Vous avez aimé Bension Nétanyahou, le grand-père, historien adhérent au sionisme d’extrême droite le plus radical, admirateur affiché de Benito Mussolini dans les années 1920 et, déjà à l’époque, grand pourfendeur des musulmans, ces « barbares ». L’écrivain américain Joshua Cohen en a fait le principal personnage, abject et drolatique, d’un roman qui lui a valu le prix Pulitzer aux États-Unis (Les Nétanyahou, Grasset, 2022).
Vous avez adulé le fils, Benyamin, recordman de longévité à la tête du gouvernement israélien, chantre du « Grand Israël » aujourd’hui aux abois pour des vétilles : trois poursuites judiciaires et des centaines de milliers d’opposant·es dans les rues huant son nom. Vous allez adorer Yaïr, troisième du nom de la dynastie, fils aîné du précédent, suprémaciste juif revendiqué, ici ou là surnommé « Yaïr le dingo » mais en qui d’aucuns voient l’étoile montante de la politique israélienne.
« MON POTE, TU DOIS ÊTRE TRÈS GENTIL AVEC MOI »
On est à l’été 2015. Yaïr et son pote Kobi sortent éméchés d’une boîte de strip-tease de Tel-Aviv. Les deux compères envisagent d’aller voir des prostituées. Kobi propose un endroit. Yaïr refuse de payer le taxi. Kobi insiste, son copain lui doit déjà pas mal d’argent. Mais Yaïr, comme sa maman, est connu pour considérer que tout lui est dû. Alors, il dégaine : « Mon pote, tu dois être très gentil avec moi. Mon père a arrangé pour le tien un deal à 20 milliards de dollars. Tu ne vas pas pleurnicher pour 400 shekels [100 euros] que je te dois, espèce de fils de pute. »
Le problème, c’est que Kobi est le fils du milliardaire Ori Maïmon, principal investisseur israélien dans l’exploitation des champs gaziers découverts alors en Méditerranée. L’autre problème, c’est que l’altercation a été enregistrée. Par qui ? Le chauffeur, peut-être. Car trois ans plus tard, une chaîne de télévision israélienne diffuse l’enregistrement.
Les suites seront un peu désagréables pour le fils comme pour le père Nétanyahou, qui parlera de « deux jeunes gens qui plaisantaient ». Mais elles seront vite oubliées et Yaïr, depuis, a vu sa cote d’amour croître sans cesse en Israël dans les milieux suprémacistes juifs.
Aujourd’hui, ses « followers » sur Twitter sont plus de 170 000, son podcast, The Yair Netanyahu Show, est un must. Yaïr anime chaque vendredi une émission sur la chaîne radiophonique Galei Israël, sise dans une colonie en territoire occupé palestinien. On y profère des propos d’un racisme que quelqu’un comme Éric Zemmour rêverait de pouvoir prononcer impunément.
Ce qui séduit ses auditeurs ? D’abord, son franc-parler. Comme Donald Trump, Yaïr Nétanyahou mêle provocations et infox dans un langage dénué de freins. Semaine après semaine, il y conchie ses cibles préférées : les Arabes, l’islam, les intellos et artistes progressistes, et plus simplement tous ceux qui émettent la moindre critique envers son père.
L’ESPOIR « QUE LES GAUCHISTES MOURRONT TOUS DU COVID »
En juillet 2020, l’agence Associated Press notait qu’en un mois, il avait appelé à [expulser de Tel-Aviv les « minorités » (comprendre : les Palestinien·nes), repris la thèse conspirationniste voulant que Barack Obama soit né au Kenya, demandé à une journaliste israélienne qui lui déplaisait si elle avait couché pour obtenir son poste, traité la police enquêtant sur les soupçons de corruption de son père de « Gestapo » et de « Stasi ». Un journaliste israélien a ainsi défini son credo fin mars dans le quotidien israélien Haaretz1 :
Offrir une réponse simple à chaque problème. Les immigrés ? On les expulse. Les terroristes ? On les électrocute. Le terrorisme ? On l’éradique. L’Iran ? On le bombarde. La Cour suprême ? On la rend au peuple. Un ministre de la défense dit que la législation qu’on veut faire voter menace la sécurité du pays ? On le vire !
Depuis une dizaine d’années, la liste des frasques et la quantité « des thèses conspirationnistes, absurdités et mensonges » énoncés par cet homme âgé aujourd’hui de 31 ans est ahurissante. En 2019, il accuse Martin Indyk, ex-ambassadeur américain dans son pays, de vouloir « détruire Israël ». En 2020, il accuse les manifestantes et manifestants hostiles à son père d’être « financés par des fonds européens, par Soros, le pédophile Epstein et Ehoud Barak »2.
La même année, il est traité en guest star en Allemagne par l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême droite qui accueille en son sein les néonazis. En 2021, il clame qu’il « espère que les gauchistes mourront tous du Covid ».
L’INVERSION DU SENS DES MOTS
Depuis que son père a de nouveau remporté les élections législatives en Israël, en novembre 2022, et installé peu après un gouvernement insérant en majesté l’extrême droite coloniale en son sein, le « dingo » semble avoir basculé dans une attitude plus libérée que jamais de toute contrainte — comme, en parallèle, y succombe aussi la fraction de l’opinion israélienne qui soutient l’alliance de l’extrême droite et des partis religieux. Comme si leur accession au pouvoir avait libéré les miasmes les plus nauséabonds et les propensions à la brutalité les plus viles de la société israélienne.
Dès lors, le nouveau gouvernement installé, Yaïr dit dans une interview3 que les procureurs et les policiers chargés des enquêtes sur son père sont « des traîtres », ajoutant qu’en Israël la loi « punit la trahison de la peine de mort ». Il oublie au passage que cette loi israélienne n’est valable que pour la haute trahison en temps de guerre. Réaction du papa : « Bien que chacun ait le droit d’exprimer son opinion, je ne suis pas d’accord avec ces propos »…
Le 18 mars 2023, dénonçant les défilés grandissants en Israël contre le projet de loi soumettant la Cour suprême au pouvoir exécutif que Nétanyahou entend faire voter, Yaïr compare les manifestant·es aux SA, les sections d’assaut mises en place par Hitler en Allemagne. Sur Twitter, il accuse aussi l’actuel Département d’État américain d’« être derrière les manifestations pour renverser Nétanyahou, afin de parvenir à un accord avec les Iraniens ». Sa source ? Breibart News, le site de la « droite alternative » américaine. Et qui est derrière ce complot ? Le financier George Soros, bien sûr.
Ces attaques contre le magnat juif et les références aux nazis pour qualifier ses opposants ne sont pas de simples aberrations. Comme chez Trump, l’utilisation systématique de l’inversion du sens est constitutive chez Yaïr. Ainsi en va-t-il de l’accusation de « nazisme », d’agir en « kapo », SS ou SA… portée à tort et à travers pour qualifier — ou plutôt disqualifier — tout opposant. En 2020 par exemple, Nétanyahou le troisième, qui abhorre toute idée de collectivité, assimile les kibboutz à « l’Allemagne nazie ».
Quand on déteste des gens, on les traite de nazis, c’est la règle. The Daily Stormer, site internet néonazi américain, traitera en 2017 Yaïr Nétanyahou de « frère absolu »4. La recette est connue : plus c’est gros, mieux ça marche. C’est pourquoi Yaïr, en mars 2023, peut aussi tweeter au sujet des manifestants contre son père qu’ils « ne sont pas des protestataires. Ni des anarchistes. Ce sont des terroristes ». Nazi, terroriste, tout ça c’est pareil ; ça ne sert qu’à calomnier l’adversaire.
« TROUVE-TOI UN MARI ARABE ET FOUS-NOUS LA PAIX »
Qui s’étonnera que Nétanyahou le Troisième soit un habitué des prétoires ? Souvent attaqué en diffamation, il attaque plus souvent encore le premier ses adversaires. Procédurier compulsif, il part du principe qu’il gagne dans tous les cas. S’il l’emporte, justice est faite. S’il perd, c’est bien que l’État profond est pourri. Un exemple parmi d’autres. Ex-députée travailliste devenue écologiste, Stav Shaffir le traite de raciste et de « harceleur ». Il l’attaque en diffamation. Au procès, il prétend qu’elle s’est elle-même acoquinée au « pédophile Epstein » et termine sa diatribe en lui lançant : « Trouve-toi un mari arabe, convertis-toi à l’islam et fous-nous la paix »5. Il perd son procès, évidemment, mais il gagne parmi les siens.
En Israël, un pays où les sondages ont régulièrement montré que la population juive était favorable à Donald Trump à 70 %, voire 75 %, cette attitude choque moins qu’elle ne convainc. Dès lors, en janvier 2023, à l’invitation de l’« illibéral » président Viktor Orbán, il participe à une conférence à Budapest au cours de laquelle il explique que « critiquer George Soros n’est pas antisémite » devant un parterre de personnalités hongroises qui ont fait du régent Horthy, maître de la Hongrie de 1920 à 1944 qui instaura des lois anti-juives avant même que l’Allemagne nazie n’en adopte, leur idole historique.
Yaïr Nétanyahou, devenu un influenceur à succès, entretient les meilleures relations avec des représentants patentés de la droite alternative, nouveau nom de l’extrême droite identitaire occidentale. A-t-il des ambitions politiques ? La réponse n’est pas évidente. Ambitieux, Yaïr l’est. Politique, c’est moins clair. Ce qui est certain, c’est qu’il a toujours vécu dans une ambiance protectrice où il était prince. Il n’avait que 4 ans lorsque son père, Benyamin, a pris pour la première fois la tête du gouvernement avant, plus tard, de régner quatorze années durant sur le pays. Entre une mère, Sara, qui a montré à satiété qu’elle concevait le service de l’État comme la mise de l’État à son service, et un père acclamé par ses partisans comme « Bibi, roi d’Israël », pas besoin d’être fin psychologue pour imaginer pourquoi Yaïr Nétanyahou se comporte depuis toujours comme ces enfants-rois qui se sentent tout-puissants et n’admettent aucune contrainte. Il n’est pas seul en ce cas. Ainsi se perçoivent aussi ces colons idéologiques fanatiques qui multiplient les menées pogromistes contre les Palestinien·nes avec le même sentiment d’impunité légitime.
UNE INFLUENCE DISCUTÉE
Pour autant, l’influence réelle de Yaïr sur son père n’est pas claire. Divers commentateurs israéliens pensent que Nétanyahou garde la main et se sert de son fils pour tester les frontières de l’admissible aux yeux de l’opinion. Au contraire, Ben Caspit, biographe de Benyamin Nétanyahou, estime que sa femme et son fils « donnent complètement le ton » et sont les plus influents conseillers du maître.
On raconte, par exemple, que lorsque le soldat Elor Azaria, en 2016, avait assassiné de sang-froid un jeune Palestinien déjà blessé et gisant dans son sang, et que, l’acte ayant été filmé, il était difficile à l’armée de ne pas sanctionner le soldat, Nétanyahou avait d’abord acquiescé. Mais quelques heures plus tard, il tournait casaque. Yaïr lui aurait montré les « milliers de réactions outrées » de jeunes Israélien·nes sur les réseaux sociaux, et le chef du gouvernement aurait alors couru rencontrer chez eux les parents du soldat incarcéré.
Quant à Nir Hefetz, ancien conseiller de Nétanyahou père devenu dans les procès en cours « témoin de l’État » (c’est-à-dire collaborateur de l’accusation en contrepartie de l’abandon des poursuites à son égard), il pense que Yaïr joue un rôle très important dans les décisions politiques de son géniteur. Nétanyahou père aurait, assure-t-il, repoussé un déplacement en Inde en 2017 parce que son fils aurait violemment manifesté son courroux de ne pas être invité dans la délégation israélienne.
Beaucoup, en Israël, estiment que l’influence de Yaïr a commencé de s’imposer au Likoud, le premier parti du pays, comme une alternative possible à son père lorsque ce dernier a connu des difficultés aux quatre scrutins législatifs successifs menés à partir d’avril 2019. « On adorerait pouvoir ne pas tenir compte [de Nétanyahou fils], comme si ce gosse difficile était juste un embarras pour son père. Mais la vérité est que sa grande influence est désormais démontrée », disait dès 2020 Raviv Drucker, un enquêteur respecté de la télévision israélienne (et honni des Nétanyahou).
Yaïr a cependant un handicap. La puissance du père semble décliner. Pas seulement parce que l’extrême droite radicale le tient en otage. Mais parce que son image semble lentement s’éroder. Le 10 avril, il donnait une conférence de presse. Interrogé sur le rôle de son fils, il a déclaré : « Yaïr n’a aucune influence. C’est une personne indépendante, avec ses propres opinions. »
L’ancien premier ministre Naftali Bennett s’est précipité à la radio pour déclarer : « Nétanyahou est un irresponsable. On aurait presque cru entendre Yaïr Nétanyahou. » Ce qui n’était pas une flatterie. Quant à Avigdor Lieberman, qui fut son ministre de la défense, il a eu ce commentaire sur Galei Tsahal, la radio militaire : « Nétanyahou ne prend plus aucune décision. Il ne fait qu’exécuter les ordres de son fils. »6. Vrai, faux ou entre les deux, cela ne sent pas très bon, ni pour le papa, ni pour le fils.
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