Emmanuel Macron haranguant de jeunes Algériens à l'Elysée en 2021. D. R.
– Ce sont les mêmes énergumènes appartenant à la même obédience politique nationaliste française qui, hier, se battaient contre les Algériens pour les maintenir dans le giron de la France, en dépit de leurs particularismes culturels et religieux radicalement différents, qui, aujourd’hui, proclament leur in-assimilation foncière à la société française du fait de leurs supposés mœurs «étranges et étrangères».
En effet, paradoxalement, c’est cette même France qui avait mobilisé 2 millions de soldats pour empêcher par la force armée 10 millions d’Algériens de prendre leur indépendance, qui les déclare aujourd’hui indésirables, car impossible de les intégrer dans la République française.
Huit ans durant, les Français ont livré une guerre exterminatrice pour contraindre les Algériens à vivre au sein de la France. La France ne voyait aucun inconvénient ni contradiction d’imposer au peuple algérien le «vivre ensemble» avec le peuple français. La France enseignait le plus naturellement du monde aux écoliers algériens «nos ancêtres les gaulois».
Tous les Français plaidaient la cause de l’Algérie française, estimant que les Algériens, en dépit de leurs particularismes ethniques, linguistiques, culturels et religieux distincts, faisaient partie du socle commun national français.
De Paris à Tamanrasset, en passant par Marseille et Alger, pour les Français, les habitants de ces villes ne formaient «qu’un seul et unique peuple». Malgré les protestations des Algériens qui réclamaient leur droit à l’autodétermination, leur aspiration de s’émanciper du joug colonial de la France, les Français leur déniaient cette perspective d’indépendance au nom du maintien de «l’unité nationale». C’est-à-dire qu’ils considéraient les Algériens, en dépit de leurs «particularismes», comme des «citoyens français».
Aujourd’hui, les mêmes Français déclarent en résumé : «Nous ne voulons pas vivre avec les Algériens qui arrivent en France car ils gangrènent l’intégrité et l’intégralité de notre société française. Nous ne voulons pas de ce vivre ensemble avec les Algériens car nous voulons permettre à nos enfants de vivre seulement avec leurs semblables, les Blancs, ceux qui partagent nos valeurs ancestrales européennes et chrétiennes.»
Curieusement, hier, à une époque où l’Algérien était pourtant pétri encore d’archaïsmes, le Français le considérait comme assimilable à la nation et la culture françaises. Aujourd’hui, à notre ère où les Algériens sont majoritairement diplômés, éduqués et ancrés dans la modernité, ils sont devenus, aux yeux de ces mêmes Français, inassimilables. Vecteurs de conflits culturels.
Les Algériens, hier combattus par la France pour les maintenir de force dans l’espace national et culturel français, sont considérés aujourd’hui comme des envahisseurs qui menacent l’identité française, la sécurité du pays.
Hier, 10 millions d’Algériens – qui seraient aujourd’hui au moins au nombre de 40 millions de «Français musulmans» – du fait de leur forte natalité, qui plus est circulant librement entre les deux territoires), demeurés au sein de la France, ne constituaient aucune menace pour la culture française, ni un danger pour la survie identitaire de la France. Aujourd’hui, ces mêmes Algériens menaceraient la culture française. L’identité gauloise. La nation française.
Comment expliquer cette posture à géométrie variable des Français à l’égard des Algériens, sinon par la mentalité française empreinte d’imposture ?
Ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale puis des guerres coloniales, devenu adepte de la non-violence, le général de Bollardière se considérait, en 1973, comme « un soldat de la justice ».
Le président de l'association des Français contre les explosions atomiques dans le Pacifique, le militant de la non-violence Jacques Pâris de Bollardière, s'exprime le 31 juillet 1973 au cours d'une réunion d'information et de débat qui s'est déroulée à la maison des Centraux à Paris en présence du professeur Jean-Marie Muller et de l'abbé Toulat. (AFP)
Le général Jacques Pâris de Bollardière (1907-1986 - « le Nouvel Obs » l’écrit sans accent circonflexe dans l’entretien republié ici) fut une figure à plusieurs titres : combattant de la Seconde Guerre mondiale, puis des guerres d’Indochine et d’Algérie, il dénonce en 1957 la pratique de la torture en Algérie, ce qui lui vaut une sanction de 60 jours de forteresse.
Dans les archives de « l’Obs »
Quel monde, quels Français, quelle société racontait « le Nouvel Observateur » (devenu « l’Obs » en 2014) voilà un demi-siècle ? Chaque week-end, nous vous proposons un article, interview, reportage, portrait ou encore courrier de lecteurs puisé dans nos archives.
Dans les années suivantes, il se convertit à la non-violence, milite dans le Mouvement pour une Alternative non violente (MAN) et participe à la défense du Larzac contre l’extension d’un camp militaire. En juillet 1973, il manifeste contre les essais atomiques français et est arraisonné alors qu’il navigue en voilier à Mururoa, entre autres avec Brice Lalonde. Alors mis à la retraite d’office, il est interviewé par Guy Sitbon dans « l’Obs », où il exprime ses convictions, notamment contre la dissuasion nucléaire
Article paru dans « le Nouvel Observateur » n° 455, le lundi 30 juillet 1973
ENTRETIEN
Le général de la non-violence
Le général Jacques Paris de Bollardière n’a pas réussi, avec les camarades de son commando, à empêcher l’explosion de la bombe française à Mururoa. Mais il a réussi à faire connaître certaines de ses idées. Guy Sitbon est allé s’entretenir avec lui de la violence et de la non-violence.
Pourquoi êtes-vous contre la bombe atomique ?
PARIS DE BOLLARDIÈRE. - Elle ne sert à rien. Ceux qui font de savantes études pour démontrer qu’elle est utile ne comprennent même pas ce qu’ils écrivent.
S’il servait à quelque chose, s’il avait une efficacité militaire, est-ce que vous seriez favorable à l’armement atomique ?
J’y serais quand même opposé.
Et l’armement classique, pour ou contre ?
Contre. Je suis non violent.
De la part d’un militaire, d’un général, c’est sympathique, mais étrange.
Toute ma vie, j’ai lutté pour la justice. Il y a évolution, il n’y a pas contradiction. J’ai soixante-cinq ans. J’ai choisi ou pratiqué la violence pendant trente ans, puis j’ai découvert que ça ne mène à rien. Je ne suis pas un intellectuel ni un philosophe, je recherche l’efficacité par l’action. Ceux qui prétendent que la violence est plus efficace se trompent. Avec trois copains, à Mururoa, on a foutu un bazar terrible, on a mobilisé l’armée française et je me retrouve à parler avec vous en liberté. Tout ce qu’ils ont pu faire pour me sanctionner : me mettre à la retraite. Moi j’étais sûr que j’étais déjà à la retraite.
C’est parce que vous avez affaire à un régime qui, avec vous, veut se montrer débonnaire. Ailleurs, en U.R.S.S. par exemple, vous seriez déjà en hôpital psychiatrique.
Il y a dix ans, je vous aurais répondu qu’évidemment les Soviétiques ont moins de liberté que nous. Aujourd’hui, instinctivement, je vous répondrai la même chose. Mais, en y réfléchissant, je pense que là-bas aussi je serais en liberté. Il y a dix ans, je pensais : « Les Soviétiques sont terriblement conditionnés, moi pas. » Je me suis rendu compte que j’étais conditionné comme tout le monde. Cela dit, je pense qu’il faut lutter contre les totalitarismes de gauche et de droite.
Vous ne vous considérez plus comme un soldat ?
Si. Je suis un soldat de la justice. A Mururoa, c’était typiquement une opération de commando. J’étais dans mon élément habituel. Avec une différence énorme : cette fois, j’étais dans une paix complète avec moi-même. Avant j’allais tuer les gens, maintenant je vais les empêcher de se tuer.
L’un des premiers, vous avez lutté contre les nazis. C’était la violence, ça.
Regardez le Danemark. Ils ont résisté tous ensemble, sans violence. Tout le monde, même le roi, portait l’étoile jaune des juifs. Moyennant quoi presque tous les juifs danois ont été sauvés. La non-violence, c’est efficace. C’est la plus grande découverte de ma vie. La ligne Maginot comme la bombe atomique n’ont servi à rien. Contre les Allemands, on a confié la lutte à un corps spécialisé – l’armée – et le reste du peuple ne voulait pas se battre. Quand l’armée a été battue, c’était fini. C’est l’inverse qu’il faut faire. Contre un peuple entier, personne ne peut rien. Regardez le Viêt-nam.
Justement, là-bas, c’est plutôt violent.
Malheureusement ils ont choisi la violence, mais l’énergie de ce peuple mise au service de la non-violence, comme faisait Gandhi en Inde, ce serait fantastique.
Etes-vous contre l’armée, le service militaire ?
Oui, je suis contre mais il faut être réaliste. Il faut que l’armée entière se mette à réfléchir, il faut qu’elle-même prenne conscience de ce que la violence ne sert plus à rien. Je veux dire que l’évolution des sciences, des techniques, de l’esprit humain a mis entre les mains des hommes les moyens de vivre autrement. A nous de les saisir.
Vous pensez que la fin de la faim en Occident, la satisfaction des besoins primaires ont créé les conditions d’une lente extinction de la violence et que, partout où ces besoins subsistent, la violence est encore difficilement évitable ?
Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Je pense que c’est une évolution de l’homme. L’homme est le théâtre de pulsions fortes. L’agressivité est la condition de l’individualité. Mais les connaissances s’accumulent et l’homme doit substituer sa raison à son instinct. S’il ne le fait pas, c’est l’échec de l’histoire de l’homme. Pour moi, donc, ce n’est pas une rupture avec mon passé de militaire, c’est une continuation dans le sens de ce qui se passe aujourd’hui. Regardez les jeunes.
J’observe que la plupart des jeunes qui s’expriment choisissent les voies révolutionnaires traditionnelles fixées au XIXᵉ siècle, et non pas ce que vous dites.
Il y a d’autres jeunes, les hippies, les communautés qui vont dans le sens de la non-violence.
Vous-même, êtes-vous révolutionnaire ?
Comment ne le serais-je pas ? Le monde est en pleine révolution, je fais partie de ce monde. Toutes les révolutions, y compris la révolution soviétique, j’y adhère. Mais elles n’ont pas posé le préalable non violent, alors que pour moi, pour nous, c’est le principe du dynamisme révolutionnaire.
Vous avez fait la guerre en Algérie et vous vous y êtes même illustré en dénonçant la torture.
Oui.
Finalement, pensez-vous que c’est une bonne ou une mauvaise chose, l’indépendance de l’Algérie ?
J’aurais préféré qu’elle se fasse dans de bonnes conditions, sans rupture avec la France, mais c’est finalement une excellente chose pour les Algériens.
Bon. Mais ce résultat, que vous dites excellent, a été obtenu par la violence.
Si les Algériens avaient refusé en groupe, ils auraient obtenu la même chose et peut-être mieux.
Mais était-il possible d’arriver à cette résistance collective pacifique sans qu’un groupe prenne au préalable l’initiative de la violence ?
Je crois que ce n’était pas possible. Mais nous, à Mururoa, nous avons obtenu des résultats fantastiques. De leur côté, cent paysans du Larzac sont en train de gagner. Quelques personnes peuvent, sans tuer personne, faire bouger les gens, leur faire prendre conscience.
Je vous répète : c’est parce que vous avez un adversaire, disons, tolérant.
Et les Tchécoslovaques alors ? Le « printemps de Prague » ? C’est le plus bel exemple de non-violence.
Finalement, ça a abouti à quoi ? La Tchécoslovaquie a été étouffée mollement. Je ne dis pas que j’aurais préféré un massacre, mais c’est un fait.
C’est parce qu’il y a eu des traîtres en Tchécoslovaquie. Si les Soviétiques n’avaient trouvé personne à mettre en place, ils auraient calé. Au Viêtnam, c’est la même chose. Les Français, les Américains, ils auraient calé, si le peuple avait été uni.
Soit, mais vous supposez le problème résolu. Il s’agit bien d’arriver à ce que chaque élément de la collectivité ressente la solidarité comme un instinct, mais le problème, c’est qu’il n’existe pas, cet instinct. Et vous, vous dites, faisons comme s’il existait.
Non, je dis : consacrons notre vie à faire en sorte qu’il naisse, cet instinct.
Propos recueillis par GUY SITBONPublié le 16 juillet 2023 à 7h30
Marché de l’informel, biens immobiliers de l’Etat à l’étranger, bâtiments abandonnés en Algérie… Comment renflouer le Trésor public ?
Par la captation, déjà, de l’argent de l’informel :
Plus de 5000 milliards de dinars circuleraient actuellement en Algérie hors secteur bancaire, soit plus de 50% des encours des crédits accordés à l’ensemble de l’économie nationale, avait annoncé, le gouverneur par intérim de la Banque d’Algérie.
Cette somme (5000 milliards de dinars, plus de 50 milliards de dollars) représente aussi plus de 30% de la masse monétaire totale du pays. Cela veut dire que la politique de l’épargne est déficiente.
Selon lui, il ne s’agit pas seulement de reprocher aux banques d’être inefficaces et de ne pas être capables de collecter cette épargne. Il faut entamer des études sérieuses pour mettre le doigt sur les vrais motifs qui font que cette épargne n’atterrit pas dans le cercle bancaire.
Est-ce que les banques n’ont pas offert des produits attractifs, ou y a-t-il d’autres raisons ? Ce sont ces questions-là qui doivent être posées et étudiées, a estimé le gouverneur par intérim de la Banque d’Algérie.
Mais ce responsable qui s’interroge ainsi, ne sait-il pas que c’est l’argent de l’économie informelle, dont toutes les démarches pour le récupérer dans les circuits légaux se sont avérées infructueuses
Par le passé, le gouvernement avait préconisé de récupérer la masse monétaire hors circuit bancaire en instituant une taxe de 7% contre amnistie au profit des déposants.
Les résultats n’étant pas fructueux, d’autres solutions ont été imaginées pour capter l’argent de l’informel en développant la finance islamique et en lançant l’emprunt obligataire
A croire les experts financiers, d’autres niches financières peuvent être ciblées
Il s’agit de tous les biens à l’étranger dont l’exploitation ne profitait ni à la diaspora algérienne ni au Trésor public ; ils étaient parfois même laissés à l’abandon !
Selon ce qui avait été rapporté par le quotidien d’El Watan, il s’agirait de résidences luxueuses, de châteaux, de bâtiments, d’hôtels, de commerces, d’exploitations agricoles, acquis par le FLN, sous des noms d’emprunt et de particuliers, pour le compte de la Révolution mais aussi d’actions dans des sociétés financières et commerciales, dont la gestion s’avère aussi problématique que coûteuse.
Ce patrimoine ne se trouve pas uniquement en France, mais également en Suisse, en Tunisie, en Arabie Saoudite et même en Libye et au Mali, pour ne citer que ces pays.
D’autres biens ont été acquis en Allemagne, mais surtout en Suisse, qui était la base arrière du FLN pendant la Guerre de Libération, et le lieu de dépôt de son trésor.
Le patrimoine de l’Algérie en France serait bien plus important qu’on peut le croire, d’autant plus qu’il n’est pas totalement répertorié. Mais indéniablement, les plus importants biens de l’Etat se trouvent sur le territoire français.
Un patrimoine assez important dont l’exploitation ne profite malheureusement pas au Trésor public. Selon des sources diplomatiques, «bon nombre de ces noms d’emprunt ont disparu. Ce qui a été récupéré reste néanmoins important, mais ne génère pas de revenus à la hauteur de sa valeur ».
Durant son deuxième mandat, Bouteflika, après avoir été saisi sur les convoitises de certains dignitaires qui voulaient mettre la main sur des résidences de maître à Paris, a chargé l’IGF (Inspection générale des finances) de mener une enquête sur les biens de l’Etat à l’étranger, surtout en France, qui aurait révélé des « pratiques illégales qui auraient permis à des pontes du système d’accaparer certaines résidences d’Etat, hôtels et appartements ». Bien évidemment, le rapport de l’IGF n’a pas été divulgué !
En 2009, une luxueuse résidence de 35 000 mètres carrées a été achetée par l’Algérie à Genève pour plus de 27 millions d’euros (30 millions de francs suisses). Considérée à l’époque comme l’une des plus grosses ventes immobilières à Genève, cette acquisition a suscité de nombreuses interrogations et alimenté le débat sur la nécessité de se «débarrasser» de ces nombreux biens budgétivores que l’Algérie détient à l’étranger.
Aujourd’hui, certains n’hésitent pas à relancer le débat sur «la nécessité» de recourir à la vente de ces biens ; même si les avis divergent sur cette question, il n’en demeure pas moins que l’Algérie possède un énorme patrimoine qui aurait pu constituer un important revenu pour le Trésor public s’il n’avait pas fait l’objet de prédation et de mauvaise gestion.
Bien évidemment, des voix vont s’élever contre cette initiative et crier à l’hérésie. De quel droit l’Etat va-t-il vendre des biens communs, des bijoux de famille oseront dire certains ? Pourtant, beaucoup de pays et non des moindres y recourent pour renflouer leurs caisses :
L’Espagne à titre d’exemple, qui a procédé à la vente de quelque 15.135 biens publics et ce n’était pas la première fois !
la France qui, chaque année, cède une partie de son patrimoine public mais aussi militaire, ce qui lui permet d’engranger outre des bénéfices plus que substantiels, d’adapter son parc immobilier aux besoins (restructurations militaires, nouvelles carte sanitaire et judiciaire etc). A titre indicatif, les cessions ont permis de rapporter près de 574M € à l’Etat ; un chiffre globalement stable depuis 10 ans.
Et il n’y a pas que les biens à l’étranger !
L’Etat, les collectivités locales et les organismes divers dépendant des administrations centrales possèdent un patrimoine qui, en l’état, grève lourdement le budget parce qu’en partie, il est constitué d’actifs dormants « improductifs » et pour la plupart abandonnés par négligence et laxisme des responsables et/ou suite à un changement de leur destination initiale.
Il s’agit, par exemple, d’écoles désaffectées, de services de santé abandonnés, de marchés inopérants et inaccessibles (dans la seule commune de Douéra, il a été recensé 5 infrastructures de ce type), de locaux destinés à l’emploi des jeunes en état de ruine avancée, de gares routières boudées par des usagers et les transporteurs, d’anciens sièges de la garde communale réalisés sur PCD et délaissés suite au redéploiement de ce corps… Et tant d’autres biens de valeur qui grèvent lourdement le budget de l’Etat et qui pourraient être identifiés après enquête. Bref, toute une « niche financière » qui ne demande qu’à être transformée en recettes bénéfiques en ces temps de crise !
L’évaluation de tous ces biens patrimoniaux n’est pas, à notre sens, problématique. Les walis, les ministères et les organismes concernés, accompagnés par les services domaniaux compétents, s’ils venaient à être instruits, pourraient :
Dans un premier temps, en établir la « cartographie » et le « recensement». Ensuite, définir la propriété, en s’appuyant, impérativement, sur un critère absolu, l’« inutilité » des immeubles concernés. Enfin et avec la remontée des informations et leur consolidation, l’on aura, déjà :
un aperçu sur leur « estimation quantitative et qualitative» en termes de valeur vénale et leur superficie.
une idée de ce que tout ce «trésor dormant» peut rapporter, éventuellement, à l’Etat s’il venait à être aliéné et cédé
les montants ainsi collectés qui seront injectés pour réduire le déficit public.
une partie des recettes qui sera prélevée pour réhabiliter des bâtiments publics, en acheter ou en construire d’autres.
le niveau des « économies » qui seront réalisées :
en termes d’entretien, d’énergies
et même de postes de travail, sachant que les gardiens desdits biens, par exemple, pourraient être redéployés voire même imposés aux « repreneurs » par des clauses particulières.
A défaut, tous ces biens patrimoniaux, continueront à se dégrader inexorablement, tout en grevant lourdement le budget de l’Etat.
En somme, des « biens habous» qui ne disent pas leur nom. Est-ce bien raisonnable en ces temps de crise ?
A ceux, enfin, qui viendraient à critiquer « la vente d’une partie du patrimoine immobilier de l’Etat » on les renvoie à l’exemple d’une entreprise qui se trouve en difficulté profonde et qui n’a d’autre choix que de réaliser certains de ses actifs, notamment immobiliers, afin de préserver son cœur de métier et poursuivre son redressement.
N’est-il pas préférable pour elle d’alléger ses charges en matière de gardiennage, d’entretien, d’énergies, d’assurances et dans la foulée, bénéficier d’argent frais pour sa relance ? Cela relève du bon sens !
Pour conclure, rappelons cette instruction d’«interdiction d’exportation de tout produit stratégique» édictée par le président de la République lors d’un discours à la Nation, qui résonne comme une volonté ferme d’aller vers le « patriotisme économique ».
En clair, et c’est un des enseignements à tirer de la pandémie du corona virus, l’Algérie ne doit compter que sur ses potentialités !
Tout le monde l’aura compris : «le pays exige des expérimentations audacieuses et soutenues. Le bon sens est de choisir une méthode et de l’essayer. Si elle échoue, admettez-le franchement et essayez autre chose. Mais surtout, essayez quelque chose !». Citation formulée il y a plus de 80 ans par l’ancien président américain Franklin Roosevelt. A méditer !
Il y a tout juste 70 ans, l’assassinat de six manifestants algériens le 14 juillet 1953 peut-il être abordé comme un prélude au 1er Novembre 1954 ? Plusieurs événements de lutte dans les années 1950 révèlent le degré d’engagement du mouvement national dans l’émigration.
Il y a eu six morts algériens lors de la tuerie du 14 juillet 1953 à Paris. Dans notre triste liste publiée lundi 10 juillet, nous avions omis Amar Tadjadit (1927 – Alger). Que la famille du martyr nous en excuse ! Ce militant est décédé avec ses compagnons Abdallah Bacha (né en 1928 –Alger) ; Larbi Daoui (1926 – Oran) ; Abdelkader Dranis ; Mohamed Isidore Illoul (1933 –Constantine).
Tous étaient des militants de la cause nationale. Aguerris et prêts à revendiquer coûte que coûte les droits pour les Algériens et l’indépendance pour le pays. Cette précision nous donne l’occasion de revenir sur cette époque prérévolutionnaire sur le territoire français avant que la Guerre de libération n’éclate en Algérie le 1er Novembre 1954. Avant ce 14 juillet 1953 funeste, les graines de la lutte étaient semées.
Le militant et historien de cette période Maurice Rajsfus écrit que cette tuerie n’est en rien hasardeuse : «Cela fait longtemps que l’on assassine en Algérie, dans le même temps que des Algériens sont réprimés et même tués sur le sol français.»
Dans son livre 1953, un 14 juillet sanglant (édition le Détour 2021), il cite quelques prémisses. Avec déjà en 1951, pour la manif’ du 1er Mai des drapeaux algériens sont brandis par les militants algériens, ce qui provoque des bagarres avec la police : «Il y a 68 blessés et des centaines d’arrestations.»
«LA POLICE INTERPELLE TOUS LES PASSANTS AYANT LE TEINT BASANÉ»
Même chose le 1er mai 1953, dans le Nord, à Anzin et Valenciennes, «la police intervient contre des cortèges où on brandit le drapeau algérien. Il y a 200 arrestations et 100 blessés parmi les Algériens». Et d’autres faits qui rappellent l’implication précoce de l’émigration algérienne dans le combat et déjà les comportements racistes de la police française.
Ainsi, le 19 septembre 1950, 3000 Nord-Africains manifestent contre la non-parution du journal L’Algérie libre. 1127 personnes sont arrêtées : «La police interpelle tous les passants ayant le teint basané.» La même année 1950, le 4 décembre, «pour protester contre l’arrestation de deux des leurs, 30 Nord-Africains attaquent un commissariat de police à Belleville». Le 3 avril 1951, «150 Nord-Africains sont arrêtés aux abords de la Maison de la mutualité, à Paris à l’occasion d’une manifestation interdite du MTLD. De violents heurts entre les CRS et des passants font plusieurs blessés».
UN ALGÉRIEN TUÉ LE 10 DÉCEMBRE 1952
On pourrait citer et conclure cette liste qui pourrait être rallongée, par le 10 décembre 1952. Maurice Rajsfus rapporte les faits suivants : «De nombreux Nord-Africains participent à la manifestation communiste contre la venue à Paris du général Matthieu Ridgway. Le militant algérien Hocine Belaïd est tué par la police près de la place Stalingrad.» Rajsfus en observateur et témoin parle dans son livre de «volonté meurtrière» : «La haine du ‘‘bougnoule’’ est toujours tenace chez nos policiers, et la pratique brutale de rigueur .»
Quel constat ferait-il aujourd’hui après la mort du jeune Nahel et l’épisode de fièvre lors des émeutes de la fin juin. ? Dans des circonstances différentes, mais avec un fond sur lequel les historiens ont matière à étudier les analogies.
Volodymyr Zelensky ignoré au bal musette de l'OTAN à Vilnius. D. R.
La réunion de l’OTAN à Vilnius a donné lieu à un vacarme organisé pour éviter que les contradictions internes à l’organisation n’éclatent au grand jour. On a donc eu droit à un consensus habituel sans effet réel sur la suite des événements. Car la guerre actuelle a sa propre dynamique dont deux seuls acteurs comptent en vérité. Zelensky qui veut se faire entendre est réduit à crier, à se conduire d’une façon infantile, en critiquant des pays qui le nourrissent et sans lesquels son armée aurait déjà capitulé. Bref, il peut continuer à se lamenter, son armée tant vantée est à la peine et n’étaient les pauvres enfants ukrainiens qui se font décimer, ses certitudes d’une victoire certaine incite plutôt à rire. Ouvrons une parenthèse sur ces médias qui ont élu leurs héros de cette guerre.
Leur préféré Zaloujny, chef des armées ukrainiennes, patauge devant les défenses russes et sa contre-offensive tourne au massacre comme ce fut le cas à Bakhmout. Sa propagande avait donné rendez-vous aux médias à Austerlitz, mais Zaloujny, devenu leur «Napoléon» des temps modernes, ne leur offrit que «la morne plaine de Waterloo» (1). Ne boudons pas le plaisir que nous offrent ces médias pour leur rappeler que Prigogine, terroriste inscrit dans les lois des Etats-Unis et de l’Europe, devient subitement leur chouchou qui devait combler leur rêve de se débarrasser de Poutine avec «sa marche sur Moscou». Un autre acteur dont ils souhaitaient la défaite électorale il y a quelques semaines, Erdogan pour ne pas le nommer, devient du jour au lendemain un deuxième chouchou quand il libéra des commandants d’Azov faits prisonniers à Marioupol. D’une pierre il fit deux coups, mettre en colère Poutine et faire un cadeau «inestimable» à Zelensky pour qu’il puisse faire patienter son opinion. Ainsi, ces médias, ces nouveaux supplétifs des armées modernes, avaient débarqué à la réunion de l’OTAN à Vilnius pour assister à un tournant de la guerre en Ukraine par des livraisons d’armes, en veux-tu en voilà mais, surtout, avec un calendrier précis de l’entrée de l’Ukraine à l’OTAN. Quelle naïveté, quelle médiocre analyse de croire que la Russie, qui fait la guerre depuis le 24 février 2022, va dire Amen à des parlotes de forum et à des comportements infantiles de Zelensky.
Une fois ces remarques taquines faites, voyons ce que cache le théâtre officiel de Vilnius qui accoucha d’une déclaration poussive sans intérêt pour «nos» médias déçus. Il ne leur restait que leur messe entre soi (ils appellent ce cirque l’objectivité de leur démocratie) pour ressasser leurs petits mensonges et leurs obsessionnels délires de russophobie haineuse et imbécile.
La réunion de l’OTAN ne pouvait donc que déboucher sur un maigre résultat car pareille organisation minée par les intérêts économiques et géostratégiques contradictoires, travailla pour produire un consensus de façade. En revanche, Vilnius offrit aussi l’occasion d’observer un petit remue-ménage diplomatique. La vedette du remue-ménage fut Erdogan. Son double geste, libération des prisonniers d’Azov et son appui à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, sent la manœuvre tactique pour s’ouvrir à l’Occident en faisant des infidélités à son voisin, la Russie. L’avenir nous dira si Erdogan a joué avec le feu ou bien son audace cache-t-elle un jeu gagnant à long terme à la fois avec l’Occident et la Russie. Voyons ses atouts au service de ses ambitions à long terme. Il y a la position géostratégique de son pays et son héritage historique de l’Empire ottoman. Cette position et cet héritage lui permettent de jouer un rôle dans le transport des céréales et lui ouvrent le statut de médiateur dans de futurs et possibles négociations Russie-Ukraine. A côté de cet atout de la géographie, il a de solides relations économiques avec la Russie. Ce pays lui fournit du gaz, lui construit une centrale nucléaire, lui fournit les fameux S 400 redoutable défense anti aérienne.
Quant aux Etats-Unis, en tant que membre de l’OTAN, la Turquie abrite une base américaine aux portes de la Russie. Outre ces relations militaires et économiques, la Turquie bénéficie de l’appui des Américains dans son projet de faire partie de l’Union européenne, laquelle a coupé depuis des décennies toute négociation avec la Turquie. Et voilà que la guerre en Ukraine offre à Erdogan l’occasion de sortir sa carte de membre de l’OTAN. Il ne mettra pas son veto à l’entrée de la Suède, à condition que l’Union européenne lui ouvre à nouveau ses portes. Ce coup tactique, chantage pour les Européens, a l’appui des Etats-Unis et de la Suède qui veut faire sauter le veto turc pour entrer à l’OTAN.
Voilà où est le monde à la fin du bal musette de l’OTAN qui a permis à Erdogan de nouer de nouvelles relations et à Zelensky de connaitre l’angoisse/solitude du gardien des buts de son équipe (2). Restera de la réunion de Vilnius le dialogue à distance entre les maîtres du jeu en Ukraine. Les Américains ont imposé leur décision, laisser l’Ukraine à l’entrée le plus loin possible de l’OTAN. Pour calmer les ressentiments des va-t-en guerre et les petits gémissements des médias, le président américain annonça la livraison de F16 à l’Ukraine. La Russie s’en offusque et permet ainsi à Biden de renoncer à son audace première. En vérité, les Américains ne veulent surtout pas que leur F16 tombent entre les mains des Russes. Mauvaise publicité pour leurs marchands d’armes mais aussi et, surtout, voir leurs secrets technologiques et leurs techniques opérationnelles dans les combats aériens serait une catastrophe stratégique. En plus de ce revirement sur la livraison des F16, les Américains poussent les Ukrainiens à la table de négociations. Les cris d’orfraie de Zelensky et les vantardises de ses militaires à frapper le territoire russe seront ignorés par les Etats-Unis. Car leurs priorités sont ailleurs, damer les pions en Indopacifique à la Chine. Leur objectif d’affaiblir la Russie semble hors de leur portée. Ils ont conclu de consacrer leur puissance pour les défis de demain et de prévenir leur propre isolement diplomatique possible avec la montée des BRICS, de l’association de Shangaï qui taillent des croupières au dollar.
Quant à la Russie, alors que le front militaire non seulement tient bon mais risque de clouer au sol l’armée ukrainienne qui s’épuise sur les défenses russes, le front intérieur connut une petite tempête. Le directeur de la CIA en personne monta au créneau, suivi des supplétifs médiatiques de la planète Occident, pour prédire l’échec stratégique de Poutine. Remarquons la notion d’échec stratégique qui remplace défaite militaire entrainant la chute de Poutine. Les Américains connus pour leur pragmatisme s’adaptent aux rapports de force du moment. On comprend alors le travail souterrain des Américains incitant Zelensky à négocier. Lequel Zelensky a oublié «son jamais négocier avec Poutine» se contente aujourd’hui de supplier pour retrouver les territoires aux mains des Russes. Ainsi, la lecture des Occidentaux sur le terrain militaire et sur le paysage politique russe est handicapée par les trous dans la raquette de leur vision du monde. Hier, cette vision prédisait l’effondrement de l’armée russe, une armée défaite qui occupe 20% du territoire contre l’armée ukrainienne «victorieuse» qui abandonne ses équipements sur le terrain. Aujourd’hui, le discours bégaie mais continue d’accoucher des mêmes inepties sur la fragilité de Poutine. Ces inepties ne sont pas uniquement les fruits d’un manque d’intelligence stratégique mais de cette arrogance qui ignore l’Autre et bâtit une muraille dans le cerveau pour empêcher l’oxygène pourtant indispensable d’irriguer le cerveau en question. Et cette médiocrité de la pensée qui leur fait oublier qu’une guerre remet les pendules à l’heure. Ça s’appelle en politique rétablir des équilibres relatifs, sachant que l’équilibre absolu et éternel est une mystification politique. Pour avoir oublié cette évidence, une journaliste réputée «grande» se désole de voir le président Biden pousser les Ukrainiens à la table de négociations alors que Poutine, dit-elle avec l’assurance de l’arrogante, n’a jamais été aussi faible.
C’est ce genre d’ineptie que l’entendra encore car ça fait partie du charme discret de la bourgeoisie (Luis Bunel, grand cinéaste espagnol) mais surtout de la bêtise bourgeoise que l’écrivain-monument Gustave Flaubert affubla de son mépris la classe sociale qui préféra Danton à Robespierre et à Saint Just durant la Révolution du 14 juillet 1789.
La plus haute distinction nationale suscite un mélange ambigu de convoitise et de polémique. Décryptage de deux siècles de récompenses.
Datée et controversée pour certains, la Légion d’honneur reste, pour d’autres, un symbole de reconnaissance, un signe prestigieux, apte à récompenser des années d’investissement et une contribution évidente au bien public. Née le 19 mai 1802 grâce à Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, cette médaille disputée a été créée dans une volonté de renouvellement, suite à des années difficiles pour les Français. Après des conflits militaires ayant fortement émaillé le pays, la sphère politique évolue dans un chaos relatif. Napoléon décide donc de fédérer son peuple autour de l’honneur individuel et national par l’intermédiaire de cette distinction capable de réunir la bravoure des militaires et l’investissement des civils.
Les débuts chaotiques de la Légion d’honneur
Soucieux de la disparition des ordres honorifiques, Napoléon insiste pour intégrer la Légion d’honneur à la réorganisation de l’État qui se joue, du Code civil au corps préfectoral. Pour qu’elle soit adoptée, de longues négociations sont nécessaires avec le Conseil d’État qui estime cette distinction contraire au principe révolutionnaire d’égalité. La première distribution d’insignes a lieu le 15 juillet 1804 aux Invalides. Jusqu’à la fin du Premier Empire, en 1814, 48 000 personnes seront décorées, dont seulement 1 400 appartenant à la société civile.
Quels sont les critères pour recevoir la Légion d’honneur ?
Il faut justifier d’un engagement au service du bénéfice commun, être reconnu pour ses mérites et avoir au moins vingt ans d’activité professionnelle.
Des insignes distribués à tout-va ?
Quand arrive le XXe siècle, près de 45 000 Français détiennent la Légion d’honneur. La Première Guerre mondiale vient considérablement transformer ce chiffre tandis que les actes héroïques se multiplient. Après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les guerres d’Indochine et d’Algérie, les récipiendaires sont de plus en plus nombreux et l’ordre se compose désormais de 320 000 membres. Face à cette flambée de distribution, le général de Gaulle décide, en 1962, de réformer le système des médailles nationales. Dans le cas de la Légion d’honneur, il crée un code spécifique et fixe un barème de décorés vivants, soit un maximum de 125 000 personnes.
Il faudra attendre les années 2000 pour qu’elle évolue à nouveau avec la mise en place d’une stricte parité entre les hommes et les femmes. Une procédure d’initiative citoyenne permet, en outre, à un particulier de déposer un dossier pour proposer l’admission d’un de ses concitoyens s’il l’estime méritant. En 2017, Emmanuel Macron décide de revaloriser cette décoration en limitant le nombre de nominations à 2 550 par an, les contingents civils baissant de 50 %, les militaires de 10 % et les étrangers de 25 %.
Une enquête s’impose avant de recevoir la légion d’honneur
Afin d’être admis, plusieurs conditions doivent être réunies, notamment des "mérites éminents". La relative subjectivité de cette notion pose toutefois question et crée régulièrement des polémiques. L’ancien secrétaire général de l’ordre évoque une pratique irréprochable d’un métier, mais aussi la capacité à sortir de l’ordinaire et à se distinguer. L’avancement dans les grades est, lui aussi, corrélé à l’évolution de ces mérites au fil des années.
Le conseil de l’ordre doit mener une enquête relative à la "moralité et à l’honorabilité" du futur décoré. Des observations de sa vie familiale sont lancées pour s’assurer de sa bonne conduite. Et un casier judiciaire vierge est obligatoire : interdit d’avoir été condamné par le passé ! Enfin, les récipiendaires doivent s’acquitter de droits de chancellerie en fonction de leur grade (de 50 à 200 €) et acheter eux-mêmes leurs insignes à la Monnaie de Paris ou chez un bijoutier. Et si médailles et plaques sont en vente libre (de 310 à 1 600 € environ), pas question de les arborer sans en avoir été honoré ! Le port illégal de décoration est passible de 15 000 € d’amende et d’un an de prison.
L’attribution de la légion d’honneur, un parfum de scandale
Régulièrement, l’attribution de la légion d’honneur fait renaître polémiques et scandales lorsqu’elle est décernée à des personnalités controversées. Comme celle de Vladimir Poutine, promu grand-croix le 22 septembre 2006, qui continue de faire débat, notamment chez Reporters sans frontières, pour qui ce choix est "inacceptable". La nomination de princes saoudiens, à l’image de la décoration de Mohammed Ben Nayef, a aussi relancé la discussion. Plus récemment, après les accusations portées contre le producteur Harvey Weinstein, l’Élysée affirmait avoir entamé des démarches pour lui retirer sa distinction. Avant lui, plusieurs médaillés ont été jugés indignes de la Légion d’honneur. Ainsi, en 2001, le général Paul Aussaresses, impitoyable tortionnaire durant la guerre d’Algérie, était exclu par Jacques Chirac. En 2012, c’était au tour de John Galliano, après sa condamnation pour injures antisémites, d’être déchu par un décret officiel de François Hollande. Enfin, si la décoration de Maurice Papon, condamné pour complicité de crime contre l’humanité en 1998, lui avait été retirée, l’ancien haut fonctionnaire avait persisté à la porter illégalement, jusqu’à l’emporter dans sa tombe en 2007…
Ceux qui ont refusé la légion d’honneur
C’est le président de la république qui décide de la nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Il doit notamment signer un décret, qui paraît au Journal officiel. On ne peut donc pas véritablement refuser une Légion d’honneur puisqu’il faut, tout d’abord, avoir été nommé dans cet ordre. Pourtant, certaines personnalités se sont ouvertement déclarées contre l’attribution de cette distinction, jugée démodée, inutile ou aliénante. En 1864, Hector Berlioz a refusé la Légion d’honneur. L’État, ne l’ayant pas rémunéré pour une messe de Requiem, voulait la lui remettre en guise de dédommagement. Furieux de ne pas recevoir ses 3 000 francs, il aurait lancé : "Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent !" Pierre et Marie Curie ont également décliné cette récompense, ainsi que George Sand et Jean-Paul Sartre. Celui-ci craignait de voir "l’écrivain se transformer en institution". Passablement agacé que le ministère de l’Éducation nationale propose sa nomination, le romancier et dramaturge Marcel Aymé se passe lui aussi des honneurs en 1949. Sans hésiter, il propose de "se carrer [leur Légion d’honneur] dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens". De même, Georges Brassens, avec toute sa verve, refuse la médaille et s’en amuse dans une chanson dédiée où il dénonce "le fatal insigne qui ne pardonne pas".
La Légion d’honneur en chiffres
2 200 personnes environ reçoivent cette distinction chaque année.
La Légion d’honneur compte 79 000 membres.
75 % des effectifs jusqu’au Second Empire étaient des militaires.
Les différents insignes de la Légion d’honneur
L’Ordre national de la Légion d’honneur est composé de trois grades (Chevalier, Officier, Commandeur) et de deux dignités (Grand Officier, Grand-Croix). Ils sont chacun soumis à des conditions d’ancienneté et de mérite.
Trois grades
Chevalier : une étoile en argent suspendue à un ruban rouge.
Officier : une étoile en vermeil ; son ruban est orné d’une rosette.
Commandeur : une étoile en vermeil, qui est attachée à une cravate.
Deux dignités
Grand Officier : une plaque en forme d’étoile diamantée en argent se porte sur le côté droit de la poitrine et accompagne la croix d’officier.
Grand-Croix : une plaque en vermeil accompagne la croix portée en écharpe, toutes deux disposées sur le côté gauche de la poitrine.
Tombeaux perdus (1/5). Qu’est-il advenu du corps de celle qui fut l’une des femmes les plus célèbres de l’histoire ? Les circonstances exactes de sa mort et l’emplacement de sa dernière demeure font encore l’objet de fantasmes… et de recherches archéologiques sous terre et sous les eaux.
Cléopâtre testant des poisons sur des condamnés, une image issue de la propagande des vainqueurs romains ? (peinture d’Alexandre Cabanel en 1887) (WIKIMEDIA COMMONS)
« Nulle tombe sur la terre n’aura enveloppé un couple aussi fameux. » Qui d’autre que Shakespeare – traduit ici par le fils Hugo, François-Victor – pouvait aussi bien qualifier l’importance d’un monument aujourd’hui perdu ? La sépulture de Cléopâtre, qui est probablement aussi celle de Marc Antoine, est aujourd’hui perdue dans les limbes d’un passé lointain. Mais si plus de deux millénaires se sont écoulés depuis que le poison a emporté celle qui a conquis à la fois César et Antoine, elle reste probablement l’une des femmes les plus célèbres de l’histoire. Caricaturée, adulée, incarnée par des actrices de renom, elle est devenue un symbole de beauté, certes, mais aussi de puissance et d’intelligence : on connaît son habileté de souveraine, de diplomate et de générale d’armée, et aussi le fait qu’elle parlait 9 langues et était versée dans les sciences, la littérature et la philosophie de son époque.
Cléopâtre, septième du nom, héritière de la dynastie grecque des Ptolémée et dernière souveraine de plein droit de l’Egypte antique, serait morte dans son tombeau, respecté de son vainqueur Octave, le futur Auguste et premier empereur de Rome. Un monument funéraire que des archéologues recherchent encore aujourd’hui et, pour certains d’entre eux, la piste serait encore chaude, comme en témoignent des fouilles menées dans la région d’Alexandrie.
Le poison de la dernière reine d’Egypte
Les circonstances même de son trépas sont devenues plus proches de la légende que de la réalité historique démontrée. On évoque des essais de poisons sur des esclaves dans une dramatisation qui pourrait être un exemple antique de propagande. Les historiens d’antan qui le relatent ne sont pour la plupart pas contemporains des faits, à l’exception notable de Strabon. Rappelons le contexte : Marc Antoine et Octave, alliés contre les assassins de Jules César, et unis par le mariage de Marc Antoine avec la sœur d’Octave, sont devenus rivaux. Dirigeant l’est de ce qui allait devenir l’Empire romain, Marc Antoine était avant tout l’allié de Cléopâtre qui, à travers lui, défendait l’indépendance de son royaume plusieurs fois millénaire face aux ambitions territoriales de Rome. La bataille navale d’Actium, en -31, voit la victoire de la flotte d’Octave. Antoine, croyant Cléopâtre morte, se jette sur son épée, mais la blessure n’est pas immédiatement fatale et il poussera son dernier soupir au côté de la reine d’Egypte qu’Octave espérait pouvoir exhiber lors de sa cérémonie de triomphe à Rome… Ce dernier point est cependant encore débattu, certains spécialistes pensant qu’au contraire, il craignait qu’un tel traitement n’émeuve le peuple romain et ne nuise à son image.
Polémique sur la série Netflix sur Cléopâtre : « On plaque un questionnement anachronique sur l’époque antique »
Cléopâtre ne lui laissa pas ce choix et, dit-on, s’empoisonna, le 12 août de l’an 30 avant notre ère. Dans des circonstances que le récit de son médecin personnel n’éclaire pas, du moins pas selon les témoignages qui nous sont parvenus. Et les auteurs antiques ne s’accordent pas sur la manière. L’épisode du panier de figues dans lequel était dissimulé l’aspic au venin foudroyant a été rendu célèbre par Shakespeare, mais figure aussi dans des récits d’auteurs antiques. Plutarque, près d’un siècle après les faits, évoque deux petites piqûres sur son bras, ce qui conforterait la thèse du venin de serpent, également propagée par Octavien qui la décrit ainsi lors de sa procession triomphale, de retour à Rome.
Les poètes Virgile et Horace vont même jusqu’à parler de deux de ces aspics mortels. « Des serpents et des figues, l’image a pu être calculée délibérément, du fait de leurs connotations sexuelles et le désir de représenter Cléopâtre comme une séductrice étrangère », analyse-t-on à l’université de Chicago (Etats-Unis). Strabon, par exemple, évoque un trépas « soit en se faisant piquer par un aspic, soit en usant d’un de ces poisons subtils qui tuent par le seul contact (car l’une et l’autre tradition ont cours). » Poison, aspic ou même cobra selon certains, le doute demeure.
Le hic, c’est que la plupart des récits ont été écrits des décennies plus tard, sans que l’on sache s’ils faisaient vraiment appel à des sources fiables ou s’ils reproduisaient une histoire officielle bien enracinée par Auguste et ses successeurs.
Pour Plutarque, né soixante-seize ans après les faits, la reine demanda à son médecin Olympus de l’aider à mettre fin à ses jours après le trépas d’Antoine. Octavien l’en dissuada en menaçant ses enfants. Ce qui ne fonctionna qu’un temps, puisqu’elle finit donc par se donner la mort. Les Romains la trouvèrent, raconte l’historien, « sans vie, couchée sur un lit d’or, et vêtue de ses habits royaux ». Plutarque défend lui aussi la thèse de l’aspic, mais envisage également l’emploi d’une épingle à cheveux empoisonnée. « Cléopâtre mourut à l’âge de 39 ans, après en avoir régné vingt-deux, dont plus de quatorze avec Antoine, qui avait à sa mort 53 ans, et, suivant d’autres, " data-original-
La dernière demeure d’Antoine et Cléopâtre
Aussi diserts soient-ils sur les circonstances de la mort de Cléopâtre, les auteurs antiques restent avares de détails sur sa sépulture. Plutarque nous fournit quelques indices : Cléopâtre aurait fait pénétrer Antoine agonisant dans son tombeau – les Egyptiens avaient pour tradition de penser bien à l’avance à leur dernière demeure – dans lequel elle s’était réfugiée pour faire face à Octave. L’historien précise que la reine « l’enterra de ses propres mains, avec une magnificence royale ». Mais ne nous dit pas où, si ce n’est qu’elle supplia dans une lettre Octave de l’enterrer auprès de l’homme qu’elle aimait. Une prière qui fut exaucée puisque le futur Auguste « ordonna qu’on l’enterrât auprès d’Antoine avec toute la magnificence convenable à son rang ».
Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand, dont le général Ptolémée fera sa résidence de roi d’Egypte, a longtemps semblé être le lieu évident de la dernière demeure d’Antoine et Cléopatre. Si leur tombeau s’y situe, le retrouver risque d’être difficile. Car toute une partie de la ville antique est désormais au fond des eaux de la Méditerranée. L’archéologie sous-marine nous amènera-t-elle des surprises ?
Aujourd’hui, c’est cependant une autre ville qui retient l’attention des spécialistes. Dans l’Antiquité, on la nommait Taposiris Magna, aujourd’hui Abousir, dans les faubourgs sud-ouest de la grande Alexandrie, à une cinquantaine de kilomètres du centre de la mégapole égyptienne. Dès la fin des années 1990, le site est fouillé par des archéologues, mais les années 2000 marquent un tournant dans l’histoire de ce lieu avec la découverte, et les premières fouilles, d’un temple dédié à Osiris et Isis.
«Ce site pourrait renfermer une découverte archéologique majeure », assurait une étude égyptienne publiée en mai 2019 dans la revue « NRIAG Journal of Astronomy and Geophysics » Les auteurs y font état de détections au radar à pénétration de sol – une technologie utilisée pour obtenir des images de structures enterrées – qui laissaient supposer la présence d’une possible chambre située 20 à 30 mètres sous le temple d’Osiris. Une tombe possible pour Cléopâtre et Marc Antoine, et les données venaient renforcer la conviction de ceux qui exploraient ce site.
Un tunnel sous le temple d’Osiris
Le 3 novembre 2022, le ministère du Tourisme et des Antiquités d’Egypte publiait sur Facebook un communiqué révélant la découverte d’un tunnel rocheux, à 13 mètres sous la surface, de 1 305 mètres de long et 2 mètres de haut. « C’est la réplique exacte du tunnel d’Eupalinos en Grèce, qui est considéré comme l’une des réalisations d’ingénierie les plus importantes de l’Antiquité », confiait Kathleen Martinez à LiveScience. Le tunnel auquel elle fait référence date du VIe siècle avant notre ère et se situe sur l’île de Samos où il servait d’aqueduc.
Au centre de cette trouvaille, une figure atypique de l’égyptologie, la docteure Kathleen Martinez. Ténor du barreau en République dominicaine, cette passionnée d’archéologie de terrain se consacre à Cléopâtre depuis plus de deux décennies.« J’ai étudié les sources égyptiennes et elles décrivaient une personne différente [que celle décrite par les Romains], la plus importante de sa dynastie. Cléopâtre dirigeait le pays le plus influent de l’époque. Reine à 18 ans, elle était la femme la plus importante sur Terre. Elle parlait neuf langues, écrivait sur les lois et la médecine. Chaque jour, je m’intéressais de plus en plus à elle. »
Cette admiration sans borne l’a amenée à la quête de son tombeau. « J’ai étudié comment elle est morte, déclarait-elle. Dans l’Egypte antique, la mort était un moment crucial et la façon dont on mourrait était remplie de sens. » Selon Kathleen Martinez, Cléopatre a été mordue par un cobra, le serpent protecteur des pharaons. « Sa mort était un message à ses partisans, elle voulait mourir comme une déesse. »
La quête de la chercheuse a donc pris une direction originale. Pour Kathleen Martinez, « si la tombe de Cléopâtre n’a jamais été retrouvée, c’est parce que la reine d’Egypte n’a pas été ensevelie dans une tombe. Elle et Marc Antoine ont dû être enterrés dans un temple, sans doute dédié à Isis et Osiris. Mais lequel ? » En 2002, elle se rend en Egypte pour faire le tour des temples possibles. Et s’arrête à celui de Taposiris Magna. Malgré les doutes et parfois l’opposition de nombre d’égyptologues, elle persuade les autorités égyptiennes d’y débuter des fouilles. Depuis, elle y travaille sans relâche. Dans le temple d’Osiris, son équipe a déjà découvert des pièces à l’effigie de Cléopâtre et d’Alexandre le Grand, ainsi que des statues d’Isis, une déesse à laquelle Cléopâtre aurait manifesté un attachement particulier.
Les archéologues ont aussi trouvé un dédale de tunnels dans les environs, avec 16 tombes taillées dans le roc datant des époques romaine et hellénistique, de même que des momies de ces périodes, mais pas celle de Cléopâtre. Pas encore ? Une partie du grand tunnel récemment découvert serait submergée sous les eaux de la Méditerrannée, et l’équipe d’archéologues tente aujourd’hui d’explorer cette section du temple. Un indice en faveur de la thèse défendue par l’archéologue ?
Le docteur
Glenn Gohendo, égyptologue à l’université de Liverpool (Angleterre), qui a participé à un documentaire télévisé sur les recherches de Kathleen Martinez, ne semble pas très convaincu, même s’il reconnaît que « Taposiris Magna est un endroit impressionnant ». Pour lui, la conviction de sa collègue « est en contradiction avec les opinions généralement admises sur le sujet, qui tendent à suivre les auteurs classiques qui semblent concordants sur le fait que la tombe de Cléopâtre et Marc Antoine se trouve à Alexandrie ». Il souligne en outre que « des fouilles sous-marines au fil des ans ont identifié des vestiges captivants qui paraissent très bien correspondre aux descriptions des anciens auteurs. Fondamentalement, Kathleen fait face à une sérieuse concurrence ».
« Il serait remarquable que leur tombeau ait résisté à des millénaires de changements culturels et de désastres naturels »,objecte pour sa part Robert Gurval, professeur d’études classiques à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA). « Même s’il n’a pas été touché par des mains humaines, les tremblements de terre et l’eau de mer l’auraient enterré ou submergé. Son palais est certainement sous l’eau. Son mausolée peut-être aussi. »
En 365, un tsunami dévaste Alexandrie, projetant des bateaux jusque sur le toit des maisons, comme le rapporte l’historien Ammien Marcellin. Depuis, il y en eut bien d’autres. Comme celui de 1323 qui a définitivement détruit le phare d’Alexandrie, sur la pointe de l’île de Pharos, l’une des Merveilles du Monde, qui aurait fini par s’effondrer dans les eaux en 1375. Autant de cataclysmes qui ont englouti une partie de l’antique Alexandrie. Aujourd’hui, des fouilles sont d’ailleurs en cours sous les eaux, dont celles réalisées par le Centre d’études alexandrines du CNRS (Cealex) autour des ruines du phare, mais pas pour retrouver le tombeau pL’Alexandrie engloutie le recèle-t-elle ? Une tombe liée au palais et désormais submergée avec lui par les eaux, telle est la thèse la plus communément admise. Kathleen Martinez a-t-elle raison ou tort ? Les fouilles du temple de Taposiris Magna pourraient trancher. Mais avant cela, la docteure Martinez devra « montrer qu’elle trouve des dates reliées de manière spécifique à Cléopâtre plutôt qu’à d’autres dirigeants ptolémaïques ou romains, » estime Glenn Gohendo. « Et elle devra démontrer un lien direct entre Cléopâtre elle-même et le site. Ce n’est pas une mince affaire. »
La découverte de ce tunnel sous le temple de Taposiris Magna est déjà en soi formidable. Et s’il menait au tombeau de Cléopâtre, ce serait sans précédent. « Une telle découverte serait majeure, avec la possibilité de réécrire ce que nous savons sur la plus célèbre reine d’Egypte », commente Jane Draycott, de l’université de Glasgow (Ecosse). D’autant plus que Césarion – fils de César et Cléopâtre – et Marcus Antonius Antyllus, fils d’Antoine, « pourraient bien y avoir été également enterrés », suggère la chercheuse écossaise.
« La quantité de nouvelles informations que les égyptologues, classicistes, spécialistes d’histoire ancienne et archéologues pourraient glaner de son contenu serait immense », prédit-elle. « L’architecture et les matériaux de la tombe seule pourraient occuper les historiens pendant des décennies. » Mais si l’on y trouvait aussi les restes de Cléopâtre, « cela pourrait nous en apprendre encore davantage, sur la cause de sa mort, son apparence physique et même répondre à la question épineuse de ses origines ». Tout cela en respectant ses restes, ce qui jusqu’ici n’a pas été vraiment le cas pour les souverains d’Egypte dont les momies sont exposées dans des musées…
Aussi diserts soient-ils sur les circonstances de la mort de Cléopâtre, les auteurs antiques restent avares de détails sur sa sépulture. Plutarque nous fournit quelques indices : Cléopâtre aurait fait pénétrer Antoine agonisant dans son tombeau – les Egyptiens avaient pour tradition de penser bien à l’avance à leur dernière demeure – dans lequel elle s’était réfugiée pour faire face à Octave. L’historien précise que la reine « l’enterra de ses propres mains, avec une magnificence royale ». Mais ne nous dit pas où, si ce n’est qu’elle supplia dans une lettre Octave de l’enterrer auprès de l’homme qu’elle aimait. Une prière qui fut exaucée puisque le futur Auguste « ordonna qu’on l’enterrât auprès d’Antoine avec toute la magnificence convenable à son rang ».
Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand, dont le général Ptolémée fera sa résidence de roi d’Egypte, a longtemps semblé être le lieu évident de la dernière demeure d’Antoine et Cléopatre. Si leur tombeau s’y situe, le retrouver risque d’être difficile. Car toute une partie de la ville antique est désormais au fond des eaux de la Méditerranée. L’archéologie sous-marine nous amènera-t-elle des surprises ?
Aujourd’hui, c’est cependant une autre ville qui retient l’attention des spécialistes. Dans l’Antiquité, on la nommait Taposiris Magna, aujourd’hui Abousir, dans les faubourgs sud-ouest de la grande Alexandrie, à une cinquantaine de kilomètres du centre de la mégapole égyptienne. Dès la fin des années 1990, le site est fouillé par des archéologues, mais les années 2000 marquent un tournant dans l’histoire de ce lieu avec la découverte, et les premières fouilles, d’un temple dédié à Osiris et Isis.
« On ne sait pas si Cléopâtre a aimé Antoine ou César, mais chacun d’eux a fait ses quatre volontés » « Ce site pourrait renfermer une découverte archéologique majeure », assurait une étude égyptienne publiée en mai 2019 dans la revue « NRIAG Journal of Astronomy and Geophysics » Les auteurs y font état de détections au radar à pénétration de sol – une technologie utilisée pour obtenir des images de structures enterrées – qui laissaient supposer la présence d’une possible chambre située 20 à 30 mètres sous le temple d’Osiris. Une tombe possible pour Cléopâtre et Marc Antoine, et les données venaient renforcer la conviction de ceux qui exploraient ce site.
Les ruines du temple d’Osiris à Taposiris Magna Les ruines du temple d’Osiris à Taposiris Magna ( ROLAND UNGER / WIKIMEDIA COMMONS) Un tunnel sous le temple d’Osiris Le 3 novembre 2022, le ministère du Tourisme et des Antiquités d’Egypte publiait sur Facebook un communiqué révélant la découverte d’un tunnel rocheux, à 13 mètres sous la surface, de 1 305 mètres de long et 2 mètres de haut. « C’est la réplique exacte du tunnel d’Eupalinos en Grèce, qui est considéré comme l’une des réalisations d’ingénierie les plus importantes de l’Antiquité », confiait Kathleen Martinez à LiveScience. Le tunnel auquel elle fait référence date du VIe siècle avant notre ère et se situe sur l’île de Samos où il servait d’aqueduc.
Au centre de cette trouvaille, une figure atypique de l’égyptologie, la docteure Kathleen Martinez. Ténor du barreau en République dominicaine, cette passionnée d’archéologie de terrain se consacre à Cléopâtre depuis plus de deux décennies. « J’ai étudié les sources égyptiennes et elles décrivaient une personne différente [que celle décrite par les Romains], la plus importante de sa dynastie. Cléopâtre dirigeait le pays le plus influent de l’époque. Reine à 18 ans, elle était la femme la plus importante sur Terre. Elle parlait neuf langues, écrivait sur les lois et la médecine. Chaque jour, je m’intéressais de plus en plus à elle. »
Cette admiration sans borne l’a amenée à la quête de son tombeau. « J’ai étudié comment elle est morte, déclarait-elle. Dans l’Egypte antique, la mort était un moment crucial et la façon dont on mourrait était remplie de sens. » Selon Kathleen Martinez, Cléopatre a été mordue par un cobra, le serpent protecteur des pharaons. « Sa mort était un message à ses partisans, elle voulait mourir comme une déesse. »
La quête de la chercheuse a donc pris une direction originale. Pour Kathleen Martinez, « si la tombe de Cléopâtre n’a jamais été retrouvée, c’est parce que la reine d’Egypte n’a pas été ensevelie dans une tombe. Elle et Marc Antoine ont dû être enterrés dans un temple, sans doute dédié à Isis et Osiris. Mais lequel ? » En 2002, elle se rend en Egypte pour faire le tour des temples possibles. Et s’arrête à celui de Taposiris Magna. Malgré les doutes et parfois l’opposition de nombre d’égyptologues, elle persuade les autorités égyptiennes d’y débuter des fouilles. Depuis, elle y travaille sans relâche. Dans le temple d’Osiris, son équipe a déjà découvert des pièces à l’effigie de Cléopâtre et d’Alexandre le Grand, ainsi que des statues d’Isis, une déesse à laquelle Cléopâtre aurait manifesté un attachement particulier.
Les archéologues ont aussi trouvé un dédale de tunnels dans les environs, avec 16 tombes taillées dans le roc datant des époques romaine et hellénistique, de même que des momies de ces périodes, mais pas celle de Cléopâtre. Pas encore ? Une partie du grand tunnel récemment découvert serait submergée sous les eaux de la Méditerrannée, et l’équipe d’archéologues tente aujourd’hui d’explorer cette section du temple. Un indice en faveur de la thèse défendue par l’archéologue ?
Le tunnel découvert sous le temple de Taposiris Magna, aujourd’hui dans les faubourgs du sud-ouest d’Alexandrie Le tunnel découvert sous le temple de Taposiris Magna, aujourd’hui dans les faubourgs du sud-ouest d’Alexandrie ( MINISTÈRE DU TOURISME ET DES ANTIQUITÉS D’EGYPTE) Le docteur Glenn Gohendo, égyptologue à l’université de Liverpool (Angleterre), qui a participé à un documentaire télévisé sur les recherches de Kathleen Martinez, ne semble pas très convaincu, même s’il reconnaît que « Taposiris Magna est un endroit impressionnant ». Pour lui, la conviction de sa collègue « est en contradiction avec les opinions généralement admises sur le sujet, qui tendent à suivre les auteurs classiques qui semblent concordants sur le fait que la tombe de Cléopâtre et Marc Antoine se trouve à Alexandrie ». Il souligne en outre que « des fouilles sous-marines au fil des ans ont identifié des vestiges captivants qui paraissent très bien correspondre aux descriptions des anciens auteurs. Fondamentalement, Kathleen fait face à une sérieuse concurrence ».
« Il serait remarquable que leur tombeau ait résisté à des millénaires de changements culturels et de désastres naturels », objecte pour sa part Robert Gurval, professeur d’études classiques à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA). « Même s’il n’a pas été touché par des mains humaines, les tremblements de terre et l’eau de mer l’auraient enterré ou submergé. Son palais est certainement sous l’eau. Son mausolée peut-être aussi. »
En 365, un tsunami dévaste Alexandrie, projetant des bateaux jusque sur le toit des maisons, comme le rapporte l’historien Ammien Marcellin. Depuis, il y en eut bien d’autres. Comme celui de 1323 qui a définitivement détruit le phare d’Alexandrie, sur la pointe de l’île de Pharos, l’une des Merveilles du Monde, qui aurait fini par s’effondrer dans les eaux en 1375. Autant de cataclysmes qui ont englouti une partie de l’antique Alexandrie. Aujourd’hui, des fouilles sont d’ailleurs en cours sous les eaux, dont celles réalisées par le Centre d’études alexandrines du CNRS (Cealex) autour des ruines du phare, mais pas pour retrouver le tombeau perdu.
L’Alexandrie engloutie le recèle-t-elle ? Une tombe liée au palais et désormais submergée avec lui par les eaux, telle est la thèse la plus communément admise. Kathleen Martinez a-t-elle raison ou tort ? Les fouilles du temple de Taposiris Magna pourraient trancher. Mais avant cela, la docteure Martinez devra « montrer qu’elle trouve des dates reliées de manière spécifique à Cléopâtre plutôt qu’à d’autres dirigeants ptolémaïques ou romains, » estime Glenn Gohendo. « Et elle devra démontrer un lien direct entre Cléopâtre elle-même et le site. Ce n’est pas une mince affaire. »
La découverte de ce tunnel sous le temple de Taposiris Magna est déjà en soi formidable. Et s’il menait au tombeau de Cléopâtre, ce serait sans précédent. « Une telle découverte serait majeure, avec la possibilité de réécrire ce que nous savons sur la plus célèbre reine d’Egypte », commente Jane Draycott, de l’université de Glasgow (Ecosse). D’autant plus que Césarion – fils de César et Cléopâtre – et Marcus Antonius Antyllus, fils d’Antoine, « pourraient bien y avoir été également enterrés », suggère la chercheuse écossaise.
« La quantité de nouvelles informations que les égyptologues, classicistes, spécialistes d’histoire ancienne et archéologues pourraient glaner de son contenu serait immense », prédit-elle. « L’architecture et les matériaux de la tombe seule pourraient occuper les historiens pendant des décennies. » Mais si l’on y trouvait aussi les restes de Cléopâtre, « cela pourrait nous en apprendre encore davantage, sur la cause de sa mort, son apparence physique et même répondre à la question épineuse de ses origines ». Tout cela en respectant ses restes, ce qui jusqu’ici n’a pas été vraiment le cas pour les souverains d’Egypte dont les momies sont exposées dans des musées…
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Une cinquantaine d’associations, de syndicats et de partis de gauche, dont La France insoumise, Europe Ecologie-Les Verts et la CGT ont dénoncé, samedi 15 juillet, l’interdiction par la préfecture de police de Paris d’une manifestation contre les violences policières, qui doit se dérouler dans l’après-midi place de la République, au centre de la capitale.
Les associations, syndicats, collectifs et partis politiques sont cosignataires d’un communiqué de presse, diffusé dans la matinée. Ils jugent que cette nouvelle interdiction de manifester est « un évident signe d’autoritarisme ». « Nous dénonçons avec force cette tentative de museler l’expression politique des quartiers populaires et la répression des mouvements sociaux et écologistes. Les organisations exigent que cette marche puisse se tenir », ont-ils affirmé. L’arrêté d’interdiction pris par le préfet, Laurent Nuñez, a fait l’objet d’un recours en urgence rejeté, samedi matin, par le tribunal administratif de Paris.
« Une consigne générale donc illégale »
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé mercredi l’interdiction de ce rassemblement, ainsi que toute autre « manifestation en lien direct avec les émeutes », jusqu’au 15 juillet inclus.
Lors de l’audience devant le tribunal administratif, samedi, l’avocate des requérants, Lucie Simon, a dénoncé « une consigne générale et donc illégale » d’interdiction des manifestations. « Si on veut juguler la colère, il faut canaliser son expression démocratique », a-t-elle plaidé au nom des organisateurs.
Pour le représentant de la préfecture de police à l’audience, le problème « n’est pas l’objet de la manifestation mais la possibilité que des individus violents » soient présents. Et ce dans un contexte de « faible disponibilité des forces de l’ordre » après les émeutes et la mobilisation d’un important dispositif de sécurité jeudi et vendredi soir pour le 14-Juillet.
La préfecture de police avait déjà interdit la semaine dernière une précédente manifestation à Paris visant à honorer la mémoire d’Adama Traoré, mort peu après son arrestation par des gendarmes en juillet 2016. En dépit de cette mesure préfectorale, environ 2 000 personnes s’étaient rassemblées le 8 juillet.
Le sociologue Hicham Benaissa rappelle, dans une tribune au « Monde », qu’il est vain de croire que le calme revenu après les émeutes en banlieue est durable. Selon lui, la colère se manifestera tant que nos institutions ne regarderont pas notre passé colonial en face.
Un fait devient social et historique, nous enseigne Emile Durkheim, lorsqu’il est régulier, objectif, général. C’est d’ailleurs à ce titre que le sociologue s’est intéressé au crime en tant qu’objet qui répond aux critères d’un phénomène social. Indépendamment de la volonté des uns et des autres, un fait social s’impose à nous de l’extérieur, à tel point que nous pouvons en donner des prévisions.
La sociologue Rachida Brahim a fourni un travail de recherche précieux qui a consisté à recenser le nombre de crimes racistes commis entre 1970 et 1997. Elle a listé, au total, 731 actes, soit une moyenne de 27 cas par an. Dans le cadre d’un débat critique et universitaire, on peut, si on le souhaite, débattre des chiffres et des concepts, mais il sera difficile de contester la constance et la régularité de ce phénomène. Et, au-delà de la statistique froide, il faut rappeler à la conscience publique la nature précise de quelques événements marquants.
Il y a plus de soixante ans, le 17 octobre 1961, la police réprime dans le sang une manifestation d’Algériens à Paris. Des dizaines de morts par balle. Certains sont jetés dans la Seine, meurent noyés. Ils sont des centaines à être blessés, mis en détention, frappés à coups de crosse. En 1973, le racisme s’exprime dans sa banalité la plus extrême. Dans la nuit du 28 au 29 août, près de la cité de La Calade, à Marseille, Ladj Lounes, 16 ans, est abattu de plusieurs balles dans le corps par le brigadier Canto. La ville, cet été-là, est l’épicentre d’un terrorisme raciste aveugle : 17 Algériens y meurent dans une quasi-indifférence de la police et de la justice. On estime à un peu plus de cinquante les crimes à caractère raciste visant les Maghrébins dans toute la France.
Mépris de race
Dans la nuit du 19 au 20 juin 1983, au milieu du quartier des Minguettes, à Vénissieux (Rhône), un policier tire une balle de 357 Magnum dans l’abdomen de Toumi Djaidja. Il est grièvement blessé mais s’en sort. Sur son lit d’hôpital, il a l’idée d’une marche qui irait de Marseille à Paris. Objectifs : dénoncer les crimes racistes dont sont l’objet les immigrés et leurs enfants, et exiger qu’on les traite avec égalité. Sur leur trajet, les marcheurs apprennent la mort de Habib Grimzi, défenestré du train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à la Légion étrangère.
Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, des étudiants manifestent contre le projet de réforme universitaire Devaquet. Malik Oussekine sort d’un club de jazz où il avait ses habitudes, dans le 6e arrondissement de Paris. Il est alors pris en chasse par des policiers « voltigeurs » et meurt dans un hall d’immeuble, au 20, rue Monsieur-le-Prince, sous une pluie battante de coups de pied et de matraque de trois CRS. Plus récemment encore : Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, en octobre 2005, Adama Traoré en juillet 2016, et Nahel M. en juin. Pourquoi ce dernier est-il mort ? Parce que c’était prévisible. Il avait plus de risque d’être abattu par un policier qu’un autre jeune homme de son âge issu de milieu et d’origine différents.
En réalité, Nahel M. n’avait pas son âge. Il était vieux du monde qu’il portait dans sa chair, ce monde dans lequel les corps sont hiérarchisés, plus ou moins exposés à l’injure, à la violence physique, à la mort. Ils ne sont pas que biologiques, mais aussi sociaux et symboliques, ce par quoi passent nos jugements, nos désirs, nos dégoûts, structurés par l’histoire d’un monde qui les précède. L’histoire de la mort de Nahel M., c’est l’histoire d’un corps frappé, dès son plus jeune âge, du sceau du mépris de classe et de race.
Sa mort n’est pas un accident, ni un fait divers perdu dans le flux chaotique du présent. Elle s’inscrit dans la continuité historique des crimes racistes perpétrés à l’endroit des Noirs et des Arabes de ce pays. Depuis une date inconnue, la société française entretient avec le corps de Nahel M., et de tous les autres, une relation raciale, seule explication valable permettant de justifier, des dizaines d’années après, leur agglomération continue dans les mêmes lieux délabrés et méprisés, à la périphérie des grandes villes.
Jeunesse abandonnée
Parce que si le racisme trouve sa forme la plus violente dans le crime, il est avant toute chose un rapport banalisé à la société entière. Il vient se loger jusque dans l’intimité, dans le rapport à soi, puis dans le rapport aux autres, aux institutions, à l’école, au logement, au travail, à la justice. En 2020, le Défenseur des droits écrit, dans la synthèse d’un rapport intitulé « Discriminations et origines : l’urgence d’agir » : « Il ressort de toutes les études et données à la disposition du Défenseur des droits que les discriminations fondées sur l’origine restent massives en France et affectent la vie quotidienne et les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs trajectoires de vie et leurs droits les plus fondamentaux. » Contre les tentatives de déresponsabilisation de l’Etat, il faut répondre. C’était là, sous vos yeux.
Si on reprend le fil historique des révoltes contre les crimes racistes, on remarquera qu’elles sont plus amples, plus violentes, plus spontanées. La dynamique est au nombre. Mais elles sont aussi plus désorganisées car davantage portées par des individus d’une extrême jeunesse qui se révoltent sans grande orientation intellectuelle. Cette même orientation qui pourrait leur donner les outils pour comprendre, et donc maîtriser, les raisons de leur colère en les formulant au travers d’objectifs politiques clairs. Une jeunesse en grande partie abandonnée à l’idéologie d’un capitalisme sauvage et sans horizon, à qui on fait miroiter avoir et paraître, succès et fortune, auxquels, sur le plan statistique, ils ont peu de chance d’avoir accès.
Mais on se trompe dangereusement si l’on croit que le feu est éteint et qu’on peut tranquillement retourner à nos affaires. Cela reviendra, parce qu’il y a ici la nature d’un fait social régulier, objectif et général. Avec une particularité supplémentaire : le conflit ne se situe plus uniquement sur le terrain du social mais aussi sur le plan des idées. L’explication traditionnelle de ces révoltes est aujourd’hui concurrencée par des théories et des argumentaires d’une classe moyenne supérieure culturelle et économique partageant avec cette jeunesse une histoire commune.
Cette lutte sociale et intellectuelle nous conduira inévitablement (mais à quel prix ?) vers un travail collectif de redéfinition des principes de la nation française, à partir de la diversité de ses composantes. Comme souvent dans l’histoire de France, cela passera sans doute par une réorganisation institutionnelle de son régime. La Ve République s’est ouverte en pensant tourner définitivement la page avec son passé colonial. La VIe devra le regarder en face.
Hicham Benaissa est docteur en sociologie, rattaché au laboratoire du Groupe sociétés, religions, laïcités de l’Ecole pratique des hautes études et du CNRS. Il est notamment l’auteur du livre « Le Travail et l’Islam. Généalogie(s) d’une problématique » (Editions du Croquant, 2020).
Publié aujourd’hui à 06h00, modifié à 12h43Temps deLecture 4 min.
Empêtrées dans une relation diplomatique fragile et conflictuelle, France et Algérie commémorent, samedi 16 et dimanche 17 octobre, un triste anniversaire. Il y a soixante ans, le 17 octobre 1961, au moins 120 Algériens ont été tués par la police lors d’une manifestation à Paris. A l’appel de la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN), au moins 20 000 Algériens avaient défilé pour défendre pacifiquement une « Algérie algérienne » et dénoncer un couvre-feu imposé à ces seuls « Français musulmans d’Algérie ».
Emmanuel Macron s’apprête à reconnaître samedi « une vérité incontestable » lors de la cérémonie officielle pour les 60 ans du massacre, allant plus loin que la « sanglante répression » admise par François Hollande en 2012, a fait savoir l’Elysée vendredi.
En plein cœur de sa politique de réconciliation mémorielle autour de la guerre d’Algérie, le président français, Emmanuel Macron, s’est engagé à célébrer les trois grandes commémorations autour du conflit : l’hommage aux harkis (auxiliaires algériens ayant combattu pour l’armée française) ; le soixantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961 ; et les accords d’Evian, qui ont scellé, le 18 mars, l’indépendance du pays.
Pour tenter de mieux comprendre les enjeux de cette commémoration, Le Monde vous explique ce qu’il s’est passé le 17 octobre 1961 et ce que cela a entraîné.
Que s’est-il passé ?
Alors que la guerre d’Algérie (1954-1962) touche à sa fin, la tension entre la police parisienne, alors dirigée par Maurice Papon – également impliqué dans la rafle de 1 600 juifs à Bordeaux entre 1942 et 1944 – et le FLN s’accroît, jusqu’à la mise en place d’un couvre-feu, pour les « Français musulmans d’Algérie » uniquement. Pour boycotter cette règle discriminatoire, la Fédération de France du FLN organise, le 17 octobre 1961, une large manifestation appelant hommes, femmes et enfants à défiler dans la capitale. La mobilisation est voulue pacifique, toute arme étant strictement interdite.
En fin d’après-midi, au moins 20 000 Algériens – et jusqu’à 40 000 selon des estimations internes au FLN – gagnent ainsi la rue. Mais la manifestation est rapidement et durement réprimée par la police parisienne, échaudée par la diffusion de fausses informations faisant état de plusieurs morts et blessés parmi les forces de police. De nombreux manifestants sont tués : passés à tabac, dans la rue ou dans les centres d’internement vers lesquels ils étaient emmenés, jetés dans la Seine ou bien abattus par balle.
Lors de cette nuit sanglante, au moins 12 000 Algériens ont été arrêtés, et au moins 120 ont été tués – les estimations de certains historiens portant même le bilan à plus de 200 morts.
Dans quel contexte ce massacre a-t-il eu lieu ?
Tandis que la guerre fait rage en Algérie, les tensions sont aussi vives en France en octobre 1961, où police parisienne et membres du FLN se livrent une bataille violente. Des sévices sont régulièrement perpétrés par les forces de l’ordre sur des Algériens détenus.
Dans une escalade de la violence, les actions du FLN se font de plus en plus sanglantes à mesure que la répression française contre les Algériens se durcit. En septembre 1961, cinq policiers français avaient notamment été tués lors d’attaques du FLN.
« Si la mort d’un agent en service fait normalement l’objet d’une prise en charge institutionnelle, à l’époque le préfet Maurice Papon choisit de suspendre les obsèques solennelles, car il ne peut y en avoir toutes les semaines et il craint les réactions de ses agents. On peut imaginer l’esprit de vengeance que génère ce contexte », souligne ainsi l’historien Emmanuel Blanchard dans nos colonnes.
Lire aussi Article réservé à nos abonnés « Le massacre du 17 octobre 1961 est un mensonge d’Etat qui a commencé par la dénégation des victimes de la répression policière »
Quelle suite ces événements ont eue ?
La préfecture de Paris – couverte par les autorités gaulliennes – s’est rapidement employée à dissimuler ce qui s’est révélé être « la répression d’Etat la plus violente qu’ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l’histoire contemporaine », selon les historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster. Dès le lendemain, le 18 octobre 1961, la préfecture établit, dans un communiqué, un bilan de trois morts lors – selon elle – d’affrontements entre manifestants algériens. A cette période, la presse est alors largement censurée par le pouvoir, et le discours officiel est relayé par les titres de presse populaires.
Parallèlement, police et justice mènent une enquête peu rigoureuse, s’attardant, selon Emmanuel Blanchard, sur certains pans de l’histoire, comme les règlements de comptes qui avaient opposé deux groupes indépendantistes algériens à la fin des années 1950, et occultant de nombreux autres, comme la violence policière. Aussi, la reprise des négociations entre Paris et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en vue de son indépendance a largement contribué à installer une omerta autour des évènements du 17 octobre 1961, les deux parties estimant que ce silence poursuivait un intérêt commun.
Les langues ont bien commencé à se délier dans les années 1980 sous l’impulsion des descendants des Algériens restés en France et témoins du massacre. Mais la véritable avancée vers la connaissance et la mémoire de cet évènement ne vient qu’en 1991, lorsque l’historien Jean-Luc Einaudi publie La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 aux éditions du Seuil. Son ouvrage lève alors le voile sur l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire franco-algérienne, remettant en cause la version officielle de l’Etat et le bilan humain de cette manifestation – annoncé à trois morts. M. Einaudi le relève à plus de 200.
Dix ans après cette publication, le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë inaugure, en 2001, une plaque « à la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ». Aucun ministre ni membre de l’Etat ne s’associe à la commémoration. Il faudra attendre 2012 pour qu’un gouvernement prenne position, en la personne du président socialiste François Hollande. Ce dernier « reconn[aît] avec lucidité », et au nom de la République, la « sanglante répression » qui a pris la vie « d’Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ». En revanche, la forme du geste présidentiel – un communiqué plutôt qu’un discours lors d’une cérémonie – a limité la puissance symbolique de cette reconnaissance par l’Etat français.
Quel est l’enjeu de cet anniversaire sur fond de tensions entre Paris et Alger ?
Emmanuel Macron est donc particulièrement attendu cette année. D’autant que ce soixantième anniversaire intervient dans un contexte très tendu entre la France et l’Algérie après que M. Macron a évoqué, le 30 septembre lors d’une réunion retranscrite par Le Monde, un « système politico-militaire » algérien « fatigué », fondé sur la « haine de la France » et qui entretient une « rente mémorielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ». Ces propos ont fortement déplu de l’autre côté de la Méditerranée, provoquant un véritable incident diplomatique.
Les tensions étaient toutefois déjà vives entre les deux pays, s’étendant sur plusieurs fronts, parmi lesquels : la question migratoire ; les déconvenues concernant des contrats économiques et commerciaux ; la sécurité régionale ; ou encore cette réconciliation mémorielle que le président français a voulu initier, a rappelé Frédéric Bobin, journaliste spécialiste de l’Afrique du Nord au Monde.
M. Macron a reconnu « au nom de la France » et de la « République française » l’assassinat, à Alger en 1957, des militants indépendantistes Maurice Audin et Ali Boumendjel. Il a aussi admis, le 20 septembre, la « tragédie » concernant les harkis, pour laquelle il a demandé « pardon ».
Samedi, le chef de l’Etat déposera en milieu d’après-midi une gerbe sur les berges de la Seine, à la hauteur du pont de Bezons, en banlieue parisienne, emprunté il y a soixante ans par les manifestants algériens qui arrivaient du bidonville voisin de Nanterre à l’appel de la branche du FLN installée en France. M. Macron, premier président français né après la guerre d’Algérie, achevée en 1962, sera selon l’Elysée « le premier de la Ve République à se rendre sur un lieu de mémoire où se tiendra cettecommémoration ».
Publié le 16 octobre 2021 à 07h00, modifié le 16 octobre 2021 à 14h30https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/16/que-s-est-il-passe-le-17-octobre-1961-a-paris_6098617_3224.html.
Le festival Ciné-Palestine (FCP) 2023 qui s’est tenu au mois de juin a proposé au public une riche programmation intitulée « Sur cette terre », qui porte un regard critique sur l’accaparement colonial de la terre et du prétexte écologique, explorant à la fois les nombreux sens du mot et les différents moyens de lutter par l’image.
Extrait de Foragers, de Joumana Manna (2022)
Depuis 2015, le festival Ciné-Palestine, dont Orient XXI est partenaire, donne à voir des pépites du cinéma palestinien. Porté par une équipe de bénévoles, il se tient chaque année à Paris, en Île-de-France et depuis deux ans à Marseille. Un évènement nomade donc, qui fait la part belle aux expérimentations cinématographiques contemporaines, mais aussi aux archives, aux classiques, aux documentaires et à des formes hybrides qui font dialoguer les narrations par l’image. Un rendez-vous incontournable qui se déploie dans des cinémas, des prisons, des salles associatives et en plein air, organisant des ciné-clubs et un concours… Un festival en perpétuelle évolution, qui s’invente et se réinvente en gardant son cap, celui de la promotion de la vitalité du cinéma palestinien, de la qualité et de la diversité de ses œuvres audiovisuelles.
La thématique de cette année, « Sur cette terre », a été riche en réflexions : confrontant écologie et colonisation, les films programmés, chacun à leur manière, ont éclairé d’un regard sans concession les enjeux environnementaux de l’accaparement des terres. Parce que tout ce qui pousse sur cette terre est vivant, et interagit dans un écosystème écologique, économique et culturel que la colonisation détruit, parce que le green washing, in fine, sert l’agriculture industrielle et que la plus petite graine peut porter en elle le germe de la résistance, cette thématique a mis en lumière les liens profonds qui unissent la nature et la lutte pour la liberté.
De la Journée de la terre à Google Earth en passant par les plantes sauvages, la souveraineté alimentaire et les catastrophes climatiques, le festival a donné à voir et à entendre les multiples sens que revêt, en Palestine, le mot « terre » et les combats qu’il évoque, mais aussi les multiples façons dont les cinéastes s’en emparent.
MANGER, C’EST (DÉJÀ) RÉSISTER
La programmation souligne l’imbrication des injustices sociales et climatiques, des destructions écologiques et politiques, et dénonce les arguments scientifiques d’un système colonial qui s’érige en « défenseur de la nature » pour mieux priver les habitant·es de leurs terres. Ainsi Foragers, de Joumana Manna (2022), présenté à Paris et à Marseille, fait le portrait de glaneurs et glaneuses palestinien·nes confronté·es à la violence de l’autorité israélienne des parcs et de la nature. Ici, les codes de la fiction permettent d’illustrer le récit documentaire glaçant de la manière dont les gardiens persécutent celles et ceux qui, par leurs cueillettes, entretiennent le paysage et les traditions culinaires. Récoltes, courses-poursuites dans les collines, confiscations, arrestations, interrogatoires, jugements, amendes, ici, le cycle qui va de la terre à l’assiette est semé d’embûches et manger devient résistance. Et parce que le réel est impossible à filmer, Joumana Manna le met en scène avec une grande subtilité, au point que le public est surpris de voir défiler à la fin un générique mentionnant des acteurs. Le recours à la fiction permet de souligner l’absurdité d’une puissance coloniale menacée par des cueilleurs d’akoub et de zaatar, la fragilité des arguments officiels et l’acharnement des autorités…
VIOLENCE COLONIALE SOUS COUVERT D’ÉCOLOGIE
Se cacher pour glaner, se cacher pour filmer, contourner les interdits, résister : Foragers est un film où le fond et la forme se font écho pour mieux raconter l’hypocrisie d’une violence coloniale qui s’exerce sous couvert d’écologie et dénoncer un système vicieux et implacable où la protection du vivant devient prétexte à sa destruction1
Parce que les images sont interdites, menacées par l’autorité ou menaçantes pour les protagonistes, la fiction devient ici l’outil du documentaire. Ailleurs, les cinéastes ont recours aux archives par exemple, à l’instar de Yom al-Ard, court-métrage de Monica Mauer (2019), monté à partir de séquences tournées en 1981 à l’occasion de la cinquième Journée de la terre. Projeté en amont de Foragers, il revient sur cette mobilisation particulière, où une fois encore, la portée symbolique de la terre infuse toutes les luttes.
« CONTOURNER LES IMPOSSIBLES »
Les images dessinées et l’animation font également partie de ces moyens dont s’emparent les cinéastes privé·es de caméra pour dire la réalité. C’est le cas d’Amer Shomali et Paul Cowan, coréalisateurs du film Les 18 fugitives (2014), qui raconte, en faisant appel au dessin et à la pâte à modeler, aux reconstitutions et aux entretiens, l’histoire vraie des vaches de Beit Sahour et de celles et ceux qui se sont battus pour leur autonomie alimentaire.
D’autres utilisent des images quotidiennes et pourtant lourdes de sens : celles des téléphones, de la télévision, de vidéos, des caméras de surveillance ou des satellites. Dans le très beau court-métrage expérimental Your father was born 100 years old, and so was the Nakba (2017), de Razan Al-Salah, une grand-mère revisite les lieux de son enfance par le seul moyen qui lui soit possible : le Google Maps street view de Haïfa. C’est la voix off qui raconte : à la place de ce rond-point, il y avait un puits. C’est la voix off qui s’adresse aux silhouettes immobiles des touristes, qui cherche dans la foule des visages connus, qui fait le récit : être privé·e d’images, c’est aussi être coupé·e des siens et de leur mémoire. Mais c’est surtout trouver des moyens de montrer malgré tout, de s’exprimer au-delà des interdits, de contourner les impossibles pour raconter une terre confisquée, menacée, malmenée par un système colonial qui prive de nature et d’images un peuple qui résiste.
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