Le « Dictionnaire de la guerre d’Algérie » tient le pari de la rigueur historienne, qui, à défaut de calmer les passions, établit des faits. Remarquable.
Manifestation d’Algériens en soutien au FLN, à Alger, le 14 décembre 1960.
En parcourant les tables d’une librairie au rayon histoire, on ne peut manquer d’être intrigué par la couverture du Dictionnaire de la guerre d’Algérie. Une image confuse, difficilement lisible ; à y regarder de plus près, c’est une superposition d’affiches lacérées, où se devinent à peine un visage grimaçant et un slogan « pour la paix en Algérie ». Ce détail d’une œuvre du plasticien Jacques Villeglé, le collage 14 juillet 1960, suggère magnifiquement les déchirures historiques et historiographiques que cet ouvrage appelé à faire référence restitue et contribue à résoudre.
Car les conflits multiples et brûlants des années 1954-1962 – entre les insurgés et l’armée, mais aussi au sein des sociétés algérienne et française elles-mêmes – ont laissé des traces encore à vif, qui n’épargnent pas l’histoire universitaire. En effet, les chercheurs font face à des injonctions souvent contradictoires : évoquer ce passé pour « réconcilier les mémoires » mais aussi pour « dénoncer les crimes » de la période ; travailler de façon « apaisée », mais sans avoir toujours accès aux archives, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée. Surtout, les sensibilités historiennes varient fortement, comme le suggèrent les objets de recherche : c’est un gouffre politique a priori infranchissable qui sépare, d’un côté, le regard porté par Malika Rahal sur la liesse de l’indépendance, en 1962, et les travaux d’Olivier Dard sur les membres de l’OAS. Et même la position en apparence médiane de Benjamin Stora, auteur de nombreux livres sur cette période et d’un rapport remis au président de la République, en janvier 2021, ne fait pas l’unanimité, au vu des critiques publiques émises alors – pour des raisons différentes – par des collègues comme Guy Pervillé et Sylvie Thénault.
Et pourtant, tous les cinq ont signé des notices dans ce dictionnaire, avec une cinquantaine d’autres chercheuses et chercheurs, dont plusieurs d’Algérie. Sans excès ni biais. C’est ce qui rend l’entreprise collective remarquable : elle tient le pari de la rigueur historienne, qui, à défaut de calmer les passions, établit des faits. Biographies et opérations militaires, négociations et manifestations, cinéma et journaux, tout y figure, références à l’appui. Les articles consacrés aux archives, à la torture, aux camps de regroupement, parmi tant d’autres, sont des modèles de clarté. Le livre permet même de saisir comment ce passé fut étudié, avec des notices consacrées à des historiens marquants comme Mohammed Harbi ou Gilbert Meynier. Au-delà de son caractère désormais indispensable pour qui s’intéresse à la période, ce dictionnaire réaffirme de manière exemplaire la capacité de l’histoire à établir des vérités partagées, sur les terrains les plus controversés.
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