Photo prise le 30 avril 2023 d'une infirmière s'occupant de bébés au centre "Child Houses" à Idlib. La zone est tenue par les rebelles et abrite des enfants syriens abandonnés. © OMAR HAJ KADOURAFP
Des dizaines de nourrissons nés de parents inconnus sont abandonnés devant des mosquées, des hôpitaux, ou en pleine rue, un phénomène qui s'est accentué avec la guerre dans ce pays.
Par une soirée d'hiver glaciale il y a trois ans, Ibrahim Osman a recueilli un nouveau-né tremblant de froid devant la mosquée de son village en Syrie : une petite fille qu'il a appelée "Don de Dieu".
"C'était le 11 février 2020. J'étais venu à la mosquée pour la prière du soir et l'imam m'a dit : regarde ce que j'ai trouvé, se souvient M. Osman, 59 ans, un habitant du village de Hazano, dans le nord-ouest de la Syrie. Je l'ai emmenée chez moi et j'ai dit à ma femme : "Je t'ai apporté un cadeau"", ajoute-t-il. Il a appelé un médecin qui a certifié que le bébé venait de naître, et estimé que c'était probablement un prématuré. "J'ai décidé de recueillir cette enfant innocente et de l'élever avec mes propres enfants et mes petits-enfants", ajoute Ibrahim Osman, qui a appelé la petite orpheline Hibatullah (Don de Dieu en arabe).
L'adoption étant interdite dans l'islam, il a présenté une demande pour pouvoir élever le bébé aux autorités locales de sa région, sous contrôle des formations rebelles combattant le régime de Damas.
La petite a aujourd'hui trois ans, et appelle Ibrahim "grand-papa". "J'ai prévenu mes enfants que si je venais à mourir, elle devra hériter tout comme eux", même si elle ne figure pas sur le livret de famille, assure-t-il, la voix nouée par l'émotion
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"Les conditions difficiles de la guerre ont poussé des gens à abandonner leurs propres enfants"
EN IMAGES QUE RESTE-T-IL DU PATRIMOINE EN SYRIE ?
Selon des responsables locaux et des experts, le phénomène des enfants abandonnés a pris de l'ampleur avec le conflit déclenché il y a plus de 12 ans. Le soulèvement pacifique qui a dégénéré en guerre civile a fait environ un demi-million de morts, et près de la moitié des Syriens sont désormais des réfugiés ou des déplacés.
"Les conditions difficiles de la guerre ont poussé des gens à abandonner leurs propres enfants", reconnaît Abdallah Abdallah, un responsable des affaires civiles des autorités rebelles de la province d'Idleb. Depuis sa création en 2019, la "Maison de l'enfant", le principal orphelinat d'Idleb, a accueilli 26 nouveau-nés, neuf d'entre eux depuis le début de l'année 2023.
Pour le directeur des programmes de ce centre, Fayçal al-Hamoud, le moment le plus dur a été lorsqu'une petite fille qui venait de naître a été retrouvée sous un olivier en 2021, alors qu'"un chat la griffait. Le sang coulait sur son visage", se souvient-il. Son établissement a traité le nourrisson qui a ensuite été recueilli par une famille d'accueil.
Mais même dans de tels cas, la "Maison de l'enfant" suit la situation du bébé pour s'assurer qu'il est bien traité et "qu'il n'y a pas de cas de trafic d'enfants", affirme M. al-Hamoud. "Ce sont des victimes de la guerre", souligne-t-il.
L'abandon de nourrissons en augmentation
Selon le Centre syrien de justice et de responsabilité (SJAC), basé à Washington, qui compile les atteintes aux droits humains en Syrie, plus de 100 nouveau-nés ont été retrouvés dans les différentes régions de Syrie en 2021 et 2022.
Mais le nombre réel est beaucoup plus élevé, estime le centre, et l'abandon de nourrissons a "augmenté de façon effroyable" depuis le début de la guerre. Les causes ? La pauvreté, les déplacements forcés ou encore les mariages précoces, énumère notamment le centre.
Une responsable du domaine de la protection de l'enfance à Idleb, citée dans le rapport, estime que 20% des cas des bébés abandonnés sont nés de "femmes ayant été soumises à un chantage sexuel ou ayant eu des relations extramaritales" dans une société très conservatrice.
Dans les régions contrôlées par le régime syrien, 53 nouveau-nés - 28 garçons et 25 filles - abandonnés au cours des dix premiers mois de 2022 ont été enregistrés, selon un responsable du département de la Santé à Damas, Zaher Hejjo. Ces enfants ont été retrouvés dans des parcs, des champs ou même dans un puits, selon le ministère de l'Intérieur.
Le président syrien, Bachar al-Assad, a promulgué début 2023 un décret régulant l'enregistrement des enfants nés de parents inconnus et créant des structures d'accueil qui leur sont dédiées, les "Maisons du chant de la vie". Selon ce décret, ces enfants abandonnés sont automatiquement enregistrés comme "Syriens" et "musulmans", et le lieu de naissance est l'endroit où ils ont été retrouvés.
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Les soldats, nouveaux gardiens de Palmyre
Destructions volontaires par les djihadistes de Daech, pillages… Ce fabuleux site antique, héritage de 4000 ans d’histoire, a payé un lourd tribut, entre 2015 et 2017, au conflit qui ensanglante le pays. Reportage dans cette cité qui a toujours fasciné l’Occident.
Ce soldat se fait prendre en photos sur le site de Palmyre, près du théâtre romain dont la façade a été endommagée par les djihadistes de Daech. Avant la guerre, quelque 150 000 touristes visitaient chaque année le site de Palmyre. Cette cité érigée il y a plus de deux mille ans dans le désert syrien, à mi-chemin entre l’Euphrate et la Méditerranée, fit fortune grâce au commerce caravanier et connut son apogée durant la période romaine. Aujourd’hui, on n’y croise plus que des soldats.
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Désolation
Triste spectacle que les éboulis de ces colonnes qui se dressaient à l’entrée de la cité. Cette ancienne oasis caravanière, à mi-chemin entre l’Euphrate et la Méditerranée, connut son âge d’or à l’époque romaine.
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Cette grande colonnade a été la principale victime des dynamitages
Longue de 1 100 mètres, l’artère principal de Palmyre reliait l’Arc de triomphe et le temple de Bêl. Ces deux monuments ont été mis à bas par l’Etat islamique, en octobre 2015.
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Fragments d'Arc
En 2017, l’armée syrienne a repris définitivement Palmyre aux soldats de Daech. Et découvert que seule une infime partie de l’Arc monumental tenait encore debout.
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Bas-relief de Palmyre sauvé des saccages
Au musée de Damas, Qasim al-Mohammad (gauche), curateur, et Houmam Saad (droite), archéologue, inspectent un bas-relief de Palmyre endommagé par l’organisation terroriste Etat islamique (EI ou Daech). Les djihadistes se sont emparés à deux reprises du site antique, de mai 2015 à mars 2016, puis de décembre 2016 à avril 2017. Des centaines de statues et objets ont pu être mis à l’abri à Damas avant qu’ils ne soient pris pour cible par l’EI.
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Le temple de Bêl de Palmyre n’est plus qu’un souvenir
Ici se dressait le temple de Bêl. C’était le principal sanctuaire de la cité antique de Palmyre. Et l’un des mieux conservés. Il fut pris pour cible par les djihadistes de Daech en 2015.
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Debout au milieu des ruines
Un portique de pierre : voilà ce qui reste du temple de Bêl.
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À Palmyre, des soldats syriens veillent sur les décombres de l'ancienne cité caravanière
Triste spectacle que les éboulis de l'Arc de triomphe qui se dressait à l'entrée de la colonnade de Palmyre. Il a été détruit en 2015 par Daech. Le site, cette oasis caravanière à mi-chemin entre l’Euphrate et la Méditerranée, connut son âge d’or à l’époque romaine. Il fut occupé deux fois par les djihadistes.
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Bas-reliefs arrachés des murs du musée de Palmyre
Le site de Palmyre a été repris à l’EI en avril 2017 mais rien ne semble avoir bougé depuis. Le musée archéologique, qui se tient en lisière de la cité antique, porte les stigmates des occupations de Daech. Les djihadistes causèrent d’énormes dommages, au nom de leur vision de l’islam, qui considère les représentations humaines ou animales comme de l’idolâtrie.
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Patrimoine en morceaux
À l'intérieur du musée de Palmyre, ce chapiteau corinthien de l’époque romaine repose au sol à côté d’une cuisinière utilisée par les gardiens, qui, depuis la seconde libération du site en 2017, vivent dans les locaux à la demande des autorités.
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300 000 objets sauvés des saccages et pillages
Quelque 300 000 objets ont pu être sauvés des saccages et pillages à travers le pays grâce à Maamoun Abdulkarim, l’ancien directeur de la Direction générale des antiquités et musées (DGAM) de Syrie. Dès sa prise de fonction en août 2012, il ordonna la fermeture et l’évacuation des musées. À Damas, les archéologues syriens s’attellent désormais à ouvrir des caisses remplies d’objets, ici rapatriés du musée de Homs, pour travailler à leur indexation et restauration.
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À Alep, les deux-tiers de la vieille ont été gravement endommagés ou détruits
Les dégâts déplorés dans la Grande Mosquée d’Alep (sur l’image), qui a été amputée de son minaret de cinquante mètres de haut et datant de la fin du XIe siècle, témoignent de la violence des combats. Avant la guerre, Alep était la capitale économique du pays. Une ville arabe médiévale marquée par la dynastie ayyoubide, fondée par le conquérant kurde Saladin au XIIe siècle, puis par le sultanat mamelouk, qui régna jusqu’au début du XVIe siècle. Mais aujourd’hui, l’endroit offre un spectacle de désolation. Selon Mahmud Hamud, de la DGAM, 60% de la vieille ville a été gravement endommagée.
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Protection sommaire
Cette statue du musée d’Alep a été recouverte de sacs de sable pour la protéger des tirs d’artillerie. La ville, cœur économique du pays, a été reprise aux rebelles par l’armée syrienne en décembre 2016, après plus de quatre ans de combats, qui ont détruit 60 % du cœur historique.
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Ce qui reste du souk d’Alep
Avec son dédale de treize kilomètres de venelles voûtées, c’était le plus grand marché couvert du monde. L’édifice, érigé en grande partie au XIVe siècle, a presque entièrement été détruit. L’armée a repris le contrôle des quartiers est de la ville d’Alep en décembre 2016, au terme d’une bataille contre des groupes rebelles qui a duré quatre ans et cinq mois. Bilan : au moins 21 500 civils tués. Et une ville mutilée.
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Damas, épargnée par les combats
La capitale syrienne a été relativement épargnée par les combats. Au petit matin, le souk de Damas s’anime à mesure qu’ouvrent les échoppes et les terrasses des cafés du quartier de la Grande Mosquée (sur l’image) se remplissent peu à peu. Mais la guerre n’est pas finie, comme en témoigne la présence de ce soldat en permission.
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Le Krak des chevaliers, un des rares sites faisant l’objet d’une restauration
De 2012 à 2014, plusieurs centaines de rebelles se retranchèrent dans ce château-fort, un des mieux conservés de l’époque des croisades. L’enceinte de la forteresse est intacte, mais l’intérieur, lui, a souffert : les djihadistes ont fait sauter un grand escalier et ont agrandi les meurtrières de la tour royale pour pouvoir y passer leurs armes automatiques. C’est une équipe d’archéologues hongrois, seule mission étrangère permanente restée en Syrie, qui travaille à sa restauration.
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La vie reprend à Alep
Au pied de la citadelle d’Alep, la promenade est à nouveau fréquentée par les habitants qui viennent s’y balader. "Le peuple syrien est fort et fier, affirme Thalal Khudeer, président de la chambre de tourisme d’Alep. Même un genou à terre, il se met à l’ouvrage et se redresse pour se tenir debout."
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Le souk d'Alep en 2009
C’était le plus grand marché couvert au monde. Et l’un des plus animés du pays. Jusqu'en 2011, le souk Al-Madina d’Alep grouillait de vie de sept heures du matin jusque tard le soir. Quelque 4 000 échoppes s’égrenaient le long des treize kilomètres de venelles voûtées, construites essentiellement au XIVe siècle. On venait y acheter de la soie, des tapis, des meubles, de la viande, des fruits, des légumes, des pâtisseries à base de pâte d’amande, de pistache et de sucre. Et aussi le fameux savon d’Alep, fabriqué à partir d’huile d’olive et de baies de laurier.
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Palmyre en 2009
Le vendredi, jour de repos en Syrie, on venait en famille pique-niquer et se promener dans les vestiges de Palmyre.
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Le Krak des chevaliers en 2009
Dans les villages chrétiens autour du Krak des chevaliers, résonnaient les cloches des églises. Aujourd’hui, ces trois lieux, inscrits sur la liste du patrimoine mondial, ont été endommagés, voire détruits, et de nombreux hameaux chrétiens abandonnés.
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Un vestige miraculé
L’enceinte du Krak des chevaliers, un des châteaux forts les mieux préservés de l’époque des croisades et inscrit au patrimoine mondial en 2006, est intacte. Mais l’intérieur a souffert : des djihadistes s’y étaient retranchés de 2012 à 2014.
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Cette mosquée de Homs est une miraculée
Dans ce quartier de la ville dévastée de Homs, la rutilante mosquée Khalid ibn al-Walid est une anomalie. Embargo oblige, rares sont les sites qui ont bénéficié d'une restauration.
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Opération sauvetage
Ces fragments proviennent de Palmyre. Ils font partie des 300 000 objets rapatriés vers Damas pour les protéger des combats.
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Les archéologues commencent à indexer les vestiges venus de Homs
Les archéologues syriens commencent à ouvrir les caisses remplies d’objets pour les indexer et les restaurer. Une tâche qu’ils assument seuls. Leurs confrères européens, notamment français, ne sont plus là pour les aider, la rupture des relations diplomatiques en 2012 ayant entraîné le gel de la coopération scientifique sur le terrain syrien.
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Le palais médiéval fortifié d'Alep
Impossible de pénétrer dans le palais médiéval fortifié qui surplombe la jadis très touristique vieille ville d’Alep – il sert de quartier général aux forces armées gouvernementales.
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Immense travail de restauration
Au musée de Damas, les archéologues (Houmam Saad au premier plan) examinent les objets venus de Palmyre, en vue de les restaurer avant de les exposer dans la capitale syrienne.
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Le quartier de Al-Khalidiya, à Homs, a été sévèrement endommagé
Ce charpentier du quartier de Al-Khalidiya, bastion rebelle dans le nord de Homs, est resté dans son échoppe, bien que le quartier ait été sévèrement endommagé par une pluie d’obus avant d’être repris par le gouvernement en 2013.
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Une ville dévastée
Face à la citadelle d’Alep, des immeubles éventrés. Mais la vie reprend son cours et la promenade est à nouveau fréquentée par les habitants qui viennent s’y balader.
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De nombreuses pièces épargnées
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