MADAM, œuvre théâtrale hors norme, mélange le one woman show, les conférences et les tribunes. Elle a été conçue en collaboration avec six auteures, six actrices et de nombreuses chercheuses et contributrices. Les trois premiers épisodes remettent en question les oppressions liées au genre, à la race et à la classe et les trois derniers incitent à utiliser le pouvoir de l’imaginaire pour créer de nouveaux récits et agir.
« Est-ce que tu crois que je dois m’excuser quand il y a des attentats ? »
Hélène Soulié, Marine Bachelot Nguyen, Maboula Soumahoro, Marie Dilasser et al. MADAM. Manuel d’autodéfense à méditer Éditions Deuxième époque 8 juin 2023 208 pages 20 euros
Avec ce titre : MADAM, pour « Manuel d’autodéfense à méditer », Hélène Soulié annonce clairement ses intentions. Cela fait plus de quatre ans qu’elle a commencé à élaborer et mettre en scène cette fresque en six tableaux qui revisite le patrimoine féministe depuis le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Quatre ans pendant lesquels elle a parcouru l’Hexagone, de villes en villages, de bord de mer en montagne, interrogeant cette notion de féminisme et recueillant analyses et témoignages, récits de vie, se nourrissant de toutes ces rencontres plurielles, complices ou frictionnelles. Avec des autrices, des chercheuses et des comédiennes, elle a échafaudé un véritable programme politique et utopique pour en finir avec les oppressions de race, de genre ou de classe, et toutes les formes de domination.
Les intitulés de chaque pièce, qui dure autour d’une heure, et entremêlent fiction et réalité, sont en eux aussi éloquents, percutants et malicieux : « Est-ce que tu crois que je dois m’excuser quand il y a des attentats ? », « Faire le mur — ou comment faire le mur sans passer la nuit au poste ? », « Scoreuses — parce que tu ne peux que perdre si tu n’as rien à gagner », « Je préfère être une cyborg qu’une déesse », « Ça ne passe pas », « Et j’ai suivi le vent »…
ISLAMOPHOBIE ET REJET DES MIGRANTS
Pour Orient XXI, les plus intéressants sont les épisodes « #1 — Est-ce que tu crois que je dois m’excuser quand il y a des attentats ? » et « #5 — Ça ne passe pas » qui sont d’ailleurs joués par la même actrice, Lenka Luptakova, et renforcent ce sentiment. Le premier épisode aborde en effet frontalement l’islamophobie et veut faire entendre la parole de celles que l’on n’entend jamais : les femmes voilées. C’est donc une jeune femme, vêtue d’un jean et le visage cerclé d’un foulard rouge, qui raconte sobrement son choix de vie et de liberté, celui de ses compagnes de toutes conditions sociales, et le prix qu’elles paient pour cela. Il n’est pas sûr que sa présence sobre mais puissante fasse bouger les lignes et saisir un propos qu’on ne veut pas entendre aujourd’hui. Hélène Soulié avait d’ailleurs été dépassée par le niveau d’hostilité qu’avait déclenché ce premier épisode, présenté au festival d’Avignon en 2021 et dont elle n’avait pas anticipé la violence… Des réactions éclairées ensuite avec finesse et humour par Maboula Soumahoro, spécialiste en études postcoloniales.
Dans l’épisode #5, Lenka Luptakova, après ce premier récit immobile, donne toute la puissance d’un jeu fiévreux, corps et voix. Il rend vibrant le texte, remarquable, de Claudine Galéa sur les migrations. La scénographie prend le parti de ne pas montrer l’une de ces plages terrifiantes où échouent les réfugié·es, mais la rive d’en face où les touristes se font bronzer, indifférent·es à cette tragédie qui fait de la Méditerranée un cimetière. Les mots de l’autrice tailladent alors notre imaginaire plus sûrement que n’importe quelle image. Puis deux jeunes femmes marins, Claire et Marie Faggianelli, témoignent de leur action quotidienne auprès de cette population d’hommes, de femmes, enfants et nouveau-nés, décrivant leur colère et leur impuissance dans une rage qui nous étreint, avec une détermination à ne pas se soumettre à des règles, des délimitations, des frontières, qui nous interpelle.
« FAIRE SOCIÉTÉ AUTREMENT »
Une sorte de carnet de route intellectuel et militant, avec ses questionnements sur le genre, les identités, le capitalisme, le devenir humain, l’utopie qu’elle partage avec ses interlocutrices et avec le public. Dans une adresse collective : « Que faire pour changer ce monde ? »
S’il n’est pas facile de programmer l’intégrale des pièces, plutôt présentées en un ou deux épisodes, il arrive que des directeurs de lieux — souvent plutôt des directrices — l’assument, ce qui était le cas en avril au Théâtre Molière de Sète, à l’initiative de Sandrine Mini. C’est alors un geste artistique et politique puissant et passionnant qui va mettre à jour les différences de réception des un·es et des autres selon le thème abordé.
Conçus en collaboration avec six autrices (Marine Bachelot Nguyen, Marie Dilasser, Mariette Navarro, Solenn Denis, Claudine Galea, Magali Mougel), six actrices (Lenka Luptakova, Christine Braconnier, Lymia Vitte, Morgane Peters, Claire Engel, Marion Coutarel), et des chercheuses (dont Maboula Soumahoro, Rachele Borghi, Éliane Viennot et Delphine Gardey, présentes sur scène), les formes en sont à la fois variées et en résonance. Les trois premiers volets cherchent à ébranler des préjugés et, après une première partie interprétée par une comédienne, mettent en regard une chercheuse qui approfondit le thème, Hélène Soulié intervenant, un peu comme le Candide de Voltaire, pour creuser ces préjugés. Les trois derniers sont pour elle une invitation à « hacker le réel », à « formuler des récits neufs », « faire émerger de nouveaux imaginaires », plus joués, et sans controverse. Mais tous se veulent « des récits trouble-fêtes qui dérangent l’ordre des choses et les hiérarchies de la parole ».
Au final, Hélène Soulié remporte haut la main son invitation « à faire société autrement, et à inventer de nouvelles réalités ».
Hélène Soulié dirige la Compagnie Exit depuis 2008, et associe des comédien·nes, dramaturges et chercheur·es à son travail. On aime aussi la définition de cette compagnie :
EXIT : Voyants qui dans la nuit des théâtres signalent la sortie de secours. Ou didascalie qui indique que le personnage sort. EXIT : Sortir. Créer un hors cadre. Sortir de notre façon de concevoir le monde. Savoir se remettre en question. Se déplacer. Se rencontrer. Se mélanger. Questionner ce qui fait notre présent commun. S’enrichir mutuellement. Inventer une façon de faire théâtre ensemble. Créer des espaces d’exploration de soi. Des autres. Du monde. De la langue. Avec urgence. Avec exigence. Créer des mises en relation multiples. Décoloniser et décloisonner les imaginaires. Faire advenir de nouveaux récits. Il n’y a pas une personne plus importante qu’une autre. Il n’y a pas de spectacle plus important qu’un autre. Il n’y a pas de spectateur·trices plus important·es que d’autres. Il y a le théâtre. Engagé par essence. Dans la vie. Dans la cité. Et notre nécessité
"Omar la fraise" est un film ambitieux certainement, peut-être pas tout à fait abouti mais porteur d’une étrange et sulfureuse fascination. Notre critique.
Le premier long d’Elias Belkeddar est avant tout une émouvante déclaration d’amour à l’Algérie, et à sa capitale plus particulièrement. Jamais en effet cette ville n’aura autant mérité que dans ce film le nom d’Alger la blanche.
Adroitement, le réalisateur fait glisser sa caméra des toits aveuglants de la ville à l’azur de la Méditerranée. C’est aussi une manière de filmer la mer comme une frontière, voire un obstacle… De fait le scénario nous présente un duo de bras cassés assez hauts en couleurs. Il y a Omar (Reda Kateb comme à son habitude impérial de sensibilité), c’est pour lui que la Méditerranée est une frontière à ne plus franchir.
Gangster parisien, il a fui l’Hexagone afin d’échapper à la prison. La justice vient d’ailleurs de le condamner par contumace à 20 ans. Roger (Benoît Magimel), son frère d’embrouilles multiples et d’amitié indéfectible, l’a suivi. C’est son ange gardien car si Omar se fait pincer par la police algérienne, c’est le gnouf direct.
Malgré la luxueuse villa qui les abrite, même si la piscine est à sec, il faut bien vivre et montrer que l’on se met dans le droit chemin. Un ami lui trouve un poste à la sécurité d’une biscuiterie industrielle tenue par Samia (Meriem Amiar, la révélation du film, lumineuse, envoûtante).
Tout cela sert de décorum à un autre film, celui qui parle de la nostalgie pour Omar d’un pays qui l’a vu naître, la France, d’un autre dans lequel plonge ses racines, l’Algérie, de cette incapacité pour lui de s’approprier ses origines séculaires. Elias Belkeddar, au travers de lumières littéralement somptueuses, nous trace le portrait de personnages divers.
Les frérots, égarés dans leur vie, les jeunes Algériens déjà perdus dans leur avenir, Samia, volontaire et engagée dans des perspectives plus constructives, tout cela dans une conjugaison habile de comique irrésistible et… de violence insoutenable. Ainsi est la vision du réalisateur.
Un film ambitieux certainement, peut-être pas tout à fait abouti mais porteur d’une étrange et sulfureuse fascination.
En Tunisie, le tournage d'un biopic sur Frantz Fanon, écrivain et psychiatre engagé contre la colonisation française en Algérie, a pris fin en mai 2023. Le film, qui est la première œuvre non documentaire sur ce militant antiraciste, se penche sur son apport à la psychiatrie dans les années 1950. Il avait dénoncé le traitement psychiatrique et les techniques de désaliénation pendant la période coloniale et avait longuement milité pour l'indépendance de l'Algérie.
M'Hamed Yazid et Frantz Fanon (à droite) représentent le FLN (Front de Libération nationale) et l'Algérie en guerre d'indépendance à la conférence Pan Africaine au Palais de la Culture de Léopoldville, le 27 août 1960, au Congo ex-belge, qui vient de conquérir son indépendance. (Photo by UPI / AFP)AFP
Lorsqu’Alexandre Bouyer, comédien français d’origine camerounaise a lu pour la première fois le scénario du film Fanon, co-écrit par le réalisateur Jean-Claude Barny, il a découvert avec surprise cet essayiste et psychiatre engagé. « Je ne connaissais pas Frantz Fanon, explique-t-il. J’ai connu Frantz Fanon grâce à Jean-Claude et c’est vrai que quand j’ai lu ce scénario, j’ai été frappé. J’ai eu honte – je le dis – de me dire que je ne connaissais pas cette personne. Puis j’ai lu ses œuvres et là ça m’a encore plus touché et c’est aussi ça qui m’a motivé et j’ai dit "Allez, on va y aller, on va incarner ce personnage, on va le défendre et on va raconter son histoire" ».
« On a vraiment été cherché son humanité, sa pensée humaine, sa force de travail »
Né en Martinique en 1925 et mort à 36 ans d’une leucémie foudroyante, Frantz Fanon a marqué la pensée antiraciste, les études postcoloniales mais aussi la psychiatrie. Une partie de sa vie parfois marginalisée par la postérité.
Pour le réalisateur Jean-Claude Barny, il fallait aussi montrer l’homme derrière l’œuvre et le militantisme : « On a vraiment été cherché sur des choses qui n’existaient pas : son humanité, sa pensée humaine, sa force de travail et aussi sa sociologie. C’était pour moi la base de travail pour écrire ce scénario. »
La Tunisie a servi de décor principal pour le film à la fois pour reconstituer les scènes en milieu hospitalier en Algérie, mais aussi parce que Frantz Fanon a vécu et travaillé dans le pays. Il est mort le 6 décembre 1961, un an avant l’indépendance de l’Algérie.
«On a assisté à une relecture de Fanon dans le monde universitaire de langue anglaise»
Si le biopic sur Frantz Fanon remettra peut-être l'auteur dans la lumière pour le grand public, sa pensée n'a jamais cessé d'influencer les milieux universitaires. C'est d'abord aux États-Unis et en anglais qu'elle connaît un grand succès, notamment grâce au développement des études post-coloniales. Avant que Frantz Fanon ne soit redécouvert en langue française au tournant des années 2000. Ces aller-retours entre deux visions de la question coloniale font de son œuvre un outil indispensable et très contemporain, selon Nadia Yala Kisukidi, romancière et maîtresse de conférences en philosophie à l’Université Paris 8 : « On a assisté à une relecture de Fanon, non pas dans les espaces de langue française ou francophones, mais dans le monde universitaire de langue anglaise, à l'occasion, essentiellement, de l'éclosion du courant des études post-coloniales. Et à l’occasion des années 2000, on va assister à des colloques, à des réflexions qui vont commencer à réagir et à repenser l'œuvre de Fanon dans un champ cette fois plutôt français et francophone - je dirais - où son œuvre n'avait pas forcément fait l'objet d'autant d’études que dans les espaces anglophones. Donc, il y a tous ces allers-retours, qui sont extrêmement intéressants à penser, c'est-à-dire d'une œuvre qui a eu plusieurs vies, plusieurs types de réception dans des langues différentes et dans des espaces différents, à la fois académiques et également politiques. »
PAvec notre correspondante à Tunis, Lilia Blaiseublié le :
Il est de bon ton, chez les islamos et les Gauchos de nous seriner que la colonisation française aurait “pillé” (sic) l’Algérie.
Des études historiques ont déjà démoli cette imposture.
On sait les travaux pionniers de Jacques Marseille, historien communiste, qui voulait établir scientifiquement cette thèse islamo-gauchiste du “pillage” de l’Algérie par la France.
Et qui plus il progressait dans ses recherches, plus il constatait que son postulat de départ était entièrement faux.
On sait aussi les travaux, allant dans le même sens, de Daniel Lefeuvre :
Analyses très souvent reprises par Bernard Lugan:
Un livre, plus récent, de David Todd confirme les études précédentes : “Un empire de velours, l’impérialisme informel français au XIXème siècle”.
Le livre ne porte que sur la première moitié du temps de la colonisation en Algérie, mais une étude sur la moitié suivante ne ferait que renforcer la conclusion que l’Algérie a été un boulet économique pour la France.
Le fait que ce livre soit publié aus éditions “la Découverte”, maison qui a succédé aux éditions “Maspero”, éditeur d’extrême-gauche dans les années 60-70 et pourfendeur du colonialisme n’est pas sans une certaine saveur…
Pour préciser ce point, je rappellerai que “La Découverte” est l’éditeur de Plenel, c’est dire !!
Je reprends donc les analyses de David Todd dans son chapitre II , “Algérie, l’échec d’une colonisation informelle”.
Premier point :
Les recettes coloniales (1850-1899) de l’Algérie française n’ont jamais dépassé 40% des dépenses que les Français ont consenti pour l’Algérie
Deuxième point :
La colonisation humaine en Algérie est restée toujours extrêmement faible.
Contrairement aux colonies anglaises (Australie, Nouvelle-Zélande) où un politique de substitution -extermination de population a été pratiquée, ce n’est pas le cas en Algérie où le pourcentage d’Européens est resté constamment faible.
Troisième point :
Le projet colonial initial de transformer l’Algérie en exportatrice de produits tropicaux ne s’est pas réalisé : le pourcentage d’agriculteurs parmi les colons étant très faible.
Dans l’autre sens aussi, le projet est un flop.
La part des exportations vers l’Algérie rapportée aux exportations totales de la France s’établit rapidement à moins de 5%…
Le type de produits importé d’Algérie fut aussi très “décevant” (sic).
La grande part (31%) est celle de “produit et dépouilles d’animaux” !
Plus tard (1890) , l’Algérie française cartonnera dans la production vinicole mais si l’on se souvient que la colonisation avait pour but de fournir à la France des produits qu’elle ne pouvait pas produire elle-même, on mesurera l’absurdité de cette politique économique venant concurrencer le vin français !
David Todd conclut :
“L’Algérie fut un échec de l’impérialisme informel.“.
Aussi la France resta plus en retrait en Tunisie et au Maroc. “Le modèle algérien d’assimilation administratif (étant) si coûteux et si difficile à mettre en oeuvre”.
Oui la France n’a pas pillé l’Algérie, elle s’y est bien ruinée !
Le pays connaît une saison intense de feux de forêts. Selon le gouvernement fédéral, 2 214 incendies ont consumé environ 3,3 millions d’hectares ces dernières semaines. Au total, 120 000 personnes ont déjà été forcées de quitter leur domicile et 26 200 autres sont en cours d’évacuation.
A Montréal, au Québec, la fumée des incendies qui ravagent le Canada depuis début mai, vue depuis les hauteurs du parc du Mont-Royal, le 5 juin 2023. ANDREJ IVANOV / AFP
Au tour du Québec de connaître sa saison en enfer. Après l’Alberta dans l’ouest du pays début mai, la Nouvelle-Ecosse dans l’est, la semaine du 27 mai, la Belle Province est à son tour ravagée par les incendies, depuis le 29 mai. Au plus fort de la crise, le 5 juin, la Société de protection des forêts contre le feu (Sopfeu) dénombrait 160 foyers actifs sur le territoire québécois, dont 90 % étaient jugés « hors de contrôle ».
à quelque 900 kilomètres à l’est de Montréal, et en Abitibi-Témiscamingue, dans le nord-ouest de la province, que les brasiers sont les plus intenses. Des dizaines de municipalités ont déclaré l’état d’urgence sur leurs communes et pris des ordres d’évacuation, mardi soir encore. Et, en quelques jours, près de 10 000 personnes ont dû quitter, temporairement, leur logement.
Parmi elles, les 1 500 habitants de la communauté innu de Mani-utenam, installée près de Sept-Iles, la principale ville de la Côte-Nord, sommés d’évacuer les lieux le 2 juin dans l’après-midi, le feu se rapprochant dangereusement de leur localité. « On ne sentait rien, le vent poussait la fumée vers le nord, raconte un résident, Albert Volland, mais quand on a entendu à la radio qu’il fallait tout quitter sans paniquer, on a ramassé nos affaires les plus importantes, nos papiers, et nous avons pris la route. » Vers une auberge à quelques kilomètres de là pour sa famille et lui, tandis que d’autres habitants partaient en bus se mettre à l’abri dans la communauté innu amie de Pessamit, à 300 kilomètres de distance. Quatre jours plus tard, le 6 juin, l’ordre d’évacuation a été levé. « La pluie est enfin là, elle tombe, et elle tombe fort », se réjouissait Albert Volland en retrouvant son domicile, intact. En Abitibi, en revanche, les services météorologiques ne prévoient pas de précipitations dans les jours à venir, en dehors de quelques brefs orages, avec risques de foudre à la clé.
Qualité de l’air altérée
Au total, 220 000 hectares sont déjà partis en fumée sur le territoire québécois ; à la même date, sur la dernière décennie, la Sopfeu rapportait en moyenne moins de 250 hectares brûlés. Les 480 pompiers québécois déployés, appuyés par 150 soldats des forces armées canadiennes, reconnaissent ne pas pouvoir faire face à tous les brasiers. Le 4 juin, Emmanuel Macron a annoncé l’envoi d’une centaine de pompiers français. « Le Canada fait face à de terribles incendies. La France est solidaire (…). Amis canadiens, les renforts arrivent », a écrit le chef de l’Etat sur Twitter. « Merci cousins ! », lui a immédiatement répondu le premier ministre québécois François Legault. Mais en attendant l’arrivée des renforts prévue mercredi, les autorités ont dû se fixer des priorités : « Protéger les vies humaines avant tout, assurer ensuite la sécurité des infrastructures stratégiques, comme celles d’Hydro-Québec » (société publique d’hydroélectricité), et en dernier lieu, tenter de sauver la forêt quand cela est possible.
Depuis le début de la semaine, les fumées s’échappant de ces immenses brasiers altèrent la qualité de l’air de toute la province, de l’Ontario voisin, et s’étendent jusqu’au nord des Etats-Unis. La capitale fédérale, Ottawa, est plongée dans un nuage orange, Montréal dans un brouillard jaunâtre à l’odeur de brûlé. Dans les rues de la métropole québécoise, des cyclistes arborent de nouveau un masque sanitaire pour tenter de se protéger de la fine poussière qui se dépose et s’insinue partout.
« On vit une situation jamais vue, sinon hors du commun. On n’a jamais eu autant de feux aussi tôt dans la saison. Ce n’est pas juste une problématique pour le Québec, c’est aussi pour l’ensemble canadien. D’habitude, l’Ouest brûle, le Québec ne brûle pas et on se partage les effectifs, mais là, ça brûle partout », a répété, désemparé, le ministre québécois de la sécurité publique, François Bonnardel. Le 6 juin, le Canada brûlait en effet encore d’un océan à l’autre, avec 413 feux toujours actifs, dont 249 « hors de contrôle ». Sur les treize provinces et territoires que compte le pays, seuls l’Île-du-Prince-Edouard, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nunavut ont, jusque-là, été épargnés.
« Une nouvelle réalité »
Ce combat à mener sur tous les fronts rend particulièrement difficile l’organisation des secours, d’autant que la bataille s’annonce longue. « La saison des feux de forêt risque d’être particulièrement intense tout au long de l’été », a prévenu, lundi, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, après avoir fait le point avec des experts d’Environnement Canada sur l’évolution prévisible des incendies. Le chef du gouvernement a d’ailleurs affirmé travailler à un « plan B », au cas où les ressources humaines pour lutter contre les feux viendraient à manquer. Actuellement, sur les 3 000 pompiers s’acharnant à combattre les flammes à travers le pays, près d’un millier vient de l’étranger, notamment des Etats-Unis, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud et du Costa Rica.
« Jamais vu », « exceptionnel », « hors norme » : chacun use des mêmes mots pour qualifier l’intensité et la précocité de cette saison des feux, mais le ministre fédéral des ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a choisi d’être plus incisif. « Nous vivons dans une nouvelle réalité, une réalité dans laquelle nous devons écouter attentivement ce que la science nous dit », a-t-il déclaré, faisant référence au dérèglement climatique qui touche l’ensemble du monde et rend le Canada particulièrement vulnérable. Les conditions plus chaudes et plus sèches à venir vont allonger la saison propice aux incendies dans la forêt boréale canadienne, préviennent les experts.
Interrogé sur la part qu’il entend prendre dans la lutte contre le réchauffement climatique, Justin Trudeau a tenu à réaffirmer que son plan pour le climat, visant notamment à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2030, était « parmi les plus ambitieux » de la planète. Et ce malgré l’approbation que son gouvernement (libéral) continue de donner à certains projets d’extraction d’énergies fossiles, comme le feu vert accordé en avril 2022 à Bay du Nord, un mégaprojet de soixante puits d’extraction pétrolière au large de Terre-Neuve. Les conservateurs, eux, restent les plus ardents défenseurs de l’industrie pétrolière et gazière du pays. Le Canada brûle de toute part, mais, imperturbables, ils ont profité d’une séance à la Chambre des communes en début de semaine pour réclamer de nouveau l’abolition de la taxe sur le carbone instaurée en 2019 sur l’ensemble du territoire canadien et destinée à limiter les émissions de CO2.
Incendies ravageurs au Québec : des milliers de personnes évacuées
Au Québec, les incendies ne laissent aucun répit aux pompiers qui doivent lutter sur plusieurs fronts dans le nord de cette province. Plus de 11 000 personnes ont dû quitter leur résidence car les incendies menacent les localités où elles vivent.
Dans l’une d’elles, Normetal, située à sept heures de route de Montréal, le feu s’est même approché à 500 mètres des habitations. Rencontre avec des évacués qui ont trouvé refuge à 300 kilomètres de chez eux.
Les habitants de Chibougameau, une ville de 7 000 habitants, ont trouvé refuge au lac Saint-Jean, plus exactement à Roberval, qui les a très bien accueillis. Toute la journée de mercredi 7 juin, des gens sont venus proposer une chambre, une caravane, des maisons même, à celles et à ceux qui ont dû quitter très rapidement leur résidence. À tel point que les lits de camp installés dans un centre sportif ne servent presque pas puisque la plupart du monde est hébergé chez des particuliers.
« On a mis en place notre plan d’urgence, ici à Roberval, avec notre cellule de crise, explique Serge Bergeron, le maire de la ville. Et là, il a fallu trouver les lits, il a fallu trouver tous les produits sanitaires, il a fallu trouver les collations pour faire manger les gens. Les gens ont été très collaborateurs, parce que le supermarché IGA, à titre d’exemple, a, lui, envoyé quelqu’un après les heures d’ouverture pour nous fournir des jus, du pain… Les gens se présentaient ici parce qu’ils entendaient la nouvelle aux médias, les gens de Roberval venaient proposer leur aide : « Je veux donner quelques heures », « Comment je peux aider ? », « Est-ce que je peux accueillir quelqu’un chez moi, j’ai une chambre de libre », et tout ça. Et on a relocalisé des familles chez des gens, dans des résidences de Roberval, ce qui a permis ici de libérer plusieurs lits, mais aussi, et comme premier objectif, de mettre ces gens-là dans des conditions beaucoup plus confortables que de dormir sur un lit de camp comme celui qu’on a, avec une simple couverture et un petit oreiller. »
Les nouvelles de la progression de cet incendie sont plutôt encourageantes, car il avance moins vite que prévu. Sur place, les pompiers ont érigé un coupe-feu long de plusieurs kilomètres, une sorte de tranchée, pour éviter que les flammes n’atteignent les maisons et une usine de construction de bois où se trouvent notamment des citernes de mazout.
Si les choses s’améliorent depuis peu dans l’est du Québec, car la pluie tombe depuis quelques jours, les feux se font beaucoup plus menaçants dans la région de l’Abitibi, au nord de Montréal. Le temps reste très sec dans cette zone, et les arbres résineux brûlent comme des fétus de paille.
Le Premier ministre québécois François Legault reconnaît que les effectifs ne sont pas suffisants pour combattre les 160 incendies qui sévissent actuellement. Les efforts des pompiers se concentrent sur les plus grosses localités. D’autant plus qu’il faut accorder un peu de repos aux pilotes des avions-citernes qui arrosent le brasier et aux appareils.
Heureusement, des pompiers américains arrivent sur le terrain. Une centaine de pompiers français sont aussi attendus aujourd’hui. Un coup de main très apprécié dans ce combat qui ne laisse aucun répit à celles et à ceux qui voient des centaines de milliers d’hectares partir en fumée.
Le changement climatique frappe de plein fouet le Canada, qui se réchauffe deux fois plus vite que l’ensemble du monde
Des chercheurs alertent le gouvernement sur l’urgence de mettre en place une stratégie d’adaptation ambitieuse.
LETTRE DE MONTRÉAL
Connu pour ses paysages grandioses, de la majestueuse chaîne des montagnes Rocheuses en Colombie-Britannique à la quiétude des cinq cent mille lacs émaillant les forêts québécoises, le Canada est souvent associé à ce que la nature peut offrir de beauté immuable et éternelle. Des images « instagrammables » qui attirent des touristes du monde entier, mais qui obèrent une réalité plus sombre : sa situation septentrionale place le pays en première ligne face aux changements climatiques. Le Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que l’ensemble du monde, et même jusqu’à plus de trois fois plus vite pour le territoire arctique, au nord.
En l’espace de quelques saisons seulement, des événements climatiques extrêmes ont montré la vulnérabilité du pays. Submersion des côtes des provinces de l’Atlantique causée par le passage de la tempête post-tropicale Fiona, le 24 septembre, dôme de chaleur avec des records à plus de 47 °C à Vancouver, lors de l’été 2021, suivi d’incendies dévastateurs, puis, quelques mois plus tard, d’inondations hors normes dans le sud de la Colombie-Britannique. A chaque « catastrophe », le gouvernement fédéral comme les autorités provinciales se sont fendus d’aides financières d’urgence.
Or, la multiplication de ces aides promet d’être, dans les années à venir, un tonneau des Danaïdes. Quelques semaines avant la COP27, en cours à Charm El-Cheikh (Egypte) et où n’a pas prévu de se rendre le premier ministre canadien, Justin Trudeau, l’Institut climatique du Canada, organisme indépendant, a rendu un rapport évaluant ce que les changements climatiques coûtaient à l’économie du pays et au portefeuille de ses habitants, et ce qu’il pourrait leur en coûter demain si aucune politique « d’adaptation proactive » n’était menée.
Un coût financier extrêmement élevé
Intitulée « Limiter les dégâts » (« Damage Control »), l’étude détaille la facture des dommages causés par ces changements climatiques en s’appuyant sur plusieurs hypothèses de réduction (ou non) des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial dans les prochaines années. Quel que soit le scénario retenu, « le Canada n’en sort jamais gagnant », assène Dave Sawyer, économiste en chef à l’institut.
Les dommages climatiques amputent déjà la richesse nationale, affirment les auteurs de l’étude. Pour preuve, parmi d’autres, l’incendie historique qui a ravagé la ville pétrolière de Fort McMurray, en Alberta, en 2016, a coûté 4 milliards de dollars (2,92 milliards d’euros) de dégâts directs, auxquels il a fallu ajouter 7 milliards supplémentaires pour prendre en compte les dommages causés à l’environnement et aux ressources naturelles, la perte de production de l’industrie pétrogazière de la ville ou encore les recettes fiscales perdues. Dès 2025, les dommages climatiques devraient coûter 25 milliards de dollars au Canada, soit la moitié des fruits de la croissance attendue du PIB ; à la fin du siècle, ce sont 865 milliards de dollars qui pourraient annuellement venir grever les finances publiques.
Les auteurs détaillent « l’effet domino » des menaces pesant sur la prospérité du pays : perte de productivité des travailleurs liée à la chaleur, morts prématurées en hausse, incidence sur la quantité de main-d’œuvre disponible, réduction de la compétitivité, baisse des exportations et accroissement des importations, hausse des coûts et montée des prix…
Toutes les provinces ne seront pas affectées économiquement de façon égale : les communautés et les infrastructures du nord du Canada seront les plus touchées en raison des effets de la fonte du permafrost, quand le Québec sera sans doute plus épargné, le réchauffement climatique lui fournissant, à terme, plus d’eau pour ses barrages hydroélectriques.
« Tueurs d’emplois »
Mais, à l’échelle du pays, l’alourdissement global de la facture mettra les autorités publiques au pied du mur : soit elles augmenteront les impôts, soit elles renonceront à certains services publics faute de ressources suffisantes, avec une dégradation prévisible du système de santé, déjà mis à rude épreuve par l’actuelle pénurie de personnels soignants.
Le tableau des effets macroéconomiques de ces dommages climatiques est sombre, l’avenir individuel des Canadiens, plus encore : le ralentissement de la croissance et la hausse de la fiscalité pourraient faire perdre à chaque citoyen près de 720 dollars de revenus par an dès 2025, et jusqu’à 2 300 dollars d’ici à 2050, tandis que les ménages les plus modestes, moins bien logés et professionnellement plus précaires, seront les premières victimes.
Car il ne faut pas s’y tromper, insistent les auteurs du rapport, « les changements climatiques sont des tueurs d’emplois ». Usant de la parabole de la « vitre cassée », ils expliquent que l’idée selon laquelle l’activité économique visant à réparer ce qui a été endommagé a des vertus, en dynamisant notamment le secteur de la construction, est une illusion. Elle s’accompagne d’un « coût d’opportunité » : l’argent dépensé ne servant pas à créer de nouvelles richesses ou à faire émerger de nouveaux potentiels productifs, les ménages en sont réduits à payer les innombrables « vitres cassées ».
Ce tableau très noir pourrait reprendre quelques couleurs si une « politique d’adaptation » – une action en amont plutôt qu’une réaction a posteriori – était vigoureusement mise en place, plaide l’Institut climatique du Canada. Les chercheurs avancent quelques pistes : assurer la protection des côtes pour limiter leur érosion avant de subir de nouvelles submersions, utiliser des matériaux adaptés au réchauffement climatique pour la réfection des routes, installer des capteurs de température pour isoler les segments les plus vulnérables du réseau ferré ou encore procéder à l’installation de dispositifs d’ombrage pour les usines afin de réduire la perte de productivité des travailleurs. Chaque dollar investi aujourd’hui aurait un rendement de 13 à 15 dollars pour l’économie globale du pays, assurent-ils. Etant entendu que le Canada devra, en parallèle, participer à l’effort mondial de réduction des gaz à effet de serre, sans quoi c’est le scénario le plus catastrophiste qui adviendra.
Les auteurs de « Damage Control » espèrent que leur rapport nourrira les ambitions de la « stratégie nationale d’adaptation du Canada » que le gouvernement de Justin Trudeau s’est engagé à finaliser d’ici à la fin de l’année. Un premier plan bien tardif, alors que la France s’est dotée d’une telle stratégie, dès 2006, et l’Union européenne, dès 2013.
Mme Élisabeth Borne et le Rassemblement national héritier de Pétain
Quid de l’Algérie française ? Quid de l’OAS ?
Ce dimanche 28 mai, la première ministre Élisabeth Borne a déclaré que le RN/FN est héritier de Pétain. Et concernant Marine Le Pen, elle rappelle : « Je n’ai jamais entendu Marine Le Pen dénoncer ce qu’ont pu être les positions historiques de son parti et je pense qu’un changement de nom ne change pas les idées, les racines.»[1]
Les réactions du parti d’extrême droit n’étonnent pas. Marine Le Pen dénonce des propos "infâmes et indignes", "pas acceptables à l’égard du premier parti d’opposition, de ses députés, de ses milliers d’élus et des millions de Français qu’il représente". Le président du parti Jordan Bardella regrette, pour sa part, des "propos graves, mensongers et injurieux" qui "salissent les millions de Français qui votent pour le RN".
Comme en écho, le président Macron recadre sa première ministre en déclarant qu’il ne faut pas combattre l’extrême droite avec « des arguments moraux … vous n’arriverez pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour l’extrême droite que ce sont des fascistes »[2].
Pourtant la prise de position de Mme Borne n’est ni nouvelle ni originale. Elle est même banale et reflète, somme toute, une critique pour le moins partagée par nombre de politiques et d’intellectuels de tous bords en France. Cependant, cette critique pêche par une sorte de raisonnement « hémiplégique » s’agissant des fondements idéologiques et politiques de ce parti d’extrême droite. Mme Borne a raison de rappeler que le FN/RN est bien « héritier de Pétain » et dont des membres tirent gloire de la collaboration avec le gouvernement de Vichy ou ont été d’anciens Waffen-SS[3].
Mais pourquoi « oublier » l’autre fondement dont se revendique explicitement Jean Marie Le Pen, fondateur du mouvement, partisan déclaré et fier du système colonial, opposant violent[4] à l’indépendance de l’Algérie en animant des formations politiques pro « Algérie française » (Front national des combattants puis Front national pour l’Algérie française). Un marqueur essentiel au sein de cette mouvance qui s’affichera avec plus de force et d’arrogance en cet été 2022 qui a marqué le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Forte de sa représentation (89 députés), l’extrême droite va profiter de la séance inaugurale, qui échoit, hasard de la démographie et signe de temps mauvais, à José Gonzalès (79 ans), un ancien « pied-noir » d’Algérie et dont l’Algérie française est le thème fondateur de son engagement politique au sein du FN/RN en 1978. Et c’est ainsi que l’Assemblée nationale et surtout son perchoir vont être transformés en une nouvelle tribune pour les « nostalgériques » et José Gonzalès de déclarer être « un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie […] arraché à sa terre natale […] une partie de [la] France», recevant les félicitations de Marine Le Pen, qui écarte toute espèce de dérapage. Elle avoua même avoir relu la veille le texte de ce discours inaugural. Même tonalité chez son père, Jean Marie Le Pen, qui s’est dit satisfait de la prestation de José Gonzalès et comptait l’appeler pour le féliciter et le rencontrer.
Le ton personnel et intime de ce discours se sont vite dissipés, car, sitôt descendu du perchoir, il est interpellé par quelques journalistes sur, notamment, le rôle joué par l’Organisation de l’armée secrète (OAS) dans les violences commises en Algérie et en France en 1961-1962. Il affirme alors « n’être ni au courant des crimes de l’armée française en Algérie ni être là pour juger si l’OAS a commis des crimes ». Comme s’il pouvait ignorer que l’OAS, organisation jugée terroriste et dont plusieurs membres ont été condamnés par la justice française, est responsable de l’assassinat de plus de 2000 personnes et plus de 5000 blessées, majoritairement algériennes. L’OAS a aussi tenté plusieurs fois d’assassiner le général de Gaulle dont la plus spectaculaire et qui a failli aboutir fut celle de l’attentat du Petit-Clamart en région parisienne le 22 août 1962.
Il est vrai, à la « décharge » de José Gonzalès, que de nombreux membres de cette organisation n’ont jamais été inquiétés par la justice, et certains ont même pu accéder à des fonctions électives, à l’instar de Pierre Sergent, amnistié en 1968 après une condamnation, et élu député FN pour les Pyrénées Orientales en 1986. Il sera même célébré, en 2022, par Louis Aliot, maire FN/RN de Perpignan, qui inaugure une esplanade de la ville en son honneur. Et, comble de la provocation, la ville de Perpignan est célébrée capitale de l’ « Algérie française » en mettant à l’honneur l’œuvre coloniale « civilisatrice » de la France en Algérie et dans les colonies françaises, et que l’inique loi de 2005 (jamais abrogée à ce jour) a voulu consacrer, ouvrant ainsi la voie à une entreprise de réhabilitation de la colonisation.
Au-delà de l’extrême-droite, il faut relever que, sur des sujets aussi graves que l’esclavage ou l’antisémitisme, il y a en France comme une sorte de consensus partagé pour les condamner au sein de la société et de l’État. Il y a bien quelques nuances d’appréciation entre les différents courants politiques et intellectuels mais la condamnation est quasi unanime. L’esclavage a fait l’objet d’une loi dite Taubira en 2001[5], et l’antisémitisme, une déclaration et une condamnation solennelles de l’État français, par la voix de son président Jacques Chirac, lequel est allé jusqu’à reconnaître, le 16 juillet 1995, la responsabilité de la France dans la déportation de juifs vers les camps nazis. Mais s’agissant de la question coloniale, en particulier sur l’Algérie, pourtant largement documentée aujourd’hui, il n’y a jamais eu de consensus pour condamner la colonisation qui « n’a rien d’une histoire d’amour. Elle est une histoire de prédation, de violence et d’asservissement »[6].
Alors l’ « oubli » de Mme Borne pour ce qui concerne le FN/RN avec le système colonial n’en est malheureusement pas un en effet. Il reflète l’état d’une société et surtout d’un État qui ne s’est pas émancipé du monde colonial. Le veut-il ? On peut en douter quand on observe le précédent quinquennat où « la colonisation sera passée, dans le verbe présidentiel, d’un « crime contre l’humanité » (2017) à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique » (2022)[7].
[3] Nicolas Lebourg, https://www.mediapart.fr/journal/politique/051022/50-ans-du-fn-rn-plongee-dans-les-manoeuvres-qui-menerent-la-naissance-du-front
[4] Il a lui-même pratiqué la torture en Algérie malgré les récentes déclarations douteuses de Benjamin Stora, https://histoirecoloniale.net/Les-declarations-inexactes-de-l-historien-Benjamin-Stora-sur-France-inter-a.html
[5] Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.
[6] Paul Max Morin, https://histoirecoloniale.net/Entre-la-France-et-l-Algerie-une-histoire-d-amour-qui-a-sa-part-de-tragique.html
Puisque les débats politiques s’emballent au point que même la funeste organisation clandestine qui a ravagé Alger des mois durant se retrouve convoquée sur les devants de la scène politique, voici quelques brefs souvenirs d’enfance.
J’avais à peine 10 ans, en ce printemps 1961. Quelques semaines à peine après la création de l’OAS, des barbelés séparant les quartiers arabes des quartiers européens furent dressés un peu partout à Alger. C’était le moyen, semble-t-il, d’éviter des frictions entre les deux communautés.
Je demeurai alors dans l’hôtel de mon père situé rue René Caillé, rebaptisée depuis en nehdja Hadj Ali, une ruelle transverse entre la rue de Chartres et la rue Bab Azzoun.
Chaque jour, on annonçait les méfaits de cette organisation clandestine décidée à mettre le pays à feu et à sang. Des bombes explosaient en pleine nuit de façon régulière un peu partout dans la capitale.
Le bouche à oreille décrivait une méthode bien rôdée qui consiste à glisser des grenades dans le hall des immeubles afin de provoquer le plus de dégâts possible et installer la psychose au sein de la population arabe.
Je me souviens du bruit fracassant causé, en pleine nuit, par l’explosion du café Le Tontonville.
Pour éviter que notre hôtel ne soit ciblé, j’étais très souvent sollicité pour faire le gué à l’entrée afin de donner l’alerte en cas d’approche suspecte, d’autant que le commissariat du 3eme arrondissement avait fait installer des barbelés, côté rue de Chartres, englobant ainsi notre petite ruelle dans la partie européenne. Ce qui amplifiait l’angoisse des locataires de notre hôtel ainsi que, et surtout, celle de mon oncle le peureux !
L’inquiétude des habitants de notre rue d’être ainsi rattachés au quartier européen était telle qu’une délégation s’était rendue au commissariat pour demander que les barbelés soient déplacés côté rue Bab Azzoun. Ce qui fut fait le soir même, au grand soulagement des Arabes ! Nous étions désormais rattachés à la rue de Chartres et à la partie basse de la Casbah. Plus besoin de faire le grand détour, de contourner tout le quartier via la rue Bab Azoun, pour faire nos courses au marché !
Pour ces courses j’étais souvent sollicité : – «En tant qu’enfant, tu ne risques rien », me disait-on !
Un jour de promenade du côté de la place des martyrs, j’avais assisté à une scène surréaliste d’une tentative de meurtre qui n’a pas réussi. La victime se faisait cirer les chaussures quand, soudain, un homme surgit d’on ne sait où, pistolet en mains pour tirer quasiment à bout portant sur l’Arabe ! Je ne sais par quel miracle, ce dernier avait, au même instant, penché sa tête échappant ainsi à la balle meurtrière ! S’ensuivit une débandade indescriptible où chacun s’éloigne précipitamment de l’homme au pistolet !
Un autre jour, je me promenais le long du boulevard front de mer quand j’aperçois un groupe de jeunes s’acharner sur un pauvre clochard qui titubait dangereusement ! Les coups pleuvaient sur le pauvre homme le mettant à terre à plusieurs reprises dès qu’il réussit à se relever ! La violence était si insoutenable que je pris mes jambes à mon cou. J’appris plus tard que ces jeunes ne faisaient qu’obéir à une circulaire du FLN qui interdisait aux musulmans de consommer de l’alcool.
Même si L’alcool était dans le collimateur du FLN. Il n’empêche qu’à l’indépendance ce sont d’anciens moudjahidine qui se sont rués sur les bars laissés par les Roumis ! Ils s’étaient permis le luxe de les confisquer aux civils qui les avaient acquis par voie légale auprès de leurs précédents propriétaires… combien de commerces avaient été ainsi occupés de force après le départ des roumis ? Difficile à évaluer ! Sans parler de toutes ces villas cosy dont il suffisait de fracasser les portes pour s’y installer pour de bon ! Ce sont évidemment les plus téméraires qui avaient osé user de tels procédés ! Quant au pauvre ghachi, il s’égosillait à pleins poumons tahia El Djazaïr des journées durant …
Si la politique criminelle de la terre brûlée appliquée par l’OAS n’a pas réussi, celle des commerces confisqués par le FLN des frontières n’a pas échoué !
Ah, si on arrêtait de convoquer l’histoire pour enfin regarder vers l’avenir afin d’éviter écueils et déboires !
Commémoration de la Journée Internationale de L’enfance
Nos frères Yaouleds, cireurs de chaussures et porteurs de couffins pendant la colonisation française
Pour écrire, chaque élève avait droit à une planchette en bois avec de la craie blanche. Quand on faisait une faute, on recevait des coups que le mouadeb nous infligeait sur la plante des pieds avec un bâton ou une lanière.
A un âge plus avancé vers 7 à 10 ans, l’enseignement consistait à respecter la Sunna, c’est-à-dire les traditions du Prophète, à lire des sourates par cœur. Je ne me rappelle pas si l’enseignement était sur l’indépendance de l’Algérie. Toujours est-il que mon père préférait l’enseignement primaire appelé mecid dans une école coranique, sous la direction d’un mouadeb (instituteur), tandis que mes deux frères m’obligeaient à faire mes classes du primaire dans une école laïque française.
Si bien que pendant toute la semaine, j’allais à deux écoles arabe et française, l’une près de la Synagogue Djamâa Lihoud et l’autre à la rue Soudan, à la Basse Casbah. Le soir après l’école, j’allais dans les cafés maures vendre mes cigarettes. Je gagnais beaucoup d’argent à l’époque. Ce n’était pas une flânerie, mais une nécessité alimentaire pour nourrir ma famille. Je garde un souvenir empreint de crainte et de respect de mon défunt frère Laâdi avant qu’il ne soit emprisonné.
Dès qu’il avait vent que je vendais des cigarettes, il m’enfermait dans sa chambre, mettait la radio à fond et me donnait une de ces raclées que je ressens jusqu’à ce jour. Je sanglotais, criais et appelais à l’aide ma mère. Aucune réaction de sa part, ni de mes sœurs d’ailleurs. Elles avaient peur d’intervenir, car elles étaient au courant de mes activités extrascolaires. Mon frère Laâdi me demandait de recopier 100 fois, par exemple : «Je ne dois pas vendre de cigarettes » et m’envoyait au piquet pendant une heure ou plus selon la gravité de la faute.
Les jeux d’enfance, nous, les yaouleds, les concevions nous-mêmes, avec un rien ou presque, car n’étant pas riches pour les acheter chez le colonisateur français. Tous ces anciens jeux, que nos enfants ne connaissent pas aujourd’hui, n’occasionnent ni dépense ni investissement. Ces jeux étaient notre propre création et fierté. Le colonisateur nous poussait à fabriquer nos propres jouets et faisait barrière aux jeux des Français de souche, nous les enfants indigènes de seconde zone.
A cette époque, nous, les Yaouleds, étions très attachés à nos rues, nos cafés, nos bains maures, nos plages, nos fontaines, nos bêtises, tous ces jeux gratuits et nous étions conscients de notre pauvreté. Ni fables de la Fontaine, ni puzzle, ni livres d’enfant, ni jouets musicaux, ni jeux de société, ni écoles Montessori, ni nounous, ni théâtre, ni photos sur le frigidaire… Nos parents n’avaient pas de télévision ni de machine à laver Bendix. Nos bains, c’était dans un bac en zinc qui servait en même temps pour laver et essorer les langes. Nos repas essentiellement à base de semoule (assida algérienne), bouillie à base d’huile d’olive ou de beurre, agrémentée de sucre ou de miel, sans la Blédina trop chère pour nos parents.
Les loisirs urbains, c’étaient pour les enfants des colons un paradis dans leurs fermes (animaux, chevaux, arbres du jardin…) et les squares et jardins pour les citadins. Le pique-nique en famille dans la forêt de Baïnem, le Parc de Galland et le Jardin d’essai pour les Algérois, promenade de L’étang à Oran, boulevard des Orangers à Blida, rue Caraman qui menait à la place de la Brèche à Constantine, la «Jérusalem du Maghreb». Et en hiver, le ski à Chréa pour les enfants européens. La seule joie des yaouleds, ce sont les plages gratuites sur tout le littoral algérien. Mon passe-temps préféré c’était jouer au bord de la mer à Bab El Oued, à Remilet Laâwad (Bains des chevaux) et nager au port d’Alger, l’Eden, La Rascasse, La Vigie et La Crick. Je rentrais à la maison mouillé et changeais aussitôt de maillot dans les toilettes en cachette de mes parents.
Pour nous les Yaouleds, il n’y avait ni joie de la campagne, ni pique-nique, ni parc, ni promenade, ni piscine, ni skis, mais nous étions heureux malgré notre misère matérielle et affective mais libre par la suite d’avoir la niaque pour essayer de s’en sortir et crier vengeance par les armes sans les larmes sur le colonisateur français.
On a grandi dans la violence de la guerre mais heureux dans l’insouciance d’un Yaouled des rues. On a peut-être enlevé une partie de notre enfance, ce n’est pas grave, ce n’est pas la faute à nos parents mais au système colonial. On a grandi trop vite pour notre époque, mais sensibilisé très tôt à l’injustice sociale et une expérience de la misère. Ce qui fera de nous, gamins des rues, les errants, les révoltés, les chapardeurs, les proxénètes, les frustrés, prêts à prendre le maquis ou faire des attentats dans les rues d’Algérie pour l’humiliation subie d’une enfance «irrégulière».
Né dans la rue , dans un territoire «ensauvagé», effacé et dépouillé de son humanité, gentil, non violent, souriant, enfant de la misère, de la destruction des sociétés traditionnelles, de l’exode rural accentué par la guerre et des bidonvilles, des agglomérations urbaines coloniales, le yaouled deviendra «un émeutier en puissance… assoiffé de justice sociale, un client privilégié du nationalisme algérien», agent de liaison, agitateur des masses, un chouf chouf (guetteur) ... Vivant dans des gourbis (grabas) à la périphérie des grandes villes, c’est de là que viendront des émeutes des grandes manifestations anticoloniales du 11 Décembre 1960 et faire triompher les idéaux du FLN. Les enfants des rues se sont retrouvés aux avant-postes de la lutte contre l’ordre colonial, qu’il s’agisse de délivrer des messages à des agents du FLN, de leur livrer des armes ou bien de se mettre aux discours nationalistes.
A l’exemple du Petit Omar (Yacef Omar), 13 ans «mue du yaouled » qui incarne une nouvelle génération d’enfant se levant contre le colonialisme et de l’orgueil national de continuer la lutte pour l’indépendance. Des jeunes comme Amar Ali alias Ali la Pointe, Hassiba Ben Bouali et d’autres anonymes vont se révolter contre l’humiliation, l’injustice, le racisme et cette vie de privations, de douleur et de peines propres à l’intrusion coloniale.
En 1955, mon frère Laâdi et M’hamed Issiakhem ont participé au Ve Festival Mondial de la jeunesse à Varsovie pour représenter l’Algérie suite à une invitation du PCA (Parti Communiste Algérien). Mon frère âgé de 18 ans a été l’un des premiers à brandir le drapeau algérien sur la Place centrale de Varsovie et M’hamed Issiakhem le pionnier de l’art moderne algérien à exposer son œuvre «Le Cireur», représentant un yaouled avec sa boîte à cirage, mais en l’inversant, apparaît un jeune Algérien avec une mitraillette à la main.
A l’indépendance de l’Algérie, en février 1963, une histoire émouvante à la Salle Pierre Bordes (actuellement Ibn Khaldoun), Hadj Omar le demi-frère de Amraoui Missoum, précurseur de la musique moderne algérienne, lui-même né à La Casbah, orphelin de père, cireur de chaussures, garçon de café et chanteur interpréta : « Des roses blanches pour ma mère».
C’est la dramatique histoire d’un gamin cireur de La Casbah à la recherche de médicaments pour sa mère gravement malade. Devant des spectateurs en larmes accompagné de you-you, le président de la République algérienne Ahmed Ben Bella, présent dans la salle, entourée de Bachir Boumaza, Houari Boumediene et d’autres responsables politique, monte sur la scène et annonce la décision de mettre fin à la situation des enfants cireurs, symbole de l’humiliation coloniale. Ces derniers, présents dans la salle, vont détruire leur boîte de cireurs sous les applaudissements de la salle et un concert de youyou.
Le président algérien décide de mettre en place un vaste programme éducatif et de vider les rues d’Algérie de ces cireurs. C’est là tout le but de l’opération «Enfants cireurs», destinée à donner un foyer et un avenir à ce «sous-prolétariat enfantin» que le gouvernement algérien va lancer. Ainsi 200 Yaouleds ont symboliquement détruit leurs boîtes à cirage, arrosées d’essence sur les dalles de la place des Martyrs d’Alger. Tous verront leurs familles indemnisées et seront orientés vers des centres de réinsertion, où ils seront logés, nourris, blanchis et formés pour des métiers plus honorables. La reconversion des 200 premiers yaouleds s’est faite de façon symbolique en les installant à Sidi Ferruch, dans l’ancien camp où les parachutistes français faisaient l’école de la guerre.
Maurice Chevalier avec sa chanson Ali Ben Baba reflète bien l’esprit colonial de l’époque : «Dans la ville d’Alger / On voyait circuler/ Un tout petit cireur / Joli comme un cœur / Il cirait par-ci / Il cirait-par-là / Toujours bien lavé… » Non, à l’oubli de ces Yaouleds, car plus confortable, ici et là- bas, de les effacer des mémoires collectives et de l’histoire de la guerre d’Algérie. Non à l’oubli du cireur sans chaussures ou du porteur de couffin, scanné dans nos mémoires collectives. L’enfance musulmane irrégulière, humiliée durant la période coloniale est occultée par les historiens des deux rives de la Méditerranée.
Ce 1er juin 2023, Journée Internationale de l’Enfance, les médias ne citeront sûrement pas l’histoire triste de ces fameux Yaouleds algériens durant la période coloniale comme d’ailleurs celui de «l’Autre 8 mai 1945» du génocide Constantinois.
La Casbah joyeuse est en moi et c’est ma mémoire, je la revisite toutes les nuits et je n’arrive pas à l’oublier. Aujourd’hui, en Algérie, les Yaouleds ont été remplacés par des grands hommes parmi eux des cadres de la nation algérienne, des médecins, des ingénieurs mais aussi par des métiers improvisés comme «parkingueurs», «parasoleurs» sur les plages, vendeurs de galettes sur les routes des grandes villes, hittistes, trabendistes, harraga vers l’autre rive de la Méditerranée ou par des enfants issus de l’immigration, comme guetteurs ou dealers.
Au Panthéon de l’oubli, nos braves Yaouleds de la guerre d’Algérie doivent rejoindre Maqam Echahid, «un identifiant de l’identité d’un peuple».
Tout Algérien doit être fier de son passé. L’oubli de nos misères est impossible, c’est cimenté dans nos mémoires. «Oulache Smah Oulache» (pas de pardon) au colonisateur français pour l’humiliation de nos yaouleds et l’exploitation ignominieuse de la prostitution durant la colonisation française.
Le principe fondamental de ce jour de commémoration du 1er juin 2023 est de «ne laisser aucun enfant de côté» et de «bâtir un monde dans lequel tous nos enfants auront la possibilité de réaliser pleinement leur potentiel et de grandir en bonne santé, dans la paix et la dignité».
Par le docteur FLICI OMAR Gynécologue-obstétricien./2023 mis à jour: 23:16
Dans les archives de « l’Obs ». En 1972, Jules Roy, écrivain et ancien militaire, répliquait aux justifications de la torture en Algérie par le général Massu.
Le général Jacques Massu (à gauche), avec le général Charles de Gaulle et le ministre des Armées Pierre Messmer, assistant aux grandes manoeuvres d'automne aéro-terrestres "Vahny" le 06 octobre 1962 dans la région de Reims et Epernay (AFP)
Quel monde, quels Français, quelle société racontait « le Nouvel Observateur » (devenu « l’Obs » en 2014) voilà un demi-siècle ? Chaque week-end, nous vous proposons un article, interview, reportage, portrait ou encore courrier de lecteurs puisé dans nos archives.
Jules Roy (1907-2000) eut deux vies, d’abord militaire plus d’une décennie, puis écrivain. Il quitta l’armée en 1953, scandalisé par les méthodes employées en Indochine. En 1972, comme il l’écrit dans l’article ci-dessous, retiré à Vézelay, il revient à l’actualité immédiate pour dénoncer le général Massu. Jacques Massu (1908-2002), ancien des guerres d’Indochine et d’Algérie, a publié quelques mois plus tôt ses Mémoires, « La Vraie Bataille d’Alger » (éditions Plon), où il justifie le recours à la torture pendant la guerre d’Algérie. Torture que « France Observateur », l’ancêtre du « Nouvel Obs », dénonçait dès le début de la guerre.
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Hors-série « l’Algérie coloniale – 1830-1962 »
Pour acheter le hors-série de « l’Obs » sur la colonisation française de l’Algérie, c’est ici. L’intégralité de nos articles est aussi à retrouver sur le web dans ce dossier.
(les titres et la typographie des articles reproduits sont d’époque)
Article paru dans « le Nouvel Observateur » n° 383 du lundi 13 mars 1972
Polémique
L’impudeur de Massu
par Jules Roy
La torture n’est pas encore admise par tout le monde. Au douteux succès de librairie remporté par les Mémoires du général Massu répondent aujourd’hui trois ouvrages qui, sans s’adresser aux « gens heureux et qui ont bien raison de l’être », remettent les crimes et les criminels à leur place historique. Outre le livre de Jules Roy (« J’accuse le général Massu », Editions du Seuil), présenté ci-dessous par son auteur, paraissent simultanément l’édition française de « la Torture de la République », de Pierre Vidal-Naquet (Editions de Minuit), publié il y a dix ans en Grande-Bretagne, et « Bataille d’Alger, bataille de l’Homme », du général de Bollardière (Editions Desclée de Brouwer), qui raconte le cheminement solitaire et périlleux d’un militaire humaniste écartelé entre son devoir et les exactions policières couvertes sinon programmées par Massu.
Parce que vous avez la chance d’avoir pu conquérir votre liberté et de gagner votre vie ailleurs qu’à l’usine ou au « burlingue », vous allez vous enfouir, un jour, en pleine cambrousse, de plein gré, dans un trou. Parce que Ie grain, si l’on veut qu’il lève, doit mourir.
Votre femme et vous renoncez au monde, à ses pompes et à ses œuvres, c’est-à-dire à rien, et vous préférez, tous deux, au bruit et à la fureur des villes, la nature, l’affrontement avec les saisons, les bêtes, la communion avec les amis qui osent encore venir vous voir ou la solitude. Pas gai, n’est-ce pas, si l’on craint de se mesurer avec soi et les grandes vérités, car tout, à la campagne, est mort et renouveau. A la campagne, rien ne distrait de l’essentiel. Pas de cinéma. Notre téléphone que le moindre souffle de vent, la première chute de neige ou le moindre orage détraque, ne sert pas non plus à grand-chose. Mais si vous trouvez votre joie en chaque aube, en chaque ensoleillée, en chaque étoile qui s’arrête au-dessus de votre toit, en chaque nouvelle lune, en chaque passage de migrateurs en route vers les étés d’ailleurs ou vers le vôtre, en chaque promenade avec votre chien dans l’océan des bois ? Vous êtes heureux, vous souffrez. Vous écrivez comme d’autres peignent ou sont musiciens. Hors du fracas. Votre navire roule sur les houles du silence, de votre monde à vous et de vos combats intérieurs. D’un hublot, vous pouvez surveiller les rivages, les approcher de votre regard. Si vous voulez retrouver l’agitation, le grouillement, les scandales, il vous suffit de vous mettre devant les « étranges lucarnes ». Et si vous êtes écœuré, de vous en détourner.
Quand soudain paraît un livre dont l’auteur, croyez-vous, devrait se montrer pudique, sinon honteux. Un de ces hommes qui n’aiment pas d’habitude faire parler d’eux et qu’on découvre parfois, sous des noms d’emprunt, en Amérique du Sud. Un ancien tortionnaire, considéré en Algérie comme criminel de guerre.
De celui-là, le récit de ses faits d’armes s’étale au grand jour de la télé, des radios et de la presse. Les meilleurs interviewers se l’arrachent, vous le voyez tête nue et en chandail à col roulé, son ancien fanion de commandement planté à côté de lui dans son cabinet de travail, expliquer comment il s’y est pris, et pourquoi il a exécuté les ordres qu’il recevait. Quel bourreau se justifierait autrement ! Pour lui, il s’agissait d’abattre le terrorisme ou d’accepter d’être vaincu. « Savoir quelque chose et vivre, ou ne rien savoir et mourir », comme on me disait déjà en Indochine. Après les Nha-quê, les « ratons ». Par milliers. Le résultat ? Après Dien-Bien-Phu, en 1954, le déchirant exode, en 1962, les pieds-noirs, perdus par celui qui prétendait les sauver.
« Ferme mais bon »
Alors, vos anciennes blessures se réveillent. Vos cicatrices vous brûlent. De vieilles douleurs vous poignent : un reître qui prétend avoir servi son armée, les grands principes qui aident les hommes à vivre, et même Dieu...
Des oubliettes de la mémoire, surgissent les incendies de villages, les camps de regroupement où le nom de la France était maudit, les convois de troupes, l’aboiement des chiens et des canons dans la nuit, les rafles dans la Casbah, les grandes chiourmes des « centres d’hébergement », les cadavres retrouvés sur des plages cousus dans un sac, les rebelles jetés de la carlingue des hélicoptères, les bombardements, les villas des hauts d’Alger où sévissait ce que notre inquisiteur appelle benoîtement « la question par force ». Car il est honnête, notre général. Peut-être même naïf ? Il aime ses sloughis et la population qu’il a la charge de protéger, il a souci de se montrer « ferme mais bon », il se soumet lui-même à la « gégène » pour apprécier ce qu’il fait endurer aux autres, il n’a à son tableau de chasse que des « traîtres » comme Maurice Audin et Henri Alleg, et quelque trois mille disparus dont il n’avoue que le dixième.
Que dirait-on à l’Elysée si un ambassadeur demandait son extradition ?
En 1958, il a failli nous imposer le régime de son choix en se préparant à sauter sur Paris avec sa division parachutiste et, en récompense de sa loyauté, a reçu du pouvoir de grands commandements. Il se réclame de Lyautey et du Père de Foucauld, va en pèlerinage à Colombey, comme il viendra bientôt se recueillir à Vézelay d’où est partie la croisade de saint Bernard.
Alors, vous qui vous êtes battu pour une certaine idée de la France dans les rangs d’une armée pareille à celle qui apparaît dans « les Noyers de l’Altenburg », vous bondissez sous l’outrage. Vous vous révoltez ! Vous vous mettez, le cœur cognant dans la poitrine, à confondre ce « héros ». Vous l’attaquez sur son propre terrain, vous le défiez au nom de la multitude anonyme qui lui doit la souffrance, l’abomination et la mort.
Non, l’armée du général Massu n’est pas celle de la France ! Et le deviendrait-elle, par malheur, qu’il faudrait, pour l’honneur des armes et de la France, la dénoncer !
Adieu, douceur des jours, adieu sérénité.
Vous devenez l’insolent porte-parole des humiliés.
Voilà pourquoi, moi un pacifique, j’accuse le général Massu.
Inscrites dans une histoire qui remonte à la colonisation et à la politique inaugurée par le futur maréchal Lyautey, les relations entre le Maroc et la France traversent depuis plusieurs mois une zone de turbulence. Pour Rabat, Emmanuel Macron a fait le choix d’Alger au détriment des intérêts vitaux du royaume.
Prévu pour le premier trimestre 2023, le voyage du chef de l’État français au Maroc a été reporté aux calendes grecques et les relations entre les deux pays se sont rapidement détériorées. En juillet 2021, les révélations du consortium de journalistes créé par Forbidden Stories ont montré qu’Emmanuel Macron et plusieurs de ses ministres avaient été espionnés, probablement par le Maroc, avec le logiciel espion israélien Pegasus. Deux mois plus tard, la décision de Paris de réduire de 50 % le quota de visas octroyés aux Marocains et aux Algériens et de 30 % celui des Tunisiens est très mal vécue au Maroc, qui contribue activement à la rétention des flux d’immigrés subsahariens en route vers l’Europe. Le royaume n’accepte pas d’être mis sur un pied d’égalité avec l’Algérie. Cette crise dans les relations bilatérales n’est qu’un épisode dans une très longue relation qui n’a jamais été ordinaire.
LE RÔLE DE LYAUTEY
Cette relation a été tissée par un militaire, Hubert Lyautey, futur maréchal, résident général de France au Maroc de 1912 à 1925. Ce monarchiste convaincu a redonné à la monarchie alaouite mise à mal par de nombreux foyers de contestation les attributs de son pouvoir. Pour lui, seul le sultan, reconnu dans son prestige, avait la capacité de souder les Marocains divisés par des séparatismes tribaux.
Durant ce protectorat français, le sultan symboliquement maintenu sur le trône a pu faire la jonction entre la puissance coloniale et la population. Alors qu’elle est en grande partie due à la personnalité de Lyautey, cette relation allait durablement marquer les liens entre les deux pays. Certes, la famille alaouite adopte les idées nationalistes dans l’après-seconde guerre mondiale, et Mohamed Ben Youssef (le futur roi Mohamed V) sera exilé en 1953, tout comme Allal Al-Fassi, le chantre du nationalisme marocain ; mais de part et d’autre, on décide d’oublier ce fâcheux épisode. Paris rétablit le sultan dans ses droits et sur son trône en 1955, et entame un processus d’indépendance négociée et obtenue le 3 mars 1956.
En 1961, Hassan II succède à son père dans un contexte de révoltes tribales que le jeune roi décide de réprimer. Il le fait avec l’aide de l’armée française qui a joué un rôle important dans la mise en place des Forces armées royales (FAR), alors qu’il était prince héritier. Paris fournit aide et matériel à la jeune armée qui sera, jusqu’aux attentats du début des années 1970, le pilier du régime.
Les relations entre les deux pays sont excellentes, mais Hassan II souhaite affranchir son pays. En juin 1963, lors de sa première visite à Paris, il plaide pour un reformatage des relations, voulant qu’elles soient fondées sur la loyauté et les valeurs partagées « car on s’enthousiasme pour les mêmes choses, et on œuvre pour les mêmes choses », dira-t-il dans l’émission de la télévision française « Cinq colonnes à la une » du 4 janvier 1963. Le message est bien reçu par le général de Gaulle qui l’avait déjà accueilli en grande pompe, voulant s’appuyer sur ce jeune roi pour établir des liens nouveaux avec le monde arabe après la crise de Suez de 1956 et la guerre d’indépendance algérienne.
L’AFFAIRE BEN BARKA
L’embellie sera de courte durée puisque deux ans plus tard, l’opposant au régime de Hassan IIMehdi Ben Barka est enlevé à Paris et assassiné. Pour de Gaulle, c’est une violation de la souveraineté de la France ; il met en cause le général Mohamed Oufkir et son adjoint le colonel Ahmed Dlimi, proches de Hassan II. La France rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc, la coopération est interrompue. Georges Pompidou tentera de normaliser les relations entre les deux pays, malgré le retrait du Maroc de la zone franc en 1973.
Les bases d’une relation solide seront jetées sous Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), fondées sur une coopération à caractère politique, économique et sécuritaire. La libéralisation de l’économie marocaine bénéficie aux entreprises françaises, le Maroc devient progressivement un allié de poids pour Paris. À deux reprises, en 1977 et 1978, les soldats marocains interviennent au Zaïre à la demande du président français, pour venir en aide au président Mobutu Sese Seko qui fait face à une rébellion. Hassan II obtient aussi de Giscard d’Estaing que l’aviation française effectue des raids contre les camps sahraouis rebelles en Mauritanie en 1977.
Les liens entre les deux pays s’inscrivent dans le contexte de la Guerre froide. Le Maroc, au même titre que l’Iran, l’Arabie saoudite ou encore l’Égypte, participe au très secret Safari Club, une alliance de services de renseignement mise en place en 1976 à l’initiative du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), ayant pour objectif de faire barrage à l’influence communiste en Afrique et au Proche-Orient. Hassan II en profite pour demander l’adhésion de son pays à la Communauté économique européenne (CEE). Il sait qu’il ne peut l’obtenir, mais c’est pour lui une manière d’exprimer sa proximité aux valeurs de l’Europe tout en faisant montre de sa loyauté, et de se distinguer des autres pays du Maghreb.
« NOTRE AMI LE ROI »
L’idylle entre la France et le Maroc est parfaite, mais en mai 1981, l’élection de François Mitterrand à la présidence déstabilise les élites marocaines, convaincues que la gauche française est plus proche de l’Algérie. Pourtant, Mitterrand refuse de jouer l’un contre l’autre les deux grands États du Maghreb. Il effectue deux voyages au Maroc, et maintient la position de neutralité officielle de la France sur le Sahara occidental. Mais il ne s’opposera pas à sa femme Danièle lorsqu’elle décide de créer un comité de vigilance sur le Sahara occidental au sein de sa propre fondation, France-Libertés. Hassan II parle d’ « épouse morganatique », et de « roturière de mauvais aloi »1, et un bras de fer s’engage sur la question des droits de humains, et des prisonniers politiques du Maroc.
En juin 1990, le discours prononcé au sommet franco-africain de La Baule par Mitterrand passe mal. Pour la première fois depuis les indépendances, un chef de l’État français conditionne, sans équivoque, l’aide économique aux efforts de démocratisation des pays demandeurs : « Il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation. »
Le pire est pourtant à venir. Début septembre, la prestigieuse maison d’édition Gallimard publie Notre ami le roi, de Gilles Perrault. Précis et détaillé, le livre décrit les assassinats politiques, les tortures infligées aux opposants au Derb Moulay Chérif à Casablanca2, les morts-vivants du bagne de Tazmamart… Vole ainsi en éclats l’image d’un Maroc moderne partageant les valeurs de l’Occident. Dépêché à Paris, notamment pour rencontrer son homologue français, Driss Basri le ministre marocain de l’intérieur ne parvient pas à faire bloquer l’impression et la diffusion du livre. L’année du Maroc en France est annulée, tandis que l’ouvrage sera réédité et vendu à plus de 500 000 exemplaires.
LUNE DE MIEL AVEC JACQUES CHIRAC
Avec l’élection en 1995 de Jacques Chirac, qui parle du Maroc comme de sa « seconde patrie », commence une lune de miel. Chirac effectue au Maroc sa première visite à l’étranger (1995) et y passe presque toutes ses vacances. En 1999, les deux pays signent des « accords d’exception », qui se traduisent par des rencontres bilatérales de « haut niveau », tous les deux ans. La coopération est intense sur le plan économique. Dès 1994, des exercices militaires communs sont programmés, renforcés en 2005, de manière à lutter contre le terrorisme. À cela s’ajoute le fait que Rabat est un acteur central dans la politique migratoire de l’Union européenne (UE) et de la France en particulier. Sur le Sahara occidental, la France a été le premier État à soutenir le plan de paix marocain proposé en 2007, sur la base d’une autonomie du Sahara dans un Maroc souverain. Sur ce dossier sensible de la souveraineté au Sahara, Paris défend les positions de Rabat, que ce soit au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, de la Commission européenne ou du Parlement européen.
En 2003, devant le Parlement marocain, Chirac fait l’éloge de la « transition politique et sociale sans précédent » engagée dans ce pays. Alors que la monarchie venait de réformer un code de la famille qui datait de 1957, élargissant les droits aux femmes marocaines, le président français érige ce pays en exemple face à l’extrémisme religieux.
En juillet 1999, le président Chirac écourte son voyage en Afrique pour se rendre aux funérailles de Hassan II, assurant le jeune Mohamed VI de son soutien, en lui glissant à l’oreille : « Majesté, je dois beaucoup à votre père et si vous le souhaitez, tout ce qu’il m’a donné, je m’efforcerai de vous le rendre.3 » Chirac exprimait régulièrement sa reconnaissance à Hassan II : « Je dois à Hassan II une sorte d’initiation aux complexités et aux valeurs du monde arabe et musulman. Je lui dois des analyses visionnaires sur les drames, mais aussi sur les chances de paix au Proche-Orient4 »
UNE IMPOSSIBLE NORMALITÉ
En introduisant de l’intimité dans la relation entre les deux pays, Jacques Chirac n’a pas facilité la tâche de ses successeurs qui n’ont eu de cesse de vouloir « normaliser » la relation dans un souci d’équilibre entre le Maroc et l’Algérie. François Hollande souhaitait installer des rapports apaisés avec les États du Maghreb, mais en février 2014, deux affaires provoquent une crise. Le 18 février, l’acteur espagnol Javier Bardem présente à Paris son documentaire Enfants des nuages, la dernière colonie. Très engagé aux côtés des partisans de l’autodétermination du Sahara occidental, Bardem dénonce le soutien de la France au Maroc. Rabat considère l’autorisation donnée à cette projection comme un acte hostile.
La tension monte d’un cran deux jours plus tard lorsque sept policiers se présentent à la résidence de l’ambassade du Maroc à Paris pour remettre une convocation au patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST) (les services marocains) Abdellatif Hammouchi qui s’y trouvait quelques minutes plus tôt. Hammouchi est visé par trois plaintes, dont une pour torture. Rabat annonce la suspension des accords de coopération judiciaire entre les deux pays.
Pour le président Hollande, l’affaire est compliquée, car la lutte contre le terrorisme implique une coordination quotidienne entre les services des deux pays. Le renseignement marocain a déjà prouvé son efficacité dans l’enquête consécutive aux attentats perpétrés sur le sol français en novembre 2013, et revendiqués par l’organisation de l’État islamique (OEI). Il a permis de localiser les terroristes retranchés dans l’appartement de Saint-Denis et a orienté les enquêteurs français sur la piste belge. Cette lutte commune antiterroriste conduit Hollande à sceller la réconciliation. Il se rend à Tanger pour acter la reprise de la coopération sécuritaire, et annonce qu’Abdellatif Hammouchi sera élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur.
ESPOIRS DÉÇUS AVEC EMMANUEL MACRON
La relation entre d’Emmanuel Macron et Mohamed VI s’engage bien. En juin 2017, en plein mois de ramadan, le couple présidentiel est invité à partager un iftar, ce repas qui réunit famille et amis proches pour la rupture du jeûne. Embarrassés par cette intimité, les conseillers du président Macron parlent d’une visite « simple, rapide, et dont le seul objectif est de permettre aux deux chefs d’État de faire connaissance ». Macron, qui avait effectué une visite en Algérie au cours de sa campagne électorale, se distingue de ses deux prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande qui s’étaient d’abord rendus en Algérie, un ordre chronologique sans cesse observé jusque-là.
Mais, on l’a vu, cette lune de miel ne durera pas. Dans un climat de méfiance qu’alimentent les médias marocains proches du pouvoir, le 19 janvier 2023, le Parlement européen adopte à une large majorité un texte non contraignant visant le Maroc, l’appelant à respecter la liberté d’expression et les droits des journalistes incarcérés. Le texte condamne également les méthodes utilisées par Rabat et notamment « l’utilisation abusive d’allégations d’agressions sexuelles pour dissuader les journalistes d’exercer leurs fonctions ». La résolution fait également état de l’implication présumée du Maroc dans le scandale de corruption des eurodéputés, qui ébranle le Parlement européen depuis décembre 20225. Le Maroc réagit très vivement à cette mise en cause, d’autant qu’il estime que ce vote aurait été largement porté par les eurodéputés français de Renew Europe, notamment Stéphane Séjourné, un proche de Macron.
L’OMBRE DE L’ALGÉRIE
Ces soupçons sont aggravés par la proximité affichée entre Paris et Alger dont a témoigné la visite « officielle et d’amitié », effectuée par Macron et une partie de son gouvernement à Alger en août 2022. Macron semble décidé à « refonder et développer une relation entre la France et l’Algérie, résolument tournée vers l’avenir et au bénéfice des populations », comme l’indique le communiqué de l’Élysée. Durant le voyage en Algérie, les discussions ont porté aussi bien sur une augmentation des livraisons de gaz et de GNL à la France que sur les questions mémorielles. Les deux chefs d’État ont scellé leur réconciliation en signant une déclaration appelant à « une nouvelle dynamique irréversible ».
Mais c’est la réunion de Zéralda qui a le plus inquiété Rabat. En effet, le 26 août, Emmanuel Macron, Abdelmajid Tebboune avec leurs chefs d’états-majors des armées et du renseignement se réunissent à l’ouest d’Alger, une première depuis l’indépendance de l’Algérie. L’entretien porte sur un programme commun de défense et de sécurité, ainsi que des actions communes « dans l’intérêt de notre environnement géopolitique ». En outre, les deux États décident d’instaurer un « haut conseil de coopération » au niveau des présidences de la république. Cet accord est vécu par Rabat comme un pacte sécuritaire portant sur des actions communes au niveau régional, notamment au Sahel. Et la visite du général Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’armée algérienne à Paris les 23 et 24 janvier 2023 n’arrange pas les choses. Non seulement la France n’emboite pas le pas aux États-Unis en reconnaissant la marocanité du Sahara occidental, mais elle fait le choix de coopérer activement avec l’Algérie, qui a rompu ses relations avec le Maroc et s’oppose fermement à Rabat sur la question du Sahara occidental, pierre angulaire de la diplomatie marocaine.
Cette page tumultueuse des relations entre Paris et Rabat illustre la difficulté pour Paris de garder un équilibre entre le Maroc et l’Algérie dont les relations sont encore plus tendues depuis la rupture de leurs relations diplomatiques en décembre 2022.
KHADIJA MOHSEN-FINAN
Politologue, enseignante (université de Paris 1) et chercheuse associée au laboratoire Sirice (Identités, relations internationales et…
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