. L’acteur apparaît dépenaillé, le torse offert, comme si, en ce mois de mars 1973, il échappait aux rigueurs de l’hiver. Les hippies sont en vogue et l’acteur en a adopté tous les oripeaux. Il y a enfin la silhouette étrange. Un buste massif posé sur une aiguille, constate le réalisateur. Une taille de guêpe. En principe, ce corps devrait s’écrouler, s’il n’y avait ces bottes en fourrure montant jusqu’aux genoux.
Bertrand Blier a découvert l’acteur, deux ans plus tôt, au Théâtre de la Madeleine, dans une pièce de Jean Chatenet, Galapagos. Le jeune réalisateur venait voir son père, Bernard Blier, et jeter un coup d’œil sur une certaine Nathalie Baye. On lui a aussi parlé d’un jeune type, Gérard Depardieu. Sans doute en raison de la distance imposée par la scène, il découvre un bon acteur, rien de plus.
Manifeste transgressif
Mais à hauteur d’homme, les yeux dans les yeux, avec le scénario des Valseuses sur la table, Bertrand Blier se trouve face à une apparition. Elle ne se négocie pas. Depardieu entre sans frapper et se porte candidat à un casting auquel il n’est pas invité, mais dont tous les jeunes comédiens de Paris connaissent l’existence. Il n’a pas encore tenu un rôle de vedette au cinéma, mais il sent qu’il arrive au bon moment, se trouve au bon endroit, que ce film peut bouleverser la carrière de tous ceux qui seront de l’aventure.
Le prétendant tient dans les mains un exemp
laire des Valseuses, le livre de Blier sorti l’année précédente et qui est devenu un succès de librairie. C’est une sorte de roman picaresque post-soixante-huitard où s’entrechoquent l’esprit libertaire de la nouvelle jeunesse et cette France profonde qui ne sait pas encore qu’elle va disparaître. L’histoire de deux marginaux qui rêvent d’argent facile et de filles, qui veulent échapper aux flics et jouir sans entrave. Blier en a fait une sorte de manifeste transgressif de l’époque, drolatique et très masculin.
« Putain, le personnage de Jean-Claude, c’est moi !, hurle Depardieu en jetant le livre à la figure de son auteur. Ces deux mecs qui se font chier, qui harcèlent les filles, qui volent des bagnoles, qui se bourrent la gueule tous les soirs, c’est ma vie, ça ! C’est ma vie ! » Ce personnage ne ressemble en rien aux étudiants gauchistes qui ont fait Mai 68 ni aux jeunes bourgeois qui porteront bientôt Valéry Giscard d’Estaing au pouvoir. Mais ces paumés dont Blier a fait ses héros ont un sacré air de famille avec lui.
Depardieu a le flair pour saisir que cette histoire peut devenir une sorte d’emblème des seventies. Et il a surtout le culot de ceux qui n’ont rien à perdre. Depuis ce jour de 1966 où il a largué les amarres d’une existence sans avenir à Châteauroux, il a effacé l’idée d’échec. Après tout, que se serait-il passé s’il n’avait pas sauté, à 18 ans, dans un train pour rejoindre à Paris cet ami d’enfance, Michel Pilorgé, qui venait de lui parler d’un cours d’art dramatique et de lui donner la moitié de son argent pour payer son billet ? Ce parcours, dans Les Valseuses, d’un petit loubard qui rêve d’échapper à une vie terne, c’est le sien.
« Je suis un animal »
Bertrand Blier, qui, à 34 ans, n’a tourné que deux films confidentiels, ne perçoit pas que son personnage se matérialise sous ses yeux. « Je ne vois rien », se dit-il, sans conviction. Pour son Jean-Claude, il imagine un homme plus petit, fluet, un courant d’air. Or, ce comédien prend tant de place… Il est trop aride et sec. Trop paysan. « Un caillou », estime-t-il.
Pour Patrick Dewaere, puis Miou-Miou, il a une sorte de coup de foudre. Dewaere a un faux air de Marcello Mastroianni, son idole de jeunesse. Et cette manière d’exhaler le malheur aussi, qui le rend bouleversant et donne envie de le protéger. Rien de cela avec Depardieu. « Je ne suis pas un grand animal domestique », lui lance le comédien. Mais il ajoute ces mots qui, encore aujourd’hui, frappent le réalisateur : « Je suis un animal tout court, un animal qui mord si jamais quelqu’un essaye un peu de le ferrer. On appelle ça un Depardieu. » A cet instant, le timbre de la voix de l’acteur devient étonnamment doux, contrastant avec le corps minéral. « Tout s’est ouvert, détaille Bertrand Blier. Les portes se sont ouvertes. Les fenêtres se sont ouvertes. Gérard tenait à ce rôle car c’était sa langue, écrit par quelqu’un s’exprimant comme lui. Il a les pieds dans la merde et pourtant, c’est la grâce littéraire. C’est absolument inexplicable. »
Depardieu a déjà compris comment attirer les regards. A-t-il développé cet instinct dès l’enfance, pour exister parmi cinq frères et sœurs, une mère débordée et un père mutique qui passe ses soirées au bistrot ? La première fois qu’il monte sur scène, dans le cours de Jean-Laurent Cochet, à Paris, il fait sensation. L’apprenti comédien doit réciter un poème en vers de Jules Laforgue. Autour de lui, la plupart des élèves sont des enfants de la bourgeoisie ou de ces classes moyennes montantes qui profitent à plein des « trente glorieuses ». Même les deux copains de Châteauroux, Michel Pilorgé et Michel Arroyo, venus à Paris pour faire du théâtre, ne lui ressemblent pas : ils sont fils de médecins.
Petit loubard de province
Gérard prend son poème et s’en imprègne toute la nuit au domicile de Pilorgé, rue de la Glacière, où il réside depuis son arrivée dans la capitale. A cette époque, il ne récite pas. Il ânonne. « Il ne comprend pas les mots qu’il lit », constate son ami. Gérard a arrêté l’école à 12 ans. Son père (« le Dédé », comme il l’appelle) est analphabète. Il n’y a jamais eu ni livre ni même de vraie conversation dans cette maison un peu excentrée de Châteauroux qui, aujourd’hui encore, est habitée par sa famille à quelques pas d’un lycée qu’il n’a jamais fréquenté. « On ne savait pas parler. On ne pouvait pas parler. On braillait, on se criait dessus. Mais pour les choses importantes, les idées, les sentiments, c’était la loi du silence », dira-t-il, un jour, au Monde. Alors, la poésie…
Au bout de la nuit, il parvient pourtant à restituer les vers. En comprend-il le sens ? Sans doute pas. Mais quand il monte sur la scène de l’école, c’est une autre histoire. « Il récite avec une telle sensibilité, dans ce corps, avec ce plaisir à dire les mots, les ressentir. C’était très, très beau », se souvient Michel Pilorgé. Jean-Laurent Cochet se lève : « Je ne te dis rien. C’est parfait. » Ce metteur en scène le fera débuter sur les planches en 1967, alors qu’il a 19 ans.
Avant même d’affirmer à Blier : « Jean-Claude, c’est moi ! », Gérard raconte son adolescence à Châteauroux à ses copains du cours de théâtre. Les Rastignac s’inventent souvent un passé glorieux. Lui magnifie ses aventures de petit loubard de province en une succession de faits d’armes. Il pousse comme une herbe folle devant des parents regardant ailleurs. Il ne connaît pas la contrainte. Il a l’habitude de voler une Mobylette le matin avant de la reposer le soir au même endroit. Il a trafiqué whisky et cigarettes et lorgne les prostituées qui débarquent le week-end pour les milliers de GI postés à Châteauroux, une ville devenue, en 1951, base militaire de l’OTAN.
« Il nous racontait ses séjours en prison… C’était une vie si différente des fils de bourgeois que nous étions », se souvient Jean-Christophe Bouvet, qui, plus tard, incarnera le diable face à Depardieu dans Sous le soleil de Satan (1987), de Maurice Pialat. Il décrit par le menu une incarcération de trois semaines, à l’âge de 16 ans, pour vol de voiture. « A peine un vol, d’ailleurs, un “emprunt” pour une soirée », nuance-t-il, en 2014, dans son autobiographie, Ça s’est fait comme ça (XO éditions). Au cachot, écrit l’acteur, il reçoit la visite d’un psychologue. Frappé par les mains du jeune détenu, des mains de sculpteur, le thérapeute lui aurait prédit un destin d’artiste. « Tu te croyais enfermé, prisonnier, raconte Depardieu dans son livre, tu pensais que le mur était infranchissable, et soudain tu découvres que la Terre vient de trembler et qu’une brèche est apparue à travers laquelle tu vas pouvoir te glisser, t’envoler vers la lumière. »
Une masse inerte sur le béton
Ni dans sa famille, ni parmi ses amis, ni même à Châteauroux on ne trouve trace de ce séjour en prison. Michel Pilorgé se souvient tout juste d’une garde à vue, en 1968. Une histoire de képi de gendarme jeté à terre, croit savoir Michel Arroyo. Ou d’un « mort aux cons » écrit sur la voiture de François Gerbaud, le candidat gaulliste à l’Assemblée nationale, se souvient sa veuve Lydie. Alain Depardieu, le frère aîné, s’emporte carrément : « Mon frère n’est jamais allé en prison ! C’est du baratin tout ça. » Les Valseuses, voilà l’occasion de fixer sur grand écran une légende à laquelle Depardieu a fini par croire. S’il ressemble au Jean-Claude de Bertrand Blier, c’est par son sans-gêne, sa façon de picoler sec, une sexualité qui s’impose aux femmes et un instinct de survie qui le rend attachant.
Cette biographie qui ne ressemble à aucune autre et cette voix douce dans un corps de brute suscitent déjà l’attention des équipes de tournage de ses treize premiers films, au tout début des années 1970, alors qu’il y tient uniquement des petits rôles. Sur le plateau d’Un peu de soleil dans l’eau froide (1971), de Jacques Deray, le maquilleur Jean-Pierre Eychenne se souvient d’une apparition faisant cesser le brouhaha des murmures. « Lorsque Romy Schneider arrivait sur un plateau, tout se figeait. Même phénomène avec Alain Delon. C’était le même silence pour Depardieu. »
C’est qu’il y a, chez lui, un sens de l’observation, de la manipulation et même une forme de cabotinage dont il a mesuré l’attraction, deux ans avant Les Valseuses, face au plus grand monstre sacré de l’époque : Jean Gabin. En 1972, Depardieu est engagé pour jouer un petit indic dans Le Tueur, de Denys de La Patellière. Gabin est le commissaire. A près de 70 ans, le patriarche du cinéma français est trop âgé pour un rôle qui, d’ailleurs, lui déplaît. Le jeune acteur n’en mène pas large pour tourner la scène de leur rencontre, dans un quartier des Halles de Paris en pleine mutation. Alors, dans l’attente du mot « Action ! » et pour desserrer l’étau de son angoisse, il tombe par terre. Une masse inerte qui heurte d’un coup le béton puis se relève aussitôt et lâche à Gabin : « Ah, ça décontracte ! » Amusé puis séduit, l’acteur de La Grande Illusion imposera Depardieu dans deux films sortis en 1973 : L’Affaire Dominici, de Claude Bernard-Aubert, et Deux hommes dans la ville, de José Giovanni. « Je veux le môme avec moi », demande-t-il, assurant, durant les longues pauses déjeuner, l’éducation de son successeur.
Des garçons qui « ne pensent qu’à ça »
Mais voilà, Les Valseuses, pour Depardieu, c’est autre chose. L’irruption du nouveau monde au cœur de l’ancien. Un choc pour la société française. Son premier grand rôle, aussi. Pour comprendre la bourrasque et le scandale monstre que constitue le film de Bertand Blier, autant partir des dernières images, lorsque la DS volée, embarquant le trio infernal, incarné par Miou-Miou, Patrick Dewaere et Gérard Depardieu, franchit le col de l’Izoard et plonge dans l’inconnu, sans destination mais avec un projet de vie, que Gérard/Jean-Claude, au volant, définit en quelques mots devenus cultes : « On va pas se faire un trou au cul, on en a déjà un… On n’est pas bien ?… Paisibles, à la fraîche, décontractés du gland… Et on bandera quand on aura envie de bander… »
S’ébat sur grand écran un tandem de garçons qui « ne pensent qu’à ça », épuise les virtualités de sa libido, y compris les plus transgressives. On y trouve des scènes de triolisme et d’homosexualité : « Mais non, t’es pas humilié, entre copains, c’est normal ! », assène Depardieu à Dewaere après l’avoir sodomisé. Du côté des femmes, Blier se montre moins audacieux. Alors que les mouvements féministes manifestent et revendiquent liberté sexuelle et droit d’avorter, les filles des Valseuses n’ont presque jamais le beau rôle, toujours soumises et souvent violées. La « copine », interprétée par Miou-Miou, qui accompagne les deux héros, est à la fois passive et peu farouche, frigide et indifférente : « Elle crie pas, elle mord pas, elle écarte. Tranquille… », explique, fataliste, Jean-Claude (Depardieu).
ssi dans le film une fille de 16 ans, jouée par Isabelle Huppert. Ils couchent avec une femme mûre sortie de prison, Jeanne Moreau, l’icône de la Nouvelle Vague dont la seule présence a permis de financer le film. Ils agressent dans un train une mère de famille avec son bébé, jouée par Brigitte Fossey, et Dewaere lui tête les seins. « Je lisais tout Henry Miller à l’époque, se souvient la comédienne, je n’étais pas dépaysée en lisant Les Valseuses. C’est une traversée de la nuit qui va vers la nuit. »
La fameuse sentence de Depardieu pour décrocher le rôle – « Jean-Claude, c’est moi ! » – colle surtout à l’ouverture du film, quand les deux larrons surgissent dans les rues désertes d’une ville de Picardie, pourchassent une femme, mettent leurs mains sur elle et emportent son sac à main. « Cette scène, qui n’était pas dans le scénario, raconte notre enfance, à Gérard et moi », assure Alain Depardieu, le frère de l’acteur.
Seul dans son monde
Du reste, Gérard paraît englouti dans cette histoire qui semble confondre réalité et fiction. A la ville, il mène une vie apparemment stable. Marié depuis 1970 avec Elisabeth Guignot, une comédienne de sept ans son aînée rencontrée au cours de théâtre, il a déjà un fils de 2 ans, Guillaume, et vient d’avoir une fille, Julie. Mais, sur le tournage, il déborde. Brigitte Fossey connaît Depardieu depuis qu’il a travaillé avec Marguerite Duras en 1972. Mais elle découvre un nouveau visage, à la fois ange et monstre, « d’une humanité extensible », dit-elle. Un matin, il disparaît. On le cherche en vain, l’inquiétude se transformant bientôt en affolement. Soudain, au milieu des vignes avoisinantes, il apparaît. Ivre. Seul dans son monde.
Depardieu n’est pas seulement bousculé par ce personnage de Jean-Claude qui lui rappelle son passé. Il doit composer avec son partenaire et rival. Ils ont débuté tous les deux au Café de la Gare, mais Patrick Dewaere, fils d’une comédienne et d’un chanteur lyrique, a pris d’emblée les rôles de beau gosse, à la fois drôle et fragile. « Patrick avait un humour grave et cinglant, alors que Gérard montrait une forme d’indiscipline joyeuse, mais aussi une intuition diabolique de l’autre », décrit Bruno Nuytten, alors directeur de la photo des Valseuses.
Dewaere séduit. Depardieu inquiète. C’est à ce dernier qu’incombe la charge sexuelle, amplifiée par le vocabulaire le plus cru. Le producteur Paul Claudon le pressent et le dit à Bertrand Blier dès le début du tournage, à la fin de l’été 1973 : « Cet acteur va faire peur aux femmes. »
Depardieu fait même parfois peur à toute l’équipe. D’autant qu’au-delà du scénario le réalisateur laisse aux acteurs une part d’improvisation. « Gérard était compliqué à l’époque, car insaisissable, confirme Bertrand Blier. Il y avait du Depardieu à droite, du Depardieu à gauche, on ne savait jamais où il se trouvait, mais face à la caméra, il trouvait d’instinct sa place, comme Alain Delon. »
Le comédien n’est ni malléable, ni prévisible, ni même raisonnable. Doit-il, pour une scène, conduire une 2 CV et suivre un trajet précis ? Il part au volant et plus personne ne le revoit. « A la fin de la journée, raconte Blier, il m’appelle et m’annonce que la 2 CV est dans un ravin. Il cassait un peu tout à l’époque, les voitures et les mentons. » Dans ce tournage joyeux qui prend quinze jours de retard, Bertrand Blier constate aujourd’hui que si ses trois acteurs principaux, Depardieu, Dewaere et Miou-Miou, sont difficiles à gérer, « les deux garçons, surtout, continuaient d’être leur personnage après leur journée de travail » : « Je rentrais à mon hôtel, mais eux dormaient dans leur costume. »
« Une véritable bombe atomique »
Alors que le film sort en salle, le 20 mars 1974, Depardieu tourne au même moment l’une des dernières scènes de Vincent, François, Paul et les autres. Claude Sautet, mieux que d’autres cinéastes, comprend l’irrésistible fragilité et les failles de l’acteur, lui offrant un beau rôle de jeune boxeur, aux côtés de noms consacrés, Yves Montand, Michel Piccoli et Serge Reggiani. En voyant son acteur partir quelques jours pour faire la promotion des Valseuses, Claude Sautet sait qu’il quitte un comédien et retrouvera une star. « Une véritable bombe atomique », dira-t-il. D’autant que Depardieu plonge avec délectation, tout comme Blier, dans le scandale qui accompagne la sortie du film.
A cause du sexe – images et mots –, l’Eglise catholique s’indigne. Le quotidien L’Aurore réclame que le film soit interdit. La Croix parle d’« une décharge publique ». Le Figaro évoque une « œuvre marquée du sceau de la bassesse ». Même Libération, compagnon de route de l’esprit Mai 68, prend ses distances avec un film qui se proclame symbole de la liberté sexuelle, jugeant « phallocrate » la représentation des femmes. L’acteur, lui, partage intuitivement l’avis du critique du Monde, qui salue « un film bourrasque auquel on ne résiste pas ». Il faut dire que le journaliste appuie essentiellement son enthousiasme sur les comédiens, et notamment sur Depardieu, « dont la présence remplit l’écran » et dont il prédit déjà que ce long-métrage « va le hisser au premier rang ».
Aujourd’hui, le sexisme des Valseuses saute aux yeux. Mais, dès ces années 1970 et au cours des suivantes, il devient un film-culte. Il s’inscrit dans la lignée d’œuvres cinématographiques à la sexualité ostensible et à la violence affirmée qui séduisent alors le public : Orange mécanique, de Stanley Kubrick (1971), Le Dernier Tango à Paris, de Bernardo Bertolucci (1972), La Grande Bouffe, de Marco Ferreri (1973), et bientôt Emmanuelle, de Just Jaeckin (1974). C’est une période – elle ne durera pas – où films traditionnels et films pornographiques sont diffusés dans le même circuit, et parfois dans les mêmes cinémas.
Après avoir frôlé la censure pure et simple, Les Valseuses est interdit aux moins de 18 ans. Il triomphe cependant, favorisé par le soufre qu’il porte : près de 6 millions d’entrées. Dans un paysage dévasté de cités-dortoirs annonçant la crise économique, Bertrand Blier fait habilement de jeunes décomplexés les enfants tardifs de Mai 68, les porte-parole d’un esprit libertaire, l’annonce d’un nouveau monde. Symbole ultime, le président Georges Pompidou meurt dix jours après la sortie en salle. « On a mis le paquet à la France de Pompidou », ose alors déclarer le réalisateur. Quarante ans plus tard, lors d’une projection au festival Premiers Plans d’Angers, en 2015, Depardieu l’envisage toujours ainsi : « La France était coincée du cul dans ces années-là ! On ne voyait pas beaucoup de femmes aussi libres que celle interprétée par Miou-Miou. »
En attendant, l’acteur brosse sa légende. Il répète, d’interview en interview, combien il ressemble au petit voyou dérivant au cœur de la France profonde. Il superpose son rôle et son passé, rajoute des détails qui en réalité n’existent pas. Quelle importance ? Le cinéma est devenu sa vraie vie.
Par Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld
Publié aujourd’hui à 05h00, modifié à 06h34https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2023/07/18/les-valseuses-ou-le-surgissement-depardieu-putain-le-personnage-de-jean-claude-c-est-moi_6182398_3451060.htm...
Dans de nombreuses villes, la mort de Nahel M. a provoqué l’indignation et réveillé la colère des jeunes hommes victimes de discriminations et de violences policières au quotidien. Plusieurs d’entre eux témoignent auprès de l’Humanité d’épisodes de brutalité dont ils ont été la cible.
« Ce qu’il m’est arrivé, c’est assez banal finalement. » C’est avec un ton presque détaché que Sofiane (1), 27 ans, revient sur sa rencontre, il y a quelques années, avec des policiers dans le quartier Pablo-Picasso à Nanterre (Hauts-de-Seine), d’où était originaire Nahel M., tué par un agent lors d’un contrôle routier, le 27 juin.
Le jeune homme roulait « un peu vite » avec la voiture de sa mère, ce soir-là, alors qu’il déposait un ami chez lui. Il avait 22 ans. « J’avais remarqué qu’une voiture de police me suivait mais je n’y ai pas prêté attention, ils n’avaient pas mis les gyrophares. » Au moment où il s’arrête, un policier approche, met un coup de pied dans le véhicule et lui intime d’en sortir. Le ton monte, mais Sofiane ne descend pas. « Le policier ouvre la porte et me met un coup de pied dans la tête avec ses grosses bottes de sécurité. »
À quatre, ils le sortent de la voiture. Le jeune homme se débat. Un agent le frappe au menton, puis suivent des décharges de Taser. D’un coup de poing, l’un d’eux brise une vitre arrière. « Ils me disent qu’ils vont me mettre tout nu dans la zone industrielle (les bords de Seine à Nanterre – NDLR). Je sais qu’ils l’ont déjà fait à d’autres personnes, c’est comme ça qu’ils font régner l’omerta et la terreur ici. »
Le jeune homme est embarqué pour « rébellion ». Dans la voiture, les « baffes » et les insultes racistes pleuvent. « En voyant mon prénom et mon nom sur ma pièce d’identité, ils se mettent à traiter ma mère de “pute voilée”. L’un d’eux me dit : “On fait ce qu’on veut de toi. Si je veux prendre une barrette de shit sur quelqu’un et la mettre sur toi, je le fais. Ta parole ne vaut rien”. » Sofiane passe la nuit en garde à vue et ressort libre le lendemain matin, à l’issue de son audition par un officier de police judiciaire.
« Je lui demande pourquoi il me frappe, et il me répond “ta gueule, laisse-toi fouiller” »
Abdel, lui, se souvient d’une nuit de printemps, en 2017, qu’il passe avec ses amis au bord du canal Saint-Martin, à Paris. C’était l’année de sortie du morceau du rappeur Fianso, C’est nous les condés, qui parodie la police.
Habitant du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) et d’origine marocaine, il est, à cette époque, étudiant en licence de physique-chimie. Alors qu’ils écoutent de la musique sur une enceinte, une voiture de police s’arrête à leur niveau. « Ils ont seulement fouillé Bryan, qui est d’origine antillaise », se souvient le jeune homme. La vérification terminée, la bande d’amis décide de s’en aller. Mais, au même moment, la musique de Fianso reprend. « J’ai à peine eu le temps de faire quatre pas, qu’une main m’a attrapé par derrière », raconte Abdel.
Sans un mot, les policiers l’emmènent à leur voiture. « J’essaye de discuter avec eux, mais ils me répondent que je me fous de leur gueule en mettant une musique pareille. Je leur explique que ce n’est pas moi qui ai le contrôle sur la musique. Un policier rétorque qu’il ne veut rien savoir et qu’on est tous pareils, nous les bougnoules », confie Abdel avec amertume.
Dans le véhicule de police qui le mène à un commissariat parisien, le jeune homme subit de lourds sous-entendus : « Il m’appelait “l’intellectuel”, en ajoutant “ah maintenant, c’est bon ils savent écrire, ils savent parler”. » Et les injures ne s’arrêtent pas là. Arrivé au commissariat, le policier à l’origine des insultes ordonne à Abdel de se déshabiller. « Il m’a fait faire des squats pour vérifier que je n’avais rien de caché dans mes fesses », avant que l’agent n’ajoute : « En plus, il a un petit sexe. Il veut faire le mariole dans les rues, mais il n’a rien entre les jambes. » Un événement qu’Abdel considère encore, aujourd’hui, comme « humiliant ».
En avril dernier, alors qu’il rentre d’une visite médicale, son carnet de santé à la main, Anthony (1) est contrôlé par trois policiers dans le quartier de la porte de Clignancourt, dans le nord de Paris. L’adolescent de 15 ans, d’origine guadeloupéenne, inscrit au lycée professionnel Raspail, décrit lui aussi les gestes violents et les propos racistes qu’il essuie.
« J’ai vu quelqu’un courir derrière moi. La personne me lance “police, mets-toi sur le côté”. » Le fonctionnaire lui demande d’écarter les jambes pour la fouille et glisse ses mains dans les poches de sa doudoune, mais l’adolescent les enlève, expliquant qu’il a des affaires personnelles, et qu’il peut les vider lui-même. « Il m’a mis une gifle et a jeté au sol ce que j’avais dans mes poches. Puis il a commencé à mettre sa main sur mes parties intimes. »
Par réflexe, Anthony lui retire la main, ce qui lui vaut un coup de poing dans la cuisse. « Je lui demande pourquoi il me frappe, et il me répond “ta gueule, laisse-toi fouiller.” Je réponds que je peux coopérer mais qu’on n’a pas besoin de toucher à cette zone-là. » Deux des policiers lui assènent des coups au torse, à la cuisse et au bras, qui sont amortis par sa doudoune.
« Je leur demande d’arrêter, mais ils me répondent “ta gueule sale Noir”. » La scène dure une quinzaine de minutes dans la rue, avant que les policiers s’en aillent « comme si de rien n’était », après avoir balancé sur lui son carnet de santé. L’adolescent explique avoir ressenti des douleurs les jours suivants.
Après cet épisode, ses parents lui ont interdit de porter sa doudoune noire pour lui éviter d’être « catalogué ». « Peut-être à tort, mais on veut juste qu’il passe inaperçu », souffle sa sœur.
Les contraventions à répétition, une nouvelle forme
de harcèlement
Car, du côté des familles, l’inquiétude pour la sécurité de leurs fils est ancrée depuis longtemps. La mémoire de tous les jeunes hommes racisés, décédés à l’issue de leur rencontre avec la police, de Malik Oussekine en 1986 à Adama Traoré en 2016, est chaque année réactivée par une nouvelle affaire.
Dans son rapport sur la relation entre la police et la population publié en 2017, le Défenseur des droits relevait que les jeunes hommes perçus comme Noirs ou Arabes ont vingt fois plus de probabilités d’être contrôlés que le reste de la population : 80 % d’entre eux ont déclaré avoir été contrôlés dans les cinq dernières années, contre 16 % pour les autres enquêtés. « Tu le sens dans leur manière de te parler pendant les contrôles. Pour eux, c’est la France aux Français », explique Sofiane.
Maire (Génération.s) de Trappes depuis 2021, Ali Rabeh en a lui-même fait l’expérience dans sa jeunesse. « Je sais ce que c’est que d’être tutoyé ou humilié par un policier. Je sais ce que c’est que de subir un équipage d’agents de la police qui vous fait gratuitement un bras d’honneur en voiture », confie l’élu de 38 ans.
Selon l’édile, les contraventions à répétition figurent parmi les nouvelles formes de harcèlement policier. « On va mettre une amende à une personne en prétextant qu’elle a craché par terre ou pour tapage. Mais comment peut-elle prouver le contraire, fait -il observer. Certains se prennent trois amendes par jour ou dans la semaine et, à la fin, ça fait des centaines voire des milliers d’euros de dette parce qu’ils ne les payent pas. Ils n’en ont pas les moyens. »
Ces pratiques avaient été observées pendant le confinement, avec des taux de contraventions trois fois supérieurs en Seine-Saint-Denis que pour la moyenne nationale, selon des chiffres parus dans Libération, soulevant la question des discriminations lors des contrôles de police.
Philippe Rio, maire communiste de Grigny (Essonne), voit dans la dégradation des pratiques policières une explication politique : « On a supprimé la police de proximité dans les années 2000 avec la politique de Nicolas Sarkozy et on a appliqué la doctrine du “Kärcher”, mais ça ne peut plus continuer comme cela. Aujourd’hui, ce système arrive à bout de souffle. »
« N’importe quel jeune se reconnaît dans celui qui a été tué »
Comme pour Zyed et Bouna en 2005, la mort de Nahel a été un nouveau catalyseur de la colère dans les quartiers marqués par des expériences quotidiennes de discriminations.
Pour Amal Bentounsi, sœur d’Amine Bentounsi abattu en 2012 d’une balle dans le dos par un policier au terme d’une course-poursuite, ces révoltes ne peuvent uniquement s’expliquer par un problème d’ordre social.
« N’importe quel jeune se reconnaît dans celui qui a été tué, parce qu’ils vivent au quotidien les discriminations et les palpations à la limite du viol , souligne-t-elle. Le premier service public auquel ils ont affaire, c’est la police nationale. Comment ces jeunes pourraient-ils se reconnaître dans l’État ? »
Depuis la mort de son frère, Amal Bentounsi se bat pour faire reconnaître le caractère systémique des violences policières racistes et changer la législation. Elle a fondé, avec d’autres familles de victimes, le collectif Urgence notre police assassine, et lancé, en 2019, l’application Urgence Violences policières , permettant de filmer des exactions et de les stocker sur un serveur. « On a porté ce débat sur la place publique, et, maintenant, tout le monde sait qu’on peut filmer les policiers. Ces images servent de preuve, et c’est le seul outil dont nous disposons. »
Avec les proches de Souheil El Khalfaoui, tué à 19 ans lors d’un contrôle routier à Marseille en 2021, la militante a lancé début juillet une pétition pour réclamer l’abrogation de la loi de 2017 relative à la sécurité publique permettant aux policiers de tirer sur un véhicule « dont les occupants seraient susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie (…) ou à celle d’autrui ».
« Avec le terme “susceptible”, les policiers peuvent interpréter la situation comme ils veulent, observe-t-elle . Et si ces policiers se permettent d’aller jusqu’au bout avec nos frères, c’est que, quelque part, l’Etat les y autorise. Depuis quarante ans, on tue des Noirs et des Arabes en France, sans que les policiers ne soient jamais inculpés. »
Sans « geste d’apaisement » de la part du gouvernement, notamment par l’abrogation de cette loi, Amal Bentounsi en est certaine : « La prochaine révolte, ça ne sera pas seulement dans la banlieue, mais dans toute la France, et elle sera impossible à canaliser. »
(1) Les prénoms ont été modifiés.
SOURCE : Racisme dans la police : « c’est comme ça qu’ils font régner l’omerta et la terreur » | L'Humanité (humanite.fr)
Le 24 février 2013, Gérard Depardieu visite le musée d’Akhmad Kadyrov, seigneur de guerre, devenu le dirigeant pro-russe, dans la capitale provinciale de la Tchétchénie, Grozny, en Russie. (MUSA SADULAYEV/AP/SIPA)
La Mordovie présente une différence d’importance avec la Syldavie autrefois explorée par Tintin et Milou : contrairement à cette dernière, elle existe. C’est cette République russe située à plus de 600 kilomètres à l’est de Moscou qui a accueilli à bras ouverts un autre visiteur francophone de renom il y a dix ans de cela. Et si l’intrépide reporter belge avait sauvé la monarchie syldave en restituant au roi Muskar XII son précieux sceptre d’Ottokar, un chef d’Etat bien réel va tirer d’un mauvais pas un exilé fiscal en lui accordant de nouveaux papiers d’identité. En ce 6 janvier 2013, trois jeunes femmes mordves saluent l’arrivée de l’acteur français par -15° sur le tarmac de l’aéroport de Saransk en lui offrant du pain, du sel et des blinis. A sa sortie du bimoteur, le bonhomme hirsute vêtu de pantalons de velours et d’un blouson de cuir lance, hilare : « Schumrat Mordovia ! » (Bonjour la Mordovie ! ).
Magnanime, Vladimir Volkov, gouverneur de la République autonome, ajoute au panier de bienvenue un appartement de 100 m2 situé 1, rue de la Démocratie (sic) et mieux encore, si le saltimbanque le souhaite, « un poste de ministre de la Culture de Mordovie ». Le jour dit sur la scène du Théâtre national de Saransk, le très seyant costume blanc traditionnel que Gérard enfile, radieux, le boudine. Il s’en moque, il brandit face aux caméras le véritable objet de cet événement monté de toutes pièces : un passeport russe offert par un autre Vladimir, le tout-puissant président Poutine trois jours plus tôt au bord de la mer noire à Sotchi :
« Depardieu est un homme du monde. Nous avons de très bonnes relations avec lui. (…) S’il veut un permis de séjour ou un passeport, c’est comme si c’était fait. (…) Laissez venir Depardieu, nous avons un taux d’imposition de 13 % qui ne changera pas… ».
Il ne s’agit pas seulement d’une échappatoire offerte à une star après sa dernière sortie de route – Depardieu a rendu son passeport français pour, dit-il, échapper à l’insupportable impôt frappant les hommes d’affaires dans son genre, en échange de papiers d’identité, l’artiste, comme l’alchimiste de Goethe avant lui, vend son âme.
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Face à l’Occident décadent
A la même période, ce diable de Poutine vient d’entamer un nouveau règne. Elu au premier tour de l’élection présidentielle en mars, il entame un troisième mandat après avoir présidé le gouvernement du premier de ses obligés, Dmitri Medvedev. Néanmoins, sa candidature et le tour de passe-passe entre les deux chefs d’Etat pour contourner la Constitution ont été largement contestés. Parmi ses opposants, les Pussy Riot font parler d’elles dans le monde entier mettant Poutine dans une posture difficile pour un homme dont la souplesse évoque celle du mont Elbourz (5 643 m). Il doit montrer sa fermeté tout en soignant l’attractivité de son pays face à l’Occident décadent. Lors de son premier discours à la nation, dans la salle des fêtes du Kremlin, il annonce la création d’un impôt sur les grandes fortunes et une réforme contre les opérations illégales dans l’économie russe.
Ne se sentant nullement visé, Gérard Depardieu lui adresse une déclaration d’amour qu’on croirait écrite par un enfant :
« J’adore votre pays la Russie, ses hommes, son histoire, ses écrivains. […] Il y fait bon vivre. […] La Russie [est] une grande démocratie, et ce n’[est] pas un pays où un premier ministre [traite] un citoyen de minable ».
A la fin, il sort les violons : « Dans un pays aussi grand on n’est jamais seul, Car chaque arbre, chaque paysage portent en nous un espoir. Il n’y a pas de mesquinerie en Russie, il n’y a que des grands sentiments. »
Avec une précision d’importance : « Il y a un endroit que j’aime,où se trouve le Gosfilmofond dirigé par mon ami Nikolai Borodachev. Au bord des forêts de bouleaux, je m’y sens bien.» Le directeur des colossales archives russes du cinéma est originaire du coin et lui a vendu l’idée d’une évasion champêtre.
Les Russes sont hilares : la Mordovie est une région perdue de sinistre réputation où la population ne cesse de baisser depuis les années 1970, mais Gégé, au vu de sa carrure, vaut bien deux habitants de plus. C’est là que depuis Staline, on envoie les dissidents de toutes sortes. En 2013, 20 000 prisonniers croupissent dans dix-huit colonies pénitentiaires. Si Depardieu s’y était rendu en train, il aurait noté que le wagon de tête est systématiquement réservé aux détenus. Vladimir Poutine a d’autant plus d’intérêt à y envoyer le nouvel interprète de Raspoutine pour la télévision russe que Nadejda Tolokonnikova, la leader des Pussy Riot, purge une peine de deux ans dans la colonie 14 d’où elle dénonce publiquement tabassages, privations arbitraires, et les 16 heures de travail par jour. Ce que confirme alors Vladimir Rubachny, patron d’un centre local des droits de l’homme : « Les gens sont transformés en bétail, ils n’ont pas d’autre choix que de devenir des personnes pires qu’avant. »
Grâce au parachutage, la Mordovie fait désormais l’objet d’un nouveau récit et bénéficie d’un des attachés de presse les plus célèbres du monde. Depuis, à chaque interview, le citoyen russe né en France conduisant grâce à un permis belge, ressort son archet :
« Vivant une partie de l’année en Russie, je vois juste que Poutine est admiré par la majorité de son peuple, reconnaissante qu’il lui ait rendu sa dignité perdue face à l’étranger et sa place dans les relations internationales. Vous savez, pour moi ne sont vraiment dictateurs que ceux qui affament leur population, donc Poutine n’est pas un dictateur : personne ne crève de faim en Russie. »
Surtout pas eux. La fortune du locataire (avec un bail renouvelable) du Kremlin est estimée par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project à entre 4,5 et 200 milliards d’euros pour un salaire mensuel officiel de 10 000 euros. Loin derrière, le comédien qui prend « des leçons de géopolitique » de Poutine, accumule presque autant de business que de films : une société de production, des vignes et châteaux dans l’Anjou, en Bourgogne, dans le Médoc, dans l’Hérault, mais aussi au Maghreb, en Europe de l’Est et en Amérique du Sud, des restaurants, une poissonnerie et une épicerie fine à Paris, une concession Yamaha ainsi que de l’immobilier en France et en Belgique. Cette manie de l’accumulation, propre aux anciens pauvres, n’est pas le seul trait liant les deux hommes. « Poutine, c’est un ancien voyou, explique l’ex-loubard de Châteauroux. Je l’ai entendu parler aux oligarques qui essaient de saigner le pays, il n’a pas sa langue dans sa poche. C’est eux qui ont peur de lui et pas l’inverse. » Tout comme Depardieu avec le cinéma français. Si la presse mondiale a glosé sur leurs caractères antagonistes sur l’air du feu contre la glace, les similitudes sont réelles. « L’Etat, c’est moi », dit l’un, « le cinéma, c’est moi » peut répondre l’autre.
De la banque Sovietsky aux cuisines Maria
Surtout, derrière la froideur de l’un et l’exubérance de l’autre, on retrouve la même cupidité. Car là où Depardieu pose ses valises, il tourne… des pubs. La banque Sovietsky, les cuisines Maria, les montres Custos, la compagnie d’aviation arménienne Armavia, une compagnie de taxis, la cuisine azerbaïdjanaise, du ketchup… Selon « le Figaro », sa présence au festival de cinéma Eurasia au Kazakhstan se négociait 100 000 dollars pour quelques jours. Un business qui lui a fait envisager avant son exil russe de devenir citoyen du Monténegro où, proche de Milo Djukanovic, un autre homme d’Etat resté vingt ans au pouvoir, il investit dans l’immobilier.
Dès lors, l’acteur apparaît pour ce qu’il est devenu : un mercenaire se vendant au plus offrant. Il a aussi offert un vernis de respectabilité au tristement célèbre leader tchétchène Ramzan Kadyrov interdit de séjour dans l’Union européenne, en acceptant d’être l’invité d’honneur de son 36e anniversaire. Avant d’enregistrer un duo langoureux, « Le ciel se tait », avec Gulnara, la fille du président ouzbek Islam Karimov resté vingt-cinq ans au pouvoir au prix d’une sanglante répression ou encore de faucher les blés avec le biélorusse Alexandre Loukachenko, un autre autocratOn l’a même aperçu en 2018 à Pongyang au défilé militaire de la Corée du Nord. Pour Jean-Claude Livi son premier agent : « C’est une provocation qui s’apparente à un suicide. » Deux autres hypothèses s’offrent à nous : soit les dictateurs ont été soufflés par son jeu dans « le Tartuffe », le seul film qu’il a réalisé, soit, en fins lecteurs de Machiavel, ils savent qu’un monarque ne survit pas sans courtisans. Les mercenaires ont ceci d’utile qu’ils acceptent toutes sortes de missions.
Après avoir obtenu les JO de Sotchi, Poutine voulait la Coupe du Monde de Football 2018 et il l’a eue. C’est ainsi qu’on a croisé Gégé au gala du Ballon d’or en Suisse, au côté du patron de la Fifa, Sepp Blatter, un autre bienfaiteur de l’humanité, auprès de qui il devait plaider la cause de Saransk comme future ville hôte. Un peu plus tard, on le retrouvera d’ailleurs à l’écran dans « United Passions », un film à la gloire de la Fifa sorti directement en DVD.
« Poutine est l’homme dont la Russie a besoin »
Chez Goethe, le pacte entre Faust et Méphistophélès ne prend pas fin. En pleine nuit de Walpurgis, une fête païenne où le Diable s’adonne aux plaisirs orgiaques au milieu de démons, le sage Faust détourne les yeux. Il est difficile de ne pas y penser face au silence de l’acteur bavard quand, en 2015, la Fédération de Russie s’engage en Syrie aux côtés du boucher Bachar el-Assad et bombarde les populations civiles faisant plus de 6 000 morts, quand en Russie les ONG sont mises au pas, quand de nouvelles lois pénalisent la communauté LGBTQ + ou quand le premier opposant Alexei Navalny est empoisonné puis envoyé en prison. « La grande démocratie » ne prend plus de gants pour se faire passer pour ce qu’elle n’est pas et notre Faust joufflu, les yeux fermés, poursuit sa fuite en avant aux côtés de son maître.
En décembre 2017, il affirme à l’agence Tass avoir conversé avec lui au sujet de sa quatrième candidature à la présidentielle: « Il va se présenter et je pense qu’il est le genre d’homme dont la Russie a besoin. » Son candidat de cœur sera réélu en 2018 malgré la fraude électorale constatée par les observateurs. Quelques mois plus tard, Depardieu quitte Saransk pour Novosirbisk en Sibérie afin d’y développer des documentaires et lancer une affaire de distribution d’aliments. Depuis, il doit tourner dans la région de Kaliningrad un film sur les exploits du légendaire bataillon de soldats Normandie-Niemen pendant la Seconde Guerre mondiale.
Entre-temps, la Russie a envahi l’Ukraine et déclenché une guerre bien réelle ayant déjà causé plus de 100 000 morts. Ce sera l’occasion de la première crise dans le couple en mars 2022 : « Je suis contre cette guerre fratricide. Je dis : “Arrêtez les armes et négociez !” » lance-t-il dans le vide. Depuis cette sortie, il refuse d’en parler. Peut-être se souvient-il que les camps et prisons parsemant les prairies de Mordovie et de Sibérie où il réside de temps à autre sont remplis de citoyens ayant dénoncé le massacre. A lui, dont on dit le bureau parisien encombré de classiques, on ne saurait trop conseiller quelques-uns des derniers vers de l’œuvre de Goethe. Quand Faust tente une dernière fois de rompre le pacte avec Méphistophélès en lui reprochant « ta profonde rage acharnée à détruire, ton œil de tigre et ta face puissante », ce dernier a le dernier mot: « Va ! Tente la fortune ! Et quand tu te seras bien prostitué dans une lâche hypocrisie, reviens épuisé et perclus. L’homme ne comprend guère que ce qui le flatte. »
L’ARTISTE ET LE PRÉSIDENT (2/12). Dalida a côtoyé René Coty, chanté pour Giscard, souri à Sarkozy mais s’est engagée pour faire élire François Mitterrand. Elle l’a payé au prix fort.
Les services secrets redoutaient le pire : « Il va se faire assassiner. » Une fois gravie la rue Lepic, à Paris, il se débarrassait de son chauffeur et de ses gardes du corps, puis seul, tout seul, François Mitterrand rasait les murs, à pied jusqu’au 11 bis de la rue d’Orchampt. Au bout de la ruelle, étroite et sombre, l’hôtel particulier de Dalida, majestueux comme un château en plein Montmartre. Aujourd’hui, il y a une plaque commémorative sur la façade. A l’époque, bien vivante, belle et rayonnante, la diva de la chanson faisait livrer des fruits de mer de la brasserie Charlot, « roi des coquillages », place de Clichy, pour Mitterrand et pour lui seul.
Amants ou amis ? Chacun se posait la question, alimentant la rumeur. Orlando, frère et producteur de Dalida, témoin de tout, tranche : « Elle a toujours considéré Mitterrand comme un ami ; il n’a jamais cessé de chercher à la séduire. »
Chaque fois que l’homme à la rose s’aventurait rue d’Orchampt, on pensait aux risques qu’il prenait, mais personne ne songeait aux dangers qui menaçaient cette femme engagée en politique au nom de l’amitié, sans filtre, presque à son corps défendant.
Des présidents, Dalida en aura approché d’autres. René Coty, en 1955, lors d’une fête de l’amitié franco-italienne, lui avait dit : « Vous êtes une belle ambassadrice de votre pays en France. » Son pays, l’Egypte, où elle est née Iolanda Cristina Gigliotti en décembre 1933, dans une famille italienne. Des gaullistes historiques, d’où son émotion en recevant des mains du général de Gaulle la médaille de la présidence de la République (jusque-là réservée aux résistants). Un soir de 1968, elle dîne dans un restaurant de la place Pereire quand Georges Pompidou, son voisin de table, demande à lui être présenté. Elle aura chanté pour Giscard, enlacé Chirac et souri à Sarkozy, mais quand ces deux derniers accéderont à la fonction suprême, elle sera suicidée depuis longtemps.
« François Mitterrand a fait ma première partie »
Parmi tous ces puissants, dans son existence jalonnée de drames et saupoudrée de paillettes, François Mitterrand tient une place à part. Lorsqu’elle le rencontre, en juin 1971, elle est cette chanteuse que la télévision réclame, que l’Olympia acclame. Une chanson, un succès. La France est son socle, mais « Bambino », dès 1957, l’a rendue internationale. Dalida parcourt l’Europe, l’Amérique du Sud, le monde arabe. Les Etats-Unis lui font un pont d’or. Elle le refuse pour conserver sa liberté.
Maire de Château-Chinon depuis 1959, Mitterrand vient alors d’être élu Premier secrétaire du Parti socialiste lors du congrès d’Epinay. Il a tout d’un chef d’Etat, le charisme, le cynisme et l’ambition, mais il ne l’est pas – pas encore. Il ne bat pas la campagne pour passer le temps, il entend mener la gauche au pouvoir, et là, tout de suite, la gauche, c’est lui. Il s’apprête à lancer le Programme commun, comprenez l’union de la gauche, avec le communiste Georges Marchais et le radical Robert Fabre. Dans ce contexte, la popularité internationale de Dalida l’intéresse. Elle est fascinante, elle le fascine. Il est extrêmement cultivé, elle est hypnotisée.
Au début des années 1970, Gaston Defferre, maire de Marseille, organise au stade Vallier le rassemblement du PS. C’est là que Dalida et Mitterrand se rencontrent. Elle attend qu’il termine son discours pour dérouler son tour de chant, ce qui lui fera dire en riant : « François Mitterrand a fait ma première partie. » Comme chaque fois qu’elle chante, elle fait un malheur.
Le patron du PS la veut à ses côtés lors du dîner qui suit. Elle est là. Il parle littérature et philosophie, elle écoute. Elle a adoré cette soirée mais trouvera osé son coup de fil à 5 heures du matin dans sa chambre d’hôtel : il ne quittera pas Marseille sans obtenir son numéro de téléphone. Ils s’appelleront, se retrouveront souvent rue d’Orchampt et ailleurs. Il est dans sa loge à l’Olympia ; elle est sur la scène de Château-Chinon pour les 25 ans de sa vie parlementaire. Dalida vient d’ajouter à son répertoire « Pour ne pas vivre seul », qui lui vaut la reconnaissance éternelle de la communauté gay, et « Parle plus bas », la chanson du « Parrain » (500 000 exemplaires vendus). A la fin du concert, Mitterrand s’approche de la scène, elle se penche vers lui, leurs mains se serrent et les flashs crépitent. Les chansonniers ne tarderont pas à s’amuser de la situation, le grimant en « Mimi l’amoroso ». Pas mal trouvé pour un homme qui passe son temps dans une ruelle sombre de Montmartre. « Mimi, c’est toi là-bas dans le noir ? »
Dalida a beau répéter qu’elle « apprécie l’homme derrière le candidat », sa présence aux côtés de Mitterrand n’est pas perçue aussi simplement. En avril 1974, la donne change à la mort prématurée de Pompidou. Les élections anticipées voient s’opposer au second tour Giscard et Mitterrand. Elle fait un carton devant plus de 50 000 personnes rassemblées dans le Stadium de Toulouse pour le dernier meeting de la campagne présidentielle de son ami François.
Au moment où les militants en surchauffe reprennent son dernier succès, « Gigi l’amoroso » en cœur, Roger Hanin, comédien et beau-frère du candidat, monte sur scène pour offrir à Dalida une rose rouge qu’elle brandit en saluant, comme chaque fois qu’on lui tend des fleurs en concert. Geste politique, jeu dangereux. Elle s’en rendra compte en voyant la photo s’étaler dans toute la presse, de France et d’ailleurs. Dans « Paris Match », le pamphlétaire Jean Cau lâche : « Je ne savais pas que l’interprète de “Bambino” gémissait sous le poids des chaînes dont l’avait chargée la Ve République et je ne comprenais pas que ses chansonnettes d’amour décryptées étaient autant de carmagnoles. » Dans un droit de réponse, elle répète qu’il ne faut pas confondre amitié et politique.
Elle s’engage frontalement dans la campagne de 1981
Mitterrand sortira battu de la course à l’Elysée. Les années passent sur le pavé de la rue d’Orchampt et, avec elles, les rendez-vous en catimini, les Olympia, la vague disco, les tentatives de séduction, les « restons amis » et les beaux discours. Et puis le mois de mai 1981 arrive. Et si, lors du duel d’entre-deux-tours, Mitterrand mouchait Giscard en le faisant passer pour « l’homme du passif » ? Et si, une rose rouge entre les dents, il faisait basculer la France à gauche ? Et si on se retrouvait place de la Bastille pour fêter ça ? Si ce miracle se produisait, Dalida n’y serait pas pour rien.
A tort ? à raison ? Elle s’engage cette fois frontalement dans la campagne de 1981 et fait taire en elle le bon diable qui lui souffle de s’en abstenir. Son credo : elle connaît « l’homme derrière le candidat » depuis longtemps maintenant, elle a confiance en lui. Avant de rencontrer Mitterrand, elle fréquentait Roger Hanin et sa femme, la productrice Christine Gouze-Rénal. Depuis, elle s’est liée d’amitié avec Danielle Mitterrand, elle a rencontré les fils du couple, elle apprécie Jacques Attali, le très brillant conseiller du candidat, et l’historien Claude Manceron.
La mitterrandie a table ouverte rue d’Orchampt, où Hélène, la cuisinière, régale tout ce beau monde de soufflés au fromage. Où Roger Hanin égaye de ses blagues les discussions politiques. Ces dernières années, la maîtresse de maison a encore enchaîné les tubes : « J’attendrai », « Salma ya Salama », « Laissez-moi danser ». Elle a été sacrée reine du disco et, en mars 1981, Michel Drucker vient de lui remettre un disque de diamant pour ses 85 millions de disques vendus dans le monde (dont cinquante-cinq d’or). Elle a été la première femme à dompter le Palais des Sports, alors la plus grande salle parisienne, lors de 18 représentations à guichets fermés. Danielle et François Mitterrand y étaient.
Lille. Avril 1981. Le 21. A la demande de Roger Hanin, Dalida chante pour chauffer la salle avant le discours mitterrandien du premier tour. Dalida en meeting, Dalida en soutien dans « le Matin de Paris » :
« Je vote pour un homme que je connais et dont j’apprécie la sagesse intérieure et les qualités humaines. Un homme au-dessus de tout soupçon. »
Abu Dhabi. Mai 1981. Le 10. Dalida s’apprête à entrer en scène quand Jacques Attali lui annonce au téléphone que l’élection est gagnée ; elle doit le garder pour elle jusqu’à 20 heures. Elle raccroche, hurle à son équipe que Mitterrand est président, puis appelle Orlando pour lui dévoiler le résultat hyper secret du scrutin.
En rentrant à Paris, elle donnera un grand dîner rue d’Orchampt en l’honneur de son ami président de la République ; au Panthéon, elle se distinguera parmi les soutiens du premier rang, en robe rose – ce qui lui vaut le surnom de « Panthère rose ». Un surnom parmi tant d’autres : « la fiancée du président », « l’égérie de Mitterrand ». On lui prête un pouvoir qu’elle n’a pas, elle ne peut que déchanter. Les dîners rue d’Orchampt, c’est le conseil des ministres hors les murs. Le cercle des habitués s’élargit avec Bertrand Delanoë, Jack Lang ou encore Lionel Jospin.
Mais il est bientôt fini, le temps des fleurs. Une fois passé l’état de grâce, l’opinion se retourne, proteste contre les chiffres du chômage, se révolte contre cette gauche qui pue le caviar. Dalida est jetée avec l’eau du bain. Heureusement qu’elle est à l’étranger quand Orlando constate qu’on a balancé des dizaines de messages d’insultes dans la cour de la rue d’Orchampt. A-t-elle vu le graffiti – « Sale pute de Mitterrand » – sur la façade de chez elle ?
La méfiance et la jalousie entrent en scène
En 1982, la relation entre la chanteuse et le président commence à s’effilocher. Un sondage place Dalida à la troisième position des femmes les plus influentes du pays, derrière Simone Veil et Edith Cresson. La méfiance et la jalousie entrent en scène : elle ne se sent plus la bienvenue rue du Faubourg-Saint-Honoré, les regards sont glaçants, distants. Elle préfère s’éloigner, répond de moins en moins aux invitations du président, lequel s’invite de moins en moins chez elle. Il prend de ses nouvelles via Pascal Sevran, leur ami commun. Elle refuse la Légion d’honneur que lui propose Jack Lang.
Parce que sa réputation en prend un coup, parce que même les demandes de galas se raréfient, elle décide d’accepter toutes les propositions de concerts à l’étranger. Elle s’enfuit, loin de ce pays qu’elle a adopté, loin du pouvoir. A son retour, la « Dalida-mania » reprend de plus belle, le mythe reste intact. Elle se sent libre d’embrasser Jacques Chirac devant les photographes le 18 mars 1983 au Paradis latin, lors du 75e anniversaire de Loulou Gasté, le mari et imprésario de Line Renaud.
Dalida et Mitterrand se recroiseront à l’Elysée, fin 1986, pour la projection privée du film de Youssef Chahine « le Sixième Jour », dont elle tient le premier rôle. Elle lui serra la main, puis se jette sous ses yeux dans les bras de Jacques Chirac, son Premier ministre d’opposition.
Le 3 mai 1987, Dalida choisit de mettre fin à ses jours, parce que « La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi ».
Les proches se succèdent devant sa dépouille au 11 bis de la rue d’Orchampt. Lui, non. Tous, mitterrandie comprise, se retrouvent à l’église de la Madeleine et au cimetière de Montmartre. Lui, non. Le président a envoyé un communiqué et des fleurs, mais où est l’ami ? Trente-six ans plus tard, la colère d’Orlando reste intacte : « On était à quelques mois de sa réélection, alors pour justifier l’absence de Mitterrand, on m’expliquait que c’était à cause de la rumeur d’une idylle entre eux. Depuis quand Mitterrand se faisait-il dicter sa loi ? S’il ne voulait pas se montrer, il aurait pu venir à la maison, cette maison qu’il connaissait si bien pour avoir eu l’audace de la fréquenter quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Je ne lui pardonnerai jamais ! »
La visite d'Etat en Chine du président algérien Abdelmadjid Tebboune, prévue du 17 au 21 juillet, doit renforcer les relations bilatérales, favoriser le développement durable et promouvoir la paix dans le monde, a estimé le président de l'Association d'amitié Algérie-Chine, Smaïl Debeche, dans une récente interview accordée à Xinhua, affirmant que les relations bilatérales servent de modèle en Afrique et dans le monde arabe.
M. Debeche, qui est également professeur de sciences politiques et de relations internationales à l'Université d'Alger 3 et membre du Comité central du Front de libération nationale (FLN) de l'Algérie, a rappelé que la relation entre les deux pays s'était établie lors d'une toute première rencontre en 1955 à Bandung, en Indonésie, jetant ainsi les bases d'une convergence stratégique.
Il a fait remarquer que "les liens historiques et politiques entre les deux nations servent de fondement à la convergence stratégique" et relevé "la convergence de vues entre l'Algérie et la Chine, notamment dans leur engagement pour l'unité nationale et la lutte contre les menaces occidentales".
Le professeur a en outre martelé que la visite du président Tebboune en Chine "devrait produire des résultats positifs en termes de stratégies de diversification économique et de développement durable de l'Algérie". Selon lui, "la participation de l'Algérie à l'Initiative la Ceinture et la Route (ICR) et la signature d'un accord stratégique global de coopération en 2014 soulignent les liens étroits entre les deux pays".
A cet égard, M. Debeche a noté que M. Tebboune "cherche activement à renforcer le partenariat stratégique existant dans divers secteurs clés, notamment l'agriculture, la sécurité alimentaire, la technologie, les énergies renouvelables, le développement des infrastructures telles que les routes et les ports, l'exploration des matières premières, l'éducation et la recherche scientifique".
M. Debeche a souligné le potentiel de transformation de l'ICR, déclarant qu'"elle libérera les pays participants des contraintes économiques traditionnelles imposées par des institutions telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international".
En termes de valeurs partagées, le professeur a affirmé que "la Chine et l'Algérie donnent la priorité à la paix et au développement mondiaux" et qu'"elles partagent une approche similaire, plaidant constamment pour le dialogue et les pourparlers de paix pour résoudre les conflits".
Le professeur, revenu il y a quelques jours à Alger d'une visite de quatre semaines en Chine, a en outre salué "la gestion réussie par la Chine de la pandémie de COVID-19 qui a eu un impact néfaste sur l'économie mondiale, ce qui la positionne comme l'un des rares pays à surmonter efficacement la crise".
La Chine a adopté une approche qui "englobait la lutte contre le virus tout en soutenant simultanément le développement économique, les initiatives vertes et le progrès technologique", a-t-il noté.
Il a également insisté sur le fait que l'expertise de la Chine dans le domaine de la santé "n'est pas seulement recherchée par ses alliés traditionnels et les nations africaines, mais aussi par les pays européens".
L'année 2023 marque le 60e anniversaire de l'envoi d'équipes médicales chinoises en Algérie. A ce propos, M. Debeche a mis en avant le rôle vital de l'équipe médicale chinoise en Algérie dans la promotion des relations bilatérales.
L'équipe médicale a fourni un soutien crucial au peuple algérien après la guerre d'indépendance dévastatrice, insufflant ainsi de l'espoir à la population et démontrant sa résilience, a-t-il rappelé. Il a fait savoir qu'environ 30 millions d'Algériens avaient reçu des soins médicaux de la part de médecins chinois. En effet, au-delà des soins médicaux, les médecins chinois dispensent également une formation aux praticiens locaux de la santé, ce qui sert de modèle à suivre pour d'autres secteurs en vue d'acquérir une expérience précieuse.
La présidence algérienne a déclaré jeudi dernier dans un communiqué que la visite de M. Tebboune visait à renforcer la coopération économique dans le cadre des efforts en cours pour consolider davantage les relations solides et profondément enracinées entre Alger et Beijing.
Deux millions d’appelés ont combattu en Algérie. À leur retour, la plupart se sont tus. Comment parler de leur expérience à leurs parents ou leurs grands-parents qui avaient déjà connu deux guerres mondiales ? Ou à des civils qui n’avaient pas pris la mesure de ce conflit ? Depuis une quinzaine d’années, encouragée par les historiens et des associations d’anciens combattants, leur parole se libère peu à peu. L’historien Tramor Quemeneur, ancien élève de Benjamin Stora, recueille depuis plus de vingt ans leurs témoignages. Historia en publie une sélection inédite, passée au filtre de la rigueur scientifique. Une immersion qui reflète toute la complexité de cette « guerre sans nom ».
"La guerre d’Algérie, guerre fratricide de populations cohabitant depuis plus de cent trente ans, guerre asymétrique opposant une armée conventionnelle à une autre pratiquant la guérilla, a donc constitué un conflit où tous les coups étaient permis, et tous les moyens utilisés. Est-ce à dire qu’il n’y a pas eu des traces d’humanité dans ce conflit ?"interroge Tramor Quemeneur. La réponse est précisément dans ce numéro entièrement consacré à la guerre d’Algérie et à ceux qui y ont participé.
En complément des documents originaux issus des archives d’anciens appelés, replacés dans leur contexte historique, des récits vont revivre l'époque :
Tramor Quemeneur raconte dans Un « art français de la guerre » comment l’armée française a utilisé dans cette guerre non conventionnelle des armes qui ne l’étaient pas non plus, au détriment de la population. Il explique ensuite dans « Gagner les cœurs et les esprits » quelles ont été les actions pour tenter de se concilier les populations algériennes et motiver des conscrits peu enclins pour certains à se battre. Et se penche dans « Mémoires d’appelés, mémoires blessées » sur la manière dont la dernière « génération du feu » a été marquée par cette expérience au point pour certains de se murer dans le silence.
Jean-Paul Mari dans « La « Bleuite », mal mortel du FLN, évoque la stratégie développée par le capitaine Léger, officier des services de renseignements français, pour endiguer la vague d’attentats qui frappe Alger au début de l’année 1957.
La chronique d’Emmanuel de Waresquiel – qui nous livre une très intéressante et profonde réflexion sur la conscience. "La conscience, écrit-il, c’est ce qui reste lorsque le drame est consommé. Personne ne peut nous la ravir. Certains préfèrent celle des vainqueurs, d’autres celle des vaincus."
Pour aller plus loin,
♦ le sort des compagnons de l’émir Abd el-Kader.
♦ une bibliographie sélective sur la guerre d’Algérie.
♦ Sans oublier, la chronique de Guillaume Malaurie qui évoque les évènements de Mai 68 comme « une leçon de vie » pour le (très jeune) lycéen qu’il était alors ; les pages « Voyage » qui vous emmèneront à Alger « la blanche », « Gastronomie » consacrée au Couscous, plat préféré des Français, et « Le Vin » qui vous parlera de la (difficile) renaissance de la viticulture algérienne, cible de l’ire des islamistes.
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