Les forces américaines ont manqué à leur devoir de protection du patrimoine irakien après l’invasion de 2003, provoquant ainsi la perte de milliers d’objets anciens – l’une des plus grandes catastrophes culturelles de l’histoire récente du Moyen-Orient.
Les restes d’une sculpture au Musée national de Bagdad lors d’un pillage en avril 2003 (AFP/Patrick Baz)
Cela s’est produit au début de l’invasion américaine, et rapidement. Le 10 avril 2003, les premiers pillars ont pénétré au sein du Musée national d’Irak alors que les troupes américaines progressaient dans Bagdad.
Au cours des 36 heures suivantes, ces voleurs ont mis à sac l’institution, fondée en 1923 et dédiée à la préservation de l’immense patrimoine irakien.
Le New York Times avait qualifié le pillage du musée et de son inestimable collection d’objets archéologiques – dont beaucoup remontaient aux premiers jours de la culture et de la civilisation humaines – de l’ « une des plus grandes catastrophes culturelles de l’histoire récente du Moyen-Orient ».
Bien que le personnel du musée soit parvenu à mettre en sécurité plus de 8 000 artefacts avec peu d’aide externe, plus de 15 000 objets historiques ont disparu en l’espace de deux jours.
Des photos prises lors de ce pillage frénétique montrent des scènes dévastatrices de dégâts et d’incurie, tandis qu’un passé glorieux était piétiné et brisé.
Des voleurs – des particuliers tout autant que des réseaux plus organisés, une distinction difficile à faire – ont cassé les verrous et verres de protection à l’aide de fusils, de marteaux, de masses et de pieds-de-biche. Ils ont rempli des boîtes et des brouettes et empli leurs poches d’objets d’une valeur inestimable.
Parmi les objets disparus figurent un sceau sumérien représentant la Lyre dorée d’Ur (détruite dans le parking du musée puis restaurée ultérieurement), ainsi que le Vase d’Uruk et la Dame de Warka, deux des plus anciennes représentations respectivement d’une scène de vie et d’un visage humain. Par chance, tous deux furent retrouvés par la suite.
Lorsque les troupes américaines sont finalement arrivées pour protéger le musée le 16 avril, presque une semaine après le début du pillage, c’était déjà trop tard.
Quand on a su cette inaction, les chercheurs du monde entier ont exprimé leur indignation. Beaucoup avaient conseillé à l’armée de garantir activement la sécurité du musée.
« À la demande pressante d’un archéologue irakien, un groupe de Marines avec un char a ouvert le feu au-dessus des têtes des pillards et les a chassés. Mais au lieu de rester pour protéger le bâtiment, les Marines sont partis et les pillards sont revenus », indiquait Human Rights Watch à l’époque.
Cet incident a d’abord été minimisé par l’administration américaine. « Est-il possible qu’il y eut autant de vases dans tout le pays ? », demandait Donald Rumsfeld, alors secrétaire de la Défense, à la presse peu après l’annonce du pillage du musée.
Ces vases étaient uniques, leur perte irremplaçable.
Du pillage au commerce illicite endémique
Se confiant à Middle East Eye des années plus tard, l’écrivaine irako-libanaise Joumana Altallal pleure les objets disparus lors de cet événement qui symbolise la brutalité de l’invasion.
« Les événements semblaient s’enchaîner si rapidement que la profondeur du pillage n’a pas été enregistrée à l’époque », observe-t-elle. « La rage et le chagrin ont été remplacés par l’impuissance. Les Irakiens étaient préoccupés par leurs morts et leurs disparus – une mère, un frère, un père. Voilà ce que ressentaient les Irakiens, dit mon père, la plupart ne pensait pas au musée. »
En dehors de Bagdad, d’autres sites culturels ont été négligés et détruits.
Les récents événements de l’histoire irakienne doivent servir d’avertissement : en période de chaos, le pillage était une véritable possibilité et ce précédent aurait dû être pris davantage au sérieux en 2003.
Lors de la guerre du Golfe en 1991, alors que les forces gouvernementales perdaient le contrôle des territoires du sud, des pilleurs avaient attaqué neuf musées régionaux, lesquels accueillaient leurs propres collections locales ainsi que celles du Musée national qui avaient été déplacées de Bagdad par mesure de sécurité.
On estime qu’environ 4 000 objets furent volés ou détruits à cette époque, notamment la tablette de Gilgamesh, objet de 3 500 ans comportant des inscriptions sumériennes racontant la grande épopée.
Ventes sur les marchés noirs
La plupart des objets volés, que ce soit pendant la guerre du Golfe ou l’invasion de 2003, se sont retrouvés sur les marchés licites ou illicites via des intermédiaires. Ils ont été vendus dans des enchères privées ou en ligne, via des canaux qui sont généralement moins regardants quant à la provenance et à la propriété.
Cette pratique est strictement illégale. Si des faux sont parfois produits, les objets trafiqués ont souvent été vendus pour des sommes assez maigres.
Même en temps de guerre, les pays sont tenus de respecter leurs engagements internationaux, un principe qui définit notre système juridique international.
La convention de La Haye de 1954 définit les obligations et responsabilités des forces occupantes pour garantir la sécurité et l’intégrité des biens culturels.
La plupart des incidents relatifs aux dommages culturels ont été enregistrés lorsque 2 000 soldats américains et polonais ont utilisé le site archéologique de Babylone comme base militaire, ce que l’UNESCO a qualifié d’« empiétement grave ».
La question du patrimoine culturel a été la grande absente des discussions préalables à l’invasion des décideurs américains, note Lawrence Rothfield, auteur de The Rape of Mesopotamia: Behind the Looting of the Iraq Museum.
La professeure Elizabeth Stone, archéologue au département d’anthropologie de l’université Stony Brook à New York, a utilisé des images satellites pour estimer que plus de 40 % des près de 1 500 sites surveillés dans le sud de l’Irak présentaient des preuves de dévastation en décembre 2003.
Sur ces images, elle a identifié un grand nombre de fouilles illégales via la présence de fosses ou de trous de fouilles, une tragédie permise parce que les sites avaient été laissés pour la plupart sans protection lors des premières années du conflit.
Les biens culturels sont devenus une cible pour les groupes armés, tels que l’État islamique
Il y a eu également des anecdotes de soldats et de sous-traitants d’entreprises de sécurité privées américaines rentrant chez eux avec des trophées culturels, « souvenirs » d’un droit sinistre et grossier à morceler le passé de l’Irak.
Des objets historiques se sont retrouvés dans plusieurs pays depuis, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
Il semble qu’aucune leçon n’ait été tirée du pillage de 2003 ; d’autres tentatives de pillage ont menacé le Musée national.
Dans le vide sécuritaire qui a suivi le retrait américain, les biens culturels sont devenus une cible pour les groupes armés, tels que l’État islamique.
Le groupe a filmé la destruction de sites historiques dans le nord de l’Irak pour créer de cruelles vidéos de propagande.
Les scènes de ses combattants détruisant l’héritage assyrien dans le musée de Mossoul en février 2015 sont toujours un rappel pénible que l’art et la culture sont politiques.
L’État islamique a également organisé un « pillage massif et méthodique » pour affirmer sa domination sur les minorités culturelles irakiennes et générer des revenus illicites grâce aux « antiquités de sang », lesquels ont été estimés à 20 % des revenus du groupe à un moment donné.
Un long chemin vers la restitution
Les images du pillage du Musée national en 2003 ont profondément choqué la population, sentiment qui s’est vite mué en colère et en solidarité.
En réaction, les partenaires irakiens et internationaux se sont organisés pour cataloguer, numéroter et retrouver les objets manquants. C’était une tâche nécessaire car beaucoup des objets pillés avaient été pris dans les entrepôts du musée, où ils n’avaient pas encore été convenablement enregistrés.
L’Institut oriental de Chicago a immédiatement lancé « Lost Treasures of Iraq », une page d’informations et base de données en ligne pour enregistrer, visualiser et signaler les objets disparus des collections irakiennes.
Pour entretenir leur souvenir, l’artiste américain d’origine irakienne Michael Rakowitz a recréé plusieurs des objets perdus dans son projet « The Invisible Enemy Should Not Exist » (depuis 2007) en utilisant les données de la base de données de l’Institut oriental.
Au moyen de sculptures en papier mâché, ce dernier a reconstitué des reliefs de l’ancien palais de Nimroud et des statuettes d’argile votives qui ont servi de substitut à l’exil, à la dépossession culturelle et à la patrie perdue.
En 2018, Michael Rakowitz a installé un « lamassu » de 4 m de long – une sculpture représentant un taureau ailé à tête humaine, symbole protecteur assyrien – sur le quatrième socle de Trafalgar Square, devant la National Gallery à Londres.
Cette œuvre réinterprète un objet de 2 700 ans qui gardait autrefois les portes de l’ancienne Ninive, détruite par l’État islamique en 2015.
Ses efforts ont aidé à maintenir le vol et la destruction des trésors culturels irakiens dans la conscience publique, ce qui est vital pour que les objets pillés soient rendus un jour.
Par exemple, à travers une enquête internationale, une statue brisée du roi sumérien En-temena de Lagash a été retrouvée à New York en 2006 et d’autres restitutions ont été annoncées périodiquement depuis.
Quelque 17 000 antiquités ont été rendues à l’Irak en 2021, dont la plupart étaient d’antiques tablettes d’argile en possession d’une jeune institution américaine évangélique, le musée de la Bible, ainsi que de l’université Cornell.
En outre, quatre sceaux cylindriques de 4 000 ans pillés lors de la mise à sac du Musée national de Bagdad en 2003 ont été rendus en décembre dernier.
Il ne s’agit que de quelques exemples les plus récents, et si les restitutions ont eu lieu sur la base du volontariat, les amendes et procès les ont sans doute accélérées.
La réouverture du Musée national irakien en 2015 était très attendue. Mais l’institution est restée fermée trois ans de plus en raison des grandes manifestations de 2019 et de la pandémie de covid-19. Le musée a finalement réouvert ses portes début 2022.
« Aujourd’hui, le défi pour continuer à protéger le patrimoine en Irak n’est pas seulement lié aux dommages provoqués lors des conflits passés, mais aussi à l’impact délétère du changement climatique sur le patrimoine de notre pays », indique Valery Freland, directeur exécutif de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH).
Son organisation a soutenu près d’une trentaine de projets de restauration en Irak depuis 2018.
Certaines personnes peuvent faire valoir que le pillage a toujours accompagné les guerres.
Mais loin d’être un dommage collatéral insignifiant, la destruction culturelle de l’Irak pendant et après l’invasion américaine de 2003 a été un acte de violence, une perte et une injustice toujours profondément ressentie aujourd’hui, malgré les efforts juridiques actuels et les restitutions sporadiques.
Cela reste l’une des plus grandes catastrophes culturelles de l’histoire récente du Moyen-Orient.
Le Bleu du caftan est le deuxième film représentant le Maroc à être présélectionné pour les Oscars.
PHOTO : CAPTURE ÉCRAN YOUTUBE
En lice en vue de la sélection officielle des Oscars, le film Le Bleu du caftanaborde le délicat sujet de l’homosexualité au Maroc, un sujet encore tabou dans la société marocaine.
Le film peut contribuer à créer un débat sain et nécessaire sur cette question qui divise au Maroc, estime sa réalisatrice, Maryam Touzani.
Son deuxième long-métrage raconte l'histoire de Halim et Mina, un couple soudé et sans histoires, mais qui vit avec un pesant secret : l'homosexualité de l'époux.
Le film, candidat du Maroc aux Oscars, a été retenu la semaine dernière parmi les 15 longs-métrages présélectionnés dans la catégorie Meilleur film étranger de la prestigieuse compétition américaine.
C'est un énorme honneur de pouvoir représenter le Maroc et de porter les couleurs du pays à ce stade de la compétition, a déclaré à l'AFP Mme Touzani.
Le fait que mon film représente le Maroc est une avancée. La symbolique est belle et forte. Cela traduit un désir d'ouverture et de dialogue, avance la réalisatrice.
Cette avancée est illustrée selon elle par le fait que son film a été désigné par une commission officielle, composée de professionnels et professionnelles du cinéma, pour représenter le Maroc aux Oscars.
Un choix audacieux dans un pays où l'homosexualité, sujet largement tabou dans une société conservatrice, divise l'opinion publique et reste passible de six mois à trois ans de prison, selon le Code pénal.
Ça me blesse et me fait mal de voir des personnes [de la communauté LGBT+] vivre cachées, dans la peur et que l'expression de leur amour soit étouffée, niée et jugée, déplore la réalisatrice de 42 ans.
Mon film peut contribuer à créer un débat sain, nécessaire et salutaire sur cette question, espère-t-elle.
C'est dans la médina de Salé, ville voisine de la capitale Rabat, que la vie de Mina et Halim – campés par l'actrice belge Lubna Azabal et l'acteur palestinien Saleh Bakri – bascule avec l'arrivée d'un jeune apprenti dans leur atelier de confection de caftans., desrobes traditionnelles marocaines.
Le rapprochement entre Youssef (interprété par l'acteur marocain Ayoub Missioui) et son maître tailleur les embarque, avec Mina, dans une expérience de l'amour nouvelle et plurielle.
On a souvent tendance à mettre des étiquettes sur les histoires d'amour, mais mon désir profond était de les raconter sans porter de jugement, explique Maryam Touzani qui a remporté le prix de la critique internationale pour son film au Festival de Cannes.
Dans la féérie de fiction comme dans l'amère réalité, la réalisatrice croit dur comme fer que les mentalités doivent changer.
Et c'est en changeant les mentalités que les lois peuvent évoluer. Je pense qu'on ne peut pas condamner l'amour, ajoute-t-elle.
Au Maroc, l'homosexualité est certes pénalisée, mais elle est relativement moins réprimée que dans d'autres pays de la région, et les poursuites ne sont pas systématiques.
La liberté d'aimer nous appartient, défendait déjà la cinéaste auprès de l'AFP en novembre en marge du Festival international du film de Marrakech où son long-métrage a reçu le prix du jury.
L'autre facette du film est la valorisation de la confection artisanale du caftan, habit traditionnellement porté lors des grandes occasions au Maroc.
Le film explore aussi l'amour d'un métier, celui du maalem [maître tailleur en dialecte arabe marocain, NDLR] qui tend à disparaître. L'évolution de l'histoire se fait en parallèle de la confection du caftan, explique-t-elle.
Le Bleu du caftan est le deuxième film représentant le Maroc à être présélectionné pour les Oscars après Omar m'a tuer du Franco-Marocain Roschdy Zem.
La liste finale des films nommés sera dévoilée le 24 janvier.
Gagnant du prix de la critique de la section Un certain regard du Festival de Cannes l’an dernier, Le bleu du caftan est le deuxième long métrage de Maryam Touzani, cinéaste marocaine dont le talent fut révélé au monde en 2019 grâce à Adam. Signant le scénario de son nouveau film avec Nabil Ayouch (Haut et fort), son partenaire, la réalisatrice propose un drame d’une infinie délicatesse, construit autour de la formation – presque inévitable – d’un triangle amoureux.
Maryam Touzani place d’emblée son histoire sous le signe de la sensualité en posant sa caméra sur un caftan bleu pétrole qu’une main experte et caressante est en train de fabriquer. Cette main est celle de Halim (Saleh Bakri), l’un des rares tailleurs de la médina de Salé à fabriquer des caftans selon la méthode traditionnelle, quitte à toujours prendre beaucoup de retard sur son carnet de commandes. Appuyé par sa femme Mina, formidablement interprétée par Lubna Azabal (que les cinéphiles québécois connaissent bien grâce à Incendies, de Denis Villeneuve), Halim est un homme amoureux de celle qu’il aime, bien qu’il ait depuis toujours retenu ses pulsions homosexuelles.
Tout est clairement établi, mais la façon dont la cinéaste fait écho aux non-dits qui traversent cette histoire émouvante est d’une très belle pudeur. Le trouble intérieur qui atteint Halim à l’arrivée d’un jeune apprenti (Ayoub Missioui), qui comprend parfaitement tout ce qui se passe, est bien évoqué, mais la cinéaste n’a pas choisi la facilité. Elle propose en effet une avenue différente de celle qui, en apparence, se traçait tout droit devant elle. Cette histoire d’acceptation, rarement abordée de cette façon dans le cinéma du Maghreb, est bellement racontée.
Notez que Le bleu du caftan arrive au Québec grâce à une société de distribution américaine (Strand Releasing) avant même sa sortie en France, pays coproducteur. Bien que l’affiche soit en anglais et que la bande-annonce comporte des sous-titres anglais, le film sera aussi présenté avec des sous-titres français (selon la séance).
Ce livre retrace l'histoire de Clovis et Kléber Creste. Deux garçons pauvres et moralement abandonnés, engagés dans la Résistance du Sud-Ouest de la France puis dans l'armée coloniale pour l'un, la Légion étrangère pour l'autre. Deux simples soldats embarqués dans la tourmente des guerres coloniales : l'Indochine, le Sénégal, le Maroc, la Tunisie, le canal de Suez, et l'Algérie. À travers eux, c'est toute une génération sacrifiée qui renaît sous la plume de l'auteur, et le quotidien de ces petits soldats, bien éloigné de toute représentation héroïque.
Pendant quinze ans, Hélène Erlingsen a sillonné la France, et même le monde, pour rencontrer des témoins directs de ces guerres coloniales, ouvrir des cartons d'archives, compilé des documents militaires, médicaux, politiques... Pendant quinze ans, elle a nourri pièce par pièce ce dossier à charge. Pour prouver la responsabilité de la Ive République dans ces massacres. Pour réhabiliter ces soldats, français, vietnamiens, africains ou algériens, qu'elle a abandonnés.
Dresse-toi devant moi, mon fils, pour que je me souvienne de ta taille Je veux aller trouver ma famille Un cercle de mains caressantes, De douces mains humaines Où l’oubli soit enclos. Je veux aller trouver ma vraie famille humaine Sous les branches bombées de l’olivier bruni Et les pentes à nu de ces collines bleues Le désespoir dormait. Et le ciel inclément sur ces masses perdues à jamais Dans la mort impalpable et splendide, Versait sa fraîcheur bleue La vie légère s’envolait des fleurs violettes des pêchers Et dans le fond des ravins bleus Chantait l’eau de la Miséricorde Je veux trouver les anges de mes frères, Dans le pays muet que renferme mon cœur. Âmes, ô âmes des morts ! Sous le schiste trié Les olives pleuraient sur vos os oubliés, Mais l’huile ensoleillée ne pourra plus jamais, Pourtant, jamais, Redonner la jeunesse à vos membres séchés. Coulez-vous dans le ciel, A l’heure où l’épervier, Autour des gouffres bleus Enroule son envol silencieux. Est-ce vous, ô voyageurs de l’éternelle angoisse, Qui traversez la foule des étoiles innombrables, Dans le ciel noir où mon étoile, un jour, me fera signe ? Mais, sa place, Celle de votre enfant, malgré vous, malgré lui Prisonnier de ces os rendu au schiste sec, Mais, ma place, Celle de votre fils aux membres ligotés Où, où est-elle ? Je voudrais reposer dans ma famille humaine, celle qui fut livrée à une sombre haine Mais qu’un dieu délivrera sur mon Mont d’oliviers Pareil aux troncs noueux des arbres de chez nous Ces sépulcres offerts au soleil dévorant, Ces femmes ravinées dont les mains sont tendues Aujourd’hui, aujourd’hui, j’abandonne ce lieu où j’ai cru si longtemps que mes pieds poseraient Pour jamais, avinées dont les mains sont tendues Non vers ce ciel trop pur, mais vers les mains fermées des enfants en allés Vers le pays de l’or et du travail facile. J’appareille aujourd’hui vers une autre colline, Un pays jamais vu par des regards humains, Sous un arbre aux bras longs comme un regard de mère...
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JEAN AMROUCHE
CENDRES...EXTRAIT
Tout un peuple défunt secouait son linceul; Tu seras dans ton lit de schiste Au pied du figuier tordu. Ils viendront par le Val de Mort Montant lentement la colline Le cimetière est à main gauche, Tu ne t'en souviendras déjà plus. Quand je cherche ma voix, j'entends vos lèvres closes Votre terrible voix d'au-delà de la nuit... Qui portera vos voix vivantes dans mes chants ? Voix de la mort, pétrie du silence éternel De mes absents plus présents d'être morts En moi créés, en moi vêtus de rayons noirs Tu roules dans ton flot les fruits purs de la nuit Je n'ai rien su donner de mes secrets espoirs. J'ai si longtemps gémi dans le corps d'une femme J'ai si longtemps cherché l'oubli de ma présence. Visages en douleur à l'orée de ma nuit, c'est vous qui revivez, tourbillons des jours noirs que j'avais cru défunts? Vos pleurs pour qui sont-ils? Et vos rires cruels? Et l'homme qui voulait tuer le souvenir s'abîme dans la nuit des espaces stellaires. Je sais que tu viens de là-bas, de très loin Là où l'homme n'a point de part. Et que brûlent enfin mes souillures Et mes vaines craintes. Et les neiges des hautes cimes désirées Sont loin, bien loin Au fond du souvenir qui s'éveille, Et meurt. Tu abandonneras les musiques de ton enfance Ta mère, qui le soir, t'endormait de ses chants. Une étoile sanglote au fond de ma mémoire. Complainte grise et froide, Maîtresse déjà, tes cheveux impalpables comme la vie Couvriront mon front moite, Et tes longs doigts d’algue incolore Errants par mon corps effondré Épuiseront leurs efforts à chercher Ma jeunesse perdue. Ô solitude, demain déjà je serai tien Dans le crépuscule de ma chambre étroite Où danse vainement la douce clarté de la lune. Et les chansons des garçons neufs Criant leur vie à pleins poumons Au vent du large ? Et la belle fille qui passe, Aux fortes jambes mues en cadence, Épouse du soleil et du violent désir des hommes ? Depuis des siècles et des siècles Nous tournons autour des étoiles Mais nous ne les voyons plus. Mais toute parole est un germe mort Si dans un coeur elle ne s'incarne.
Vladimir Jabotinsky (centre, avec une canne) et des dirigrants du Betar, 1928
Des juifs ont compté parmi les combattants les plus déterminés dans la lutte contre le fascisme au XXe siècle. Mais d’autres ont ouvertement affiché des idées fascistes. Leur histoire débute en Italie, s’étend en Europe centrale puis en Palestine. Elle se poursuit aujourd’hui en Israël et en France.
Les troupes de Napoléon Bonaparte, parties combattre les Autrichiens qui occupent alors le nord de l’Italie, apportent la liberté politique aux juifs italiens en 1796. Les portes des ghettos sont arrachées et brûlées, les notables juifs peuvent siéger dans les municipalités. La population juive en Italie est alors estimée à 30 000 personnes. Avec la chute de Napoléon, la condition des juifs est remise en question : les autorités catholiques les avaient identifiés aux Français athées. Ils sont alors victimes d’émeutes antijuives tandis qu’on retourne aux lois anciennes les concernant, particulièrement dans les États pontificaux. Ainsi le ghetto de Rome est rétabli.
PROTAGONISTES DE LA MARCHE SUR ROME
La participation de certains juifs à la cause nationale du Risorgimento fut enthousiaste, et des banquiers juifs financent les insurrections anti-autrichiennes dès 1830. Isacco Artom, issu d’une famille aisée du Piémont, volontaire en 1848 contre l’Autriche, devint le secrétaire particulier du comte de Cavour, figure de proue du nationalisme italien. En 1871, onze députés juifs siègent dans le premier parlement de la nouvelle Italie, contre huit au Royaume-Uni, six en France et quatre en Prusse. Le judaïsme italien fournit le premier ministre de la guerre juif de l’histoire moderne : Giuseppe Ottolenghi, et deux premiers ministres : Luigi Luzzati et son prédécesseur Sidney Sonnino. Ernesto Nathan est maire de Rome de 1907 à 1913. Des juifs font bâtir des synagogues monumentales à Turin, puis à Florence et à Rome. En 1911, l’Italie conquiert sur l’empire ottoman les colonies de Cyrénaïque et de Tripolitaine où habite une communauté juive de plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Avec la première guerre mondiale, pour la première fois dans l’histoire européenne, des juifs se trouvent engagés dans un combat qui les oppose à d’autres soldats juifs. En effet, 5 000 juifs de l’armée italienne affrontent, sur les champs de bataille, 350 000 juifs de l’armée austro-hongroise, 600 000 soldats juifs russes, 50 000 juifs dans les rangs des Britanniques, autant dans l’armée française et 100 000 dans l’armée allemande.
Benito Mussolini fonde le fascisme à Milan après la première guerre mondiale. Dans les confrontations avec les membres du Parti socialiste entre 1919 et 1922, trois juifs meurent : Duilio Sinigaglia, Gino Bolaffi et Bruno Mondolfo, déclarés « martyrs fascistes » ; 230 juifs participent à la marche sur Rome et 746 sont inscrits pour certains au Parti national fasciste et pour d’autres au Parti nationaliste, qui fusionnera avec le premier. En 1921, neuf députés juifs fascistes sont élus. Ettore Ovazza, banquier et homme d’affaires, membre du Parti national fasciste, anime le journal La Nostra Bandiera (Notre drapeau), dans lequel est affirmé le soutien des juifs italiens au nouveau régime. Sept cent cinquante juifs avaient alors leur carte de membre du parti fasciste.
Margherita Sarfatti devient la conseillère, la financière, la maîtresse, l’égérie du Duce. Rédactrice de Gerarchia, la revue théorique du fascisme, fondée par Mussolini, elle en trace les principes et les objectifs. Se faisant la chantre de la révolution culturelle fasciste, elle proclame que le temps est venu du « retour à l’ordre » et d’une nouvelle figuration puisant aux sources du classicisme. En 1925, le gouvernement français lui offre le titre de vice-présidente du jury international à l’Exposition internationale des arts décoratifs — elle est aussi commissaire pour le pavillon italien — et la décore de la Légion d’honneur. Elle accède à la célébrité internationale avec Dux, son hagiographie de Mussolini, publiée en 1925 d’abord à Londres (en Italie dès 1926) vendue en 25 000 exemplaires dès la première année, puis à des millions d’exemplaires et traduite en 17 langues.
À la suite de la publication de l’ouvrage aux États-Unis, le patron de presse américain William Randolph Hearst offre à Mussolini des contrats faramineux pour des articles qui le présentent sous le meilleur jour et plaident en faveur du réarmement de l’Italie en vue de son extension coloniale. Le contrat est double, il prévoit qu’ils soient écrits par Margherita Sarfatti et signés par le dictateur. Il sera reconduit jusqu’en 1934.
LE TOURNANT DE 1938
En 1920, la conférence de San Remo décide de l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine, supervisé par les Britanniques. Cette même année, Chaim Weizmann, né en Biélorussie et citoyen britannique depuis 1910 devient le président de l’Organisation sioniste mondiale (OSM), et le restera presque sans interruption jusqu’en 1946. Le sionisme est en plein essor. En 1922, les sionistes obtiennent 32 élus (sur 47 députés et sénateurs juifs) au Parlement polonais. Weizmann rencontre Mussolini à trois reprises. Lors de la seconde, en 1934, ce dernier déclare que Jérusalem ne peut être une capitale arabe ; Weizmann propose de mettre à disposition de l’Italie fasciste une équipe de savants juifs. Près de 5 000 juifs italiens adhèrent à cette époque au parti fasciste sur une population juive italienne de 50 000 personnes.
Guido Jung est élu député sur la liste fasciste et nommé ministre des finances de 1932 à 1935, alors qu’à Maurizio Rava est confiée la charge de gouverneur de Libye et de Somalie, ainsi que celle de général de la milice fasciste. De nombreux bourgeois juifs participent au financement de la guerre d’Éthiopie. Beaucoup de juifs s’engagent dans les troupes pour lesquelles on crée un rabbinat militaire. Mussolini nomme l’amiral Ascoli commandant en chef des forces navales. La Betar Naval Academy est une école navale juive établie à Civitavecchia en 1934 par le mouvement sioniste révisionniste sous la direction de Vladimir Jabotinsky, avec le soutien de Mussolini. L’école participera à la guerre d’Éthiopie en 1935-1936. Certains futurs officiers de la marine israélienne en seront issus.
La campagne de discriminations racistes et antisémites du fascisme italien débute officiellement en 1938. Les reproches formulés à l’encontre des juifs sont qu’ils se croiraient d’une « race supérieure » et formeraient le terreau de l’antifascisme. Huit mille juifs italiens sont exterminés entre 1943 et 1945 dans la destruction fasciste, raciste et antisémite des juifs d’Europe sur un total estimé à six millions de juifs assassinés.
DE RIGA À JÉRUSALEM PAR LA VIOLENCE
À Riga en Lettonie vivaient 40 000 juifs après la première guerre mondiale. En 1923, des étudiants juifs y créent le Betar, une organisation de jeunesse nationaliste juive et anticommuniste. Zeev Jabotinsky en prend la direction. Il est l’objet d’un culte de la personnalité inconnu jusqu’alors dans le sionisme. Les militants du Betar presseront Jabotinsky de créer un mouvement politique pour regrouper la droite nationaliste. Le Betar prend une orientation paramilitaire.
Jabotinsky fonde à Paris en 1925 l’Alliance des sionistes révisionnistes. Le terme « révisionniste » exprime leur volonté de « réviser le sionisme ». En 1928, trois hommes entrent au Parti révisionniste. Ils viennent de la gauche sioniste, mais se sont retournés contre elle et affichent maintenant des sympathies fascistes. Ce sont le journaliste Abba Ahiméir, le poète Uri Zvi Greenberg et le médecin et écrivain Yehoshua Yevin. Ils organisent une faction fasciste et radicale en Palestine mandataire et rêvent d’une organisation de « chefs et de soldats ». Ahiméir fait figure d’idéologue et influence fortement le Betar. Menahem Begin intègre le Betar en 1928, puis en prend la tête en 1939.
David Ben Gourion est l’un des dirigeants de l’aile droite de la gauche sioniste. Il privilégie le nationalisme par rapport au projet de transformation socialiste. En particulier, Ben Gourion s’opposera à ce que des travailleurs non juifs (palestiniens) puissent être organisés au sein du syndicat juif en Palestine, Histadrout. Il est également un des partisans du soutien de la gauche sioniste à Weizmann comme président de l’OSM.
Au début 1933, Ahimeir déclare qu’il y a du bon en Adolf Hitler, à savoir la « pulpe antimarxiste ». Ben Gourion traite alors Jabotinsky de « Vladimir Hitler ». Eri Jabotinsky, le chef du Betar en Palestine était le fils de Vladimir Jabotinsky. Ben Gourion redevient en 1935 président de l’Agence juive, et démissionne de son poste au sein de la Histadrout. Il devient alors le principal dirigeant sioniste en Palestine et se rapproche de Jabotinsky. De 1936 à 1939, des Arabes se révoltent contre le mandat britannique. Cette révolte exprime aussi le refus de voir un « foyer national juif » s’installer en Palestine, un des objectifs du mandat.
Durant cette révolte, la Haganah se développe fortement. Groupe armé de défense des juifs de Palestine, officiellement interdite par le mandat britannique, elle était depuis sa création en 1920 sous l’autorité de la Histadrout. Passée en 1931 sous la direction de l’Agence juive, son responsable politique suprême était Ben Gourion.
Jabotinsky décide en 1935 que le parti révisionniste doit quitter l’OSM dominée par les socialistes. Pour obtenir le ralliement des religieux, le parti révisionniste, originellement aussi laïc ou presque que la gauche, prend un virage vers la religion. Dans les années 1970, il bénéficie de cette nouvelle orientation à laquelle il est resté fidèle depuis 1935, ralliant à lui les partis religieux.
NATIONALISTES ET RELIGIEUX AU POUVOIR
Ben Gourion et ses alliés incarnent les succès du nationalisme juif radical avec la création d’un nouvel État-nation en Palestine en 1948. Il a imposé son autorité sur les groupes armés, et les a fondus dans une armée nationale unique. Créé la même année par Begin, le parti Hérout reprend l’idéologie nationaliste et colonialiste du parti révisionniste : annexion de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la Jordanie, pour former un « grand Israël » sur les deux rives du Jourdain, libéralisme économique, anticommunisme, hostilité à la gauche, exaltation de l’armée.
En 1973, le Hérout et le Parti libéral fondent un nouveau parti, le Likoud, dirigé par Begin. L’idéologie est surtout celle du Hérout et de l’ancien parti révisionniste. Puis, en 1977, le Likoud remportera les élections, et mettra fin à un demi-siècle de domination politique de la gauche sioniste. En 2022, le Likoud et ses alliés nationalistes religieux remportent une majorité au Parlement, permettant le retour de Benyamin Nétanyahou au poste de premier ministre. Ce gouvernement est le plus à droite et le plus nationaliste et colonialiste de l’histoire du pays, intégrant des partis nationalistes de droite, des ultra-orthodoxes (haredim) et des représentants des colonies juives.
Un déchaînement de violence inouï, inédit, se produit en Cisjordanie occupée. Des centaines de colons juifs israéliens attaquent la ville palestinienne de Huwara, au sud de Naplouse. Des dizaines de maisons et de voitures sont incendiées. Bilan : un Palestinien tué et une centaine de blessés, après la mort de deux colons juifs tués par un Palestinien le 26 février 2023. Le ministre des finances israélien Betsalel Smotrich avait appelé à « anéantir » Huwara. Le 19 mars 2023, Smotrich est venu à Paris, à une soirée de gala, organisée par une association française juive nationaliste radicale et sioniste de droite radicale, Israel is forever.
EN FRANCE, LE NATIONALISME FLEURIT
Éric Zemmour n’est pas le premier juif à incarner le nationalisme français. Parmi ses précurseurs, on compte dans les années 1930 l’avocat Edmond Bloch. Il avait mis sur pied l’Union patriotique des Français israélites (UPFI), destinée à combattre la gauche, les communistes, les socialistes et leur chef Léon Blum comme l’a raconté Charles Enderlin.
Pendant l’occupation fasciste du territoire français de 1940 à 1944, Edmond Bloch collabore activement. Il est protégé par le député nationaliste radical Xavier Vallat, premier commissaire général aux questions juives de mars 1941 à mai 1942, qui mettra en œuvre les discriminations antijuives ciblant prioritairement les juifs étrangers. Après la Libération, Bloch sera un des témoins à décharge au procès de Xavier Vallat devant la Haute Cour de justice, lui évitant le peloton d’exécution. Bloch n’a pas changé d’idéologie. En 1954, il écrit : « Pierre Mendès-France (le socialiste, chef du gouvernement) n’engage que lui… Ses coreligionnaires ne demandent à partager avec lui ni gloire ni opprobre ». Converti au catholicisme, Edmond Bloch meurt en 1975 à Paris.
UN GRAND AMI DE L’ANTISÉMITE JEAN-MARIE LE PEN
Éric Zemmour est issu d’une famille bourgeoise de juifs d’Algérie arrivée en métropole en 1952. Dans cette famille, le patriotisme est une valeur cardinale, et la question de l’identité est centrale. Journaliste, il plaide dès les années 1990 pour l’union nationaliste des droites, fort d’une proximité cultivée avec le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, qu’il est le seul journaliste à appeler « président », et avec son rival Bruno Mégret.
Zemmour a déjeuné, en 2020, avec Jean-Marie Le Pen et Ursula Painvin, fille de Joachim von Ribbentrop, ministre des affaires étrangères du IIIe Reich, pendu en 1946 après le procès de Nuremberg. Depuis Berlin, Ursula Painvin encourage Éric Zemmour avec ses « pensées les plus admiratives et amicales ». En 2021, Zemmour annonce le nom de son parti politique : Reconquête. Il fait référence à la reconquête militaire de la péninsule ibérique par des royaumes chrétiens contre les États musulmans du VIIIe au XVe siècle. Reconquête devient le parti des nationalistes identitaires. Le nationalisme raciste, xénophobe et islamophobe de Zemmour contribue à la banalisation du nationalisme radical de Marine Le Pen et de son parti, le Rassemblement national (RN).
Quand les problèmes s’aggravent et que les tensions s’exacerbent, les fascistes se présentent d’un côté comme les troupes de choc du nationalisme, prêts à en découdre avec les traîtres à la patrie, à envahir les parlements ou à les incendier pour mettre fin à petit feu ou brutalement à la démocratie, et de l’autre côté comme les seuls capables de rétablir la grandeur nationale et l’ordre économique, social, moral ou religieux par des régimes illibéraux, autoritaires ou dictatoriaux. Des juifs fascistes comme Betsalel Smotrich et Éric Zemmour incarnent ces combats contre la démocratie et les droits humains.
Saint-Laurent-des-Arbres (France) - Le long des vestiges d'un cimetière sauvage tout juste découvert, Nadia Ghouafria, fille de Harkis, marche, saisie par l'émotion de découvrir ce qu'elle cherche depuis des années: les tombes d'enfants morts dans des camps en France après la guerre d'Algérie et enterrés indignement.
Nadia Ghouafria, fille de Harkis, devant l'entrée d'un terrain militaire où se trouvent des tombes d'enfants morts dans des camps en France après la guerre d'Algérie, le 5 février 2022 à Laudin-l'Ardoise, dans le Gardafp.com/Lucie PEYTERMANN
C'est un mélange entre satisfaction que les tombes aient été localisées, mais aussi une tristesse et une colère de les savoir toujours là, malgré un signalement de la gendarmerie en 1979 qui indiquait que les autorités françaises savaient où ces bébés et enfants avaient été enterrés sans sépulture décente il y a 60 ans, témoigne Nadia Ghouafria.
Français musulmans majoritairement recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), les Harkis ont été abandonnés par la France à la fin du conflit.
Comme des dizaines de milliers d'entre eux, les parents de Nadia ont fui en France et ont été parqués dans des camps de transit et de reclassement gérés par l'armée, aux conditions de vie déplorables.
Depuis quelques jours, aux abords du site des camps de Saint-Maurice l'Ardoise et du Château de Lascours, dans le Gard (sud-est de la France), où ont vécu les parents de Nadia, des fouilles ont lieu en contrebas d'une clairière à peine visible depuis la route.
Elles ont révélé les sépultures d'enfants harkis, morts de froid ou de maladie contagieuse. Au loin, le mont Ventoux arbore un sommet neigeux, sous un soleil voilé.
- Ossements d'enfants -
Sur plusieurs dizaines de mètres, suivant un alignement légèrement oblique, les sépultures se devinent, sous une terre à l'aspect et aux couleurs modifiés par un creusement antérieur et par la décomposition des corps, prévient Patrice Georges-Zimmermann, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) au côté de son collègue, Bertrand Poissonnier.
Nous avons la confirmation qu'il s'agit bien du cimetière recherché, puisque deux tombes, au moins, recèlent des ossements d'enfants, annonce à l'AFP l'archéologue.
Cette découverte historique est le résultat de fouilles sans précédent décidées pour la première fois par l'Etat français après la révélation de l'existence de ce cimetière par une enquête de l'AFP en septembre 2020 et le travail inlassable d'associations locales pour sortir de l'oubli ce pan tragique de l'histoire franco-algérienne.
Plusieurs piquets, oranges vifs, sont plantés par les deux archéologues signalant l'emplacement des tombes.
Nous avons un certain nombre de fosses, ovales, assez étroites, dont la taille dépend de l'âge des individus placés dedans. Beaucoup sont des enfants, voire des bébés, poursuit l’expert, devant Nadia Ghouafria.
C'est elle qui a découvert dans des archives le procès-verbal d'un gendarme rédigé en 1979, révélé au grand public par l'AFP, attestant que les autorités avaient eu connaissance de l'existence de ce cimetière mais n'en ont délibérément pas informé les familles harkis.
Une première campagne de fouilles menée quelques centaines de mètres plus loin n'avait, l'an dernier, pas été conclusive.
- Rendre la dignité -
Cette fois, c'est le bon endroit. Dès ma première lecture du procès-verbal, j'étais convaincue que le cimetière existait. Ça va aider beaucoup de familles à la recherche de leur défunt, reconnaît Nadia, qui a créé l'association Soraya, dédiée à la mémoire des enfants d'ex-combattants morts dans les camps et dans les hameaux de forestage.
La pelleteuse poursuit un méticuleux déblaiement. Sous la terre remuée, une dalle apparaît soudain. Le moteur de la machine est stoppé, les deux archéologues s'approchent. Patiemment, l'un d'eux dégage la surface à l'aide d'une rasette, un petit outil en fer. Deux pierres, plates, grises et rectangulaires, se révèlent.
Ça ressemble vraiment à une pierre tombale, commente M. Zimmermann. A l'extrémité des autres fosses, seules quelques petites pierres avaient jusqu'ici été repérées, probablement des stèles déposées au niveau de la tête du défunt, selon Bertrand Poissonnier.
Dans un porte-vues, une dizaine de documents guide les archéologues dans ce dossier particulier et douloureux puisque des gens qui existent encore ont des membres de leur famille enterrés ici, relèvent-ils.
Parmi les personnes décédées dans les camps où furent relégués les Harkis en France, une grande majorité étaient des bébés mort-nés ou des nourrissons, selon l'historien Abderahmen Moumen et les témoignages de familles.
Un double drame car ces dizaines de bébés ont été enterrés à la va-vite, par leurs proches ou par des militaires, dans les camps ou à proximité, dans des champs. Avec le temps, les familles de Harkis, relocalisées loin de ces lieux, ont enfoui au plus profond d'elles-mêmes les fantômes de ce passé traumatique.
Sur le registre d'inhumation des camps de Saint-Maurice l'Ardoise et Lascours, tombés longtemps dans l'oubli avec le procès-verbal du gendarme, sont apposés 71 noms, dont 10 adultes et 61 enfants. Dans ce cimetière sauvage enfin découvert, le registre annonce l'inhumation de 31 d'entre eux.
Nous savons que les conditions d'accueil et de vie des Harkis ont été indignes et malheureusement, on le constate sur ce site du camp de Saint-Maurice l'Ardoise, elles l'ont été jusque dans les conditions d'inhumation, a réagi jeudi le secrétariat d'Etat français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, interrogé par l'AFP à propos de la découverte du cimetière.
Ces recherches de tombes d'enfants harkis étaient nécessaires, et répondaient aux demandes formulées par les associations. Nous continuerons d'accompagner les familles afin de leur rendre toute leur dignité, chaque fois que cela sera possible, a ajouté le secrétariat.
France : la douloureuse mémoire des enfants morts dans les camps de Harkis sort de l'oubli
7 ans après la mort de leurs frères après leur naissance dans un camp de Harkis, la fratrie Dargaid, enfants de Harki, vient de retrouver le lieu de leur inhumation, monticules de terre sans nom, au cimetière de Perpignan (sud de la France). Le 7 août 2020
AFP - LIONEL BONAVENTURE
L'employée du cimetière s'arrête devant deux fragiles monticules de terre à l'abandon. "C’est ici", souffle-t-elle. "Mille fois pardon !" Abessia s'écroule en sanglots, posant doucement sa main sur la tombe de fortune de l'un de ses petits frères, dans le sud de la France.
Ce 7 août 2020 caniculaire, 57 ans après la mort de ses frères jumeaux Yahia et Abbas peu après leur naissance dans un camp de Harkis en France, Abessia Dargaid vient à 68 ans de retrouver le lieu de leur inhumation: "tombes 6 et 8, rangées 22 et 25, carré musulman du cimetière de l'Ouest, Perpignan".
Avant de lancer ses recherches, il aura fallu à Abessia attendre le long et acharné travail de mémoire d'associations d'anciens Harkis - ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'Algérie -, d'historiens, de familles, intensifié récemment et accompagné par le gouvernement français, pour sauver de l'oubli ce pan tragique de l'histoire franco-algérienne.
Après la fuite et l'exil d'Algérie, sa mère avait accouché des jumeaux en décembre 1962, dans des conditions plus que précaires, à l'infirmerie du camp de Harkis de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), à 12 km de ce cimetière.
Les nourrissons, malades et transportés à l'hôpital, décèderont quelques mois plus tard. Mais leurs corps ne seront pas rendus à la famille. "Mon père a juste pu voir la main de Abbas à son décès à l'hôpital; mes parents n'ont jamais rien su des circonstances et des lieux de leur inhumation", témoigne Abessia.
Yahia, Abbas mais aussi Fatma, Omar, Djamal, Malika...
Il y a près de 60 ans, des dizaines de nouveau-nés ou très jeunes enfants morts lors de leur passage dans les camps de Harkis gérés par l'armée en France ont été enterrés sans sépulture décente par leurs proches ou par des militaires, dans les camps ou à proximité, dans des champs, et pour la grande majorité, sans plaque avec leur nom, selon les récits d'historiens et les témoignages de familles recueillis lors d'une enquête de plusieurs mois de l'AFP.
D'autres, décédés à l'hôpital, ont été enterrés par les autorités dans des cimetières, mais souvent sans que les familles ne soient présentes ou informées du devenir des corps de leurs enfants, selon ces témoignages.
Bouleversés et choqués par le dénuement des sépultures de leurs frères, Abessia, sa soeur Rahma, 70 ans, et leur frère Abdelkader, 65 ans, se recueillent au cimetière de Perpignan, au son d'une prière aux défunts en arabe diffusée par un portable.
Abdelkader est secoué de hoquets de larmes. "Je comprends pas... il n'y a même pas un prénom sur leurs tombes ?" interroge-t-il, confus.
"Pour la première fois, on met un lieu" sur ce drame familial, confie Abessia. "Ca fait +boum boum+ dans le coeur. Mais ça ne devrait pas être permis d'enterrer quelqu'un comme ça et puis de l'abandonner, sans plaque..."
- Surmortalité infantile -
"Les Harkis", ce sont ces anciens combattants - jusqu'à 200.000 hommes - recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962) qui opposa des nationalistes algériens à la France.
Depuis 2001, la France leur rend chaque 25 septembre un hommage national en reconnaissance des "sacrifices consentis".
Carte d'identité de Harki, ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'Algérie. A l'association Coordination Harka, à Saint-Laurent-des-Arbres (sud de la France), le 30 juin 2020 (AFP - Sylvain THOMAS
A l'issue de cette guerre, marquée par des atrocités, par la torture et qui a traumatisé les sociétés algérienne et française, les Harkis - souvent issus d'un milieu paysan et modeste - sont abandonnés par la France et nombre d'entre eux sont victimes de massacres de représailles en Algérie.
Abessia raconte ainsi comment sa famille a été victime de plusieurs attaques du Front de libération nationale (FLN) du fait de l'engagement de son frère et de son père dans l'armée française. Sa soeur montre les cicatrices d'une blessure par grenade.
Mais au lendemain des accords d'Evian de 1962 consacrant la défaite française en Algérie, le gouvernement français a rejeté le rapatriement massif de ces Harkis.
Environ 42.000 - accompagnés parfois de leurs femmes et enfants - sont transférés en France par l'armée et transitent par des camps. Quelque 40.000 autres viennent par des filières semi-clandestines ou clandestines. Au total, entre 80.000 et 90.000 personnes arrivent en France, pour la majorité entre 1962 et 1965.
En France, les Harkis et leurs familles ne sont pas considérés d'emblée par les pouvoirs publics comme des rapatriés mais comme des réfugiés. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont parquées dans des "camps de transit et de reclassement" gérés par l'armée, aux conditions de vie souvent déplorables et traumatisantes, certains entourés de barbelés et placés sous surveillance.
Et les faits, méconnus, sont là: parmi les personnes décédées dans ces camps, une grande majorité étaient des bébés morts-nés ou des nourrissons, selon les statistiques consultées par l'AFP et établies par l'historien Abderahmen Moumen, l'un des spécialistes français de la guerre d’Algérie qui travaille sur l'identification des sites d'inhumation. Depuis 2015, il est mandaté par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG, public).
Au camp de Rivesaltes, à une quinzaine de kilomètres de la Méditerranée, sur les au moins 146 personnes décédées, 101 sont des enfants, dont 86 avaient moins d'un an. Au camp de Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), ouvert de juin à octobre 1962, les personnes décédées (16) sont toutes des enfants, selon un rapport officiel publié en 2018. Au camp de Saint-Maurice l'Ardoise (Gard), ce sont plusieurs dizaines d’enfants qui ont été enterrés dans le secteur, selon des associations.
"Il y a eu une surmortalité infantile certainement liée à des conditions de vie difficiles et à une prise en charge médicale qui n'était pas à la hauteur", déclare dans un entretien à l'AFP Geneviève Darrieussecq, ministre française déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants.
Selon les historiens, cette surmortalité était due aux conditions de vie très rudes des camps de tentes et de baraquements lors des hivers 1962 et 63 très rigoureux, à des maladies, à une épidémie de rougeole à Saint-Maurice. Mais aussi à l'état psychologique des mères déracinées et affaiblies par les traumatismes de la guerre et de l'exil précipité, à des accouchements dans des conditions précaires.
Avec le temps, les cimetières des enfants morts dans les camps de Harki et inhumés sans sépulture décente ont disparu sous les herbes folles. A Chateau-de-Lascours (sud de la France), le 1er juillet 2020 (AFP - Sylvain THOMAS
Le drame est doublé d'une a
utre tragédie: avec le temps, les cimetières de ces enfants inhumés sans sépulture décente ont disparu sous les herbes folles, les ronces ou les vignes, fantômes d'un passé traumatique que les familles d'anciens Harkis ont enfoui au plus profond d'elles mêmes et que la société française a oublié.
- "Indigne" -
C'est l'histoire d'Hacène Arfi, qui a vu à l’âge de six ans son père enterrer de ses mains son frère mort-né dans le camp de Rivesaltes, sans jamais avoir pu ensuite retrouver le "lieu exact".
En Algérie, il a déjà assisté à la tentative d’assassinat de son père, rescapé d'une attaque au couteau, et à des scènes "d'égorgement de femmes et d'enfants" sur la route de l’exil.
Cette nuit de novembre 62, sa mère accouche à l’infirmerie du camp de Rivesaltes, aidée par "une infirmière", mais le bébé est mort-né. L'enfant et la mère sont "ramenés sur une civière par des militaires" dans la nuit. Réveillé par des pleurs, Hacène reste "marqué à vie" par la vision du "sang de sa mère" et du corps du bébé déposé près des chevilles maternelles.
Le lendemain matin, "deux militaires sont arrivés à notre tente et ont donné une pioche à mon père; ils lui ont montré l'endroit où il pouvait enterrer mon frère (...) Mon père n'a pas vraiment eu le choix", raconte Hacène.
Il assistera ensuite son père pour l'enterrement. "Je revois encore mon père en train de creuser le trou, je comprenais pas trop... Quand il a enroulé l'enfant dans la serviette, je suis resté choqué", relate-t-il, visage creusé et fermé. "Je me souviens qu'il a fait une petite prière en arabe et puis il a pris la pioche et je lui ai donné un coup de main pour remettre la terre sur le corps."
"C'est indigne ce qui s'est passé !" lance aujourd’hui cet écorché vif de 63 ans, devenu une inlassable figure de la lutte pour la cause harkie. L'AFP l'a rencontré cet été à Saint-Laurent-des-Arbres (Gard), à quelques kilomètres de l'ancien camp harki de Saint-Maurice l'Ardoise, où sa famille avait été transférée après celui de Rivesaltes. Il a dévoué une partie de sa vie à aider nombre de familles d'anciens harkis démunies et créé l'association "Coordination Harka".
Depuis sa jeunesse, Hacène est rongé par un questionnement: "Comment cela a pu arriver en France" alors que son père était "un ancien combattant de l'armée française ?" "On a été considérés comme des témoins gênants d'une sale guerre, comme des indésirables", en conclut-il.
Pourquoi la majorité de ces enfants n'a pas été inhumée à l'époque dans les cimetières des localités autour des camps ?
"Je ne sais pas", répond à l'AFP Geneviève Darrieussecq. "Il y a eu une reconnaissance par les plus hautes autorités de l'Etat français du fait que les Harkis, ces Français, avaient été très mal accueillis à leur arrivée en France dans des conditions particulièrement indignes et difficiles", dit-elle.
Français fils de Harki, Hacène Arfi, inlassable figure de la lutte pour la cause harkie. Le 30 juin 2020, dans son association, à Saint-Laurent-Arbres (sud de la France) (AFP - Sylvain THOMAS)
Mme Darrieussecq ne s'"imagine pas qu'il y ait eu une volonté délibérée de rayer ce passé et de faire en sorte qu'on ne cherche pas à savoir, qu'on n'identifie pas ces lieux de sépulture".
"La France n'était pas préparée à les accueillir" et "il y a eu des mauvaises gestions dans la précipitation", relève-t-elle.
- "Trous de mémoire"
L'historien Abderahmen Moumen rappelle la "situation chaotique dans laquelle l'administration gère l'arrivée de ces milliers de familles" - 22.000 personnes transiteront par Rivesaltes.
Les témoins à l'époque - familles, militaires, personnel soignant - sont peu nombreux. Leur dispersion et leurs mutations, puis le départ des Harkis, ont contribué à l'oubli, souligne-t-il.
"Cette période de l'après-indépendance, et notamment cette question des inhumations et de ces cimetières, s'inscrit dans ces trous de mémoire", analyse-t-il.
Dans le même temps, "l'éparpillement des familles, qui repartent vite" dans d'autres lieux en France et la volonté de certains parents d'enterrer rapidement l'enfant pour respecter la tradition funéraire musulmane, ont contribué à l'oubli.
"Leur préoccupation vitale est de trouver un logement, un emploi, avec la difficulté pour beaucoup de ne pas maîtriser le français". Ou encore rechercher des membres de leur famille dispersée en France ou en Algérie, se protéger pour certains des représailles contre les Harkis encore menées par des militants du FLN sur le sol français jusque 1965, poursuit l'historien.
Fatima Besnaci-Lancou, historienne et spécialiste de la guerre d'Algérie, a interrogé il y a quelques années pour un livre plus de 70 femmes de Harkis encore en vie qui lui ont décrit les accouchements "sous une tente en plein hiver, sans chauffage et sans eau", des maris qui ont dû "chercher de la neige et la faire fondre dans leur bouche pour laver le nouveau-né...", relate-t-elle à l’AFP.
L'historienne, fille de Harki qui a elle-même vécu 15 ans dans ces camps à partir de l'âge de 8 ans, souligne aussi le déracinement et la souffrance de ces jeunes femmes qui devaient accoucher seules, sans la présence rassurante de leur mère et sans les rituels traditionnels algériens.
"Ces femmes elles-mêmes ont voulu oublier ces drames", renchérit M. Moumen. "Revenir sur les tombes, c'était aussi se replonger dans ces mois dans les camps qui ont été très difficiles pour les familles."
Certaines sont bien repassées 30 ou 40 ans après à Rivesaltes, mais le terrain avait été complètement modifié...
Sur le coup, il y a eu la peur d'en parler. "C'était comme ça; nos parents n'ont pas osé poser de questions, mais ils ont dû beaucoup en souffrir", confie Abessia.
"Mon père a eu peur de se révolter et de se retrouver renvoyé en Algérie... Il s'est tu et on a vécu comme ça", raconte Hacène Arfi.
Et c'est devenu un tabou au sein des familles.
A 86 ans, Dahbia Amrane, visage buriné parcouru de rides, est une témoin émouvante. Elle était enceinte de jumeaux quand elle a dû fuir l'Algérie à 28 ans avec son mari harki. En novembre 1962, elle accouche dans le camp de Rivesaltes, sous une tente. Les bébés sont placés sous couveuse pendant des semaines à l'hôpital.
Français fils de Harki, Hacène Arfi a identifié un site d'inhumation d'enfants morts dans les camps de Harkis, aujourd'hui devenu un terrain privé recouvert de vignes. A aint-Laurent-des-Arbres (sud de la France, le 30 juin 2020 (AFP - Sylvain THOMAS)
Le petit Omar décèdera en janvier 63. Il sera enterré quelque part dans le camp, par "son père et des cousins". "Dieu nous l'a donné et puis il l'a repris; ces enfants là, ce sont des anges...", lance Dahbia en kabyle à l'AFP, depuis son petit jardin à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes).
La famille, qui sera ensuite déplacée dans une autre région, n'a pu retrouver que plus de 50 ans plus tard ce lieu d'inhumation.
"Il y a eu un manque de transmission de notre histoire dans notre famille...; c'était trop tabou, nos parents n'en parlaient pas", raconte le jumeau d'Omar, Ali, 57 ans. Sa douce bonhommie, sa personnalité généreuse et son engagement depuis 1985 dans des associations sont un pied de nez au lourd destin de cet homme né dans un camp et qui a ensuite vécu jusqu'à ses... 19 ans dans un "hameau de forestage" (structure mise en place pour loger et employer des familles d'ex-Harkis à leur sortie des camps, aux conditions de vie dégradées).
- "Découverte historique" -
Ainsi, depuis peu, fruit d'un patient travail d’Abderahmen Moumen, de familles de Harkis, d'associations locales et de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, les prénoms de certains de ces enfants sortent de l'anonymat.
(AFP - Sylvain THOMAS)
Ils brillent sur des stèles, des tombes rénovées, comme à Bourg-Lastic, où depuis 2015 les onze tombes d'enfants enterrés dans l'ancien camp ont été rénovées et où un lieu de recueillement a été sanctuarisé.
Des projets d'identification de lieux d'inhumation, de mise en place de mémoriaux, sont en cours ailleurs.
C'est en "recoupant plusieurs sources" que M. Moumen, missionné par l'ONACVG pour travailler sur l'histoire et les mémoires de la guerre d'Algérie, "validera l'hypothèse" qu'il y a bien eu un "cimetière harki" dans le camp de Rivesaltes, jusque-là ignoré.
Recueil de témoignages, recherche dans les registres d'état civil, analyse de photos aériennes du camp portant sur les 40 dernières années et découverte d'une correspondance datant de 1980/81 dans les archives départementales...
C'est un travail considérable, mené avec les associations, qui a duré des années et a porté ses fruits: depuis 2018, une quarantaine de familles ayant perdu un proche à Rivesaltes ont pu être retrouvées et le site où ont été inhumées au moins une cinquantaine de personnes décédées dans le camp a pu être identifié.
Les autorités françaises ont finalement décidé de ne pas rechercher et exhumer leurs ossements, "sûrement délités" après plus de 50 ans selon une enquête des services archéologiques nationaux, la majorité des morts étant des bébés.
Mais aujourd'hui, une stèle érigée juste à côté du site d'inhumation et inaugurée par Mme Darrieussecq en octobre 2019 rend hommage aux personnes décédées dans ce camp.
"Lorsqu'on a eu la confirmation de l'existence de ce cimetière, je me suis dis: on va peut-être contribuer à soulager ces familles" et "apporter une réponse à des questionnements qui peuvent être terribles", confie l'historien.
M. Moumen évoque les "hypothèses qui ont pu germer dans l'esprit des familles: que sont devenus tel ou tel enfant, est-ce qu'ils sont vraiment décédés" ?
Dans d'autres régions françaises, des associations continuent de se battre pour l'identification et la sanctuarisation des lieux d'inhumation, comme au camp de Saint-Maurice l'Ardoise.
Hacène Arfi a ainsi montré à l'AFP deux terrains dans la région où il affirme avoir pu établir grâce à de longues recherches que "39 enfants et quatre adultes" décédés au camp y ont été enterrés.
L'un des sites est aujourd'hui un terrain privé recouvert de vignes, au bout d’un chemin serpentant dans un bois touffu. "Cela fait bien 30 ans qu'on dit aux autorités qu'il y a des enfants qui ont été enterrés dans ces champs... on est en 2020, ça s'est passé en 1963... Rien ne signale qu'il y a des personnes enterrées ici !" déplore M. Arfi en balayant avec colère le paysage de ses bras.
Une autre association locale, l'Aracan, qui effectue depuis des années des recherches sur les lieux de mémoire harkis, affirme avoir fait récemment une "découverte historique": l'existence d'un autre cimetière d'enfants dans l'actuel camp militaire de Saint-Laurent des Arbres et qui serait connu des autorités depuis... 41 ans.
Le terrain, aujourd’hui, est une clairière plantée de chênes, au bord d'une route, a constaté l'AFP.
Membre de l'association Aracan, la Française fille de Harki Nadia Ghouafria a découvert le dossier du "+cimetière provisoire du camp de St-Maurice l'Ardoise+. Sur le site du camp provisoire, le 1er juillet 2020 (AFP - Sylvain THOMAS)
Au fil d'une quête personnelle de son passé et de deux ans de démarches auprès des archives locales, une membre de l'association, Nadia Ghouafria, 47 ans, fille de Harki dont les parents sont passés par le camp de Saint-Maurice, a découvert le dossier du "+cimetière provisoire du camp de St-Maurice l'Ardoise+". Il contient "un procès verbal de la gendarmerie, un plan détaillant la localisation de ce cimetière et un registre d'inhumation", où figurent les noms de 71 personnes décédées lors de leur passage aux camps de Saint-Maurice et au camp voisin du Château de Lascours (Gard). L'AFP a pu voir en exclusivité ces documents.
"31 enfants ont été inhumés dans ce cimetière provisoire et en 1979 il restait 22 tombes, essentiellement des jeunes enfants, des nourrissons et des enfants morts-nés", résume Nadia, fébrile. Selon elle, le motif invoqué par le procès verbal était le "manque de place dans les communes aux alentours du camp de Saint-Maurice l'Ardoise".
"Ce cimetière a été ouvert spécialement pour accueillir ces enfants-là provisoirement; ce provisoire serait-il devenu définitif ?..." interpelle-t-elle.
- "Ne pas trop ébruiter" -
Le procès verbal atteste que les autorités de l'époque connaissaient l'existence de ce cimetière. Les auteurs du procès verbal conseillent même de ne "pas trop ébruiter l'affaire qui risquerait d'avoir des rebondissements fâcheux notamment si cela était porté à la connaissance des responsables du mouvement de défense des rapatriés d'Algérie, anciens harkis".
"Ce qui met en colère, c'est qu'on nous a délibérément caché l'existence de ce cimetière" et ce malgré les demandes récurrentes aux autorités par les associations locales, lâche Nadia. L'association Aracan interroge: pourquoi les autorités françaises, informées en 1979 de l'existence de ce cimetière alors que les corps des enfants auraient encore pu être retrouvés et remis à leurs familles grâce aux contacts avec les associations de Harkis, n'ont-elles pas agi ?
"Nous réclamons à l'Etat français que des recherches soient entreprises pour retrouver les restes humains de ces enfants (...), que les parents soient contactés, qu'une sépulture décente soit donnée à ces enfants et une stèle", poursuit Nadia.
"Ces enfants sont des oubliés de l'histoire de France", "leurs parents ont été trahis une seconde fois."
Interrogée par l'AFP au sujet de ce procès-verbal, la ministre déléguée Geneviève Darrieussecq a répondu ne pas en avoir connaissance. "Mais s'il y avait là des lieux d'inhumation, il est anormal que les familles n'en aient pas été averties à l'époque", a-t-elle ajouté, souhaitant qu'associations et autorités locales continuent à travailler ensemble à Saint-Maurice l'Ardoise notamment "afin d'identifier et marquer les lieux, pour en faire des lieux de souvenirs".
- Pardonné -
Françaises filles de Harki, les soeurs Dargaid, Rhama et Abessia (D), cherchent le nom de leurs frères sur une stèle érigée en mémoire aux personnes décédées au camp de Harki de Rivesaltes (sud de la France), le 7 août 2020 (AFP/Archives - Lionel BONAVENTURE)
Depuis ses visites à la stèle de Rivesaltes, Ali Amrane fait face autrement au deuil et au "vide" laissés par l'absence de son frère: "Je me dis, le jumeau est quelque part et il reste quelque chose pour sa mémoire".
Un sentiment de "soulagement" partagé par Hacène Arfi quand il pense à son frère: "On sait qu'il n'est plus anonyme... et de temps en temps, on ira se recueillir devant la stèle".
Le jour de la découverte des tombes de ses frères à Perpignan, Abessia a dit être "un peu plus sereine" et prête "à commencer (son) deuil".
Dans une scène poignante, éclatant en pleurs, Abdelkader a confié à l'AFP: "J'ai l’impression que les jumeaux me pardonnent parce que je suis venu les voir aujourd'hui...".
Essayer de calmer la douleur, c’est tout ce que tu peux faire. C’est ainsi que Simone de Bollardière, la veuve du général qui s’opposa à la torture, s’adresse à Emmanuel Audrain, réalisateur du documentaire Retour en Algérie. L’on voit dans son film des hommes qui firent là-bas leur service au temps d’une guerre qui se cachait sous l’appellation opération de maintien de l’ordre. Voici donc que dix ans après la découverte des horreurs nazies, l’État français décide d’envoyer des gosses de 20 ans participer à la répression brutale de sous-hommes qu’on pouvait chercher à soumettre par tous les moyens.
Quelques décennies plus tard ils parlent, pour desserrer l’étreinte de leur angoisse et de leur honte, engagés sans le comprendre dans un cauchemar dont 25 000 de leurs camarades ne sont pas revenus. Parole cathartique donc, document historique aussi, et fondement d’une réconciliation avec ceux d’en face, qui ont perdu 250 000 des leurs dans le conflit.
L’occasion enfin d’exprimer haut et fort que la guerre d’agression est une absurdité à laquelle tout homme sensé doit se refuser à prendre part.
Édito : Serge Steyer
FILM
RETOUR EN ALGÉRIE
d’Emmanuel Audrain (2014 - 52’)
Pourquoi j'ai fait ce film
par Emmanuel Audrain
En 2008, Simone de Bollardière ( la veuve du général Jacques de Bollardière ), m’incite à venir à l’Assemblée Générale des « 4ACG » ( Les Anciens Appelés en Algérie, et leurs Amis, Contre la Guerre ). Ces hommes âgés ont choisi de ne pas garder pour eux-mêmes, leurs retraites de combattant, mais de les reverser à des Associations algériennes. Ce qui me marque dans cette rencontre, c’est ce moment où les nouveaux adhérents de l’Association se lèvent et se présentent, évoquant chacun leur parcours algérien. Un « grand costaud » dit ne pas avoir besoin du micro, mais il n’arrive pas à achever son récit, la voix brisée. Pour beaucoup, « c’est la première fois » qu’ils parlent. Certains ont les larmes aux yeux, d’autres doivent se rasseoir prestement, submergés par l’émotion. Ce moment de vérité – exceptionnel – me rend ces hommes très attachants. Le projet de film naîtra un peu plus tard. Sa réalisation s’étalera sur trois années. En 2013, notre petite équipe a accompagné les trois Voyages de l’Association. 35 jours en Algérie, pour moi. Avec un matériel très discret, nous avons filmé du mieux que nous avons pu… Pour nous rendre compte, au stade du montage, que le vrai voyage de ces hommes, était bien sûr, leur voyage intérieur. Celui, qui va de leurs 20 ans à aujourd’hui. Ce long chemin, où avec cœur et intelligence, ils ont su retrouver l’estime d’eux-mêmes.
La France malade de l'Algérie
Retour en arrière. En juin 2000, la journaliste Florence Beaugé publie dans Le Monde un entretien avec une résistante algérienne, Louisette Ighilahriz, torturée pendant trois mois dans une unité parachutiste. Elle veut retrouver - et remercier - le médecin militaire qui lui a sauvé la vie. Son témoignage, met en cause les généraux Massu et Bigeard… Il va soulever la chape de plomb qui pesait sur la Guerre d’Algérie. Le général Bigeard menace le journal d’un procès tonitruant. Le général Massu - à la surprise de tous - répond que ces faits sont plausibles. Il ajoute : « Quand je repense à l’Algérie, ça me désole. On aurait pu faire les choses, différemment… » Trois mois plus tard, à 92 ans, donnant sa dernière interview à Florence Beaugé, il ajoutera : « On aurait dû, faire autrement. » Au même moment, le général Aussaresses, son adjoint pendant la Bataille d’Alger, décrit la systématisation de la torture et la liquidation - pour les six premiers mois de 1957 - de 3000 opposants Algérois. « Sans remords », dit-il. Il reconnaît avoir éliminé lui-même, l’avocat Ali Boumendjel et le résistant Larbi Ben M’Hidi (Le « Jean Moulin algérien »).
Les historiens comme des repères
L’ensemble de la presse, se fait l’écho de ces révélations. En quelques mois, la France redécouvre son passé algérien. Les historiens sont sollicités, Pierre Vidal-Naquet, Benjamin Stora… Mais aussi, la jeune génération des Tramor Quémeneur, Claire Mauss-Copeaux, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault… Leurs ouvrages - tous remarquables - rencontrent un large public. Dans les familles des Anciens Appelés, vient le temps des premières questions… Le fils de Rémi, celui de Gilles… Le passé fait retour. En 2004, Rémi, Georges, Armand et Michel lancent la 4ACG, Association des Anciens Appelés, et Leurs Amis, Contre la Guerre. Ils choisissent Simone de Bollardière comme présidente d’honneur.
L'esprit de résistance
Simone de Bollardière : « Heureusement que mon mari s’est opposé à la torture. Intérieurement, je ne cesse de le remercier ! Pour les anciens Appelés, particulièrement quand ils vont à la rencontre de jeunes collégiens ou lycéens, le général Jacques de Bollardière – le militaire le plus décoré de la France Libre - est un homme qu’ils aiment évoquer. « Nous l’admirons parce qu’il a su désobéir. Il a osé dire, Non !» Ils ajoutent : « Le plus dur, pour nous, ce n’est pas tant ce que nous avons fait… Que, ce que nous n’avons pas fait. Ou, pas dit. Les actes de résistance que nous n‘avons pas posés. Ou, pas assez. »
Le testament de Tibhirine
Mon précédent film « Le Testament de Tibhirine » a été diffusé sur France 3 en 2006, « à une heure très tardive ». C’est ainsi, qu’il a rencontré - par hasard – un homme de cinéma ; ce spectateur attentif, est le futur scénariste et producteur du film « Des hommes et des dieux ». Trois ans plus tard - après le succès que l’on sait ! - celui-ci dira, que « Le testament de Tibhirine » a joué pour lui, le rôle d’un « déclic ». Dans la nuit qui avait suivi, il s’était promis d’être présent au Festival de Cannes, avec cette même histoire (« Pourquoi sont-ils restés ? »), sous la forme d’une fiction.
Faire de l'épreuve un tremplin
Dans « Le testament de Tibhirine » (le documentaire) on apprend que trois des sept moines, ont fait la Guerre d’Algérie… Eux aussi, en avaient été durablement marqués. En revenant vivre en Algérie, ils avaient accompli, un désir très profond. Les moines, comme les « Anciens Appelés en Algérie Contre La Guerre », avaient su faire de cette épreuve de leur jeunesse, un élan, un tremplin, pour « plus de vie ». Les uns et les autres, affirmant une même solidarité – indéfectible - avec le peuple algérien. Cette convergence m’intéresse et me touche.
Emmanuel Audrain.
http://www.retourenalgerie-lefilm.com/
LE TESTAMENT
Amen, Inch'Allah
Emmanuel Audrain
Emmanuel Audrain est un documentariste breton, dont les films gravitent beaucoup autour de l’univers de la mer. Non pas celle de Trenet ou de Valéry, mais celle, plus grave, que lui inspira le film de Kaminker et Dumaître, tourné en 1958 à l’île de Sein, La mer et les jours. Depuis son premier film Boléro pour le thon blanc, Ile d’Yeu 1985, en passant par Les enfants de l’Erika, jusqu’à Alerte sur la ressource, en 2002, les films d’Emmanuel Audrain vont au plus près des prises de conscience de notre époque, sans jamais en oublier l’humanité au sens propre, c'est-à-dire le peuple des pêcheurs et autres gens de mer.
Autre point commun entre les réalisations d’Emmanuel Audrain : la capacité d’écoute dont ils témoignent. On pourrait presque parler d’amitié comme valeur de plan ou de cadrage. Valent pour exemple ses films Mémoire des îles, PARTIR accompagné, Je suis resté vivant ! et Le testament de Tibhirine.
Voici le testament du père Christian, rédigé en 1993 alors que la menace se précise.
S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être, la grâce du martyr que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam.
Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église, précisément en Algérie et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences. Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette joie-là, envers et malgré tout. Dans ce merci où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce merci, et cet à-Dieu envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen ! Inch’ Allah.
Alger, 1er décembre 1993 Tibhirine, 1er janvier 1994 Christian
Alors que les Israéliens manifestent contre le projet de réforme judiciaire de Netanyahou et Ben-Gvir, la Cour suprême israélienne permet l’utilisation de la torture des prisonniers palestiniens par l’État.
Des Palestiniennes manifestent à Gaza en solidarité avec les détenues palestiniennes dans les prisons israéliennes, le 22 décembre 2021 (AFP)
Avant que le gouvernement d’extrême droite ne se lance dans une campagne contre la justice, la presse couvrait peu les activités de la Cour suprême israélienne.
Le 29 décembre 2022, la Cour suprême a une fois encore capitulé face aux demandes de l’État concernant les conditions de détention et plus particulièrement la taille des cellules de prison. Elle a accédé à la demande de l’État et a prolongé, pour la troisième fois, le délai relatif à l’extension de l’espace de vie des détenus, l’amenant au 31 décembre 2027.
Dans la plupart des pays européens, la superficie des cellules de prison standard va de 6 à 12 m² ; en Israël, elle est de moins de 3 m²
En réponse à une requête d’organisations israéliennes de défense des droits de l’homme, parmi lesquelles l’Association pour les droits civiques en Israël (ACRI), la Cour suprême avait décidé en juin 2017 de porter l’espace de vie des prisonniers à 4,5 m² – fixant à l’administration pénitentiaire israélienne une échéance initiale de neuf mois (HCJ 1892/14 ACRI v Public Security Minister).
Dans la plupart des pays européens, la superficie des cellules de prison standard va de 6 à 12 m², alors qu’en Israël, elle est de moins de 3 m².
Le jugement semble admettre que les détenus vivent dans des conditions inhumaines, humiliantes et cruelles. Dans l’exposé introductif de cette décision, le juge Yitzhak Amit écrit que « la société est évaluée… à travers la façon dont elle traite ses prisonniers ». Il fait remarquer que « les priver de leur liberté par l’incarcération ne signifie pas les priver de leur droit à la dignité, qui découle du droit du prisonnier à déterminer l’espace vital minimal ».
Cependant, malgré cette déclaration, la Cour a accepté de maintenir ces conditions cinq ans de plus, lesquels sont devenus dix ans après le jugement initial.
« Inadaptées aux êtres humains »
En 2014, l’ACRI, Physicians for Human Rights (PHR-I) et d’autres organisations avaient déposé une requête devant la Cour suprême pour résoudre le problème de surpopulation carcérale dans les centres de détention israéliens et obliger l’État à augmenter sans délai l’espace de vie des prisonniers à un minimum de 4,5 m² – solution temporaire avant de l’augmenter davantage dans le cadre d’un projet à long terme.
Cette requête spécifiait que les détenus sont contraints de passer des heures dans leur lit, sans pouvoir bouger ou se lever, et que ceux qui partagent une cellule ne peuvent se lever et marcher en même temps dans l’espace restreint.
En conséquence, les prisonniers sont souvent contraints d’effectuer leur routine quotidienne dans leur lit, y compris les repas. Elle affirme aussi que cette surpopulation fait suffoquer les détenus dans les cellules, nuit à leur santé et provoque des frictions entre eux.
Des Palestiniens manifestent en solidarité avec les prisonniers incarcérés en Israël à Gaza, le 7 mars 2023 (Reuters)
C’est loin de l’espace acceptable dans les pays dits démocratiques (8,8 m²) et du minimum adopté par les institutions internationales pour garantir les conditions de vie adéquates et raisonnables mentionnées dans un rapport de 2012 publié par le Comité international de la Croix-Rouge.
Malheureusement, la situation dans les prisons israéliennes n’a pas changé depuis des décennies et l’État n’a pratiquement rien fait pour apporter des solutions ou procéder à des changements.
Dans son rapport annuel 2019-2020, la Défense publique israélienne (branche du ministère de la Justice en charge de défendre les détenus qui n’ont pas les moyens d’engager un avocat) a mis en garde contre la surpopulation carcérale et les atteintes aux droits des détenus. Ce rapport qualifiait les conditions de détention d’« atteinte grave à la dignité humaine ». Il critiquait l’étroitesse des cellules de prison de 2,5 m², faisant valoir que c’est « trop petit, ne serait-ce que pour un prisonnier ».
Le rapport réitère les appels antérieurs à cesser immédiatement de maintenir les prisonniers dans ces cellules, affirmant qu’elles sont « inadaptées aux êtres humains ». Il fait également remarquer qu’une cellule de prison fait aujourd’hui moins de la moitié du minimum approuvé par l’administration carcérale israélienne, autorité qui avait fixé l’espace raisonnable à 6 m².
La Défense publique soutient que ceci affecte non seulement les droits des détenus, mais est aussi contraire aux obligations de l’État, qui doit s’abstenir d’imposer des sanctions dégradantes, inhumaines et cruelles selon les normes fondamentales du droit international.
Non-respect de la décision de la Cour
Le 13 juin 2017, la Cour suprême a ordonné à l’État d’accroître la taille minimale des cellules. Pour faciliter la mise en œuvre de ces réformes, la Cour suprême a divisé le processus en deux étapes : 1. l’État avait neuf mois pour augmenter l’espace de vie des détenus à 3,3 m² (toilettes et douche en sus). 2. l’État disposait de neuf mois de plus pour porter cet espace de vie à 4,5 m².
Cependant, le 5 mars 2018, une semaine avant l’échéance de la première étape, l’État a déposé un recours devant la Cour pour différer sa mise en œuvre à dix ans après la décision initiale, c’est-à-dire en 2027. L’État avançait que respecter le calendrier établi par la Cour impliquerait la « libération massive » de détenus et mettrait la population « en danger ».
Réservé aux sionistes : l’erreur fondamentale du mouvement de protestation en Israël
Les requérants avaient démenti ces affirmations, faisant valoir que l’État n’avait pris aucune mesure pour la construction de nouveaux centres de détention et réaffirmant l’observation de la Cour suprême à propos des lieux inadéquats, pour beaucoup construits avant le Mandat britannique. Ils protestaient également contre la suggestion d’un problème de sécurité publique, qualifiant cela de « vaines menaces visant à intimider la Cour ».
La Cour a vivement critiqué les actes de l’État et initialement rejeté sa demande. Cela a obligé l’État à soumettre un plan de construction de nouvelles ailes pour des centaines de prisonniers de sécurité et une augmentation des libérations administratives qui allait engendrer l’évacuation d’environ 1 000 places d’isolement.
En juin 2018, l’État a mis au courant la Cour de son intention d’utiliser la prison de Saharonim dans le désert du Néguev comme centre de rétention dans le cadre de la première étape de la réforme.
En ce qui concerne la seconde étape (garantir un espace de vie minimum de 4,5 m² pour chaque détenu avant décembre 2018), l’État n’a pas fait le moindre progrès, amenant les organisations de défense des droits de l’homme à demander à la Cour qu’elle exige le respect à la lettre du jugement.
Une faille permettant la torture
Dans une notification en date du 29 juillet 2018, l’État informait la Cour de son projet d’établir d’ici 2026 de nouveaux centres pour l’accueil de prisonniers interrogés par le Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien. Il annonçait également son intention de déposer un recours devant la Cour suprême pour que celle-ci amende son jugement afin d’exempter les installations du Shin Bet de l’obligation d’étendre l’espace de vie des détenus jusqu’en 2027. Actuellement, les cellules du Shin Bet font 2 m² ou moins.
Les requérants représentants diverses associations de défense des droits de l’homme se sont opposés à la demande de l’État, estimant que cette population devait en réalité être la cible prioritaire des efforts d’adaptation des conditions de détention et que retarder l’exécution de ce jugement d’au moins huit ans n’était pas raisonnable.
Le rapport de la Défense publique ordonnait à l’administration carcérale israélienne de cesser immédiatement de maintenir les prisonniers dans ces petites cellules, affirmant qu’elles sont « inadaptées aux êtres humains »
L’État a alors soutenu qu’étendre l’espace de vie des détenus nuirait à la capacité du Shin Bet à obtenir des informations et affecterait vivement le nombre d’enquêtes lancées à la fois.
Paradoxalement, cette justification reposait sur l’aveu complet que l’espace de vie des détenus, inférieur au minimum requis, constitue clairement un outil de torture et de pression pour « obtenir des informations » ou des aveux des détenus palestiniens.
En 2022, une commission parlementaire israélienne a unanimement approuvée par deux fois un projet de loi visant à amender le Code pénal (Pouvoirs d’arrestation, espace de vie dans les centres de détention du Shin Bet) qui exempte également les centres de détention du Shin Bet d’étendre l’espace de vie des détenus comme l’avait ordonné la Cour suprême.
Pour ne rien arranger, le projet de loi suggère l’application de normes secrètes par un responsable et le directeur du Shin Bet. Les organisations de défense des droits de l’homme craignent que ces « normes » ne respectent pas et ne permettent pas de protéger les droits des détenus qui seraient soumis à des conditions de torture en violation du droit international.
Israël a mené une guerre judiciaire contre ses citoyens palestiniens après le soulèvement de mai 2021
Comme énoncé dans ce projet de loi, l’établissement des normes et règles concernant l’espace de vie des prisonniers de sécurité est exercé par le Premier ministre, avec l’approbation du ministre de la Justice et de la commission ministérielle du Shin Bet, ainsi que l’approbation d’une commission spéciale mixte des Affaires étrangères, de la commission de la Défense et de la commission juridique à la Knesset.
Cette proposition a rencontré la vive opposition des organisations des droits de l’homme, et un certain nombre d’entre elles (le Comité contre la torture, HaMoked – centre pour la défense de l’individu – et Physicians for Human Rights) ont soumis le 8 février 2020 leurs observations concernant ce projet de loi au conseiller juridique par intérim. Ils affirmaient qu’il s’agissait de tentatives pour contourner la décision de la Cour et que cette proposition continue d’enfreindre déraisonnablement les droits des détenus et de les discriminer, en particulier.
Ils ont souligné que ces quartiers généraux spéciaux du Shin Bet devaient recevoir davantage d’attention en ce qui concerne la garantie d’un espace de vie, puisqu’ils sont dissimulés aux yeux du public et même de toute surveillance officielle dans la plupart des cas. En outre, les détenus dans ces centres sont souvent privés de rencontres avec leurs avocats.
Cette justification reposait sur l’aveu complet que l’espace de vie des détenus, inférieur au minimum requis, constitue clairement un outil de torture et de pression pour « obtenir des informations » ou des aveux des détenus palestiniens
Les délais réclamés par l’État ont entraîné la Cour dans une spirale. Si celle-ci a bel et bien le pouvoir de repousser les échéances, elle ne peut le faire qu’à de rares occasions.
Comme indiqué dans sa décision, « prolonger les délais pourrait aboutir à une situation dans laquelle la situation illégale existante continue à nuire aux attentes des parties qui comptent sur la Cour et nuire à la fin de l’arbitraire. En outre, les extensions dans les cas non nécessaires nuiront au principe de l’État de droit. »
Cette décision signifie que les détenus et prisonniers des geôles israéliennes continueront à vivre dans des conditions inhumaines et difficiles pendant cinq ans de plus.
Ces conditions, selon le rapport de la Défense publique, « sont considérées comme un abus grave des droits des détenus, de leur dignité, de leur santé et de leur droit à la vie privée, tout ceci étant exacerbé par les conditions de vie difficiles ».
Ce qui est inquiétant, c’est que ces conditions difficiles, lorsqu’elles s’ajoutent à un traitement inhumain, s’apparentent à de la torture, en particulier dans les centres de détention du Shin Bet (exemptés de l’ordre de la Cour) où prévalent le froid extrême, le bruit, les privations de sommeil, les mesures de confinement, les privations de sortie à l’air libre, la mauvaise alimentation, le manque de lits et de couvertures, la mauvaise hygiène et d’autres conditions relevant de la torture.
- Janan Abduest avocate et militante des droits de l’homme basée à Haïfa. Elle cherche à sensibiliser et mobiliser un soutien international envers les prisonniers politiques palestiniens. Ses articles ont été publiés dans le Journal of Palestine Studies ; le trimestriel du Centre d’études sur les femmes de l’Université de Birzeit ; al-Ra’ida (AUB) ; The Other Front (Centre d’information alternatif) ; Jadal (Mada al-Carmel). Parmi ses publications figure Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas (Mada al-Carmel, 2008).
Une enquête réalisée par deux journalistes indépendantes, sous forme de podcast, lève pour la première fois le voile sur des violences sexuelles qu’auraient exercées des rabbins dans la communauté juive orthodoxe française. Les deux premiers épisodes de « Tu ne te tairas point » sont diffusés ce mercredi 22 mars.
Une enquête inédite menée pendant six mois par deux journalistes indépendantes, Salomé Parent-Rachdi et Lila Berdugo. C’est sous la forme d’un podcast (1) dont les deux premiers épisodes sont publiés ce mercredi 22 mars (2), que les deux enquêtrices ont choisi de raconter une réalité, restée jusque-là dans l’ombre : l’existence de violences sexuelles commises par des rabbins, au sein de la communauté juive orthodoxe de France, sensibilité majoritaire en France. Au-delà des récits individuels, les journalistes ont également eu à cœur démontrer les mécanismes d’omerta, communautaires et institutionnels à l’œuvre.
Les auteures du podcast, intitulé « Tu ne te tairas point », ont identifié formellement trois rabbins français orthodoxes qui se seraient rendus coupables, ces dernières années, de violences sexuelles et d’emprise spirituelle sur des femmes juives ou en instance de conversion au judaïsme. L’enquête s’intéresse particulièrement aux agissements d’un ancien rabbin, qui a exercé dans des communautés à Aix-en-Provence et à Grenoble. Celui-ci, qui affichait des positions féministes et progressistes, aurait fait au moins trois victimes, abusant de sa position de responsable religieux pour obtenir des relations sexuelles.
Les témoignages des victimes de ce rabbin se ressemblent : il s’agit de femmes, traversant une période de fragilité personnelle, mettant toute leur confiance dans cette figure de guide spirituel. « Père de famille, cultivé… Il représentait tout ce que je m’imaginais qu’était un homme bien. C’était mon père, mon Dieu, mon rabbin, mon gourou », témoigne ainsi Deborah, dont le témoignage sur les réseaux sociaux en 2020, a suscité à son tour celui d’Hélène.
Il y a quelques années, Hélène 40 ans, traverse une période d’extrême fragilité, après la mort de sa mère. Le rabbin grenoblois devient alors sa « bouée de sauvetage » dans le malheur. « Très vite, il devient la seule personne présente autour de moi, il me témoigne beaucoup d’empathie et de bienveillance », raconte cette catholique qui cherche alors à renouer avec les origines juives de son grand-père. Dans le podcast, elle décrit « le piège » de l’emprise qui se referme sur elle, quand le rabbin la convainc que ses sollicitations sexuelles, sont le fruit de son affection pour elle.
La peur de faire le jeu de l’antisémitisme
Au-delà des cas de rabbins impliqués, les deux journalistes ont souhaité enquêter sur les aspects « systémiques » des violences sexuelles dans la communauté juive : comment se fait-il qu’après une première affaire sexuelle connue du consistoire régional d’Aix-en-Provence, le rabbin mis en cause par le podcast, ait été déplacé à Grenoble, avec comme seule injonction de suivre quelques séances de psychothérapies ? Pourquoi les femmes victimes d’emprise et de violences sexuelles de la part de rabbin craignent-elles toujours de prendre la parole pour dénoncer ces faits-là ?
Les enquêtrices identifient plusieurs facteurs propices, propres à la communauté juive, responsable de l’omerta sur ces sujets. « L’une des premières choses qui va empêcher les victimes de parler, c’est la peur de faire l’enjeu de l’antisémitisme et de nuire à la communauté », explique la journaliste Lila Berdugo.
De fait, Janine Elkouby, agrégée de lettres et présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de Strasbourg, s’est elle même vu accusée de donner du grain à moudre aux antisémites quand elle a publié en 2020, une lettre ouverte intitulée « Rabbins prédateurs… abus sexuels et silence ».
L’écrivaine y dénonçait de nombreuses violences, comme le cas d’un rabbin récemment condamné pour agression sexuelle à deux ans de prison avec sursis, et interdit d’activité professionnelle pour une durée de dix ans, « mais qui continue aujourd’hui d’exercer à Marseille, avec la bénédiction du Consistoire ». Ou encore celui d’un rabbin accusé de pédophilie, actuellement directeur d’un tribunal rabbinique. Enfin, celui d’un rabbin de région parisienne qui aurait profité de sa fonction dans sa communauté pour abuser d’une dizaine de jeunes femmes. Et qui jouit aujourd’hui encore d’une fonction très honorable au sein du Consistoire…
L’expérience de la Ciase comme boussole
C’est à la suite de ce texte, publié par le collectif « Nous pour Elle » que le grand rabbin de France a crée, au sein du Consistoire israélite de France, une commission contre les violences sexuelles qui s’est réunie la première fois à l’été 2022. Haïm Korsia, explique au micro des journalistes de « Tu ne tairas point » combien l’expérience catholique l’a marqué et encouragé dans cette voie : « Ayant été auditionné par la Ciase, j’ai pu voir la souffrance de l’institution catholique qui n’avait pas mesuré le phénomène des violences sexuelles en son sein. Je me suis dit qu’il fallait que je crée quelque chose qui ressemble à la Ciase, pour que cette parole ne vienne pas trop tard, ainsi que pour envoyer un signal à la communauté juive de France. »
Parmi les autres maux identifiés par les journalistes, pouvant favoriser la commission d’abus sexuels, se trouvent également l’absence de formation à l’affectivité dans les séminaires rabbiniques français, ou l’aversion pour le « lachon hara », (« langage du mal » en hébreu), un péché de commérage particulièrement honni dans le judaïsme, réprimant de parler négativement d’autrui, même si ce que l’on dit est vrai.
« On avance vers une libération de la parole mais nous en sommes qu’aux prémices », estiment les deux journalistes, qui espèrent que leur enquête pourra faire progresser la liberté de parole sur ces sujets dans les communautés orthodoxes.
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