Analyse
Roland-Garros s’ouvre ce week-end et jusqu’au 11 juin dans une ambiance de douce euphorie. La pratique du tennis connaît un engouement nouveau depuis la pandémie, dopant un marché au plus haut depuis trente ans.
La fête avant la fête. Les premiers matchs de la Quinzaine de Roland-Garros sont programmés dimanche 28 mai, mais la veille, samedi 27, promet déjà une belle ambiance sur les courts pour la « journée Yannick Noah ». Un vibrant hommage pour célébrer les 40 ans du sacre du champion, quand, le 5 juin 1983, il battait le Suédois Mats Wilander (6-2, 7-5, 7-6) en finale du tournoi parisien et offrait enfin un Grand Chelem au tennis tricolore.
La victoire ponctuait une belle décennie, la discipline se démocratisant bon train. Des courts construits tous azimuts, des champions charismatiques et des duels homériques : de quoi séduire plus de 1,3 million de licenciés (le pic en 1991) et imposer le tennis comme un des marchés les plus lucratifs dans le domaine sportif.
Avec le retour de Yannick Noah à la porte d’Auteuil souffle un petit vent de nostalgie pour une époque bénie. Révolue ? On pouvait le penser avant la pandémie. Dans la vitrine du haut niveau brillaient alors les derniers éclats du trio de géants Federer-Nadal-Djokovic. Côté amateur, les statistiques fédérales mesuraient un lent déclin, sous la barre du million de licenciés. Quant aux équipementiers, ils constataient sans enthousiasme l’habituelle stabilité du marché.
La croissance inédite des sports de raquette
Puis le Covid-19 est venu chambouler la donne. Mais plutôt pour le meilleur, concernant le tennis. « Notre sport pouvant se pratiquer à l’extérieur et permettant de respecter la distanciation sociale exigée était parfait pour refaire de l’exercice après les confinements. Du coup, les raquettes sont ressorties des placards, rappelle Éric Babolat, le président du fabricant éponyme d’articles de sports de raquettes, numéro 1 du marché français. Les Français ont en quelque sorte redécouvert une pratique ludique, familiale, en phase avec l’intérêt nouveau pour le sport-santé. Depuis, le marché du tennis profite d’un formidable second souffle. »
Et le phénomène est semblable dans tous les pays. « On a assisté ces deux dernières années à une croissance inédite depuis trente ans, à tel point que partout la demande est supérieure à l’offre, avec des équipementiers qui ont eu du mal à fournir certains articles, en raison notamment d’une pénurie de main-d’œuvre », observe Bertrand Blanc, directeur commercial monde de la marque numéro un mondial, Wilson. Aux États-Unis, le nombre de pratiquants affiche une hausse de 20 %. Dans l’Hexagone, la Fédération française de tennis (FFT) a retrouvé son million de licenciés l’an dernier, et l’élan se poursuit.
« Les ventes de raquettes ont augmenté de 15 %, celles de balles de 18 %, et globalement, si l’on ajoute chaussures et textile, le marché est en hausse de 15 % par rapport à 2021, à plus de 200 millions d’euros, détaille Virgile Caillet, délégué général de l’Union Sport & Cycles, la première organisation professionnelle de la filière sport. La dynamique est plus que positive, et si l’on se réfère à l’apogée du tennis dans les années 1980, on peut se dire que le potentiel est là pour retrouver cet âge d’or. »
La FFT veut y croire, qui fait aussi
Une diversité des pratiques
flèche de tout bois sur le mode « tennis partout ». Ainsi l’« urban tennis » lancé l’an dernier, qui se résume à une raquette et une balle en mousse. Pour le reste, tout est bon pour imaginer un terrain, avec le mobilier urbain comme filet, le moindre mur pour s’entraîner. Il s’agit surtout de banaliser la pratique. Le beach-tennis, qui depuis quelques années prend ses quartiers l’été sur les plages, et le padel – un intermédiaire entre tennis et squash – en plein boom avec près de 30 000 licenciés désormais, assurent aussi un bouillonnement salvateur.
« Ces nouveaux sports de raquette viennent profondément moderniser l’image du tennis, et nous permettent de toucher de nouveaux publics. Avec l’urban tennis en particulier, beaucoup de jeunes qui n’ont pas l’habitude de tenir une raquette ont l’occasion de découvrir les premières sensations du jeu. C’est extrêmement important pour la FFT, qui a à cœur de montrer que le tennis, sous toutes ses formes, est un sport accessible à tous, dans lequel n’importe qui peut prendre du plaisir », appuie Gilles Moretton, le président de la FFT.
Bertrand Blanc se réjouit aussi de cette diversité : «Le padel, un des sports qui croît le plus vite aujourd’hui dans le monde, est à mon sens une chance plus qu’un concurrent pour le tennis. Il apporte un vent de fraîcheur et fait venir une nouvelle population de pratiquants dans les clubs. » Nombre de clubs connaissent ainsi une effervescence nouvelle. « La pandémie est aussi à l’origine d’une envie de voir du monde et de croiser des gens avec la même passion, et donc la vie de club reprend de l’essor », souligne Éric Babolat.
Continuer à dépoussiérer l’image
Un certain chic de country club, disparu avec la prédominance donnée à la compétition, redevient même tendance. La mode s’intéresse à nouveau au tennis, en s’appuyant notamment sur un côté un peu vintage très présent aujourd’hui dans le sport en général. La marque Wilson n’hésite pas à travailler cette image en collaborant avec Saint-Laurent par exemple.
« L’ancienne championne des années 1970 Billie Jean King disait : “si vous aimez le tennis, il fera partie de votre mode de vie”. C’est une des grandes forces de notre sport, capable de susciter de vives émotions, par le spectacle qu’il présente tout au long de l’année, et cela va bien au-delà des amoureux du jeu, analyse Bertrand Blanc. Trop longtemps, nous n’avons parlé qu’aux pratiquants dans les clubs. Nous essayons désormais d’élargir notre public avec un partenariat avec la marque automobile Cupra par exemple, ou la marque de vêtements Supreme pour toucher une clientèle plus urbaine. »
Roland-Garros, un regain de passion
Le tennis s’applique à se défaire définitivement de son image encore trop traditionnelle à l’heure des sports pressés et « fun ». Netflix vient de monter au filet, en proposant une série documentaire, Break Point, où sont suivis quelques joueuses et joueurs tout au long de la saison, dévoilant les coulisses du circuit à la façon des épisodes à succès de Drive to Survive avec lesquels la plateforme américaine a relancé l’intérêt pour la Formule 1. La première partie de Break Point a été diffusée en janvier 2023, la seconde arrive avec Roland-Garros, et une deuxième saison est déjà en cours de tournage.
La montée en puissance d’une nouvelle génération de champions n’est également pas pour rien dans l’engouement actuel. Même si aucun Français ne semble capable aujourd’hui de tirer son épingle du jeu, Roland-Garros devrait à la fois confirmer et accentuer le renouveau constaté par tous les acteurs du secteur.
« Au-delà des performances du très haut niveau, ce que je trouve inspirant, c’est que la période de Roland-Garros est, chaque année, un moment de regain de passion de la France envers le tennis, aussi bien pour les pratiquants que pour les non-pratiquants, s’enflamme Gilles Moretton. Être témoin de ce regain de passion, chaque année, est quelque chose de magique. »
Plus d’un million de licenciés
La Fédération française de tennis revendiquait au 1er mai 2023 1 041 393 licenciés au sein de 7 051 clubs.
Sur le plan des équipements, la France compte 32 360 courts de tennis, 1 366 pistes de padel et 397 terrains de beach tennis.
La FFT dispose d’un budget de 384 millions d’euros, plus de 85 % de ce budget provenant des recettes de Roland-Garros.
Roland-Garros 2023 distribuera cette année 49,6 millions d’euros de dotation, en hausse de 12,3 % par rapport à l’an dernier. La joueuse et le joueur qui triompheront en simple recevront 2,3 millions d’euros, comme en 2019.
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