Contrairement à l'Indochine, le FLN avec en face 500000 soldats français pour 9 millions de musulmans ne cherchait pas une victoire militaire mais cherchait plus des coups d’éclat qui permettront une victoire politique et cette dernière a été totale. Sinon, Ait Ahmed est parti en Suisse et non en France. Pour la gestion post-indépendance, il faut dire aussi qu'il y avait un grave manque de ressources humaines. Apres 132 ans de colonisation, il n y avait que 2 architectes pour toute l’Algérie en 62. Le pays commençait presque tout de zero.
L'ALGERIE 2/3 - Houari Boumédiène
Errata : 1) Sécurité Militaire (et non pas DRS bien sûr), dirigée par K. Merbah. 2) "L'interdiction de l'alcool" est plutôt une interdiction théorique avec octroi de licences de vente d'alcool réservés aux anciens combattants et leurs veuves. Il y eut également des arrachages massifs de vignobles pour motifs économiques avec la sympathie des autorités religieuses.
L'ALGERIE 3/3 : La guerre civile
Que s'est-il passé sous la présidence de Chadli ? Comment s'est organisée la résistance du Front Islamique du Salut ? Quels ont été les événements les plus marquants de la guerre civile ? Comment Bouteflika a-t-il mis fin à la tension au sein de la société algérienne ? L'Etoffe d'un Chef vous explique tout sur les grands chefs d'Etat du XXe siècle.
Histoire de l'Algérie 1965 - 1971
L’histoire du jeune Etat Algérien, dans la décennie qui a suivi la guerre d’indépendance, est marquée par le coup d’Etat de 1965 qui provoqua le renversement de Ben Bella, et son remplacement par Boumediene. L’historienne Malika Rahal est questionnée, dans ce film du CHS réalisé par Jeanne Menjoulet, sur l’impact de ce coup d’Etat dans une période, « les années 1968 », marquée par l’effervescence étudiante, la contestation, et les luttes de libération, dans le monde entier. Si le renversement de Ben Bella ne donna pas lieu à une forte contestation en Algérie, cette opposition fut néanmoins importante dans le milieu étudiant algérien (sous l’influence de son syndicat l’UNEA), ainsi que dans les mouvances proches du parti communiste algérien et de la gauche du FLN. Malika Rahal montre de quelle façon Boumediene, après avoir est exercé une répression impitoyable sur les contestataires (emprisonnements, torture), est parvenu à rallier la jeunesse étudiante algérienne à son régime, en plusieurs étapes. A l’occasion notamment de ses prises de position lors de la guerre des 6 jours en 1967, de la mise en place d’un service national de la jeunesse, ou de l’organisation du festival Panafricain de 1969. Dans ce documentaire, des images d’archives et témoignages d’un ancien étudiant à Alger(Boussad Ouadi), d’une ancienne organisatrice du festival Panafricain (Elaine Klein Mokhtefi).et d’une ancienne militante des Black Panthers présente à Alger en 1969 (Kathleen-Neal-Cleaver).illustrent les paradoxes de cette contestation étudiante qui s’inscrit à la fois dans les mouvements de contestation des années 1968 et dans les années post-indépendance, marquées par le sentiment national et les mouvements de libération et d’affirmation des pays « non alignés », ayant récemment gagné leur indépendance. Comme le conclut l’historienne, « d’une certaine façon, 68, c’est l’enfant de 62 ». Cette connexion entre les indépendances africaines et les années 1968 ainsi que l’émergence des femmes ou le rôle des circulations sont par ailleurs soulignés par Pierre Guidi, Françoise Blum et Ophélie Rillon, qui ont codirigé l’ouvrage « Etudiants Africains en mouvements, contribution à une histoire des années 1968 » (dont le chapitre consacré à l’Algérie a été écrit par Malika Rahal). Quelques thématiques du livre collectif - qui étudie les années 1968 dans la diversité des pays africains - sont présentées en fin de documentaire.
Née à Urumqi au Xinjiang, Kalbinur Sidik a vécu le développement de la surveillance technologique de la population ouïghoure par le régime chinois. Jusque dans les camps de « redressement », où elle a été forcée à travailler pendant deux ans, sous le regard ininterrompu de huit caméras.
Clément Le Foll
28 juillet 2023 à 08h44
tC’est un fascicule d’une vingtaine de pages édité par la Japan Uyghur Association. Kalbinur l’ouvre, le pose sur la table du salon et s’arrête sur certaines images. Cette bande dessinée en noir et blanc raconte son histoire, et ce mercredi 1er mars 2017 qu’elle n’oubliera jamais.
Ce jour-là, un policier la conduit jusqu’au sommet de la montagne qui surplombe Urumqi, capitale régionale du Xinjiang, où elle est née en 1969. Il gare le véhicule au pied d’un immense bloc de béton. Kalbinur ne distingue qu’un mur coiffé de fils barbelés. Elle sait à peine ce qu’elle fait là. Quelques jours auparavant, au cours d’une réunion, un membre du Parti communiste a brièvement annoncé à cette professeure des écoles sa nouvelle mission : apprendre le mandarin à des Ouïghours illettrés.
Son lieu de travail se dévoile lorsque l’officier l’escorte dans le bâtiment. Kalbinur découvre un monde qu’elle était loin d’imaginer. En 2014, l’une de ses collègues lui a vaguement parlé d’un camp de rééducation où les Ouïghours seraient persécutés. Mais elle n’y a pas vraiment cru.
Trois ans plus tard, ce goulag devient son quotidien. Deux gardes armés l’accueillent dans sa salle de classe. Une porte métallique s’ouvre de quelques centimètres. Des dizaines de détenus la franchissent en rampant, les mains enchaînées. Ils sont une centaine, crânes rasés, corps squelettiques, numéros inscrits sur leur tenue en guise de prénom, à s’asseoir à même le sol devant elle. Ce sont ses élèves.
Kalbinur les salue. Personne ne répond. Elle dit : « J’ai commencé à trembler. Certains me regardaient, d’autres fixaient leurs menottes. Je contenais mes émotions devant les gardes armés. » Dispersées dans les angles de la pièce, huit caméras, dont deux juste au-dessus de sa tête, filment chaque seconde. « Lors de la pause déjeuner, un policier m’a mise en garde : “Elles captent tout ce que tu fais et ce que tu dis” », se rappelle-t-elle.
Vie quotidienne orwellienne
Kalbinur referme le fascicule. Cela fait quatre ans qu’elle a fui le Xinjiang et ses camps. Elle vit aujourd’hui à La Haye, aux Pays-Bas, dans un modeste appartement au deuxième étage avec vue sur la mer du Nord. Depuis son départ en 2019, Kalbinur se démène pour détailler à l’ONU comme au Sommet de Genève pour les droits de l’homme et la démocratie, la persécution dont est victime cette minorité musulmane.
« C’est le premier génocide technologique de l’histoire »,rappelle Rahima Mahmut, directrice anglaise du World Uyghur Congress, qui a témoigné début juin avec Kalbinur du sort de leur peuple au Oslo Freedom Forum. Technologique, car le virage totalitaire amorcé au Xinjiang est indissociable des milliers de caméras couplées à des logiciels de reconnaissance faciale.
Kalbinur se souvient de leur apparition dans les rues, en 2014 : « Ils nous disaient que c’était pour surveiller le trafic. Nous étions méfiants, sans être paranoïaques. » Depuis 2009 et de violentes émeutes à Urumqi opposant Ouïghours et Hans – le groupe ethnique chinois majoritaire –, Pékin considère les Ouïghours comme des terroristes et n’a fait qu’accentuer leur persécution.
Les choses s’accélèrent en 2016. Chen Quanguo, ancien secrétaire du Parti communiste au Tibet, connu pour sa cruauté, est nommé responsable du régime communiste au Xinjiang. La vie quotidienne devient orwellienne. Des milliers d’outils numériques lorgnent aujourd’hui la population. Utiliser WhatsApp ou passer un appel à l’étranger suffit à être envoyé dans des camps de redressement, construit à partir des années 2010.
Un million de Ouïghour·es y seraient interné·es sans aucun procès. Rare rescapée, Gulbahar Halawaji, amie de Kalbinur, raconte la spécificité de cette détention arbitraire dans son livre Rescapée du Goulag chinois (éditions Équateurs). Elle y écrit le rôle joué par une caméra : « Elle tourne la tête pour suivre celles d’entre nous qui se déplacent du lavabo au lit, du lit au lavabo. Bzzz, Bzzz. C’est insupportable. Elle se moque de nous, cette caméra. Elle nous humilie. »
Prison technologique et QR code
Pendant deux ans, Kalbinur travaille quotidiennement dans cet enfer carcéral. Au fil des jours, elle reconnaît d’anciens élèves ; voit certains disparaître du jour au lendemain ; entend régulièrement des cris de gens torturés ; comprend progressivement le rôle des caméras dans ce génocide. « Un jour, j’ai pu accéder dans la salle où sont centralisées les caméras, confie-t-elle. Il y avait des dizaines d’écrans sur trois murs. Les détenus n’ont pas le droit de parler entre eux. Dès qu’ils chuchotaient, une alerte apparaissait sur l’écran en question. »
Cette prison technologique suit Kalbinur partout. Chen Quanguo a fait installerdes QR codes devant les portes des appartements. En les scannant, la police sait qui y réside et qui est venu. Lorsqu’elle se rend au supermarché, la professeure voit son visage scanné par une caméra de reconnaissance faciale. Même sentence lorsqu’elle passe le péage d’accès à son district d’Urumqi.
Si elle souhaite aller chez un proche résidant dans un district adjacent, il faut un accord du bureau de police et renseigner le lieu, l’heure et la durée de la visite. Pour élaborer son système de reconnaissance faciale, la Chine aurait utilisé les logiciels des plus grandes entreprises du pays, comme Huawei et Alibaba. En 2021, la BBC révélait que le régime avait également testé des logiciels permettant de connaître l’état émotionnel des Ouïghours.
« Au Xinjiang, la vie privée n’existe plus,lâche Kalbinur. Je n’osais pas parler avec mes voisins dans la rue, je n’osais plus regarder certains programmes à la télévision, je n’osais pas aider les gens dans les camps car mes moindres faits et gestes étaient enregistrés. » Ce harcèlement constant pousse Kalbinur et son mari au départ.
Un exil qui n’arrête pas le harcèlement
Si elle obtient un visa pour soigner des problèmes de santé, ce n’est pas le cas de son époux. Kalbinur ne reviendra pas, elle rejoint sa fille aux Pays-Bas, qui vit avec son mari et leur fille à Rotterdam. Elle vit à quelques kilomètres, à La Haye. Le lendemain de notre rencontre, ils se verront pour fêter l’Aïd. C’est la seule famille qui lui reste. Lorsqu’elle a fui, son mari – dont elle n’a aucune nouvelle depuis – a demandé le divorce. « Il m’a même envoyé des messages pleins d’horreurs, dit-elle. Mais je sais qu’il a été contraint de le faire, pour sa sécurité. »
La main de fer chinoise, elle, ne s’est pas arrêtée à la frontière entre l’Asie et l’Europe. Le harcèlement continue. Un jour, Kalbinur reçoit un appel en visioconférence de sa sœur via le réseau social chinois WeChat. Derrière l’écran, elle découvre, incrédule, un policier, qui la somme de revenir au Xinjiang.
Kalbinur nous montre plusieurs images de cet échange, imprimées sur une feuille A4. Elle analyse deux photos. Sur l’une, l’uniforme du policier est frappé d’un insigne et d’un numéro de matricule. Sur le second cliché, plus rien. « Lorsqu’il a vu que je prenais une capture d’écran, il a immédiatement enlevé tout signe distinctif »,précise aujourd’hui Kalbinur. Sur son téléphone, elle conserve également une vidéo « d’espions chinois » qui seraient venus filmer devant son appartement hollandais.
Mais plus que cette surveillance technologique, Kalbinur parle de sa terre natale avec nostalgie. Elle évoque les montagnes, les devantures des maisons couvertes de fleurs, la passion pour la danse et la musique traditionnelle que lui a transmise son père. D’ailleurs, sans doute que le lendemain, la célébration de l’Aïd se sera finie en chanson.
L’effacement en cours des témoignages qui accablent Jean-Marie Le Pen, y compris par ceux qui n’ont pour lui aucune sympathie, tient à deux facteurs : la parole algérienne reste pour certains illégitime par nature, comme la reconnaissance des crimes de la République coloniale.
Fabrice Riceputi
À propos… de l’autre détail : ainsi René Vautier intitulait-il en 1985 un film sur le passé tortionnaire de Jean-Marie Le Pen, en référence aux propos de ce dernier selon lesquels les chambres à gaz n’auraient été qu’un « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Ce détail-là, le passé colonial criminel de l’homme qui répandit ensuite comme personne le poison du racisme dans la vie politique française, n’en est à l’évidence pas un. Pourtant, lorsque l’on rappelle aujourd’hui les origines idéologiques du courant politique aujourd’hui dirigé par sa fille, il est presque systématiquement oublié, de même que la part prise dans sa fondation par d’anciens de l’OAS.
Davantage, une petite musique négationniste se fait parfois entendre à ce sujet. Dans une série documentaire à très forte audience consacrée à la vie de Jean-Marie Le Pen, diffusée par France Inter en mars dernier, le réalisateur, Philippe Collin, par ailleurs peu suspect de sympathie envers Le Pen, a ainsi cru pouvoir affirmer qu’on ne peut pas dire que « le soldat Le Pen a torturé » car il n’y a pas de « preuves ». Cette affirmation pour le moins scandaleuse, découlant d’une erreur factuelle commise par l’historien Benjamin Stora, n’a à ce jour toujours pas été rectifiée comme elle devrait l’être.
Ce n’était pas la première fois que des journalistes dédouanaient ainsi le fondateur du Front national (FN) de ses antécédents. En 2012 par exemple, dans Le Pen, une histoire française, une enquête biographique œuvrant quant à elle clairement à une certaine banalisation du lepénisme, Pierre Péan et Philippe Cohen concluaient déjà qu’il n’avait vraisemblablement pas torturé.
Le jeu pervers avec le sens du mot « preuves » en histoire, qui valide ici purement et simplement les dénégations mensongères de Le Pen, est bien connu des historiens. Il est typique des arguties négationnistes.
Qu’est-ce qui autorise l’effacement d’un coup d’éponge péremptoire et plein de suffisance de l’ensemble des témoignages qui accablent Le Pen, y compris par ceux qui n’ont pour lui aucune sympathie ? Cela mérite d’être questionné.
On doit certes rejeter ces témoignages, au même titre que d’autres, s’ils se révèlent à l’examen contradictoires, inconstants, incohérents, invraisemblables ou encore le fruit d’une machination. Or, jusqu’à une preuve du contraire que nul n’a à ce jour administrée, aucun de ceux qui sont produits ici ne doit l’être. Tel était déjà l’avis de Pierre Vidal-Naquet, qui, lorsqu’on lui demandait s’il fallait publier ces témoignages, répondait : « Il faut les hurler ! »
Celles et ceux qui les ont recueillis ont mené les enquêtes les plus sérieuses, ce que, du reste, plusieurs décisions de justice ont reconnu. Ainsi, la journaliste Florence Beaugé a par exemple vérifié que ses interlocuteurs n’étaient pas liés entre eux et n’avaient pu coordonner leurs récits. Elle a encore pris soin d’établir elle-même que les déplacements, indiqués par eux, de Le Pen dans la Casbah durant la nuit du 2 au 3 février 1957 étaient matériellement possibles.
Plus de soixante ans après, on entend parfois dire
sérieusement que les témoins seraient partiaux, puisqu’algériens
À vrai dire, cette suspicion de mensonge n’est jamais appuyée sur un véritable examen critique des témoignages. Mais bien plutôt, plus ou moins consciemment, sur un préjugé qui imprègne encore l’opinion publique française. S’agissant de la guerre en Algérie, la parole algérienne reste pour certains illégitime par nature et a priori suspecte d’affabulation. Il en allait ainsi à l’époque coloniale, quand la justice française en Algérie enterrait systématiquement les plaintes algériennes ou que la presse les ignorait de peur de paraître alimenter la propagande ennemie.
Plus de soixante ans après, on entend en effet parfois dire sérieusement, pour mettre en doute leur sincérité, que les témoins seraient partiaux, puisqu’algériens. Mais qui donc les militaires français ont-ils torturé en Algérie ? Le Pen lui-même, suivi en cela par d’autres, a avancé l’argument de sa célébrité : c’est elle qui aurait poussé des Algériens en mal de notoriété à lui attribuer, bien tardivement, leurs supplices.
C’est imputer à ces témoins une responsabilité dans le déroulement de cette affaire franco-française qui n’est nullement la leur. Ils n’ont en effet jamais pu s’exprimer en France avant d’y être sollicités et, surtout, avant que leur parole ne soit devenue simplement audible par l’opinion française.
C’est en effet l’effrayante ascension politique du chef du FN qui conduisit un cinéaste militant, René Vautier, puis plusieurs journalistes français, à aller dans les années 1980, 1990 et 2000 chercher à Alger ceux qui avaient croisé Le Pen en 1957, dans l’espoir de freiner cette ascension. En Algérie, l’effarement de voir un homme tel que Le Pen jouer ainsi les premiers rôles en France ne pouvait qu’inciter certaines de ses victimes à accepter de revenir sur un épisode particulièrement douloureux de leur existence. En quoi tout cela permet-il de douter de leur sincérité ?
Nul, avant les années 1980, n’était allé interroger les témoins depuis 1962
Auparavant, la parole des victimes de Le Pen, tout comme celle de milliers d’autres victimes d’exactions, n’avait intéressé à peu près personne. C’était l’époque de l’amnésie volontaire, facilitée par l’amnistie officielle et soigneusement entretenue par un personnel politique impliqué jusqu’au cou dans les faits en question. Il n’y avait pas de place pour un retour sur tous ces faits honteux. Ainsi, lorsqu’il voulut publier son livre magistral, La Torture dans la République - Essai d’histoire et de politique contemporaine (1954-1962),, quelques années après la fin de la guerre en Algérie, Pierre Vidal-Naquet ne put d’abord le faire, de façon significative, qu’à Londres.
Cette parole algérienne n’a surgi en France que tardivement, car la France s’est résolue alors, et seulement alors, et non sans difficultés extrêmes, à commencer à s’intéresser à son passé colonial pour y trouver les racines d’un racisme qui flambait à nouveau sous les couleurs du FN et qui visait particulièrement les Algériens immigrés et leurs descendants. Il en alla de même pour la redécouverte du massacre de manifestants algériens par la police française le 17 octobre 1961 à Paris. Là encore, nul, avant les années 1980, n’était allé interroger les témoins depuis 1962.
Notre aphasie postcoloniale
En 2000, deux ans avant ses révélations sur le passé tortionnaire de Le Pen, de premières enquêtes de Florence Beaugé dans le journal Le Monde avaient provoqué dans l’opinion l’explosion de la « bombe mémorielle à retardement » que l’amnésie organisée depuis 1962 sur nos crimes en Algérie avait fabriquée. L’émoi fut alors considérable.
Extrait de la revue Vérité-liberté en juillet 1962
Un Appel solennel fut lancé au président Chirac par douze personnalités, parmi lesquelles Germaine Tillion, Gisèle Halimi ou Pierre Vidal-Naquet. Il rappelait que « la torture, mal absolu, pratiquée de façon systématique par une “armée de la République” et couverte en haut lieu à Paris, a été le fruit empoisonné de la colonisation et de la guerre, l’expression de la volonté du dominateur de réduire par tous les moyens la résistance du dominé ». Il demandait à Jacques Chirac qu’advienne enfin, dans une démarche comparable à celle qui avait été la sienne en 1995 à propos des crimes du régime de Vichy, une reconnaissance et une condamnation claire de ces faits. Cet appel resta lettre morte et nous en subissons les conséquences.
Faute de cette reconnaissance et de la pédagogie qu’elle aurait pu entraîner quant à la nature, l’ampleur et la gravité des crimes en question, comme le fit la déclaration de Chirac sur ceux de Vichy ou encore la loi Taubira sur l’esclavage, tout reste permis.
On peut, sans susciter de scandale particulier, nier jusque sur un media du service public le passé tortionnaire de Le Pen, faire fi du dossier qui l’accable, et, consciemment ou non, achever ainsi la « dédiabolisation » décidément irrésistible de son courant politique. Et Marine Le Pen après son père, ou encore Éric Zemmour peuvent estimer qu’aujourd’hui comme hier, la torture est un « mal nécessaire », sans être poursuivis.
Le cas Le Pen n’est en vérité qu’un des nombreux symptômes d’une pathologie que l’historienne Ann-Laura Stoler a qualifié d’aphasie coloniale française : l’impossibilité de dire que la République coloniale viola massivement ses valeurs proclamées durant cette « sale guerre » et qu’elle perpétra en Algérie des crimes contre l’humanité, dont la torture n’est du reste que le plus emblématique. Cet aveu est toujours politiquement impossible. Il faut à nos dirigeants en reculer sans cesse l’échéance, au prix de dénis, de tergiversations et de diversions sans fin.
Un alibi a été inventé par l’extrême droite à cette fin dans les années 2000 : le refus de faire « repentance », ce que nul n’a pourtant jamais exigé. Celui-ci est depuis Nicolas Sarkozy une véritable doctrine officielle française. Les récents « gestes symboliques mémoriels » et la création d’une « commission d’historiens » consacrée à l’Algérie coloniale, tous faits sous le signe de la « non-repentance » par le président Emmanuel Macron, ne sont que la dernière mutation de cette maladie française : le déni des crimes coloniaux, garant d’une bonne conscience que rien ne doit troubler.
« Non, toute la police ne souhaite pas user impunément de la violence (...) Non, toute la police n’est pas solidaire du comportement de policiers qui se rendent coupables de crimes dans l’exercice de leur fonction » : à travers un témoignage courageux, un fonctionnaire s'élève contre les dysfonctionnements systémiques de l'institution, dont se rendent coupables les responsables hiérarchiques. Dans le Club, d'autres contributions pointent la pusillanimité du chef de l'Etat face aux syndicats qui demandent une justice d'exception. Une autre police « républicaine » et respectueuse de tous les citoyens est-elle possible? »
Un policier anonyme
Abonné·e de Mediapart
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
Non, toute la police ne souhaite pas user impunément de la violence.
Non, toute la police ne revendique pas le droit d’être jugée par des juridictions d’exception. Non, toute la police ne désire pas une fuite en avant toujours plus sécuritaire servie par des intelligences artificielles, des robots, des caméras, des drones et autres “techno-gadgets” sans considération du scénario dystopique qui se dessine..
Non, toute la police n’est pas solidaire du comportement de policiers qui se rendent coupables de crimes dans l’exercice de leur fonction.
Oui, il existe une police qui se conforme aux principes constitutionnels de la République. Oui, il existe une police républicaine dont l’objectif est de protéger ses concitoyens y compris des excès et des abus dans ses propres rangs.
Oui, il existe une police qui ne considère pas une partie de la population comme « nuisible ».
Aujourd’hui, ceux qui menacent l’ordre public et nos principes ne sont pas tant ces quelques collègues qui témoignent maladroitement et illégalement de leur colère. Ce sont les quelques hauts fonctionnaires, qui répandent des idées factieuses en réponse à leur malaise.
De nombreux policiers sont fatigués, déboussolés et ne comprennent pas la violence quotidienne dont ils sont parfois l’objet. Une violence dont notre président a dit vouloir chercher les causes profondes. Cette violence dont le premier commanditaire est le gouvernement, use les policiers et les place dans une situation intenable.
Oui, les policiers vont mal et souffrent dans leur travail. Ce mal-être les pousse parfois à se retrancher derrière des positions radicales, derrière des comportements inadaptés et les conduit parfois à retourner cette violence contre eux, au point de mettre fin à leurs jours. N’oublions pas, en effet, que la Police nationale connaît le plus fort taux de suicide toutes catégories socio-professionnelles confondues en France.
Tout cela reste ignoré de nos responsables administratifs et politiques.
Votre seule réponse à ce désarroi structurel et à cette colère est de proposer à la police d'être déresponsabilisée par la création d’une juridiction d’exception, par la remise en cause de l’article 144 du CPP et par la critique de la justice.
Aucune de vos réponses ne cherche à préserver les fonctionnaires autrement qu’en proposant des solutions dérogatoires aux dispositions législatives. L’égalité de tous devant la loi est un principe fondateur de notre société. La majorité des policiers ne souhaitent pas transiger sur ce principe et s’engager sur cette voie mortifère pour la démocratie.
Aucune de vos réponses ne cherche à enrayer les causes profondes de la violence sociale qui secoue notre société et à laquelle la police doit répondre par une violence encore plus grande.
Aujourd’hui, la police nationale fait entendre son mécontentement à votre encontre, elle le fait non pas pour obtenir le droit de mutiler, torturer ou tuer mais simplement pour ne pas être la meute des chiens de garde que l’on siffle pour mettre fin aux troubles sociaux : ces mouvements qui secouent notre société depuis des mois, des années, et pour lesquels vous n’avez pour seule réponse que la violence et la répression. Au-delà de la nécessaire subordination hiérarchique, la police n’est pas aux ordres du seul pouvoir mais au service de tous. Oui, il existe une police républicaine qui désire œuvrer pour la sécurité commune de ses concitoyens, et qui refuse de servir d’outil de répression. C’est à celle-ci que je souhaite appartenir.
Etienne Préau*
Policier depuis 1996 et brigadier-chef depuis 2013
« J’ai visité à Kortcha, à la frontière de la Grèce et de la Yougoslavie, le cimetière où ils reposent. Quelle ne fut pas ma colère lorsque j’ai constaté qu’il y avait 640 croix pour 640 tombes, alors que le nombre de Français (pour la plupart officiers et sous-officiers) ne dépassait pas 50.
Le gouvernement français impérialiste de l’époque n’a pas seulement utilisé les fils d’un peuple asservi pour une guerre du rapine, il les a convertis au christianisme après leur mort », Boualem Khalfa, Alger Républicain du 4 janvier 1952.
En 1951, Boualem Khalfa (1923-2017) militant et cadre dirigeant du PCA et rédacteur en chef d’Alger Républicain est en Albanie afin d’assister avec des délégations étrangères au 10e anniversaire de la fondation du Parti du Travail d’Albanie. Profitant de ce premier contact dans l’Histoire entre le militantisme algérien anticolonialiste et une démocratie populaire naissante, Khalfa publia 13 reportages sur le pays d’Enver Hoxha qu’il transcrit en «Khodja», « le digne héritier de Skanderbeg », figure nationale de la lutte patriotique albanaise contre l’occupation ottomane.
D’Alger à Tirana, il fallait à cette époque traversait six pays et cinq mers pour arriver au port albanais de Durrës sur un cargo soviétique venant du port roumain de Constantza. L’Albanie qui a eu son indépendance en 1912, n’a pas réussi de sortir du joug d’un roi venant tout droit du Moyen-Age et digne collaborateur des fascistes italiens jusqu’en 1944.
C’est un pays en pleine construction qu’avait vue Boualem Khalfa et à travers ce document historique touchant directement la relation des deux peuples, il y a une note qu’il est nécessaire aujourd’hui d’ajouter.
Grâce à ce premier contact entre les communistes algériens et albanais que l’ancien secrétaire général du PCA, Larbi Bouhali devenu le représentant extérieur du parti après sa dissolution par l’administration coloniale française, durant la lutte armée, prendra contact avec le PTA d’Enver Hoxha pour la livraison d’armes à l’ALN de l’intérieur. La Tirana que Boualem Khalfa a vue est celle où l’on « retrouve dans les ruelles l’habit noir des Constantinoises» et les femmes albanaises « portent également à la campagne le même costume que les Algériennes », note-t-il.
Khalfa retrouvera aussi ces parties de la Kabylie et des montagnes des Aurès à travers ce peuple de montagnards qui « ont le même sens de l’honneur que le paysan algérien, le même courage et la même endurance». dans l’Albanie de 1951, la lutte contre la féodalité passe par l’ouverture de chantiers économique et socioculturels. Boualem Khalfa assistera à l’inauguration de la première université du pays, du premier combinat sidérurgique et de la première centrale hydroélectrique. Il visitera les sovkhoses d’Etat ainsi que les terres agricoles attribuées à des paysans, jadis esclaves des beys et des aghas du roi Ahmed Zogu.
De 1916 à 1920, cette ville Kortcha a été le siège d’un territoire occupé par l’Armée française d’Orient et appelé «République de Kortcha» avec une administration copiée sur le modèle colonial en Algérie avec des officiers militaires qui ont fait leurs «épreuves» dans les régions de Blida et de Sidi-Bel-Abbès.
Des croix en marbre pour musulmans
C’est dans le cadre de la rivalité guerrière interimpérialistes, entre une France antidreyfusarde et l’Empire austro-hongrois que la ville de 82 245 musulmans et de 40 000 chrétiens, se retrouve durant la Premier Guerre impérialiste mondiale entre les feux de l’enfer. Pour ainsi dire, l’actuel programme de balkanisation des Albanais n’est pas une simple invention géopolitique américaine, mais elle retrouve bien ses origines dans le passage de l’armée française en Albanie durant cette guerre génocidaire. Au nord de la ville actuelle, un cimetière militaire français regroupant les soldats morts durant la campagne militaire française dans le pays des aigles avec 640 tombes, dont une cinquantaine d’officiers et de sous-officiers de nationalité bien française. Les autres ? C’est une toute autre histoire.
À la liste des noms de soldats enterrés dans cette nécropole que l’ambassade de France à Tirana gère, des noms d’Algériens, Tunisiens, Marocains, Sénégalais, Vietnamiens, Maliens et même Coréens sont portés sur des croix chrétiennes en marbre blanc. Nous ne citerons que quelques-uns d’entre les Algériens dont les familles ont totalement perdu leurs traces: Rouat Boumedian, Ahmed Ben Lhassan, Ahmed Ben Mohamed Chiboud, Chaou Mohamed Saïd, Mohammed Tamache, Mohamed Younsi, Younes Ben Mohamed, Rahal Ben Mohamed et bien d’autres encore. Ils sont plus de 164 noms qui ont été enrôlés dans le corps expéditionnaires que dirigeait le général Serrail dont le QG été à Salonique, en Grèce.
Dans cette aventure meurtrière menée par la 57e Division d’infanterie, les Nasse (pseudonyme que l’on donné aux tirailleurs algériens) étaient regroupés au sein des 5e et 9e bataillons des TA, alors que les Marocains formaient le 6e spahis et que les Indochinois, vietnamiens pour la majorité sont regroupés dans deux bataillons dirigés par le général de Lobit. Le secteur de Kortcha était sous la responsabilité opérative du colonel Foulon qui bénéficiait de cette présence «indigènes» à laquelle s’ajouteraient les 10 pelotons des bataillons de tirailleurs albanais, une dénomination qui remplaça l’ancienne Gendarmerie mobile de l’époque.
Que pensait l’état-major parisien de ces valeureux Poilus nord-africain ? C’est dans les volumes des Archives de la Grande Guerre (1er janvier 1922) où l’on pouvait lire sur cette guerre française en Albanie, qu’à côté « combattants effectifs, on retrouvait l’indigène algéro-tunisien constituait la majorité des conducteurs ou convoyeurs, emploi que convient parfaitement à son caractère de philosophe péripatéticien aimant peu les travaux absorbants et adorant le changement». On osera même faire une note d’humour au sujet des conducteurs de camions militaires Kabyles qui du haut de la cabine observaient sournoisement les officiers français sur leur chevaux régulaient la marche des fantassins et muletiers.
Les enfants de nos villages et mechtas auront sous le commandant du territoire de Kortcha sous la direction du général Salle et avec l’aide d’un prêtre et des Albanais de la rébellion de Salih Budka devenus des laquais de l’administration française, leur sépulture du déshonneur et de l’effacement.
Aujourd’hui, après le retour de l’islam de la confrérie féodale des Bakdashis, nous pouvons voir un pseudo-imam accompagnant un prêtre orthodoxe déposer des gerbes de fleurs sur la stèle commémorative en toute quiétude. Dans cette nécropole française d’Albanie, on n’a fait que ramasser des corps déchiquetés par les obus bulgares et italiens et en faire un haut-lieu d’une France «combattante» pour les libertés fondamentales des nations.
La France des colonels Fourtou, Bournazel et Descoins est toujours commémorée dans cette Albanie de la démocratie yankee et de la classe politique corrompue. Des délégations françaises composées d’élus locaux et de parlementaires traversant l’allée principale du cimetière de Kortcha et allant déposé leurs fleurs sur la plaque datant de 2018 et où il est écrit que: « L’Union nationale des combattants. À nos Poilus de l’Armée d’Orient. Morts pour la France en terre albanaise ».
Une armée de 187 700 soldats et dont la 57e DI a compté à elle seule 14 038 coloniaux avait laissé derrière elle 6 386 soldats morts et 4 230 disparus.
Visé par un tir de LBD et tabassé le 1er juillet, Hedi n’a toujours pas reçu le moindre coup de fil du gouvernement. Les syndicats de police, eux, ont été accueillis avec les honneurs au ministère de l’intérieur. Ils font « pression » pour obtenir un statut juridique à part.
Ilyes Ramdani et Pascale Pascariello
28 juillet 2023 à 16h58
uiQui a dit que l’exécutif méprisait le dialogue social ? La rencontre entre le ministre de l’intérieur et les organisations professionnelles de la police, jeudi 27 juillet, avait de quoi faire pâlir de jalousie les autres membres du gouvernement. Gérald Darmanin a été « à l’écoute », « proche de ses troupes », « ouvert » et « conscient des attentes », ont salué à l’unisson les représentants des fonctionnaires de police, réunis place Beauvau. « Je veux assurer les policiers de toute ma reconnaissance et de toute ma confiance », a dit le ministre.
Une concorde qui ferait plaisir à voir si elle n’avait pas pour socle le soutien à des policiers accusés d’avoir tabassé et laissé pour mort Hedi, un jeune homme de 22 ans, après lui avoir tiré dessus au lanceur de balles de défense (LBD), à Marseille (Bouches-du-Rhône), dans la nuit du 1er au 2 juillet. Déjà applaudis à leur sortie de garde à vue, les quatre agents sont désormais mis en examen et l’un d’eux a été placé en détention provisoire. Soupçonné d’être l’auteur du tir, il a affirmé en audition ne se souvenir de rien, n’avoir rien vu et ne pas se reconnaître sur les images, comme l’a révélé BFMTV jeudi.
« Le savoir en prison m’empêche de dormir », a déclaré Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale (DGPN), dans Le Parisien dimanche 23 juillet. En guise de soutien à leur collègue, des policiers ont cessé de travailler à Marseille et ailleurs en France, arrêts maladie à l’appui ; d’autres se sont placés en « code 562 », une sorte de service minimum destiné à exprimer leur fronde. Un mouvement impossible à quantifier précisément, faute de communication gouvernementale. Gérald Darmanin a simplement indiqué qu’à ce jour « moins de 5 % » des policiers « se sont mis en arrêt maladie ou ont refusé d’aller au travail ».
Dans tous les cas, le mouvement de contestation a dégradé ou mis en pause l’activité de nombreux commissariats à travers le pays.
Jeudi, à Beauvau, les organisations syndicales n’étaient pas venues se contenter des déclarations d’amour du ministre. Leurs revendications étaient précises : élargissement de la protection fonctionnelle (le financement des frais de justice par l’État, y compris pour les policiers soupçonnés de violences), maintien des primes quand un agent est suspendu, anonymisation des procès-verbaux d’audition de policiers mais aussi – et surtout – exemption de la détention provisoire pour les policiers soupçonnés de violences en service.
À tout cela, Gérald Darmanin n'a pas fermé la porte. « Le ministre était plutôt d’accord avec nos propositions », a triomphé Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance, jeudi soir. « On a des garanties pour sécuriser le métier de policier », a embrayé Grégory Joron, chef de file d’Unité SGP Police-FO. « Le ministre a accueilli les propositions des syndicats et demandé au DGPN d’étudier leur faisabilité opérationnelle et juridique, fait savoir son entourage. Le temps était à l'écoute et au soutien, il n'a pas pris position, hormis sur la protection fonctionnelle qui fait consensus. »
Pendant ce temps-là, Hedi est chez lui, à Marseille. Il a perdu dix kilos et une partie de son crâne, il voit flou, il parle lentement, il est soumis à des migraines quotidiennes, il doit vivre avec un casque en attendant de nouvelles interventions chirurgicales. Mercredi, il a de nouveau témoigné devant la caméra de Konbini. La vidéo a été vue près de 30 millions de fois en deux jours.
Pas de quoi susciter la compassion de Gérald Darmanin, stoïque lorsqu’un journaliste lui a demandé une réaction à ce sujet. « Moi, je ne commente pas les affaires judiciaires en cours, a-t-il répondu. S’il y a eu faute, elle sera sanctionnée par la justice. Je veux apporter évidemment mon soutien à toute personne qui se sent blessée [sic]. Mais je veux aussi dire que les policiers réclament du respect, pas l’impunité. »
Plus étonnant encore, ni Élisabeth Borne ni Emmanuel Macron n’ont adressé le moindre mot d’empathie à l’égard du jeune homme. Contactés, les conseillers presse de la première ministre et du président de la République n’avaient pas répondu à l’heure de publication de cet article. En déplacement à Marseille jeudi et vendredi, la nouvelle secrétaire d’État à la ville, Sabrina Agresti-Roubache, n’en a pas profité pour aller voir Hedi ou sa famille, ni pour leur adresser le moindre message de soutien.
La justice s’inquiète, son ministre baisse la tête
Vendredi, lors d’un déplacement, Éric Dupond-Moretti a rappelé que la justice « a besoin, comme les policiers, de respect, elle a besoin d’indépendance, elle a besoin qu’on la laisse travailler ». « La justice ne se rend pas dans la rue et ne se rend pas sur les plateaux de télévision », a-t-il ajouté.
Mais le ministre de la justice n’a pas souhaité donner son avis sur la demande des policiers d’un statut spécifique en matière de détention provisoire. Il a même acté le principe d’une rencontre, en septembre, avec Gérald Darmanin et les syndicats de policiers, pour évoquer leurs desiderata législatifs. « Moi je dis merci [aux policiers], a enfin insisté, vendredi, le garde des Sceaux. Merci pour ce qu’ils ont fait, merci pour leur engagement, pour leur courage. »
Le ministre terminepar ailleurs la semaine affaibli par son renvoi, confirmé vendredi, devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts. Une situation que dénoncent, dans un communiqué commun, l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM) : « Nos organisations considèrent que cette situation décrédibilise le garde des Sceaux et, par ricochet, affaiblit l’institution judiciaire toute entière. »
Dans la matinée de vendredi, les conférences nationales des procureurs généraux et des premiers présidents de cours d’appel ont tiré, de leur côté, la sonnette d’alarme – fait rare. « Une nouvelle fois, la remise en cause par le ministre de l’intérieur de l’application de la loi pénale par les magistrats constitue une critique directe des décisions de justice et de la déontologie professionnelle des magistrats », regrettent les signataires.
À propos des récents placements en détention provisoire décidés dans les affaires du jeune Hedi et de Nahel M. à Nanterre, ils insistent : « La remise en cause publique de ces décisions par les plus hauts responsables de la police nationale et par le ministre de l’intérieur lui-même ne peut que renforcer l’inquiétude [...] quant à la dégradation de l’État de droit que de tels propos révèlent. » Une charge inédite, sans doute, contre le locataire de la Place Beauvau.
« Ce qui me désespère, ajoute un magistrat parisien, c’est la rhétorique de la première ministre et du président de la République, qui disent qu’ils ne peuvent pas commenter une décision de justice alors que la question qui leur est posée est plutôt : le chef de la police française le peut-il ? »
La tétanie du pouvoir
Au milieu du grand silence ministériel sur la situation de Hedi, l’interview du ministre de la fonction publique, Stanislas Guerini, sur BFMTV vendredi, a quelque peu détonné. « Cette vidéo restera gravée en moi, a expliqué l’ancien dirigeant du parti présidentiel. À ce jeune homme dont la vie sera irrémédiablement changée, on ne peut que souhaiter de la force, du courage, adresser des mots et des paroles à sa famille et souhaiter que la vérité et la justice soient faites. C’est ce que la République lui doit. Dire cela, ce n’est pas parler contre les policiers comme je l’ai trop entendu dans le débat public. »
Le même matin, dans Midi libre, Gabriel Attal a pris quelques distances avec l’offensive policière des derniers jours. « Je n’ai pas compris les mots que [Frédéric Veaux] a employés sur la détention provisoire », a indiqué le nouveau ministre de l’éducation nationale. « L’autorité, ce sont des règles, a-t-il aussi souligné. Je crois qu’il faut toujours faire attention à ne pas les fragiliser en donnant le sentiment que certains pourraient être au-dessus ou en dessous des lois. »
Ces deux sorties de fidèles du chef de l’État mettent paradoxalement en lumière l’état de tétanie d’un pouvoir incapable de prononcer des mots aussi simples depuis une semaine. En 2016, sur le plateau de Mediapart, Emmanuel Macron se faisait pourtant solennel. « Je serai intraitable, promettait-il. Il faut mettre en cause la hiérarchie policière quand il y a de manière évidente un problème. Il faut une responsabilité policière et administrative quand il y a des comportements déviants. »
En 2019, il s’emportait en conseil des ministres contre ces « hauts fonctionnaires qui font de la politique parce que leur ministre n’en fait pas », appelant à « ne pas surpolitiser la haute fonction publique ». Pas plus tard que la semaine dernière, il exhortait les membres de son gouvernement, en tapant du poing sur la table du conseil des ministres, à « diriger leur administration ».
Autant de grands concepts évaporés dans la fronde policière. Face à une corporation irascible et volontiers menaçante, qui se vante toujours d’avoir obtenu la tête du prédécesseur de Gérald Darmanin, Christophe Castaner, en 2020, l’exécutif courbe l’échine. Après les propos de Frédéric Veaux, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne se sont contentés d’une condamnation du bout des lèvres (« nul n’est au-dessus des lois »), précédée et suivie de mots de soutien et de considération à l’égard des forces de l’ordre.
L’escalade policière, le silence des gendarmes
Conscients que le rapport de force est à leur avantage, soutenus par leur hiérarchie et leur ministre, les syndicats de police ne comptent pas s’arrêter là. « Nous demandons que le policier soupçonné d’avoir commis une infraction dans l’exercice de ses fonctions reste en liberté et puisse percevoir l’intégralité de son salaire, primes comprises, tant qu’il n’a pas été jugé, formule Éric Henry, d’Alliance. Nous souhaitons aussi que l’interdiction d’exercer son métier ne s’applique qu’à la voie publique pendant la durée de la procédure judiciaire. »
Dans Le Figaro, Linda Kebbab (Unité SGP Police-FO) assume de « maintenir la pression ». « Nous voulons des magistrats spécialisés sur l’usage des armes par les forces de l’ordre, précise la syndicaliste. Nous travaillons à rencontrer les présidents des groupes parlementaires, de la majorité présidentielle au Rassemblement national, pour la création rapide d’un statut spécifique du policier mis en cause dans ses fonctions. Il faut légiférer rapidement. » Le RN, qui dispose d’une journée de « niche » parlementaire le 12 octobre, pourrait être tenté de saisir la balle au bond en déposant une proposition de loi.
En dehors de la droite et de l’extrême droite, le coup de pression trouve pour l’instant peu de soutiens. Mais la gendarmerie nationale, qui serait concernée au même titre que la police par une réforme législative, brille par son silence. Son patron, à l’inverse de Frédéric Veaux, n’a pas dit un mot.
« Il ne faut pas attendre de réaction, décrypte auprès de Mediapart un haut gradé de la gendarmerie. On garde et on se doit de garder une certaine mesure et un respect par rapport à la magistrature. » La même source dénonce « une dérive qui dure depuis plusieurs années », « une dégradation de la police, une hyperpolitisation, un poids démesuré des syndicats qui font du chantage », et juge que « l’instrumentalisation de la police par Darmanin et ses prédécesseurs mène droit dans le mur ».
« Les gendarmes ne sont pas des chevaliers blancs et certains sont mis en cause pour avoir fait un usage disproportionné de la force, poursuit ce responsable de la gendarmerie. Mais nous ne demandons pas à être au-dessus des lois et je pense que c’est évidemment dangereux de faire une nouvelle loi pour protéger davantage les forces de l’ordre de poursuites en cas de délit ou de crime. Il faut rester dans le cadre du droit commun. Que Darmanin réponde ainsi favorablement aux demandes les plus extrêmes des syndicats de police, ce sont les prémices de l’effondrement de notre État de droit. »
« La police est instrumentalisée comme jamais et ça va être dangereux, réagit de son côté un haut responsable du ministère de l’intérieur et spécialiste du maintien de l’ordre, qui a eu sous ses ordres plusieurs unités de police. Elle a trop été utilisée pour éteindre le feu et être en première ligne lorsque le gouvernement a voulu imposer des réformes par la force. » Une référence aux mouvements des « gilets jaunes » et contre la réforme des retraites.
« Les brebis galeuses n’ont pas leur place dans la police », ajoute-t-il, mais « le ministre de l’intérieur est obligé de répondre aux demandes les plus inquiétantes des syndicats pour garder le contrôle sur la base et éviter des mouvements comme celui des “policiers en colère” [né en 2016 à la suite de l’agression de policiers à Viry-Châtillon – ndlr]. De là à accepter de proposer une nouvelle loi... Ce serait franchir une nouvelle étape vers le déni des dérives au sein de la police et donner un blanc-seing aux policiers qui agissent comme des électrons libres, aux va-t-en-guerre ». Selon ce responsable, la « police n’est pas au-dessus des lois et pour retrouver une sérénité, il faut que les lois s’imposent pour tous en France ».
De son côté, un commandant ajoute : « Ils ne peuvent se passer de la police, il y a trop de risques de manifestations ou d’émeutes. Et l’exécutif ne peut se couper de la police à un an des Jeux olympiques. » Il regrette néanmoins que « depuis quelques années, la législation ait été revue pour répondre aux volontés des syndicats qui ne sont pas forcement justifiées ou peuvent avoir des effets pervers et faire prendre plus de risques, pour les citoyens comme pour les policiers... ». L’assouplissement du cadre légal de l’usage des armes lors des refus d’obtempérer (par une loi de 2017) en est un exemple. « Ces évolutions législatives inquiétantes en disent long sur la fébrilité de l’exécutif... »
Un haut fonctionnaire, spécialiste des questions de sécurité, ne partage toutefois pas ces avis. Interrogé sur l’impunité des policiers qui se voit renforcée, il préfère ne pas commenter, jugeant simplement que « le ministre a bien géré la sortie de crise avec les syndicats en évitant des frondes incontrôlables ».
Gérald Darmanin est persuadé que le soutien de la police lui est indispensable sur le plan politique, alors qu’il ambitionnait de remplacer la première ministre à Matignon. Vendredi, sur France 2, le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a réclamé la démission du ministre, ainsi que celles du préfet de police de Paris et du DGPN. « Tous les trois défient la République, a accusé le député, malgré le risque de sédition. »
Dans la nuit du 1er au 2 juillet, le jeune homme a été touché par un tir de LBD qui lui a causé un grave traumatisme crânien. Il dit aussi avoir été « tabassé », avec plus de 60 jours d’arrêt de travail à la clef. Quatre policiers ont été mis en examen vendredi, et l'un d'entre eux incarcéré.
Nejma Brahim, Pascale Pascariello et Camille Polloni
19 juillet 2023 à 19h29
LeLe visage esquinté et la tête bandée, Hedi peine encore à réaliser ce qui lui est tombé dessus, dans la nuit du 1er au 2juillet dernier. « Ils m’ont tiré dessus et m’ont tabassé, puis ils m’ont laissé pour mort par terre », résume-t-il, attablé en terrasse du restaurant tenu par ses parents, dans les Bouches-du-Rhône.
Vendredi 14juillet, au lendemain de sa sortie de l’hôpital de la Timone, à Marseille, Hedi est un homme détruit. Pourtant, il affirme garder en mémoire les violences qu’il a subies. « C’était une équipe de la BAC, ils étaient au moins quatre, rembobine-t-il. On les a croisés au croisement d’une ruelle vers le cours Lieutaud. » L’endroit exact, le jeune homme de 22 ans ne l’a plus en tête.
Après que des agents de l’IGPN ont recueilli son témoignage durant son hospitalisation, huit policiers ont été placés en garde à vue mardi 18juillet. D’après La Provence, ils appartiennent à deux brigades anticriminalité (BAC). Les suspects ont reçu le soutien d'une partie de leurs collègues, qui les ont applaudis jeudi 20 juillet lors de leur transfert vers le palais de justice.
Vendredi 21 juillet au matin, le parquet de Marseille a annoncé que quatre de ces fonctionnaires ont été mis en examen par un juge d’instruction pour des violences volontaires en réunion, par personne dépositaire de l'autorité publique, avec arme, ayant entrainé une ITT supérieure à 8 jours. L’un d’eux a été placé en détention provisoire, une mesure rarissime, les trois autres sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’exercer.
« Je suis contente qu’ils les aient arrêtés, ça va dans le bon sens » réagit Leila, la mère de Hedi. « J’imagine qu’ils ont dû avoir des éléments grâce aux caméras. On a confiance en la justice. Mais j’ai dit à Hedi et à son ami Lilian de se préparer à être attaqués, à ce que certains aillent chercher la moindre petite broutille. »
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Le 5 juillet, le parquet de Marseille avait ouvert une information judiciaire pour des « violences en réunion par personnes dépositaires de l’autorité publique » ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours. Il a confié l’enquête à la police judiciaire (PJ) de Marseille et à l’IGPN.
« La scène décrite est une scène de barbarie », commente Jacques-Antoine Preziosi, l’avocat de Hedi. « Deux gosses parfaitement socialisés, sans casier, qui travaillent, descendent à Marseille pour se distraire. Ils ne sont ni des manifestants ni des pilleurs. Ils tombent sur cinq ou six cinglés qui les agressent. Il se trouve que ce sont des fonctionnaires de l’État français. Nous attendons que l’enquête ait lieu et que justice se fasse, qu’on identifie ces gens-là et qu’on les juge. »
Un tir de LBD et un passage à tabac
Le soir des faits, Hedi donne « un coup de main » à ses parents à l’occasion de la « fête des terrasses ». Il quitte le restaurant seul en voiture, aux alentours de 1 h 15 ou 1 h 30 du matin. « Je suis descendu à Marseille pour rejoindre des camarades, on s’est retrouvés au Vieux-Port », se souvient-il.
Là, il découvre une « scène de film ». « Il y avait un hélicoptère, on a eu l’idée de le suivre, ce qui n’était pas très malin, concède Hedi. Mais bon, un hélicoptère qui survole le ciel à Marseille dans un tel chaos, on n’en voit pas tous les jours. » Lui et Lilian, son ami, arpentent les rues du centre-ville en suivant l’engin des yeux.
Hedi assure qu’ils n’ont pas pris part aux révoltes mais croisé la route d’autres jeunes qui y participaient, certains cagoulés, d’autres pas. Ils avancent dans l’obscurité de la nuit, sans lumière de la ville. Au croisement d’une ruelle située près du cours Lieutaud, ils tombent nez à nez avec les agents de la BAC.
« On leur a dit bonsoir, mais on a vite compris qu’ils étaient énervés et fermés à la discussion. » Selon le récit de Hedi, les policiers n’ont pas répondu. L’un d’eux aurait agrippé son lanceur de balle de défense (LBD), un autre se serait saisi de sa matraque pour asséner un coup au visage de Lilian. « Il s’est protégé avec son bras, puis il a réussi à partir en cavalant. » Hedi n’y parvient pas.
Il raconte avoir vu un policier lui tirer dans la tête avec son LBD, puis avoir été traîné au sol sur environ dix mètres. L’un des hommes se serait alors agenouillé sur ses jambes pour l’immobiliser, tout en lui donnant plusieurs coups, tandis que les autres le passaient à tabac. « Je me souviens de leur matraque, de leurs gants à coque et de leur arme de service à la taille. » Il revoit aussi le sang couler sur son visage, provenant de sa blessure à la tête, comme si on lui « renversait de l’eau dessus ». « Je sentais un truc énorme dans mon crâne qui me brûlait », poursuit Hedi, qui marque une pause dans son récit pour ravaler ses larmes.
« Il se montre fort, là, mais il pleure quand il est seul avec nous à la maison », commente sa mère.
Hedi estime que ce calvaire a duré cinq minutes. Il précise avoir supplié les policiers d’arrêter et ne se souvient d’aucune parole de leur part, en raison du « brouhaha ». « Je criais en disant que j’étais gentil, que j’avais mes papiers, qu’ils pouvaient me fouiller pour voir que je n’avais rien de dangereux sur moi. Mais ils n’ont pas voulu arrêter. »
Après avoir été abandonné, il aurait trouvé, avec l’adrénaline, la force de se relever et de courir, courir encore, sans vraiment savoir où il allait ; tentant d’appeler son ami Lilian par téléphone pour pouvoir le rejoindre quelque part. « J’essayais de lui envoyer ma localisation avec Snapchat, mais avec le stress, je n’y arrivais pas. On a fini par se retrouver par hasard devant une alimentation. »
Transporté à l’hôpital en urgence
Peu de temps après, le jeune homme s’écroule. Malgré le flou, il se souvient d’avoir perdu le contrôle de son corps, de s’être uriné et vomi dessus, et d’avoir vu « tout blanc » alors que le projectile était encore incrusté dans son crâne. Son ami, ainsi que les deux gérants de l’épicerie, le prend en charge et l’emmène à l’hôpital. « J’étais tout raide dans la voiture, Lilian n’a pas pu monter avec nous. L’un des gérants me tenait la tête, l’autre conduisait. Lilian a couru derrière nous jusqu’à l’hôpital. »
La suite, ce sont ses proches qui nous la confient. Hedi tombe dans le coma. Ses parents ne sont prévenus que le lendemain, dimanche, en fin de matinée. Mais avant même que les gendarmes ne viennent toquer à leur porte, Leila, sa mère, se doute de quelque chose : « D’habitude, quand mes fils sortent, ils me donnent toujours des nouvelles. Je l’ai appelé le matin car on devait aller à la piscine ensemble. Et c’est quand il n’a pas répondu que j’ai compris. »
Les gendarmes leur demandent d’appeler la police. « C’est très grave »est la seule précision qu’ils obtiennent à ce moment-là. « Quand on les a appelés, ils nous ont juste dit qu’il avait été déposé à la Timone après avoir reçu un coup sur la tête. Ils nous ont dit de nous y rendre le plus vite possible. »
Les parents du jeune homme, qui a fêté ses 22 ans à l’hôpital, ne peuvent le voir avant 15 heures. « Les médecins voulaient nous parler d’abord. Ils nous ont dit que c’était un miraculé et qu’il faudrait encore attendre 48 heures pour être sûr qu’il s’en sortirait », relate Leila, qui précise qu’il était intubé. Des sources hospitalières, interrogées par Mediapart, confirment que son pronostic vital a été un temps engagé.
Et pour cause. Les médecins ont dû retirer une partie de sa boîte crânienne pour évacuer le sang qui se trouvait entre le cerveau et le crâne. Hedi a aussi une fracture de la mâchoire – « c’est simple,commente-t-il, il n’y a plus d’os sur le côté gauche » –, l’œil gauche tuméfié et fermé, la joue creusée, des hématomes plein les jambes. « Les médecins pensaient qu’il ne pourrait plus marcher », ajoute Leila.
Cinquante agrafes sur le crâne
Au moment où nous le rencontrons, il n’a toujours pas recouvré la vue du côté gauche. Sur sa fiche médicale, qu’il nous montre, apparaît la mention « traumatisme crânien grave sur shoot de flash-ball ». Les violences subies lui valent plus de 60jours d’ITT et une invalidité temporaire.
Dans la même nuit du 1er au 2 juillet, toujours dans le centre-ville de Marseille, Mohamed B., 27 ans, est décédé d’une crise cardiaque après avoir été touché au thorax par « un projectile de type flash-ball ». Le parquet de Marseille a ouvert une information judiciaire pour « coups mortels » avec arme. Cette enquête, confiée à la PJ et à l’IGPN, vise à déterminer si un fonctionnaire de police est à l’origine du tir, et à l’identifier.
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« Ils t’ont pas épargné, hein !, lâche un ami des parents de Hedi, de passage au restaurant, en voyant l’ampleur de ses blessures. Le jeune homme prend soin de saluer toutes celles et ceux qui viennent prendre de ses nouvelles. « Comment ça va ? », interroge-t-il à plusieurs reprises. « C’est à toi qu’il faut demander ça », répondent un à un les visiteurs et visiteuses.
Sur la table en face de lui est posé le casque qu’il est supposé porter pour protéger sa tête d’un éventuel choc. « À ce jour, il lui manque toujours une partie de sa boîte crânienne, donc c’est très fragile », précise sa mère. En retirant ses bandages, Hedi laisse entrevoir une cicatrice formant un arc de cercle, depuis le front jusqu’à l’arrière de l’oreille. Il aura fallu 50 agrafes.
« La police est censée nous protéger »
Depuis le drame, le jeune homme est très affaibli. D’anciennes photos d’identité laissées sur la table montrent qu’il a perdu beaucoup de poids. « Je n’arrive plus à manger, j’ai encore de fortes douleurs », regrette cet assistant de direction dans l’hôtellerie-restauration. Il n’a qu’une crainte : ne plus pouvoir exercer son métier. « Mon employeur est très compréhensif pour l’instant, mais même si je reprends un jour, je refuse d’être un “poids” pour l’entreprise. »
À sa sortie de l’hôpital, il devait rejoindre une maison de rééducation à Avignon, mais la famille a refusé. « Avec tout ce qu’il a vécu, on refuse qu’il soit loin de nous », explique Leila, qui lui a trouvé une autre maison de repos tout près d’ici. Avant de l’intégrer, Hedi devait subir une opération de la mâchoire ce mercredi.
S’il témoigne aujourd’hui (après avoir livré son récit à La Provence, une semaine après les faits), c’est « pour les autres ». « On ne veut pas que ce genre de choses se reproduise. » Hedi, qui n’a pas de casier judiciaire, dit être déjà tombé sur des « cow-boys » par le passé, mais jamais sur des « gars aussi violents », capables de « te laisser pour mort dans une méchanceté gratuite ». Il y voit le signe d’un « problème dans la police ». « Quand il y en a un ou deux, OK. Mais quand sur une équipe de quatre ou cinq, tu vois qu’ils sont tous pourris, c’est grave. Ça veut dire que c’est clair et assumé. »
Et sa mère de compléter : « La police est censée nous protéger. Comment il va vivre avec ce traumatisme maintenant, lui ? S’il se fait contrôler en voiture demain, est-ce qu’ils ne vont pas lui en mettre une ? » La famille veut garder confiance en la justice. Elle est soutenue par l’Association d’aide aux victimes, qui leur signifie depuis le départ que les soins de Hedi sont pris en charge à 100 %. Mais le jeune homme n’a toujours pas récupéré ses effets personnels, placés sous scellés dans le cadre de l’enquête. « Il n’a donc pas de carte Vitale, et je dois avouer que l’aspect financier nous inquiète beaucoup », conclut sa mère.
Nejma Brahim, Pascale Pascariello et Camille Polloni
Voilà un éditorial qui ne va pas contribuer à apaiser les relations déjà tumultueuses entre Alger et Paris. Dans un article d’une extrême violence publié jeudi 27 juillet, l’agence officielle APS s’en prend la chaîne France 24, l’accusant de nuire à l’image et aux intérêts de l’Algérie et de recevoir ses directives de l’Élysée et du Quai d’Orsay.
Officiellement, l’APS (Algérie Presse Service) est une agence publique qui dépend du ministère de l’Information, lequel n’a plus de titulaire depuis le limogeage, mardi 20 juin, du ministre Mohamed Bouslimani. Dans les faits toutefois, l’APS est directement dirigée par la présidence de la République et sa cellule de communication, et rien ne peut être publié sans l’aval de celles-ci. Nul doute que cet éditorial reflète donc le point de vue du Palais d’El Mouradia.
Accusations
Cet éditorial intitulé « France 24, cette chaîne poubelle » reproche à « la chaîne France 24, du groupe public France médias monde, qui supervise l’audiovisuel extérieur de la France, et de la chaîne publique TV5, de « déverser leur haine sur l’Algérie. » L’agence officielle, qui qualifie France 24 de « chaîne grossière, vulgaire, honteuse, sans aucun respect pour la mémoire des victimes », l’accuse de cibler particulièrement l’Algérie dans sa couverture des derniers incendies qui ont fait 40 victimes, notamment en Kabylie.
L’éditorial de l’APS qui qualifie encore France 24 de « chaîne du mal, du chaos et de la manipulation » lui demande ainsi de cesser « ses grossiers mensonges sur l’Algérie qui a déployé tous les moyens matériels et humains pour éteindre les incendies. » L’agence officielle rappelle que le gouvernement algérien a déployé un avion d’une capacité de 12 000 litres, six bombardiers d’eau ainsi que huit hélicoptères pour venir à bout de ces feux de forêts.
L’APS reproche à la chaîne française d’avoir axé sa couverture de ces incendies uniquement sur la Kabylie en « favorisant ainsi le jeu du mouvement terroriste MAK, de ses protecteurs et des organisations terroristes qui projettent de s’accaparer une région dont ils ont été chassés par la population qui les rejette catégoriquement. »
France 24 reste indésirable en Algérie où elle est interdite depuis juin 2021 en raison de son « hostilité manifeste et répétée » à l’égard de ce pays. À l’époque du retrait de son accréditation, les autorités lui avaient reproché « le non-respect des règles de la déontologie professionnelle, la désinformation et la manipulation ainsi qu’une agressivité avérée à l’égard de l’Algérie » dans le traitement des manifestations du Hirak.
CE N’EST PAS DEMAIN QUE FRANCE 24 REMETTRA LES PIEDS EN ALGÉRIE
Un an plus tôt, en mars 2020, l’ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, avait été convoqué par le ministre algérien des Affaires étrangères qui lui avait, déjà, officiellement exprimé des protestations suite à des propos jugés haineux contre l’Algérie. Une plainte devait alors être déposée à Paris contre France 24, mais l’affaire est restée sans suite.
Tensions entre Alger et Paris
À travers l’éditorial du 27 juillet, Alger justifie le prolongement de l’interdiction et du bannissement de la chaîne française. « Le traitement honteux des incendies en Algérie conforte la décision des autorités algériennes de fermer les bureaux de cette chaîne et ce n’est pas demain que France 24 remettra les pieds en Algérie », ajoute encore l’APS.
La direction de France 24 n’était pas joignable ce vendredi pour commenter cet article. Selon nos informations, celui-ci a été transmis à l’Élysée. Même s’il est peu probable que la présidence française et le Quai d’Orsay réagissent à chaud à ce pamphlet, celui-ci n’est pas de nature à contribuer à l’apaisement des relations déjà tendues entre Alger et Paris.
La police française exhibe une arrogance de caste supérieure intouchable. D. R.
Depuis plusieurs années, face à une crise profonde et multidimensionnelle, la bourgeoisie française, de plus en plus honnie et contestée, pour pérenniser son pouvoir fragilisé par les récurrents soulèvements populaires subversifs, s’appuie exclusivement sur la police afin de défendre l’ordre établi. Dans une société privée de structures de socialisation et de médiation traditionnelles dorénavant inopérantes, notamment la famille, l’éducation nationale, les organisations politiques et syndicales, pour assurer une factice cohésion sociale, autrement dit la reproduction des rapports sociaux d’exploitation et d’oppression, la police est devenue le dernier rempart de la bourgeoisie française en déclin.
Une police transformée progressivement en milice œuvrant au service exclusif de la classe dominante. Pis. Une police nationale métamorphosée en «sbires politiques privatisés» chargés de la répression de tous les mouvements de contestation sociale et du musellement de la dissidence à caractère politique, sociale ou écologique. Chargés de la protection des quartiers bourgeois. De là s’explique l’abandon des quartiers populaires, livrés à la violence et à la délinquance, faute de police, convertie en milice mobilisée dorénavant au service des classes dirigeantes pour réprimer brutalement les manifestations, protéger furieusement les institutions étatiques moribondes et les résidences des possédants.
En quelque sorte, une «milice Wagner» intérieure. Pour rappel, le groupe Wagner est une organisation paramilitaire russe qui œuvre dans le but d’assurer la défense des intérêts extérieurs de la Russie. La «milice Wagner» française peut être qualifiée d’une structure quasi militaire (vu son équipement et ses techniques d’intervention musclée) œuvrant dans le dessein d’assurer la défense des intérêts intérieurs de la classe dominante.
Au demeurant, en France, ces dernières années, dans cette ère du vide marquée par l’anomie, l’Etat, confronté à la perte d’autorité, ne cesse de demander à la police de pallier par la répression les carences de socialisation. Voire, faute d’instances de médiation, d’incarner l’Etat dans certains quartiers populaires. Aussi, la police, ce «détachement spécial d’hommes en arme», est devenue de facto un Eat dans l’Etat. Un «Etat» qui a acquis une telle prépondérance au sein de l’Exécutif qu’il a échappé à son autorité. Pis. Il lui dicte et lui impose dorénavant ses volontés. Il parasite et paralyse son action et sa souveraineté. De nos jours, c’est l’unique et dominant corps étatique que la population et les jeunes côtoient dans la violence. Ne détient-il pas le monopole de la violence légitime, comme l’a martelé brutalement Gérard Darmanin.
La police française exhibe une arrogance de caste supérieure intouchable
Cela étant, en France américanisée, par sa dégaine, le policier crâneur contemporain rappelle le cow-boy du Far West, ce franc-tireur qui faisait régner la terreur dans les villes avec son pistolet colt. Il avait surtout la gâchette facile. En France, de nos jours, à peine intégrés dans ce corps de métier surprotégé, les nouvelles recrues adoptent une prestance guindée doublée d’une arrogance de caste supérieure intouchable.
Conscients de la prééminence de leur fonction, renforcée par plusieurs privilèges pécuniaires et prérogatives juridiques, assortis d’une garantie d’impunité pénale, ces policiers sont dorénavant dans la toute-puissance. Voire, eu égard à la délégitimation et de la faiblesse de l’Etat, ils sont persuadés d’être l’unique puissance. Au-dessus de l’Etat. Donc au-dessus des lois.
Consciente que la légitimité et la pérennité du pouvoir reposent sur son unique force répressive, cette police, muée en milice, tend à s’autonomiser. A s’émanciper des règles communes. A s’affranchir de la tutelle étatique. A se soustraire à ses devoirs de fonctionnaires publics pour se comporter en factionnaires des intérêts privés. D’aucuns diront en factieux.
Le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, ne vient-il pas de contester une décision de justice, sans soulever la moindre protestation du gouvernement. Ni encourir la moindre sanction. Tant il représente une institution répressive qui terrorise non seulement la population mais également les ministres et le chef de l’Etat.
«L’exécutif craint-il de recadrer l’institution policière ?» s’interroge le journal Libération. Tout porte à le croire.
Dans une interview accordée au journal Le Parisien, ce chef de la police a estimé qu’un policier n’avait pas à faire l’objet d’une détention provisoire, pourtant mesure légale destinée à faciliter la manifestation de la vérité.
En effet, assuré de sa toute puissance et impunité conférées à sa corporation policière désormais intouchable, il a déclaré sans détour : «Un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a commis des fautes graves.» Il a ajouté qu’il est favorable à la libération de l’agent de la BAC détenu dans le cadre d’une enquête sur des violences policières à Marseille. Pour rappel, soupçonnés d’avoir roué de coups un jeune homme en marge de la révolte des jeunes début juillet, quatre policiers ont été mis en examen. L’un d’eux a été placé en détention provisoire. Une décision qui a suscité aussitôt la colère des syndicats et de la hiérarchie de la police. Suivie d’un mouvement de «mutinerie» au sein des commissariats marseillais pour exiger la libération de l’agent de la BAC. Plusieurs centaines de policiers marseillais se sont mis en arrêt maladie pour exiger sa libération. Quant au syndicat Unité SGP Police FO, il a appelé les policiers sur tout le territoire à se mettre en «code 562», c’est-à-dire à faire la grève du zèle, pour revendiquer des mesures d’impunité élargies. Notamment un «statut spécifique de policier mis en cause ou en examen», mais également «l’anonymisation totale des procédures en début de carrière, des magistrats spécialisés en usage des armes pour les forces de l’ordre».
«Les policiers (sont) entrés en sécession factieuse vis-à-vis de l’autorité républicaine»
En tout cas, depuis l’assassinat de Naël, les pressions et les menaces de mutinerie de la police se multiplient contre toute atteinte à l’impunité policière.
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