Citoyen d’honneur, fiction drôle et sensible portée par Kad Merad et Fatsah Bouyahmed, aborde les questions d’identité et d’héritage culturel, dans une Algérie vacillant entre jeunes espoirs et corruption.
Citoyen d’honneur
de Mohamed Hamidi
Film français, 1 h 36
Le renouveau a toujours été d’abord un retour aux sources », professait l’écrivain français Romain Gary. Rien n’est plus vrai pour Samir Amin, joué par Kad Merad dans Citoyen d’honneur, du réalisateur Mohamed Hamidi. Écrivain à succès, Samir vient de remporter le prix Nobel de littérature. Mais, bientôt, c’est la panne d’inspiration. Jusqu’au jour où il reçoit une lettre qui l’invite à Sidi Mimoun, son village d’enfance en Algérie, pour recevoir le titre de « citoyen d’honneur ». Son retour, trente-cinq ans après sa dernière visite, ne plaît pas à tous les habitants…
Si Kad Merad interprète à merveille l’écrivain bourru, Fatsah Bouyahmed (La Vache, 2016), qui incarne Miloud, le guide de l’écrivain à Sidi Mimoun, ravit par son jeu tout en nuance et en candeur. Le duo fonctionne, et donne lieu à des scènes cocasses. Quand, par exemple, coincé en voiture face à un troupeau sans berger, Miloud envoie « courageusement » Samir à la bataille. « Trouve le chef et discute avec lui ! », lance-t-il. Car Miloud a une phobie, qui fait qu’il s’accroche à son volant : les moutons…
Des seconds rôles lumineux
Adapté du film argentin El Ciudadano Ilustre (2016) de Mariano Cohn et Gastón Duprat, Citoyen d’honneur est une déclaration d’amour à l’Algérie. Portés par une bande originale d’Ibrahim Maalouf, qui rappelle certaines comédies d’Ettore Scola, les dialogues font sourire, et parfois touchent. Notamment dans cette scène où Samir Amin et Miloud visitent le petit cimetière du village. Jamel Debbouze, qui interprète le gardien, leur en présente les « habitants », avec pour chacun une anecdote, drôle ou émouvante.
Les jeunes seconds rôles, lumineux, apportent de la profondeur à Citoyen d’honneur, dont le scénario reste parfois trop en surface. Mehdi et Selma, joués respectivement par Brahim Bouhlel et Oulaya Amamra, sont tous deux étudiants. Le premier, écrivain en devenir et réceptionniste d’hôtel pour payer ses études, donne une touche de poésie au film. La seconde, rappeuse révoltée, incarne la jeunesse algérienne en prise avec une administration corrompue, dans un pays qui semble pouvoir s’enflammer à la moindre étincelle.
Les questions de l’identité et de l’héritage culturel sont centrales dans le film de Mohamed Hamidi. « Est-ce que l’on peut bien raconter un pays alors que l’on vit à l’étranger ? », interroge la jeune Selma. En interprétant Samir Amin, Kad Merad revient aussi sur ses propres origines. L’acteur, né en Algérie et fils d’ouvrier, confiait sur TF1 sa tristesse à l’idée que son père, décédé un an plus tôt, ne verrait pas la sortie du film : « Je voulais lui montrer que même si je n’y ai pas vécu et ne parle pas la langue, l’Algérie compte pour moi. »
Avec ce « focus Israël », Orient XXI commence la publication d’une série d’articles inédits qui traitent des conséquences du mouvement d’opposition aux projets du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, provisoirement suspendus lundi 26 mars 2023.
Tel-Aviv, 26 mars 2023. Rassemblement contre la réforme de la Cour suprême israélienne
Monique Hervo avait consigné la mémoire des bidonvilles algériens, avant de prendre la nationalité algérienne. On a appris sa mort le 20 mars.
A la date du 16 juillet 1961, une Française de trente-et-un ans née dans une famille de petits commerçants pas vraiment militants avait inscrit dans son "Journal" des phrases comme : "La journée de dimanche fut très particulière : attente, angoisse, calme de surface.“ Evoquant les harkis qui s'étaient installés dans les allées du bidonville de Nanterre, cette jeune femme qui venait de dédier sa vie à la cause de l'indépendance algérienne mais que personne encore ne connaissait, poursuivait encore : "On les rencontrait à tous les coins, à tous les détours des baraques. Pas l'animation habituelle du dimanche. Allée des célibataires : pratiquement désertes. Ailleurs, aussi, chez les familles, on n'entendait pas les postes arabes qu'on entend d'habitude de partout". Un feu couvait ce dimanche de juillet, qui se révèlera meurtrier, quelques semaines plus tard, lorsque des Algériens seront jetés à la Seine, le 17 octobre 1961. Cette date sera la plus traumatique de la guerre d'Algérie sur le sol de métropole, et pourtant elle restera, des décennies durant, l'ornière d'une mémoire enfouie, d'une histoire taboue, et l'évidence muette de responsabilités dérobées.
Parcourir le "Journal" que tenait, les semaines précédentes, cette jeune femme qui s'appelait Monique Hervo, c'est remonter le film et mieux comprendre la séquence. C'est prendre la mesure du sort que la France faisait à ces Algériens qui le 17 octobre 1961, avaient défié la police en manifestant pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qu'on venait de leur imposer. Un grand nombre d'entre eux étaient partis du bidonville de Nanterre, où ils vivaient par milliers, pour rejoindre l'Opéra, les "grands boulevards", et ce Paris qui au fond n'était pas le leur. Le lendemain, à la date du 18 octobre, Monique Hervo, la jeune femme, écrivait dans son "Journal" : "Sorties de l’hôpital de Nanterre – Aux lendemains de la manifestation les blessés par balle, à la sortie de l’hôpital, voient donner leur bulletin de sortie directement remis à la police qui "cueille" le blessé et l’emmène, croit-on savoir, pour trois ou quatre jours à Vincennes. D’ailleurs dans tous les hôpitaux, la police consulte la liste des arrivées et sorties des Algériens. C’est classique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la majorité n’ira pas se faire soigner à l’extérieur, même dans un dispensaire, de peur de se faire arrêter. A la Folie, dans toutes les baraques des célibataires, il y a des blessés, même gravement atteints, des fractures." Le texte se poursuit, il comble un manque.
A posteriori, l'archiviste Anne-Marie Pathé décrira ces liasses de documents qui datent de 1961 comme des "prémices”. Car avec le recul du temps, ce journal et quantités d'autres archives produites par cette jeune trentenaire nous racontent rien moins que le 17 octobre 1961 en train de poindre à l’horizon. C’est-à-dire, la répression policière des Algériens dans cette France d’avant les accords d’Evian, où les autorités entendaient circonscrire l’activité politique de ceux qu’on appelait encore “musulmans d’Algérie” .
Changer l'histoire de bain
Entre le début de la guerre d’Algérie, en 1954, et le cessez-le feu, en 1962, le nombre d’Algériens sur le sol de métropole avait spectaculairement augmenté, passant de quelque 211 000 à environ 350 000 personnes (selon les chiffres du Musée de l’histoire de l’immigration). Plus d'un était arrivé avec pour seule destination, griffonnée sur un coin de papier de l'autre côté de la Méditerranée, ces mots : “Nanterre, la Folie” . A une poignée de kilomètres de l'Arc de triomphe, "La Folie" n'avait rien d'un paradis : vu de plus près, c'était un bidonville. Mais souvent, là-bas, ça ne se savait pas. Ce sont ces hommes et ces femmes qui se découvrent dans ces “prémices” jalonnés, douze années durant, par Monique Hervo. Grande dame de la mémoire algérienne, elle qui pourtant était française, avait décidé d'enregistrer la trace de cette histoire. Alors qu’on a appris la mort de cette militante infatigable, le 20 mars 2023, c’est à leur histoire à eux tous qu'on accède en suivant sa trajectoire à elle, née à Paris dix ans avant la Seconde guerre mondiale qu’on accède en suivant sa trajectoire à elle, née à Paris dix ans avant la Seconde guerre mondiale. On peut désormais aller au Campus Condorcet, et consulter les seize cartons qui sont consignés dans un fonds à son nom à l’Humathèque, la bibliothèque de sciences humaines et sociales du nouveau campus universitaire au nord-est de Paris. C’est là que plusieurs laboratoires ont déposé leurs archives. Or Monique Hervo, en 2008, avait fait don à l’Institut d’histoire du temps présent de ses archives, auxquelles Anne-Marie Pathé et l’historien Jim House avaient mis de l’ordre pour que justement elles soient exploitables.
Le fonds Monique Hervo, en effet, est riche et surtout, utile. Empruntant ces “prémices”, on suit à la fois une répression en train de se faire, et en même temps l’ordinaire de la relégation en marche. Se dévoilent alors quelques hectares en lisière de capitale qui paraissent inouïs et dont pourtant tout le monde connaissait l'existence. Ce sont ces vies anonymes qui soudain se déploient derrière un nom et les prénoms d'enfants en grand nombre, au travers de descriptions de logements, une pièce tout compris, et puis encore quand il est question des maladies, des papiers, du travail, des promesses, ou de la trace de ce qu’on a laissé derrière et soi et qui souvent ne se dit pas.
Pénétrer dans les archives de Monique Hervo, c'est plonger dans le petit quotidien du bidonville de Nanterre, qui en cette fin des années 1950 abritait environ deux tiers d’Algériens et un tiers de Marocains. C'est aussi se rendre à l'évidence de l'intensité de la surveillance policière, et de tout ce que la préfecture avait pu sous-traiter à ces harkis qui, par dizaines, avaient été missionnés là pour faire respecter l'ordre colonial. Un jour au mois de septembre 1961, des Algériens qui occupaient un vieil hôtel modeste de Nanterre avaient été délogés, envoyés en centre de tri : c’est un poste de surveillance confié aux harkis qu’on avait installé là où ils dormaient, là où ils vivaient. Monique Hervo l'avait écrit, elle avait tout décrit. Dans le journal que tenait la jeune femme, les jours se suivent, et le 17 octobre 1961 approche à la cadence sourde d’un massacre dont, à la lire, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il ne devait pas tant que ça au hasard.
Mais bien avant d'être une source pour mieux faire l'histoire et combler ses creux et ses fossés, dans les années 1960 et 1970, ces papiers avaient déjà compté parmi les très rares traces d’un monde négligé. Au présent. Car Monique Hervo n’était pas historienne, même si c’est dans des archives académiques qu'on retrouve désormais sa trace. Après la Libération, c’est aux Arts Déco de Grenoble, puis aux Beaux-Arts de Paris, qu’elle avait fait ses études. Mais elle qui faisait du scoutisme avait participé, à la fin de la guerre, à l’accueil des déportés de retour à Paris. De cette permanence logée gare de l’Est sur le coup de ses seize ans, l'ancienne guide fera finalement une vocation : dix ans plus tard, on la retrouve, investie dans l’alphabétisation des travailleurs nord-Africains, à donner des cours du soir.
Sa vie en sera changée pour de bon : d’abord volontaire bénévole au Service civil international, elle finira par y rester comme salariée. Nous sommes au seuil des années 1960, et autour de Paris, un no-man’s land à des années-lumière des villes nouvelles se hérisse de bidonvilles. C’est là qu’on loge la main d’œuvre algérienne, une décennie ans avant mai 1968, qui naîtra à l'université de Nanterre à peine sortie de terre, entre les grues. Dix ans plus tôt, Monique Hervo s'était déjà installée dans les baraquements.
Monique Hervo avait mis les pieds à "Nanterre-La Folie" en 1959 pour la toute première fois. Elle avait lu dans France Soir qu’un incendie avait ravagé une partie du bidonville. Jeune Parisienne d'une capitale pas encore cerclée des anneaux du périphérique, elle avait sursauté : ainsi y avait-il en lisière de Paris des bidonvilles ? Très rapidement, elle dont la famille avait connu l'exode rural deviendra la témoin privilégiée de cette vie des bidonvilles et en même temps l’habitante des baraques bancales, mitoyenne d’une vie qui n’était pas partie pour être la sienne.
Etablie là comme d’autres le feront à l’usine, c’est ainsi au ras du sol que Monique Hervo œuvrera. Elle sait écrire ? La voilà qui rédige des textes à destination de la presse - qui ne seront pas tous envoyés aux rédactions, et resteront parfois à l’état de brouillon. Elle ne sait pas construire ? Qu’à cela ne tienne : comme une poignée d’autres volontaires du service civil, elle apprend à Nanterre à manier la truelle et des rudiments de charpente. Douze ans durant, elle vivra là, dans le quotidien de ce monde de fortune qui travaille à sa survie de jour comme de nuit. Mais qui, souvent, pointe à l’usine tout le reste du temps.
En 1971, lorsque le gouvernement finit par proclamer l’ère des bidonvilles révolue et raser la Folie, Monique Hervo y vit toujours. On la retrouvera, quelques mois plus tard, dans le petit collectif qui fonde le GISTI, le groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés, avant qu'elle ne rejoigne ensuite la Cimade, salariée. Mais c'est d'abord pour son legs et la manière dont elle a changé notre regard sur l'histoire algérienne qu'on se souvient à présent de son nom. C’est en effet parce que Monique Hervo a enregistré, saisi, consigné cette histoire algérienne des bidonvilles qui jusqu’alors ne s’écrivait pas, qu’une trace a pu se frayer un chemin. Seize cartons au total rejoignaient ainsi les archives de l’Institut d'histoire du temps présent en 2008 et, c’était considérable : en 1965 par exemple, Monique Hervo avait fait passer un questionnaire aux familles. Leurs réponses et tout ce qu'ils et elles ont pu lui livrer à elle, cette voisine qui les connaissait et qui s'était mise en tête de leur donner la parole, représentent une source inestimable d'une histoire qui aurait pu rester bien plus lacunaire.
Des photos, et des légendes
Au même moment, une précieuse collection de photos prises par la militante rejoignaient les rayonnages de “La Contemporaine”, le centre d’archives installé à deux pas de la fac de Nanterre… sur les lieux même où Monique Hervo et des milliers de familles algériennes avaient vécu - loin de tout. Parce que Monique Hervo avait aussi mitraillé le bidonville au ras du sol et dans la vie de tous les jours, on peut désormais les consulter, s'approprier des images, une empreinte rétinienne, et transmettre à notre tour une mémoire qui s'incarne.
Dans le fonds Monique Hervo, des légendes précises accompagnent ces photos. On y trouve aussi des cartes et ces plans que, des années durant, elle aura soigneusement consignés. Une géographie alternative brave l'invisible alors qu'à l'époque la carte officielle de Nanterre ne détaillait rien du bidonville. Au point que souvent, les médecins appelés au chevet des malades ne trouvaient par leur chemin. Cette cartographie dit "je, nous, vous", à une époque où seuls les journaux, dans de rares entrefilets, et des rapports de police parlaient du bidonville - mais plutôt en disant "eux".
Grâce à tous ces documents sans équivalent, on peut désormais faire l’histoire de cette époque, et de ces gens-là. “Tout comme les écrits, les documents iconographiques ont vocation de preuves : “Tout cela a bien existé”, écrivait l’archiviste Anne-Marie Pathé, dans le carnet de recherche en ligne de l’IHTP des années avant la mort de Monique Hervo. Ce sont des preuves au sens propre, autant que figuré. Car de fait, il a un jour fallu faire la preuve et Monique Hervo a témoigné devant la justice du sort qu’on avait fait aux Algériens, aux Algériennes, au tout début des années 60 : c’était lors du procès que Maurice Papon avait intenté en 1999 à l’historien Jean-Luc Einaudi, bien seul à l’époque dans son entreprise de mise en évidence du massacre du 17 octobre 1961.
Si tant d’Algériens étaient morts dans cet épisode assourdi, six mois avant les Accords d'Evian qui mettront fin à la guerre d'Algérie, c’est bien parce que cette soirée de répression brutale d’une manifestation pacifique était tout sauf un épisode isolé : en découvrant ces textes méthodiquement tapés à la machine, jour après jour, on mesure que dès le mois de juin de cette année 1961, le maintien de l’ordre tenait bien du harcèlement. C’est cette répression à bas bruit et à grande échelle qu’on palpe en parcourant les sources que la militante de terrain a laissées.
Ce sont là des sources pour les historiens désormais au travail. Mais ce sont aussi autant d’archives pour tout le monde, à commencer par les journalistes : à mesure que la trace du bidonville "Nanterre - La Folie" se fait jour entre les liasses de papier d’apparence modeste ou dérisoire, c’est l’histoire qui se redresse. Ce sont aussi des voix qui sortent de l'obscurité, et une présence sensible qui se manifeste. Car l'inventaire Monique Hervo recèle encore un trésor plus rare : des archives sonores, consignées aussi tandis qu’elle vivait là, engagée volontaire dans les replis de l’urbanisation parisienne. En 2010, avec toute l’équipe de La Fabrique de l’histoire, Emmanuel Laurentin avait produit deux heures d’émission sans précédent, sur France Culture : La Fabrique de l’histoire avait plongé dans les cartons de Monique Hervo, et enregistré son témoignage, alors qu’elle allait avoir 80 ans.
La plupart des traces qu'il reste de Monique Hervo datent de ces années-là. En mars 2012, une BD paraît, Demain, demain, co-signée avec Laurent Maffre, racontant son histoire et de celle de "La Folie-Nanterre", et d’autres viendront à leur tour consigner cette histoire méconnue. Les historiens, en effet, savaient la valeur de ce qu’elle venait de léguer à l’IHTP. Et dans les archives de la revue Plein droit, du GISTI, par exemple, on retrouve le chercheur Pascal Blanchard qui lui propose un entretien : parce que Monique Hervo vieillissait, il était urgent de recueillir l’histoire de celle qui avait recueilli l’histoire des autres.
C’est ainsi à la manière de poupées russes que l’histoire du bidonville s’est écrite grâce à cette militante qui finira par prendre la nationalité algérienne. Un pied de nez à une histoire douloureuse de part et d'autre de la Méditerranée : Monique Hervo avait été l’une des rares à dire à voix haute le chantage dont les Algériens faisaient l’objet. Car tandis que les autorités les ballottaient d’un mois sur l’autre, puis de saison en saison, en leur faisant miroiter qu’un logement en dur était imminent, à peine venue l’indépendance, la question du logement avait été soumise à un pré-requis : les habitants du bidonville devaient renoncer à leur nationalité algérienne.
Ainsi, c’est d’une dignité qui fait mauvais ménage avec le réel que nous parlent aujourd’hui les archives de Monique Hervo. Ce que disent les habitants du bidonville à cette voisine qui vient leur poser des questions armée du magnétophone qu'elle s'était acheté avec ses économies, c'est l’exiguïté de logements de 6 mètres carré où pas même une armoire ne rentrait - et alors fallait-il éternellement vivre dans des valises. C'est l’impossibilité de recevoir chez soi, la fatigue, et aussi ces ordures que Paris avait décidé d'entasser là, au ras des baraquements. C'est la queue qu'il fallait faire, à cinquante en rang d'oignons dans le froid et la boue, pour accéder à la fontaine dans un creux défoncé du terrain, parce qu’au bidonville “La Folie”, il n’y aura jamais eu qu’un seul point d’eau.
Sans relâche et jusqu'à l'évacuation du bidonville, en 1971, Monique Hervo aura cherché à leur faire dire le maximum. Le concret, et puis aussi la honte. A la même époque exactement où, dans Le Joli mai, Chris Marker et Pierre Lhomme faisaient tourner le micro auprès des Parisiens pour savoir s'ils étaient heureux, elle leur demandait à eux, les Algériens, les Algériennes : "Vous avez honte ?" Et bien sûr, la militante, qui n’était ni sociologue, ni documentariste, parfois insistait sans doute un peu, suggérait ses mots à elle, relançait pour faire surgir dans la parole tout ce qu'elle connaissait, elle, hors champ.
N’empêche : cette parole qu’elle aura gravée sur des bandes aura une valeur immense parce qu'une voix inédite, soudain, s’exprimait. Et c'était si inédit d'écouter dire, par exemple, le mal que ça pouvait faire, quand on était ouvrier du bâtiment, et qu’on vivait là dans des cahutes mal foutues avec la trouille, chaque nuit, d’un départ de feu ou d'un toit qui flanche. Alors que pourtant, construire en dur, on était fier de savoir le faire. En tendant une oreille plus attentive, on accède aussi à un double discours, et parfois à un marché de dupes : si ces ouvriers n’ont pas construit, c’est bien parce qu’on n’aura cessé de leur promettre que la semaine prochaine, pour de bon, il serait relogés. Et sur ces archives sonores qu'il nous reste, leurs mots ne font aucun doute : payer un loyer, ils en avaient les moyens, et ils en étaient d’accord.
Changer la vie, changer sa vie
En 1964, le gouvernement Debré avait fait voter une loi pour éradiquer les bidonvilles. Mais il faudra attendre 1971 pour que le bidonville soit rasé. L'actualité est encore chaude, lorsque le travail de documentation obstiné de Monique Hervo trouve alors sa première audience : François Maspéro publie en 1971 Bidonvilles, un récit circonstancié à hauteur d’hommes, de femmes, d’enfants, signé par Monique Hervo et sa co-autrice, Marie-Ange Charasse. Il faut replonger dans ce livre pour prendre la mesure de ce que cela aura pu changer, que cette femme soit venue s'établir parmi ces ruelles. Alors que durant toutes ces années d'enclavement, personne n'avait eu le droit de pénétrer dans le bidonville à l'exception d'une poignée de médecins et de cette assistante sociale tenace qui se défiait du contrôle social et qui s’appellait Brigitte Gall, la présence de ces volontaires du service civique faisait toute la différence.
Mais ce qu’on comprend en écoutant le témoignage de Monique Hervo, au micro de LaFabrique de l'histoire, quarante ans plus tard, c’est que sa vie à elle aussi en aura été changée : en novembre 2009, Monique Hervo racontait combien il lui avait d’abord semblé difficile de “faire sa place” dans le combat pour l’indépendance de l'Algérie. Les hommes, en effet, pouvaient se revendiquer objecteurs de conscience, se récrier du service militaire, refuser de servir sous les drapeaux, appelés du contingent d’un conflit qui avait démarré en 1954 et qui n’en finissait pas. Mais les femmes ? Ce dont Monique Hervo témoignera, avec le recul d'une vie entière, c’est qu’être établie auprès de ces populations reléguées, c’était aussi trouver sa place, son rôle, une utilité. Qui passera notamment par le fait de dénoncer sans relâche les relents de colonialisme dans la gestion de l’immigration - même une fois passé le temps des indépendances.
À présent que Monique Hervo est morte, c’est finalement à une kyrielle de rapports de force qui s’emboîtent et parfois se réverbèrent, qu’on a ainsi accès en la découvrant à travers ses livres ou ses archives. Et parce que La Fabrique de l’histoire avait plongé dans les cartons de l’IHTP, couru faire des copies des bandes si précieuses qui venaient d’y être déposées, des extraits de ces archives sonores sont désormais accessibles en ligne, et s’entremêlent aux archives de la radio publique. Vous pouvez accéder aux deux émissions tirées d’un long entretien avec Monique Hervo, ainsi qu’à une partie des entretiens qu’elle-même avait menés parmi ces voisins, en découvrant ces deux épisodes de la Fabrique de l’histoire, qui n’ont pas pris une ride. De source, elle était devenue actrice de cette histoire.
Trois ans après sa désignation comme ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra a quitté le gouvernement algérien. Retour sur un changement loin d’être anodin.
Au milieu de l’après-midi du jeudi 16 mars, les chaînes de télévision privées et officielles algériennes ont commencé à diffuser un spot rouge, en gros caractères, un flash : la présidence de la République annonce un « remaniement imminent » de l’équipe gouvernementale.
À ce moment-là, la seule question qui taraude les journalistes et les observateurs est de savoir qui devrait remplacer le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra. Plus que pour ses dix autres collègues écartés du gouvernement, son sort était scellé depuis plusieurs semaines déjà.
À Alger, beaucoup de journalistes et diplomates savaient en effet depuis plusieurs mois que Ramtane Lamamra était sur un siège éjectable. Diplomate chevronné, connaisseur des rouages de l’Union africaine et des Nations unies, celui qui a incarné la diplomatie algérienne ces trois dernières années n’était visiblement pas dans les bonnes grâces du chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune.
Dès sa première année de présidence, ce dernier avait en effet porté son dévolu sur un autre diplomate reconnu, Sabri Boukadoum, pour être le ministre des Affaires étrangères. Mais l’Algérie avait une grande ambition diplomatique que seul un homme de l’envergure de Lamamra pouvait faire aboutir, pensait-on dans l’entourage présidentiel.
Le président de la République s’était donc résigné à rappeler l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Abdelaziz Bouteflika. Charismatique, homme de réseaux et polyglotte, Lamamra, 70 ans, a surtout ses entrées en Afrique, continent qu’Abdelmadjid Tebboune ambitionnait de reconquérir.
« Des ambitions présidentielles » ?
Mais au bout de quelques mois, les dissensions commencent à apparaître. Dans certains cercles algérois, on susurre que le ministre des Affaires étrangères nourrit « des ambitions présidentielles ». Et qu’elles dateraient déjà de 2019, après la chute d’Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission par une révolte populaire, le hirak.
Alors, à défaut de le limoger, on lui met des bâtons dans les roues. « Certaines décisions sont prises à son insu. Pis, on demande en outre aux médias gouvernementaux de ne pas médiatiser ses activités », rapporte une source diplomatique à Middle East Eye.
Agacé, Lamamra a « remis sa démission à trois reprises » au cours de l’année dernière, atteste à MEE un ancien ministre qui le connaît bien. D’après lui, cependant, l’homme « n’oserait jamais se porter candidat à la présidentielle si M. Tebboune se présentait ».
« Certaines décisions sont prises à son insu. Pis, on demande en outre aux médias gouvernementaux de ne pas médiatiser ses activités »
- Une source diplomatique
À chaque fois, pour « raison d’État », la démission du ministre des Affaires étrangères est rejetée. Il finit toujours par réapparaître après plusieurs jours, voire des semaines, durant lesquels il s’éclipse en effectuant souvent des tournées dans des pays africains ou arabes.
Ce jeu du chat et de la souris entre l’ancien commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine et l’entourage présidentiel algérien dure plusieurs mois. Mais début février, les événements s’accélèrent.
Le 8, les médias algériens et français rapportent que l’activiste et opposante algéro-française Amira Bouraoui a réussi à quitter la Tunisie avec l’assistance consulaire de la France. Cela provoque une nouvelle crise entre Paris et Alger. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères évoque une « colère » des autorités algériennes, qui accusent des « services de l’État français » d’avoir « exfiltré » l’activiste vers la France.
Quelques minutes après, c’est la présidence de la République qui annonce le rappel de l’ambassadeur algérien à Paris « pour consultation ». Dans les cercles initiés, on assure que cette levée de boucliers s’est faite sans l’assentiment du ministre des Affaires étrangères, dont la longue éclipse a d’ailleurs coïncidé avec cette date.
Remplacé par « un homme de compromis »
Au lendemain de cette nouvelle brouille entre Alger et Paris, les médias algériens annoncent que « le président de la République a opéré un mouvement dans le corps diplomatique ayant touché des ambassadeurs et consuls généraux de plusieurs capitales dans le monde ».
Une nouvelle fois, la présidence de la République n’aurait pas associé le chef de la diplomatie à cette opération. D’autres sources médiatiques avancent une version différente. « Lamamra a présenté une liste d’ambassadeurs et consuls que la présidence a refusée en lui en substituant une autre », indique à MEE un journaliste qui connaît les rouages de la diplomatie algérienne.
D’autres sources évoquent une raison supplémentaire à cette rupture : le président algérien a décidé d’attribuer un budget de 1 milliard de dollars à l’Agence algérienne de coopération internationale – rattachée à la présidence – pour financer des projets de développement dans certains pays africains. Lamamra n’aurait pas apprécié et « aurait demandé que le dossier soit géré par son département », confie un journaliste à MEE.
Comme à chaque coup du sort, Ramtane Lamamra garde le silence. Il préfère se retirer de la scène publique. Cette éclipse n’est interrompue que brièvement pour recevoir, le 23 février, les copies des lettres de créance des nouveaux ambassadeurs accrédités à Alger.
Il assiste également à une cérémonie organisée en l’honneur de membres de la Protection civile algérienne qui ont pris part au sauvetage des populations sinistrées par le séisme en Turquie et en Syrie.
Mais en dehors de ces rendez-vous, toutes les autres réceptions, y compris celles de ministres venus à Alger, sont assurées par le secrétaire général du ministère, Amar Belani.
Les spéculations vont alors bon train sur un retrait de Lamamra, certains pensant à une possible « maladie ». Cependant, le 11 mars, les doutes commencent à se dissiper. Lors de la venue du président ougandais, Yoweri Museveni, à Alger pour une visite d’État, c’est encore Amar Belani qui est chargé de l’accueil, aux coté du président Abdelmadjid Tebboune et d’autres hauts responsables.
Le lendemain, les images de l’arrivée à l’aéroport d’Alger du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sont saisissantes : Josep Borrell ne trouve pour l’accueillir qu’un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.
Émissaire de l’ONU en Libye : à travers le blocage de Lamamra, c’est l’Algérie qui est ciblée
Puis, le programme de la visite du responsable européen est amputé d’un déjeuner initialement prévu avec le ministre algérien des Affaires étrangères. C’est encore une fois Amar Benali qui supplée le chef de la diplomatie lors d’un repas partagé entre M. Borrell et M. Tebboune.
Désormais, il ne s’agit plus de savoir si Ramtane Lamamra quittera le gouvernement, mais quand. Dans les chancelleries et les couloirs des rédactions algéroises, on commence à conjecturer sur l’identité du futur ministre des Affaires étrangères.
Contre toute attente, Abdelmadjid Tebboune n’a pas nommé Amar Belani en remplacement de Ramtane Lamamra, comme le suggéraient des médias et diplomates, dont des accompagnateurs de Josep Borrell. Le président a rappelé un ancien titulaire du poste, Ahmed Attaf. Ministre des Affaires étrangères de 1996 à 1999, cet homme de 71 ans avait pourtant quitté toute fonction officielle depuis plus de 24 ans.
Réputé être « un homme de compromis », il est aussi connu pour être un diplomate « à l’ancienne » qui « n’est pas clivant ». Des qualités qu’il n’a pas encore démontrées puisque depuis sa prise de fonctions, il n’a pas encore fait connaître ses actions. Quant à Lamamra, certains lui prédisent déjà un futur « prometteur », tandis que d’autres estiment que sa carrière est terminée, même si l’avenir peut réserver des surprises.
L’initiative de la Chine oblige les Américains et les Occidentaux à reconnaître son influence croissante au Moyen-Orient.
Le président chinois Xi Jinping assiste à la présentation des membres du nouveau Comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois, le 23 octobre 2022 (AFP)
À l’aube du troisième mandat du président Xi Jinping, entamé à la mi-mars, il semblerait que la Chine ait abandonné sa politique étrangère autrefois discrète et cherche désormais à s’affirmer en tant qu’État impérial qui préserve ses intérêts à l’échelle mondiale.
La projection de cette image est au cœur de l’ambitieuse initiative de nouvelle route de la soie dessinée par le pays.
L’Iran, destination terrestre essentielle de ce projet, revêt une grande importance, tandis que l’Arabie saoudite et la région du Golfe forment des maillons clés de la route maritime de la soie.
La Chine cherche désormais à s’affirmer en tant qu’État impérial qui préserve ses intérêts à l’échelle mondiale
La visite cruciale de Xi Jinping à Riyad à la fin de l’année dernière a été déterminante pour ouvrir la voie à une percée dans l’impasse de longue date entre l’Arabie saoudite et l’Iran.
Initialement, l’Iran et les États-Unis étaient préoccupés par les liens croissants entre la Chine et l’Arabie saoudite et avaient des points de vue divergents à ce sujet. Cependant, la visite de Xi Jinping a changé la donne et a permis à la Chine de négocier un accord visant à rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays clés du Moyen-Orient après sept ans d’éloignement et d’escalade.
L’intérêt stratégique de la Chine au Moyen-Orient réside dans l’obtention de sources et de marchés dans le secteur des énergies. Elle est le premier acheteur de pétrole brut saoudien, avec des importations de 81 millions de tonnes en 2021, pour un montant de 43,93 milliards de dollars.
Le rôle affaibli des États-Unis
La Chine ne cherche pas à nuire au rôle américain au Moyen-Orient, mais profite du déclin relatif de l’influence américaine dans la région, en particulier des changements intervenus sous les trois derniers présidents américains.
Obama a donné la priorité à un accord sur le nucléaire avec l’Iran au détriment des intérêts de l’Arabie saoudite et du Golfe. Sous Obama, les alliés de l’Iran dominaient l’Irak, la Syrie et le Liban, tandis que les Houthis au Yémen progressaient vers Bab el-Mandeb.
Donald Trump a annulé l’accord avec l’Iran et lancé un faible projet de paix avec Israël qui a mis à mal le principe de « la terre contre la paix » et placé l’Arabie saoudite, dont l’Initiative de paix arabe était fondée sur ce concept, dans une situation embarrassante.
Rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, après plus de quatre décennies de tensions
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Le président américain Joe Biden, qui s’était engagé durant sa campagne électorale à renouer les liens avec l’Iran et à traiter l’Arabie saoudite comme un État paria, s’est retrouvé à Riyad pour demander au prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane d’augmenter la production de pétrole dans le contexte des retombées de la guerre en Ukraine et a reçu un accueil glacial de la part du royaume.
Après ces trois expériences, la Chine s’est ouverte à l’Iran, à l’Arabie saoudite et à Israël, au détriment du rôle américain dans la région.
Les États-Unis ne cessent d’exprimer leur inquiétude quant à l’influence croissante de la Chine dans la région, notamment en ce qui concerne ses liens avec l’Iran, qui entretient des relations tendues avec Washington depuis la révolution islamique de 1979, ainsi que ceux avec l’Arabie saoudite, allié de longue date des États-Unis avec lequel des tensions sont toutefois apparues sous Obama et Biden.
De même, Washington exerce des pressions persistantes pour limiter le développement de la coopération économique sino-israélienne.
Si la Chine connaît des différends avec des voisins proches tels que l’Inde, le Japon et le Vietnam et cherche à établir un réseau d’influence en Asie centrale, baptisé « Sinostan » dans un livre de Raffaello Pantucci et Alexandros Petersen, elle doit également coexister avec l’hégémonie russe dans cette région. Cependant, le Moyen-Orient représente une vaste opportunité pour la Chine en raison de ses ressources abondantes et de sa position stratégique.
Alors que la Chine œuvre à la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, il convient de se demander s’il ne s’agit pas d’un moment historique comparable à la rencontre sur le croiseur USS Quincy en 1945 entre le fondateur de l’Arabie saoudite, le roi Abdelaziz ben Saoud, et le président américain Franklin D. Roosevelt, qui a forgé une alliance durable entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Aujourd’hui, les efforts déployés par la Chine pour rétablir les relations irano-saoudiennes soulèvent la question de savoir si le moment passé par Xi Jinping avec MBS pourrait être un prélude à une « quatrième » itération de l’État saoudien – après la « troisième » de son grand-père –, fondée sur une diversification des relations économiques et des intersections politiques du royaume à l’échelle mondiale, à la suite d’une relation de longue date avec les États-Unis en tant que principal partenaire mondial.
Des opportunités et des obstacles
La récente entreprise chinoise visant à réconcilier l’Arabie saoudite et l’Iran soulève également des questions quant à la portée de cette réconciliation. Visera-t-elle uniquement à rétablir le statu quo d’avant 2016 ou amènera-t-elle une résolution des conflits par procuration qui gangrènent la région dans le sillage de cette rivalité ?
L’initiative chinoise oblige les Américains et les Occidentaux à reconnaître l’influence croissante de la Chine au Moyen-Orient, qu’ils disposent ou non d’une stratégie pour la région.
En dépit de ce rôle important dans le rapprochement entre deux rivaux moyen-orientaux, les problèmes compliqués et anciens entre les deux régimes ne peuvent être résolus facilement. Il est donc essentiel de reconnaître l’existence de plusieurs obstacles et défis qui doivent être abordés et surmontés dans ce processus.
Rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran : pourquoi l’heure était venue
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Si l’arrêt des attaques des Houthis sur son territoire constitue une priorité absolue pour l’Arabie saoudite, il est important de noter que cela ne suffit pas à résoudre la situation politique générale au Yémen. L’Arabie saoudite n’est pas disposée à accepter une domination des Houthis sur la majeure partie du Yémen comme contrepartie à l’arrêt de leurs attaques contre le territoire saoudien.
En revanche, le rétablissement des relations saoudo-iraniennes pourrait rebattre les cartes en Irak de manière à apaiser les choses. L’apaisement en Irak pourrait permettre à Bagdad de retrouver son pouvoir régional sans être limité par la domination iranienne ou l’influence saoudienne.
La situation en Syrie est cependant plus problématique. Si les pays arabes utilisent leur ouverture à l’égard de Bachar al-Assad pour tenter de l’éloigner de l’Iran, que se passera-t-il une fois qu’ils seront ouverts à l’Iran ? L’Iran coopérera-t-il à l’élaboration de l’avenir de la Syrie après Assad ?
Au Liban, la question est encore plus complexe. Le Hezbollah étant un acteur clé des intérêts régionaux de l’Iran, y aura-t-il un accord pour pratiquer une « taqiya » (« dissimulation ») géopolitique ? D’autre part, où se situe Israël ? La position de la Chine amènera-t-elle Israël à adopter une position plus dure à l’égard de l’Iran et de son programme nucléaire, ou la Chine créera-t-elle un nouveau précédent dans ses relations avec Israël ?
Un graal à décrocher
Face à cette foule de questions, il reste un fait fondamental, à savoir que l’influence américaine dans la région, en dépit de son déclin relatif, y reste dominante.
Sa force se reflète dans la présence ininterrompue de bases militaires américaines dans le Golfe et dans l’ancrage militaire américain en Irak, en Syrie et en Jordanie.
La question qui se pose ici est de savoir si l’initiative de la Chine lui ouvre la porte vers l’établissement d’une base militaire dans la région du Golfe
Sur ce terrain, la Chine a marqué des points en 2017 en ouvrant une base militaire à Djibouti, près du Yémen.
La base chinoise à Djibouti coexiste avec sept autres bases militaires étrangères dans ce petit pays membre de la Ligue arabe. La Russie, qui dispose de plusieurs bases en Syrie, travaille à l’installation d’une base pour sa flotte au Soudan. S’il ne s’agit pas du seul prisme permettant d’observer l’influence de ces pays, la géopolitique ne peut se lire sans la carte des bases militaires étrangères implantées dans la région.
La question qui se pose ici est de savoir si l’initiative de la Chine visant à rapprocher l’Iran et l’Arabie saoudite lui ouvre la porte vers l’établissement d’une base militaire dans la région du Golfe, après une longue histoire de présence militaire britannique puis américaine dans cette région. Nous n’en sommes pas encore là, mais la question sera inévitablement soulevée tôt ou tard.
Montage Le Devoir Le terme « footballistiquement » devrait faire partie du dictionnaire officiel de la langue française, estime l’auteur.
Samy Moubah
L’auteur est un élève de cinquième secondaire.
« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois… » — Albert Camus
En ces temps si déprimants de guerre, de tremblements de terre, de ballons-espions et de drames collectifs en tous genres, comment trouver du réconfort ? Tout à fait conscient des enjeux criants qui agitent le monde, je ne peux cependant pas oublier l’interlude de paix que nous a procuré le dernier Mondial de foot : une véritable trêve morale et intellectuelle. Depuis cet événement qui a retenu l’attention du monde, une idée a cogité dans mon esprit, provoquant une ébullition que je n’avais jamais connue. Alors, laissez-moi vous parler un instant de ballon rond, de football, souvent synonymes de joie et d’amour.
Je suis un élève de cinquième secondaire, et c’est mon enseignante de français qui m’a encouragé à mettre en forme ma pensée et à pratiquer ici — pourquoi pas ! — la lettre ouverte, objet de mon examen de fin d’études dans quelques semaines. Mes arguments sauront peut-être vous convaincre à leur tour du bien-fondé de mon rêve footballistique…
En effet, en rédigeant une production écrite en classe à l’automne dernier, je me suis retrouvé perplexe devant l’absence d’un mot génial au dictionnaire : « footballistiquement ». L’adjectif « footballistique », lui, pourtant, existe bel et bien, si bien qu’il m’est apparu légitime de pouvoir utiliser l’adverbe ! Mon enseignante, ne trouvant pas le mot au dictionnaire, m’a donc lancé qu’il ne me restait qu’à le faire accepter dans un ouvrage de référence pour que je puisse enfin l’utiliser légitimement, et ainsi même gagner un point bonus ! Cela m’a laissé perplexe au départ, mais j’ai vite senti la nécessité de défendre mon point auprès des grands éditeurs de dictionnaires !
J’ai donc décidé d’écrire à quatre éditeurs d’ouvrages que nous utilisons couramment : Druide pour Antidote, Québec Amérique pour le Multidictionnaire de la langue française, Le Petit Robert et Larousse. Ma missive explicite que l’adverbe « footballistiquement » aurait sa raison d’être, à mon avis, en tant que déclinaison de la même famille lexicale que « footballistique », d’autant plus qu’aujourd’hui, cet adverbe est communément utilisé à l’oral par moult commentateurs et intervenants du monde du football, et ce, dans les plus grands médias du monde entier.
Par exemple, les amoureux du football tels que Romain Molina, écrivain et journaliste sportif passé par CNN, The Guardian, la BBC, The New York Times, et Wiloo, analyste footballistique cumulant plus d’un demi-million d’abonnés sur YouTube, m’ont confirmé par courriel l’usage de l’adverbe « footballistiquement » dans le monde professionnel et amateur du sport, et qu’il s’agit d’un terme fort utile et employé pour décrire l’environnement lié au football et les aspects reliés à celui-ci.
Il a notamment été utilisé dans le cadre d’un épisode de L’Équipe du soir (émission de la chaîne L’Équipe) par le fameux chroniqueur Didier Roustan, passé par TF1, Canal+, TV5 Monde et France 2. De plus, Nicolas Landry, chroniqueur à RDS et présent au Qatar afin de couvrir la Coupe du monde 2022, a affirmé sans ambages dans sa réponse à mon courriel qu’il est d’avis que l’adverbe « footballistiquement » devrait être accepté et valide universellement dans notre chère langue française.
J’ai tenté de contacter Samuel Piette, milieu de terrain du CF Montréal et de l’équipe nationale canadienne, sans obtenir de réponse, même si mon message avait bel et bien été lu par le joueur. Bref, j’ai joué le tout pour le tout, parce que c’est ma conviction que l’adverbe « footballistiquement » est passé dans l’usage et qu’il doit être reconnu afin que tous les jeunes puissent le faire rayonner dans leurs productions écrites d’école !
Et, puisque de tout temps le Québec a été innovateur, et même visionnaire et précurseur, en matière d’évolution de la langue, et que ces jours-ci on casse du sucre sur le dos de ma génération qui, semble-t-il, parle si mal le français, j’avais envie de me lever et de dire qu’il y a aussi des jeunes comme moi qui ont envie de vivre dans cette langue et de la garder bien vivante.
Voilà pourquoi je suggère aujourd’hui le terme « footballistiquement », qui devrait, à mon humble avis, faire partie du dictionnaire officiel de la langue française, ayant déjà fait ses preuves dans la langue orale en usage dans les grands médias sportifs de la francophonie. Or, il ne s’agit pas que d’un mot, en des temps où des vocables anglais envahissent notre univers linguistique francophone : n’est-il pas urgent d’augmenter le pouvoir des mots français pour nommer la réalité qui nous entoure ?
S’il y a des millions de locuteurs du français dans le monde, aussi amoureux fous du foot que moi, il me semble que ce serait une façon de contrer le recul de la langue, sujet qui est sur toutes les lèvres en ce moment, et tout un pied de nez à l’anglais, que de donner à tous ces gens un nouveau mot pour s’amuser et vivre passionnément les temps singuliers présents. Oh ! Et je crois bien que je vais envoyer ma lettre à monsieur Laferrière !
Ces commémorations telles que je les aime, car ici il n’y a que des mots de vérité, la vérité historique que certains occultent, car ici on ne distribue pas des médailles "de pacotille" pour une sale guerre coloniale, où il y a eu des crimes d'Etat, des crimes de guerre, un crime contre l'humanité, où il y a eu des tortures, des viols, des villages brûlés au napalm et bien d'autres horreurs... comme "les crevettes Bigeard", etc... etc... car ici il y avait mon camarade Henri Pouillot que je salue qui, lui, a connu la funeste villa Suzini.
Regardez cette vieille photo, un peu déchirée, un peu salie, vous voyez une femme algérienne nue entrain de se faire torturer, peut-être a-t-elle été violée par des "criminels" de l'armée française. Merci à l'ami qui m'a fait connaître cette photo...
Pourquoi les femmes musulmanes font-elles l’objet d’un tel rejet en France dès qu’elles affirment leur identité ? Deux livres tentent de répondre à cette question en s’appuyant sur des analyses féministes qui rompent avec la vison occidentale.
Les femmes musulmanes ne sont-elles pas des femmes ? C’est la question que pose Hanane Karimi, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Strasbourg, dans l’essai qui vient de paraître aux éditions Hors d’atteinte. Elle y analyse la construction politique et médiatique de la figure de la femme voilée et questionne les contradictions et limites d’un féminisme hégémonique prétendument universel. La sociologue Marie-Claire Willems, membre d’Islams et chercheurs dans la cité, publie, elle, aux éditions du Détour, Musulman. Une assignation ? où elle interroge l’identité, vécue ou attribuée, des musulmans et les enjeux de cette catégorisation dans la société française. L’une et l’autre ont analysé une multitude de sources documentaires et mené des enquêtes de terrain au long terme auprès des principaux concernés
Bien qu’étant confrontée quotidiennement au racisme antivoile, Hanane Karimi expérimente une blessure cuisante lorsqu’elle se rend, en janvier 2017, à une audition au Sénat, dans le cadre d’un débat autour du rapport intitulé La laïcité garantit-elle l’égalité femmes-hommes ? Ce n’est pas la première fois qu’elle y est conviée, mais elle est cette fois prise à partie par des associations comme Femmes sans voile et la Brigade des mères qui vont s’acharner à lui couper la parole et à la faire huer. « Quelle égalité femmes-hommes peut ainsi être défendue en attaquant des femmes ? », s’insurge-t-elle. « Depuis quand cette égalité est-elle suffisamment acquise en France pour qu’on s’autorise à attaquer spécifiquement des musulmans et des musulmanes qui la menaceraient ? »
UN ORDRE COLONIAL
Ce traumatisme, qui dévoile pour elle « les règles de l’ordre genré et racial », elle le dépassera en poursuivant ses combats — dont celui pour l’autonomie des femmes musulmanes dans leur propre communauté — et en se dotant des outils d’analyse critique qu’elle cherche aussi transmettre à d’autres. Même s’ils ne font pas la une des médias, ces outils ne manquent pas, depuis les travaux d’Abdelmalek Sayad qui ont montré comment l’islam est dans l’ordre colonial incompatible avec la citoyenneté française jusqu’aux recherches plus contemporaines de Marwan Mohammed, Abdellali Ajjat, Nacera Guenif, les prises de position de féministes historiques comme Christine Delphy, ou les éclairages des autrices postcoloniales africaines-américaines. Ses sources sont plurielles et nombreuses pour affronter un débat clivant qui s’est exacerbé d’année en année. Elle commence alors un travail de thèse, fondé sur son propre engagement, sur la capacité à agir des femmes musulmanes en France pour en faire des sujets et non plus des « objets » du débat public, s’appuyant notamment sur les observations de l’anthropologue Saba Mahmood à laquelle elle rend hommage.
Déterminée à défendre ses droits et ses choix, et ceux de ses compagnes de route, elle cherche aussi à rendre compte du prix fort qu’on leur fait payer et dont la mesure n’est jamais prise. La stigmatisation et l’exclusion qu’elles subissent en permanence, la contrainte à se dévoiler pour pouvoir travailler à laquelle elles sont la plupart du temps acculées, conduisent à des mécanismes psychologiques de dépersonnalisation, et à des troubles physiologiques qui montrent comment la domination s’exerce en premier lieu sur les corps. « La domination abîme nos perceptions, nos perspectives, notre champ des possibles et même nos goûts… Elle atteint également l’image de soi. » Comment ne pas se rebeller alors contre la catégorisation des individus selon leur couleur de peau, leur origine et leur religion d’une République soi-disant « une et indivisible » ?
LA « RACISATION » DES MUSULMANS
C’est aussi cette catégorisation de l’identité musulmane (vécue, présumée ou attribuée) et les représentations qui lui sont associées qu’étudie Marie-Claire Willems. Elles conduisent à la « racisation » de la figure du musulman en France, toujours considéré comme étranger, à laquelle n’échappent pas les enfants de l’immigration, même à la deuxième ou troisième génération. À partir d’une large enquête de terrain, elle rencontre des musulmans et musulmanes dont certains se disent « musulman·e athée » ou « musulman·e non-croyant·e », ce qui l’amène à essayer de définir la complexité du terme et ses changements de signification historiques et sociologiques. Pour certains, il s’agit davantage d’une culture, d’une origine, même s’ils revendiquent un athéisme ou une forme d’agnosticisme. Pour d’autres, la croyance est liée à l’appartenance à une culture ou une origine. Il n’y a parfois pas de séparation entre ces différentes identifications, les identités n’étant jamais figées.
Le Comité du centenaire de Krim Belkacem a organisé un événement inaugurant le centenaire de sa naissance, à l’Académie de géopolitique de Paris, le lundi 20 mars. Cette reconnaissance d’hommage et d’histoire se déroulera durant toute l’année 2023 à travers des conférences, expositions, contributions écrites, émissions radio, télévision, témoignages de familles, amis et historiens.
-Vous êtes un des initiateurs et coordinateur du Comité du centenaire de Krim Belkacem, inauguré le 20 mars à l’Académie de géopolitique de Paris. Parlez-nous de cet événement ...
Il est inconcevable de ne pas rendre hommage à l’un des pères de la Révolution algérienne, en l’occurrence Krim Belkacem, un des six à l’avoir déclenchée, organisée, pensée et faite. Le peuple algérien, et tout particulièrement la jeunesse, a le droit de savoir et de connaître l’œuvre et le parcours de cette figure emblématique du mouvement national. Pour l’inauguration du centenaire de la naissance de Krim Belkacem, nous avons choisi un cadre académique et avons invité des historiens pour évoquer l’engagement de Krim Belkacem pour le recouvrement de l’indépendance de l’Algérie. Nous aurons l’occasion, à différentes étapes, de convoquer le milieu scientifique et intellectuel pour tenter de pousser le destin et connaître davantage la valeur de ce grand combattant et responsable politique que fut Krim Belkacem.
-Pourquoi vous avez choisi spécialement cette date pour l’inauguration ? Quel était le thème de cette conférence inaugurale ?
La date du 19 Mars s’est imposée à nous. Il n’était pas possible d’évoquer le cessez-le-feu de 1962 issu des Accords d’Evian sans évoquer le signataire et le cheminement, les stratégies élaborées par le chef de la délégation du FLN à Evian.
Cette première échéance d’hommage en appellera d’autres au cours de l’année. De par ses actions et ses fonctions, Krim Belkacem devient légitime dans toutes les étapes de la Guerre de libération nationale et bien encore avant et après. Lors l’ouverture du centenaire, ont assisté deux éminents historiens. Ils vont aborder deux thèmes :
- Le contexte de 1961 et 1962, par Amar Mohand-Amer, historien à la division socio-anthropologie de l’histoire et de la mémoire - CRASC – Oran et Krim Belkacem à travers les fiches des renseignements par Omar Hamourit, historien - Université Paris 1- Sorbonne. Nous avons eu également un moment de lectures. Un témoignage écrit d’Elaine Mokhtefi. Elaine Mokhtefi est une militante américaine et algérienne, traductrice et écrivaine, qui a milité pour l’indépendance de l’Algérie. Elle a travaillé à la représentation du GPRA à New York aux côtés de Abdelkader Chanderly, M’hammed Yazid, Mohamed Sahnoun, Ahmed Francis et d’autres et vécu en Algérie de 1962 à 1974. Et une lettre datée de janvier de 1960 de Jean Amrouche à Krim Belkacem, que nous a remise Tassadit Yacine, qui n’est plus à présenter.
-Organiser un événement sur un personnage emblématique comme Krim Belkacem n’est pas des moindres. Quels seront les moments forts de cette manifestation ?
Comme évoqué précédemment, Krim Belkacem est légitime à chaque étape de la Guerre d’Algérie, le 1er novembre, le 19 mars, le 5 juillet, et bien entendu nous allons revenir et lui rendre un hommage lors de cette journée tragique du 18 octobre, moment de recueillement, de déchirement et de vive émotion.
-Qu’est-ce qui vous paraît le plus compliqué dans l’organisation de cet événement ? Avez-vous des collaborateurs ? Qu’en est-il du soutien financier ?
Tout est compliqué et difficile, de la décision, de la conception jusqu’à la concrétisation. Le Comité du centenaire de Krim Belkacem est constitué par des membres de la société civile algérienne, d’intellectuels amis de l’Algérie et de la famille de Krim Belkacem. Pour ne citer qu’une partie, il est composé également de Nils Andersson, de Tassadit Yacine, Kawther Krim, Tarif Mira, Hafid Adnani. Il s’est fixé pour mission l’organisation et la coordination de plusieurs événements en hommage à cette figure historique de l’Algérie.
Le Comité est formalisé au sein d’une association de loi 1901, et à ce titre seules les cotisations de ses membres, voire les dons à venir, serviront d’apports financiers pour mener à bien cette mission. La durée de cette association du centenaire est fixée à une année, le temps de cet hommage uniquement. Nous appelons également aux concours des institutions, associations et autres membres de la société civile à rejoindre cette initiative.
-Vous avez annoncé qu´un colloque sur ce centenaire sera organisé en Algérie. Donnez-nous plus de précisions...
Il est encore trop tôt pour aller dans les détails, mais pour l’instant les augures sont bons. Nous allons convier des historiens et les rares personnes encore en vie qui ont connu Krim Belkacem. Bien que les passions ne soient pas toujours loin, nous allons tenter de convoquer l’histoire et le récit national sous un angle scientifique et académique. L’objectif sera d’élucider certains points historiques grâce aux outils et aux analyses des historiens, et comprendre à travers l’engagement et l’apport de Krim Belkacem au sein de l’histoire de l’Algérie contemporaine.
-Pensez-vous qu´il n’y a pas assez de travaux réalisés sur la trajectoire de Krim Belkacem ?
Très souvent, l’histoire est faite par des femmes et des hommes exceptionnels. Sur la majorité de nos héros nationaux, il y a peu de travaux en raison des aléas de l’histoire de l’Algérie depuis l’indépendance en 1962. L’après-indépendance n´a pas donné lieu à des recherches sur la guerre, sur la colonisation et, du coup, sur des personnages historiques.
La reconnaissance de l’engagement de Krim Belkacem est en l’occurrence une nécessité et un impératif au regard du contexte historique et de la place qu’a occupée cette grande figure dans le combat pour l’Indépendance, et bien après pour l’instauration d’une véritable démocratie. Il souhaitait une Algérie libre, prospère et démocratique.
Bio- express
De formation économique à Paris 1 -Sorbonne, Lyazid Benhami est cadre au ministère de la Culture. Il est aussi vice-président de l’Association franco-chinoise de Paris, ainsi que vice-président du Comité de mobilisation de la Journée mondiale de la culture africaine. Ecrivain et auteur de plusieurs articles, il vit en France depuis 47 ans. Il a grandi au sein de la grande Famille révolutionnaire algérienne et démocratique. Il a l’Algérie dans le cœur, et porte l’espoir d’une grande Algérie en paix avec elle-même et avec un véritable rayonnement dans le concert des nations.
Le « Dictionnaire de la guerre d’Algérie » tient le pari de la rigueur historienne, qui, à défaut de calmer les passions, établit des faits. Remarquable.
Manifestation d’Algériens en soutien au FLN, à Alger, le 14 décembre 1960. AFP
En parcourant les tables d’une librairie au rayon histoire, on ne peut manquer d’être intrigué par la couverture du Dictionnaire de la guerre d’Algérie. Une image confuse, difficilement lisible ; à y regarder de plus près, c’est une superposition d’affiches lacérées, où se devinent à peine un visage grimaçant et un slogan « pour la paix en Algérie ». Ce détail d’une œuvre du plasticien Jacques Villeglé, le collage 14 juillet 1960, suggère magnifiquement les déchirures historiques et historiographiques que cet ouvrage appelé à faire référence restitue et contribue à résoudre.
Car les conflits multiples et brûlants des années 1954-1962 – entre les insurgés et l’armée, mais aussi au sein des sociétés algérienne et française elles-mêmes – ont laissé des traces encore à vif, qui n’épargnent pas l’histoire universitaire. En effet, les chercheurs font face à des injonctions souvent contradictoires : évoquer ce passé pour « réconcilier les mémoires » mais aussi pour « dénoncer les crimes » de la période ; travailler de façon « apaisée », mais sans avoir toujours accès aux archives, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée. Surtout, les sensibilités historiennes varient fortement, comme le suggèrent les objets de recherche : c’est un gouffre politique a priori infranchissable qui sépare, d’un côté, le regard porté par Malika Rahal sur la liesse de l’indépendance, en 1962, et les travaux d’Olivier Dard sur les membres de l’OAS. Et même la position en apparence médiane de Benjamin Stora, auteur de nombreux livres sur cette période et d’un rapport remis au président de la République, en janvier 2021, ne fait pas l’unanimité, au vu des critiques publiques émises alors – pour des raisons différentes – par des collègues comme Guy Pervillé et Sylvie Thénault.
Et pourtant, tous les cinq ont signé des notices dans ce dictionnaire, avec une cinquantaine d’autres chercheuses et chercheurs, dont plusieurs d’Algérie. Sans excès ni biais. C’est ce qui rend l’entreprise collective remarquable : elle tient le pari de la rigueur historienne, qui, à défaut de calmer les passions, établit des faits. Biographies et opérations militaires, négociations et manifestations, cinéma et journaux, tout y figure, références à l’appui. Les articles consacrés aux archives, à la torture, aux camps de regroupement, parmi tant d’autres, sont des modèles de clarté. Le livre permet même de saisir comment ce passé fut étudié, avec des notices consacrées à des historiens marquants comme Mohammed Harbi ou Gilbert Meynier. Au-delà de son caractère désormais indispensable pour qui s’intéresse à la période, ce dictionnaire réaffirme de manière exemplaire la capacité de l’histoire à établir des vérités partagées, sur les terrains les plus controversés.
André Loez(Historien et collaborateur du « Monde des livres »)
Par André Loez(Historien et collaborateur du « Monde des livres »)
Publié hier à 22h00https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/03/25/les-historiens-de-la-guerre-d-algerie-font-la-paix-le-temps-d-un-livre-collectif_6166987_3260.html.
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