L’ARTISTE ET LE PRÉSIDENT (2/12). Dalida a côtoyé René Coty, chanté pour Giscard, souri à Sarkozy mais s’est engagée pour faire élire François Mitterrand. Elle l’a payé au prix fort.
Les services secrets redoutaient le pire : « Il va se faire assassiner. » Une fois gravie la rue Lepic, à Paris, il se débarrassait de son chauffeur et de ses gardes du corps, puis seul, tout seul, François Mitterrand rasait les murs, à pied jusqu’au 11 bis de la rue d’Orchampt. Au bout de la ruelle, étroite et sombre, l’hôtel particulier de Dalida, majestueux comme un château en plein Montmartre. Aujourd’hui, il y a une plaque commémorative sur la façade. A l’époque, bien vivante, belle et rayonnante, la diva de la chanson faisait livrer des fruits de mer de la brasserie Charlot, « roi des coquillages », place de Clichy, pour Mitterrand et pour lui seul.
Amants ou amis ? Chacun se posait la question, alimentant la rumeur. Orlando, frère et producteur de Dalida, témoin de tout, tranche : « Elle a toujours considéré Mitterrand comme un ami ; il n’a jamais cessé de chercher à la séduire. »
Chaque fois que l’homme à la rose s’aventurait rue d’Orchampt, on pensait aux risques qu’il prenait, mais personne ne songeait aux dangers qui menaçaient cette femme engagée en politique au nom de l’amitié, sans filtre, presque à son corps défendant.
Des présidents, Dalida en aura approché d’autres. René Coty, en 1955, lors d’une fête de l’amitié franco-italienne, lui avait dit : « Vous êtes une belle ambassadrice de votre pays en France. » Son pays, l’Egypte, où elle est née Iolanda Cristina Gigliotti en décembre 1933, dans une famille italienne. Des gaullistes historiques, d’où son émotion en recevant des mains du général de Gaulle la médaille de la présidence de la République (jusque-là réservée aux résistants). Un soir de 1968, elle dîne dans un restaurant de la place Pereire quand Georges Pompidou, son voisin de table, demande à lui être présenté. Elle aura chanté pour Giscard, enlacé Chirac et souri à Sarkozy, mais quand ces deux derniers accéderont à la fonction suprême, elle sera suicidée depuis longtemps.
« François Mitterrand a fait ma première partie »
Parmi tous ces puissants, dans son existence jalonnée de drames et saupoudrée de paillettes, François Mitterrand tient une place à part. Lorsqu’elle le rencontre, en juin 1971, elle est cette chanteuse que la télévision réclame, que l’Olympia acclame. Une chanson, un succès. La France est son socle, mais « Bambino », dès 1957, l’a rendue internationale. Dalida parcourt l’Europe, l’Amérique du Sud, le monde arabe. Les Etats-Unis lui font un pont d’or. Elle le refuse pour conserver sa liberté.
Maire de Château-Chinon depuis 1959, Mitterrand vient alors d’être élu Premier secrétaire du Parti socialiste lors du congrès d’Epinay. Il a tout d’un chef d’Etat, le charisme, le cynisme et l’ambition, mais il ne l’est pas – pas encore. Il ne bat pas la campagne pour passer le temps, il entend mener la gauche au pouvoir, et là, tout de suite, la gauche, c’est lui. Il s’apprête à lancer le Programme commun, comprenez l’union de la gauche, avec le communiste Georges Marchais et le radical Robert Fabre. Dans ce contexte, la popularité internationale de Dalida l’intéresse. Elle est fascinante, elle le fascine. Il est extrêmement cultivé, elle est hypnotisée.
Au début des années 1970, Gaston Defferre, maire de Marseille, organise au stade Vallier le rassemblement du PS. C’est là que Dalida et Mitterrand se rencontrent. Elle attend qu’il termine son discours pour dérouler son tour de chant, ce qui lui fera dire en riant : « François Mitterrand a fait ma première partie. » Comme chaque fois qu’elle chante, elle fait un malheur.
Le patron du PS la veut à ses côtés lors du dîner qui suit. Elle est là. Il parle littérature et philosophie, elle écoute. Elle a adoré cette soirée mais trouvera osé son coup de fil à 5 heures du matin dans sa chambre d’hôtel : il ne quittera pas Marseille sans obtenir son numéro de téléphone. Ils s’appelleront, se retrouveront souvent rue d’Orchampt et ailleurs. Il est dans sa loge à l’Olympia ; elle est sur la scène de Château-Chinon pour les 25 ans de sa vie parlementaire. Dalida vient d’ajouter à son répertoire « Pour ne pas vivre seul », qui lui vaut la reconnaissance éternelle de la communauté gay, et « Parle plus bas », la chanson du « Parrain » (500 000 exemplaires vendus). A la fin du concert, Mitterrand s’approche de la scène, elle se penche vers lui, leurs mains se serrent et les flashs crépitent. Les chansonniers ne tarderont pas à s’amuser de la situation, le grimant en « Mimi l’amoroso ». Pas mal trouvé pour un homme qui passe son temps dans une ruelle sombre de Montmartre. « Mimi, c’est toi là-bas dans le noir ? »
Dalida a beau répéter qu’elle « apprécie l’homme derrière le candidat », sa présence aux côtés de Mitterrand n’est pas perçue aussi simplement. En avril 1974, la donne change à la mort prématurée de Pompidou. Les élections anticipées voient s’opposer au second tour Giscard et Mitterrand. Elle fait un carton devant plus de 50 000 personnes rassemblées dans le Stadium de Toulouse pour le dernier meeting de la campagne présidentielle de son ami François.
Elle s’engage frontalement dans la campagne de 1981
Mitterrand sortira battu de la course à l’Elysée. Les années passent sur le pavé de la rue d’Orchampt et, avec elles, les rendez-vous en catimini, les Olympia, la vague disco, les tentatives de séduction, les « restons amis » et les beaux discours. Et puis le mois de mai 1981 arrive. Et si, lors du duel d’entre-deux-tours, Mitterrand mouchait Giscard en le faisant passer pour « l’homme du passif » ? Et si, une rose rouge entre les dents, il faisait basculer la France à gauche ? Et si on se retrouvait place de la Bastille pour fêter ça ? Si ce miracle se produisait, Dalida n’y serait pas pour rien.
A tort ? à raison ? Elle s’engage cette fois frontalement dans la campagne de 1981 et fait taire en elle le bon diable qui lui souffle de s’en abstenir. Son credo : elle connaît « l’homme derrière le candidat » depuis longtemps maintenant, elle a confiance en lui. Avant de rencontrer Mitterrand, elle fréquentait Roger Hanin et sa femme, la productrice Christine Gouze-Rénal. Depuis, elle s’est liée d’amitié avec Danielle Mitterrand, elle a rencontré les fils du couple, elle apprécie Jacques Attali, le très brillant conseiller du candidat, et l’historien Claude Manceron.
La mitterrandie a table ouverte rue d’Orchampt, où Hélène, la cuisinière, régale tout ce beau monde de soufflés au fromage. Où Roger Hanin égaye de ses blagues les discussions politiques. Ces dernières années, la maîtresse de maison a encore enchaîné les tubes : « J’attendrai », « Salma ya Salama », « Laissez-moi danser ». Elle a été sacrée reine du disco et, en mars 1981, Michel Drucker vient de lui remettre un disque de diamant pour ses 85 millions de disques vendus dans le monde (dont cinquante-cinq d’or). Elle a été la première femme à dompter le Palais des Sports, alors la plus grande salle parisienne, lors de 18 représentations à guichets fermés. Danielle et François Mitterrand y étaient.
Lille. Avril 1981. Le 21. A la demande de Roger Hanin, Dalida chante pour chauffer la salle avant le discours mitterrandien du premier tour. Dalida en meeting, Dalida en soutien dans « le Matin de Paris » :
« Je vote pour un homme que je connais et dont j’apprécie la sagesse intérieure et les qualités humaines. Un homme au-dessus de tout soupçon. »
Abu Dhabi. Mai 1981. Le 10. Dalida s’apprête à entrer en scène quand Jacques Attali lui annonce au téléphone que l’élection est gagnée ; elle doit le garder pour elle jusqu’à 20 heures. Elle raccroche, hurle à son équipe que Mitterrand est président, puis appelle Orlando pour lui dévoiler le résultat hyper secret du scrutin.
En rentrant à Paris, elle donnera un grand dîner rue d’Orchampt en l’honneur de son ami président de la République ; au Panthéon, elle se distinguera parmi les soutiens du premier rang, en robe rose – ce qui lui vaut le surnom de « Panthère rose ». Un surnom parmi tant d’autres : « la fiancée du président », « l’égérie de Mitterrand ». On lui prête un pouvoir qu’elle n’a pas, elle ne peut que déchanter. Les dîners rue d’Orchampt, c’est le conseil des ministres hors les murs. Le cercle des habitués s’élargit avec Bertrand Delanoë, Jack Lang ou encore Lionel Jospin.
Mais il est bientôt fini, le temps des fleurs. Une fois passé l’état de grâce, l’opinion se retourne, proteste contre les chiffres du chômage, se révolte contre cette gauche qui pue le caviar. Dalida est jetée avec l’eau du bain. Heureusement qu’elle est à l’étranger quand Orlando constate qu’on a balancé des dizaines de messages d’insultes dans la cour de la rue d’Orchampt. A-t-elle vu le graffiti – « Sale pute de Mitterrand » – sur la façade de chez elle ?
La méfiance et la jalousie entrent en scène
En 1982, la relation entre la chanteuse et le président commence à s’effilocher. Un sondage place Dalida à la troisième position des femmes les plus influentes du pays, derrière Simone Veil et Edith Cresson. La méfiance et la jalousie entrent en scène : elle ne se sent plus la bienvenue rue du Faubourg-Saint-Honoré, les regards sont glaçants, distants. Elle préfère s’éloigner, répond de moins en moins aux invitations du président, lequel s’invite de moins en moins chez elle. Il prend de ses nouvelles via Pascal Sevran, leur ami commun. Elle refuse la Légion d’honneur que lui propose Jack Lang.
Parce que sa réputation en prend un coup, parce que même les demandes de galas se raréfient, elle décide d’accepter toutes les propositions de concerts à l’étranger. Elle s’enfuit, loin de ce pays qu’elle a adopté, loin du pouvoir. A son retour, la « Dalida-mania » reprend de plus belle, le mythe reste intact. Elle se sent libre d’embrasser Jacques Chirac devant les photographes le 18 mars 1983 au Paradis latin, lors du 75e anniversaire de Loulou Gasté, le mari et imprésario de Line Renaud.
Dalida et Mitterrand se recroiseront à l’Elysée, fin 1986, pour la projection privée du film de Youssef Chahine « le Sixième Jour », dont elle tient le premier rôle. Elle lui serra la main, puis se jette sous ses yeux dans les bras de Jacques Chirac, son Premier ministre d’opposition.
Le 3 mai 1987, Dalida choisit de mettre fin à ses jours, parce que « La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi ».
Les proches se succèdent devant sa dépouille au 11 bis de la rue d’Orchampt. Lui, non. Tous, mitterrandie comprise, se retrouvent à l’église de la Madeleine et au cimetière de Montmartre. Lui, non. Le président a envoyé un communiqué et des fleurs, mais où est l’ami ? Trente-six ans plus tard, la colère d’Orlando reste intacte : « On était à quelques mois de sa réélection, alors pour justifier l’absence de Mitterrand, on m’expliquait que c’était à cause de la rumeur d’une idylle entre eux. Depuis quand Mitterrand se faisait-il dicter sa loi ? S’il ne voulait pas se montrer, il aurait pu venir à la maison, cette maison qu’il connaissait si bien pour avoir eu l’audace de la fréquenter quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Je ne lui pardonnerai jamais ! »
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