« J’ai visité à Kortcha, à la frontière de la Grèce et de la Yougoslavie, le cimetière où ils reposent. Quelle ne fut pas ma colère lorsque j’ai constaté qu’il y avait 640 croix pour 640 tombes, alors que le nombre de Français (pour la plupart officiers et sous-officiers) ne dépassait pas 50.
Le gouvernement français impérialiste de l’époque n’a pas seulement utilisé les fils d’un peuple asservi pour une guerre du rapine, il les a convertis au christianisme après leur mort », Boualem Khalfa, Alger Républicain du 4 janvier 1952.
En 1951, Boualem Khalfa (1923-2017) militant et cadre dirigeant du PCA et rédacteur en chef d’Alger Républicain est en Albanie afin d’assister avec des délégations étrangères au 10e anniversaire de la fondation du Parti du Travail d’Albanie. Profitant de ce premier contact dans l’Histoire entre le militantisme algérien anticolonialiste et une démocratie populaire naissante, Khalfa publia 13 reportages sur le pays d’Enver Hoxha qu’il transcrit en «Khodja», « le digne héritier de Skanderbeg », figure nationale de la lutte patriotique albanaise contre l’occupation ottomane.
D’Alger à Tirana, il fallait à cette époque traversait six pays et cinq mers pour arriver au port albanais de Durrës sur un cargo soviétique venant du port roumain de Constantza. L’Albanie qui a eu son indépendance en 1912, n’a pas réussi de sortir du joug d’un roi venant tout droit du Moyen-Age et digne collaborateur des fascistes italiens jusqu’en 1944.
C’est un pays en pleine construction qu’avait vue Boualem Khalfa et à travers ce document historique touchant directement la relation des deux peuples, il y a une note qu’il est nécessaire aujourd’hui d’ajouter.
Grâce à ce premier contact entre les communistes algériens et albanais que l’ancien secrétaire général du PCA, Larbi Bouhali devenu le représentant extérieur du parti après sa dissolution par l’administration coloniale française, durant la lutte armée, prendra contact avec le PTA d’Enver Hoxha pour la livraison d’armes à l’ALN de l’intérieur. La Tirana que Boualem Khalfa a vue est celle où l’on « retrouve dans les ruelles l’habit noir des Constantinoises» et les femmes albanaises « portent également à la campagne le même costume que les Algériennes », note-t-il.
Khalfa retrouvera aussi ces parties de la Kabylie et des montagnes des Aurès à travers ce peuple de montagnards qui « ont le même sens de l’honneur que le paysan algérien, le même courage et la même endurance». dans l’Albanie de 1951, la lutte contre la féodalité passe par l’ouverture de chantiers économique et socioculturels. Boualem Khalfa assistera à l’inauguration de la première université du pays, du premier combinat sidérurgique et de la première centrale hydroélectrique. Il visitera les sovkhoses d’Etat ainsi que les terres agricoles attribuées à des paysans, jadis esclaves des beys et des aghas du roi Ahmed Zogu.
De 1916 à 1920, cette ville Kortcha a été le siège d’un territoire occupé par l’Armée française d’Orient et appelé «République de Kortcha» avec une administration copiée sur le modèle colonial en Algérie avec des officiers militaires qui ont fait leurs «épreuves» dans les régions de Blida et de Sidi-Bel-Abbès.
Des croix en marbre pour musulmans
C’est dans le cadre de la rivalité guerrière interimpérialistes, entre une France antidreyfusarde et l’Empire austro-hongrois que la ville de 82 245 musulmans et de 40 000 chrétiens, se retrouve durant la Premier Guerre impérialiste mondiale entre les feux de l’enfer. Pour ainsi dire, l’actuel programme de balkanisation des Albanais n’est pas une simple invention géopolitique américaine, mais elle retrouve bien ses origines dans le passage de l’armée française en Albanie durant cette guerre génocidaire. Au nord de la ville actuelle, un cimetière militaire français regroupant les soldats morts durant la campagne militaire française dans le pays des aigles avec 640 tombes, dont une cinquantaine d’officiers et de sous-officiers de nationalité bien française. Les autres ? C’est une toute autre histoire.
À la liste des noms de soldats enterrés dans cette nécropole que l’ambassade de France à Tirana gère, des noms d’Algériens, Tunisiens, Marocains, Sénégalais, Vietnamiens, Maliens et même Coréens sont portés sur des croix chrétiennes en marbre blanc. Nous ne citerons que quelques-uns d’entre les Algériens dont les familles ont totalement perdu leurs traces: Rouat Boumedian, Ahmed Ben Lhassan, Ahmed Ben Mohamed Chiboud, Chaou Mohamed Saïd, Mohammed Tamache, Mohamed Younsi, Younes Ben Mohamed, Rahal Ben Mohamed et bien d’autres encore. Ils sont plus de 164 noms qui ont été enrôlés dans le corps expéditionnaires que dirigeait le général Serrail dont le QG été à Salonique, en Grèce.
Dans cette aventure meurtrière menée par la 57e Division d’infanterie, les Nasse (pseudonyme que l’on donné aux tirailleurs algériens) étaient regroupés au sein des 5e et 9e bataillons des TA, alors que les Marocains formaient le 6e spahis et que les Indochinois, vietnamiens pour la majorité sont regroupés dans deux bataillons dirigés par le général de Lobit. Le secteur de Kortcha était sous la responsabilité opérative du colonel Foulon qui bénéficiait de cette présence «indigènes» à laquelle s’ajouteraient les 10 pelotons des bataillons de tirailleurs albanais, une dénomination qui remplaça l’ancienne Gendarmerie mobile de l’époque.
Que pensait l’état-major parisien de ces valeureux Poilus nord-africain ? C’est dans les volumes des Archives de la Grande Guerre (1er janvier 1922) où l’on pouvait lire sur cette guerre française en Albanie, qu’à côté « combattants effectifs, on retrouvait l’indigène algéro-tunisien constituait la majorité des conducteurs ou convoyeurs, emploi que convient parfaitement à son caractère de philosophe péripatéticien aimant peu les travaux absorbants et adorant le changement». On osera même faire une note d’humour au sujet des conducteurs de camions militaires Kabyles qui du haut de la cabine observaient sournoisement les officiers français sur leur chevaux régulaient la marche des fantassins et muletiers.
Les enfants de nos villages et mechtas auront sous le commandant du territoire de Kortcha sous la direction du général Salle et avec l’aide d’un prêtre et des Albanais de la rébellion de Salih Budka devenus des laquais de l’administration française, leur sépulture du déshonneur et de l’effacement.
Aujourd’hui, après le retour de l’islam de la confrérie féodale des Bakdashis, nous pouvons voir un pseudo-imam accompagnant un prêtre orthodoxe déposer des gerbes de fleurs sur la stèle commémorative en toute quiétude. Dans cette nécropole française d’Albanie, on n’a fait que ramasser des corps déchiquetés par les obus bulgares et italiens et en faire un haut-lieu d’une France «combattante» pour les libertés fondamentales des nations.
La France des colonels Fourtou, Bournazel et Descoins est toujours commémorée dans cette Albanie de la démocratie yankee et de la classe politique corrompue. Des délégations françaises composées d’élus locaux et de parlementaires traversant l’allée principale du cimetière de Kortcha et allant déposé leurs fleurs sur la plaque datant de 2018 et où il est écrit que: « L’Union nationale des combattants. À nos Poilus de l’Armée d’Orient. Morts pour la France en terre albanaise ».
Une armée de 187 700 soldats et dont la 57e DI a compté à elle seule 14 038 coloniaux avait laissé derrière elle 6 386 soldats morts et 4 230 disparus.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.
samedi 29 juillet 2023
https://lematindalgerie.com/les-poilus-algeriens-en-albanie-enterres-en-chretiens/
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Mohamed-Karim Assouane, universitaire.
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