par Anna Mahjar Barducci
Chercheuse et écrivaine maroco-italienne
vendredi 23 juin 2023 - 20
On nous a toujours raconté que durant la « décennie noire », pour contrer des islamistes fanatiques, l’armée algérienne s’est mobilisée corps et âme, mais la vérité est autre.
Mohammed Samraoui, ex-colonel de l’armée algérienne qui a déserté en 1996, et est depuis en asile politique en Allemagne, a vécu de l’intérieur « l’enchainement diabolique » qui a plongé l’Algérie dans l’horreur. Il a écrit le livre « Chronique des années de sang » (Éditions Denoël) pour démontrer comment une « poignée de généraux corrompus » ont mis leur pays à feu et à sang pour préserver leurs privilèges.
Dans son livre, Samraoui, que j’ai rencontré dans un endroit secret en 2009, a précisé qu’il n’est nullement dans ses intentions de nier ou de justifier les crimes commis par les islamistes. Cependant, s’il y a eu une guerre, c’est qu’il y avait forcément des protagonistes, et, à ses yeux, «les généraux et les dirigeants du FIS sont coresponsables du drame algérien ».
La création des GIA par les services algériens
Après la victoire écrasante du Front islamique du salut (FIS) au premier tour des élections législatives en décembre 1991, l’armée avait pressé le régime d’annuler le second tour. En conséquence, le président avait dissous l’Assemblée populaire nationale et, au printemps 1992, l’armée algérienne avait été aussi chargée de gérer l’état d’urgence.
Les chefs de l’armée avaient décidé que le FIS menaçait leur propre pouvoir et devait être éliminé. Pourtant, la lutte contre les islamistes a été l’occasion pour le régime algérien de se débarrasser d’autres « ennemis » du régime, comme les militants des droits de l’homme et les dirigeants amazighs de Kabylie.
Samraoui lui-même a raconté : « Tous les jours, nos chefs, Smaïl Lamari [alias Hadj Smaïn, général-major et patron de la Direction du contre-espionnage (DCE), l’une de branche du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), mort en 2007] et aussi [le général-major] Brahim Fodhil Cherif [mort en 2008] ressassaient le même discours : Il fallait enrayer la «menace intégriste », qui signifiait la fin de l’Armée nationale populaire (ANP) … Ils nous expliquaient aussi que des personnalités comme Hocine Aït Ahmed (le leader historique du Front des forces socialistes, FFS), les avocats Ali Yahia Abnennour (dirigeant de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme) ou Mahmoud Khelili (mobilisé pour défendre toutes les victimes de la répression) étaient des ‘ennemis’ de l’Algérie. »
Pour avoir une idée du climat d’hystérie sanguinaire dans lequel l’Algérie sombrait, Samraoui a mentionné une déclaration de Smaïl Lamari, lors d’une réunion en présence de nombre d’officiers de la DCE, qui est restée gravée dans sa mémoire : « Je suis prêt et décidé à éliminer trois millions d’Algériens s’il le faut pour maintenir l’ordre que les islamistes menacent. »
Dans ce contexte, il était difficile d’être lucide sur la perversion organisée du système qui se mettait en place. Samraoui a compris que bien après, dans toute son ampleur, la responsabilité des chefs du DRS dans la création des Groupes islamistes armés (GIA), instruments des crimes les plus atroces dans la « décennie noire ».
« Les émirs du DRS »
À partir de février 1992, la presse algérienne évoqua souvent le nom de Moh Leveilley, présenté comme l’un des terroristes islamistes les plus dangereux. Samraoui, qu’il l’avait personnellement connu, a raconté : « Moh Leveilley était un agent des services, fabriqué pour en faire un épouvantail islamiste et pour lui faire commettre des attentats destinés à terroriser les citoyens. Il sera finalement abattu par les forces de sécurité à Tamesguida, le 31 août 1992. Il n’était que le premier des nombreux ‘émirs du DRS’ placés à la tête des GIA et qui seront régulièrement liquidés une fois leurs missions accomplies. Moh Laveilley n’était évidemment pas un cas isolé. Son utilisation comme agent terroriste pas le DRS s’inscrivait dans une stratégie globale de manipulation par nos chefs. »
Il convient de souligner qu’en février-mars 1992, « il n’était pas encore question de GIA, mais de djamaates (groupes islamiques ou groupes armés) ». Ce terreau, a expliqué Samraoui, donnera naissance aux GIA tels qu’ils seront connus à partir l’automne 1992 : «une sorte de fédération de nombre de groupes existants qui rallieront progressivement le noyau initial constitué, à l’initiative du DRS (c’est pourquoi à partir de 1993, on évoquera de plus en plus souvent les GIA et non plus le GIA) ».
La stratégie des services algériens
En expliquant la stratégie du DRS pendant les années, Samaroui a écrit : « Désormais, il ne s’agissait plus, comme on nous l’avait expliqué au cours des mois précédents, de manipuler les groupes radicaux pour mieux les contrôler, mais au contraire de tout faire pour qu’ils se multiplient et sèment partout la terreur.
Cette stratégie (qui se poursuivra pour atteindre son paroxysme dans les années suivantes) s’appuyait sur plusieurs méthodes :
– Infiltrer les groupes armes véritablement autonomes, par l’intermédiaire de militants islamistes retournés (pour la plupart arrêtés par les services puis remis en circulation après avoir accepté de collaborer, par le chantage ou par la compromission), ou grâce a des agents du DRS, comme les militaires se présentant comme déserteurs, qui on rejoint le maquis de Chréa, Zbarbar, Tablat, Beni Bouateb, Sidi Ali Bounab et de Kabylie avec armes et bagages (connus pour leur fréquentation assidue des mosquées, ils étaient acceptés sans méfiance, alors qu’ils étaient bien en mission pour le compte du DRS),
– Utiliser les groupes déjà manipulés qui sont passés à la lutte armée dans les premiers mois de 1992 pour attirer de nouvelles recrues,
– Favoriser la création de groupes par des militants sincères mais manipulés, dès le départ, à leur insu (comme le Mouvement pour l’Etat islamique de Saïd Makhloufi, créé au printemps 1992),
– Infiltrer, dans les camps de sûreté du sud et les centres pénitentiaires, de faux islamistes délinquants, lesquels, une fois élargis, constitueront, à partir de 1993, des groupes armés qui seront actifs dans les régions connues pour leur soutien au FIS (pour ne donner qu’un exemple : à l’initiative de Smaïl Lamari, le capitaine Ahmed Chaker, qui était mon adjoint a Chateuneuf, recruta un certain Mamou Boudouara, voyou et alcoolique notoire à Belcourt, devenu du jour au lendemain un fervent partisan de l’État islamique),
– Créer, de toutes pièces, des groupes armés dirigés par des émirs qui étaient en réalités des officiers du DRS.
Toutes ces techniques ont été utilisées, parfois conjointement. L’idée générale de nos chefs était de fédérer tous ces groupes pour produire une violence contrôlée et maîtrisable.
C’est ce travail délicat qui n’as pas bien fonctionné (on aboutira au contraire au chaos), car il exigeait une discrétion absolue, donc des officiers sûrs, et une parfaite coordination entre les différents services du DRS chargés de contrôler ces groupes : le CPO (Centre principal des opération, ou Centre Antar) du commandant Amar Guettouchi, le CRI (Centre de recherche et d’investigation) de Blida du commandant Mehenna Djebbar, le CPMI (Centre principal militaire d’investigation) du commandant Athmane Tartag, dit Bachir, et bien sûr le chef de la DCE, Smaïl Lamari, et son compère de la DCSA (Direction centrale de la sécurité de l’armée), Kamel Abderrahmane, qui chapeautaient ces opérations en liaison avec le généraux Toufik, Belkheir et Nezzar.
Dans les mois et les années qui suivront, ces manipulations tous azimuts déboucheront effectivement sur des GIA contrôlés par le DRS. Mais très vite, faute de coordination, elles déraperont, et la violence deviendra largement incontrôlable. Ce qui justifiera, à partir de l’automne 1992, l’engagement massif des forces spéciales de l’ANP, conduites par le général Mohamed Lamari. « Disons simplement ici que la lutte sera menée avec une férocité et une abomination dépassant l’entendement (bombardement au napalm, utilisation de l’artillerie et des hélicoptères de combats, ordre de ne pas faire de prisonniers, usage massif de la torture…) ».
GIA, une organisation de contre-guérilla
Dans son livre, Samraoui a aussi dénoncé l’aveuglement de la majorité des médias internationaux sur la véritable nature de la « décennie noire », « car la simple observation du théâtre politique algérien et du comportement des groupes armés suffisait à invalider la thèse dominante d’une démocratie fragile menacée par l’intégrisme islamiste et défendue par de valeureux généraux républicains ».
En fait, la « violence intégriste » frappant les populations civiles n’a jamais eu la moindre cohérence politique, même au regard de l’idéologie islamiste supposée la justifier.
« En fin de compte, à qui ont profité les actions de GIA ? Sûrement pas aux islamistes. Les GIA n’avaient ni projet de société, ni programme politique. Ils ne proposaient aucune alternative pour le pays. Le comportement de leurs membres se caractérisait par les meurtres, les viols, l’alcool, la drogue, le racket… Les GIA, faisant de la surenchère durant la présidence de Liamine Zeroual (1994-1998), iront jusqu’à reprocher aux dirigeants du FIS leur volonté de recourir à des solutions politiques ou de rechercher des compromis avec le pouvoir », s’intérroge-t-il.
Ainsi, bien loin de s’attaquer aux généraux et à leurs auxiliaires, les GIA se sont acharnés sur la population civile sans défense et ont mené une guerre sanglante contre les autres organisations islamiques. Bref, tout a été fait pour les isoler de la population et les priver de tout soutien. La simple lecture des tracts des GIA est éloquente et dénote que leurs objectifs convergent paradoxalement avec ceux des généraux algériens prédateurs puisqu’on n’y trouve que des diatribes extrémistes où abondent les formules du genre : pas de réconciliation, pas de trêve, pas de dialogue, pas de pitié…
Même quand on ignore le dessous des cartes, toutes ces contradictions apparentes ne peuvent avoir qu’une seule explication : un mouvement qui jette le discrédit sur les organisations islamistes, qui décapite des femmes et des enfants et qui n’as pas de commandement unifié ne peut être qu’un mouvement de contre-guérilla, utilisé contre les véritables islamistes… Cela témoigne de la volonté des commanditaires ayant programmé la tragédie de l’Algérie de ne reculer devant rien pour entretenir le chaos, opposer les Algériens entre eux dans une guerre fratricide et éradiquer toute opposition sérieuse qui menacerait leur privilèges.
Samraoui a enfin déclaré avoir écrit son livre dans l’espoir de contribuer à faire connaître la vérité sur la « décennie noire ». « Un jour, j’en suis sûr, l’Histoire rendra son verdict et les criminels de l’État algérien seront jugés », a-t-il conclu.
A
vendredi 23 juin 2023 - 20:11
https://fr.hespress.com/319876-algerie-comment-les-services-secrets-algeriens-ont-manipule-les-groupes-islamistes-pendant-la-decennie-noire.html
L´œuvre d´Assia Djebar face à la guerre civile algérienne des années 1990
https://skemman.is/bitstream/1946/26076/1/BAritger%C3%B0final-ingibj%C3%B6rg.pdf
Résumé
L’auteur algérienne Assia Djebar (1936-2015), était une des auteurs précurseurs féminines
d’Afrique du Nord. Ayant participé à de nombreux projets à partir de la fin des années 1950,
quand elle a publié son premier livre, Djebar a depuis réalisé deux films, écrit un certain nombre
de romans, de nouvelles et d'essais et a également résidé en tant que professeur en France et aux
États-Unis.
Contrairement à la plupart des filles musulmanes en Algérie à l'époque, Djebar a eu le
privilège d'avoir une éducation, compte tenu de son père était enseignant dans une école
française, où elle a appris la langue française. Bien qu’elle ait étudié dans une école française,
Djebar n’était pas en conformité avec le colonialisme français et elle a soutenu la revendication
de l’Algérie pour l'indépendance lors de la guerre d'Algérie. En dépit des critiques, elle a
cependant continué à écrire en français, comme elle était maintenant une auteur francophone
reconnue. La langue française joue un grand rôle dans l'écriture de Djebar, et est souvent
associée à la liberté d'expression des femmes.
Dans les années 1990, souvent désignée comme la décennie noire, pendant la guerre civile
algérienne, Djebar a publié de nombreux romans et nouvelles. L'objectif de ce mémoire est
d'analyser l'écriture, où l'histoire et la fiction se mélangent, et de voir l'impact qu'elle a sur la
couverture médiatique en plus d'examiner le rôle de la perspective féminine.
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