L’initiative de la Chine oblige les Américains et les Occidentaux à reconnaître son influence croissante au Moyen-Orient.
Le président chinois Xi Jinping assiste à la présentation des membres du nouveau Comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois, le 23 octobre 2022 (AFP)
À l’aube du troisième mandat du président Xi Jinping, entamé à la mi-mars, il semblerait que la Chine ait abandonné sa politique étrangère autrefois discrète et cherche désormais à s’affirmer en tant qu’État impérial qui préserve ses intérêts à l’échelle mondiale.
La projection de cette image est au cœur de l’ambitieuse initiative de nouvelle route de la soie dessinée par le pays.
L’Iran, destination terrestre essentielle de ce projet, revêt une grande importance, tandis que l’Arabie saoudite et la région du Golfe forment des maillons clés de la route maritime de la soie.
La Chine cherche désormais à s’affirmer en tant qu’État impérial qui préserve ses intérêts à l’échelle mondiale
La visite cruciale de Xi Jinping à Riyad à la fin de l’année dernière a été déterminante pour ouvrir la voie à une percée dans l’impasse de longue date entre l’Arabie saoudite et l’Iran.
Initialement, l’Iran et les États-Unis étaient préoccupés par les liens croissants entre la Chine et l’Arabie saoudite et avaient des points de vue divergents à ce sujet. Cependant, la visite de Xi Jinping a changé la donne et a permis à la Chine de négocier un accord visant à rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays clés du Moyen-Orient après sept ans d’éloignement et d’escalade.
L’intérêt stratégique de la Chine au Moyen-Orient réside dans l’obtention de sources et de marchés dans le secteur des énergies. Elle est le premier acheteur de pétrole brut saoudien, avec des importations de 81 millions de tonnes en 2021, pour un montant de 43,93 milliards de dollars.
Le rôle affaibli des États-Unis
La Chine ne cherche pas à nuire au rôle américain au Moyen-Orient, mais profite du déclin relatif de l’influence américaine dans la région, en particulier des changements intervenus sous les trois derniers présidents américains.
Obama a donné la priorité à un accord sur le nucléaire avec l’Iran au détriment des intérêts de l’Arabie saoudite et du Golfe. Sous Obama, les alliés de l’Iran dominaient l’Irak, la Syrie et le Liban, tandis que les Houthis au Yémen progressaient vers Bab el-Mandeb.
Donald Trump a annulé l’accord avec l’Iran et lancé un faible projet de paix avec Israël qui a mis à mal le principe de « la terre contre la paix » et placé l’Arabie saoudite, dont l’Initiative de paix arabe était fondée sur ce concept, dans une situation embarrassante.
Le président américain Joe Biden, qui s’était engagé durant sa campagne électorale à renouer les liens avec l’Iran et à traiter l’Arabie saoudite comme un État paria, s’est retrouvé à Riyad pour demander au prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane d’augmenter la production de pétrole dans le contexte des retombées de la guerre en Ukraine et a reçu un accueil glacial de la part du royaume.
Après ces trois expériences, la Chine s’est ouverte à l’Iran, à l’Arabie saoudite et à Israël, au détriment du rôle américain dans la région.
Les États-Unis ne cessent d’exprimer leur inquiétude quant à l’influence croissante de la Chine dans la région, notamment en ce qui concerne ses liens avec l’Iran, qui entretient des relations tendues avec Washington depuis la révolution islamique de 1979, ainsi que ceux avec l’Arabie saoudite, allié de longue date des États-Unis avec lequel des tensions sont toutefois apparues sous Obama et Biden.
De même, Washington exerce des pressions persistantes pour limiter le développement de la coopération économique sino-israélienne.
Si la Chine connaît des différends avec des voisins proches tels que l’Inde, le Japon et le Vietnam et cherche à établir un réseau d’influence en Asie centrale, baptisé « Sinostan » dans un livre de Raffaello Pantucci et Alexandros Petersen, elle doit également coexister avec l’hégémonie russe dans cette région. Cependant, le Moyen-Orient représente une vaste opportunité pour la Chine en raison de ses ressources abondantes et de sa position stratégique.
Alors que la Chine œuvre à la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, il convient de se demander s’il ne s’agit pas d’un moment historique comparable à la rencontre sur le croiseur USS Quincy en 1945 entre le fondateur de l’Arabie saoudite, le roi Abdelaziz ben Saoud, et le président américain Franklin D. Roosevelt, qui a forgé une alliance durable entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Aujourd’hui, les efforts déployés par la Chine pour rétablir les relations irano-saoudiennes soulèvent la question de savoir si le moment passé par Xi Jinping avec MBS pourrait être un prélude à une « quatrième » itération de l’État saoudien – après la « troisième » de son grand-père –, fondée sur une diversification des relations économiques et des intersections politiques du royaume à l’échelle mondiale, à la suite d’une relation de longue date avec les États-Unis en tant que principal partenaire mondial.
Des opportunités et des obstacles
La récente entreprise chinoise visant à réconcilier l’Arabie saoudite et l’Iran soulève également des questions quant à la portée de cette réconciliation. Visera-t-elle uniquement à rétablir le statu quo d’avant 2016 ou amènera-t-elle une résolution des conflits par procuration qui gangrènent la région dans le sillage de cette rivalité ?
L’initiative chinoise oblige les Américains et les Occidentaux à reconnaître l’influence croissante de la Chine au Moyen-Orient, qu’ils disposent ou non d’une stratégie pour la région.
En dépit de ce rôle important dans le rapprochement entre deux rivaux moyen-orientaux, les problèmes compliqués et anciens entre les deux régimes ne peuvent être résolus facilement. Il est donc essentiel de reconnaître l’existence de plusieurs obstacles et défis qui doivent être abordés et surmontés dans ce processus.
Si l’arrêt des attaques des Houthis sur son territoire constitue une priorité absolue pour l’Arabie saoudite, il est important de noter que cela ne suffit pas à résoudre la situation politique générale au Yémen. L’Arabie saoudite n’est pas disposée à accepter une domination des Houthis sur la majeure partie du Yémen comme contrepartie à l’arrêt de leurs attaques contre le territoire saoudien.
En revanche, le rétablissement des relations saoudo-iraniennes pourrait rebattre les cartes en Irak de manière à apaiser les choses. L’apaisement en Irak pourrait permettre à Bagdad de retrouver son pouvoir régional sans être limité par la domination iranienne ou l’influence saoudienne.
La situation en Syrie est cependant plus problématique. Si les pays arabes utilisent leur ouverture à l’égard de Bachar al-Assad pour tenter de l’éloigner de l’Iran, que se passera-t-il une fois qu’ils seront ouverts à l’Iran ? L’Iran coopérera-t-il à l’élaboration de l’avenir de la Syrie après Assad ?
Au Liban, la question est encore plus complexe. Le Hezbollah étant un acteur clé des intérêts régionaux de l’Iran, y aura-t-il un accord pour pratiquer une « taqiya » (« dissimulation ») géopolitique ? D’autre part, où se situe Israël ? La position de la Chine amènera-t-elle Israël à adopter une position plus dure à l’égard de l’Iran et de son programme nucléaire, ou la Chine créera-t-elle un nouveau précédent dans ses relations avec Israël ?
Un graal à décrocher
Face à cette foule de questions, il reste un fait fondamental, à savoir que l’influence américaine dans la région, en dépit de son déclin relatif, y reste dominante.
Sa force se reflète dans la présence ininterrompue de bases militaires américaines dans le Golfe et dans l’ancrage militaire américain en Irak, en Syrie et en Jordanie.
La question qui se pose ici est de savoir si l’initiative de la Chine lui ouvre la porte vers l’établissement d’une base militaire dans la région du Golfe
Sur ce terrain, la Chine a marqué des points en 2017 en ouvrant une base militaire à Djibouti, près du Yémen.
La base chinoise à Djibouti coexiste avec sept autres bases militaires étrangères dans ce petit pays membre de la Ligue arabe. La Russie, qui dispose de plusieurs bases en Syrie, travaille à l’installation d’une base pour sa flotte au Soudan. S’il ne s’agit pas du seul prisme permettant d’observer l’influence de ces pays, la géopolitique ne peut se lire sans la carte des bases militaires étrangères implantées dans la région.
La question qui se pose ici est de savoir si l’initiative de la Chine visant à rapprocher l’Iran et l’Arabie saoudite lui ouvre la porte vers l’établissement d’une base militaire dans la région du Golfe, après une longue histoire de présence militaire britannique puis américaine dans cette région. Nous n’en sommes pas encore là, mais la question sera inévitablement soulevée tôt ou tard.
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