Christian Dumotier
Bonjour,quelques mots pour témoigner du parcours chaotique d'un jeune entré en prison à 18 ans et sorti 10 ans plus tard.
« J’ai pas tué, j’ai pas violé » (1)
Je suis le résident du mitard,
Celui qui revient toujours,
impossible de laisser le noir tout seul,
il a besoin de mes hurlements,
de mes coups pour égratigner les murs,
de mes larmes en vadrouille
pour rabibocher ma mère.
Au début, je cachais mes dix-huit ans,
J’avais la peur dressée en majuscule
Dans les déserts de haine,
Alors, j’ai tissé ma citadelle de crainte
avec la toute-puissance des mensonges,
des faits d’armes de légende
pour ensauvager la carapace.
Je voulais sentir la douceur de ma famille
S’insinuer dans mes vestiges d’enfance,
Écouter le souffle des berceuses
caresser mes bouffées de sommeil,
je voulais sentir les baisers
envahir l’amertume des défaites,
cautériser les hoquets de détresse.
J’étais trop loin, de plus en plus loin.
Je galérais ma peine avec rien,
je naviguais de révolte en révolte
avec des torrents d’insultes
pour éponger l’injustice.
J’ai tout essayé, les sanglots, les suppliques,
Le feu, la mutinerie, la violence, je faisais peur.
Je connais toutes les prisons de l’Est,
Tous les mitards, l’isolement,
Les quartiers fermés, les fouilles au corps,
les semaines sans douche, sans tabac,
Les suspensions de parloir,
Le mépris et les humiliations,
Je tournais comme un cafard coincé dans les toilettes.
Ma peine s’est alanguie de huit ans.
Sept cents jours de mitard.
Je serpentais dans les catacombes de la folie
Boursoufflé par la haine,
Ensablé dans ma révolte, mes pulsions suicidaires
J’étais un sauvage hébété
Sous l’œil des passants de l’Exposition Universelle.
Pendant un an, j’ai fait pousser la fierté,
J’ai appris la soudure,
Peut-être pour suturer ma vie,
J’ai laissé mon corps glisser sur la mer étale,
Je me suis formé,
Une nouvelle peau, du cambouis sur les mains
Et un peu d’espoir pour ajourer le noir.
Une bricole, juste un portable caché
Pour mes salves d’amour, ma femme, ma fille,
Pour éviter la saison sèche.
Un an de plus, l’éternité.
Mais je vais continuer
À empiler le beau fixe, à pacifier le temps,
À envaser mes déflagrations
Je vais sortir, je le sais.
Le 28 juin 2023
Christian Dumotier
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(1) : D’après un témoignage envoyé à l’Observatoire International des Prisons et publié sur Médiapart le 30 novembre 2022.
(1) : D’après un témoignage envoyé à l’Observatoire International des Prisons et publié sur Médiapart le 30 novembre 2022.
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