Quelques films militants ont été tournés pendant la guerre de libération mais le cinéma algérien apparaît véritablement à l’indépendance. Un cinéma subventionné et contrôlé par l’État, qui ne fait aucune place à la part berbère (amazighe) de la nation, de langue kabyle, la plus pratiquée dans la sphère berbère de l’Algérie. La bataille pour l’amazighité en général sera longue, et la répression féroce. En 1996, une réforme de la Constitution fera de celle-ci (aux côtés de l’islam et de l’arabité) une des composantes fondamentales de l’identité nationale. Mais le pouvoir avait déjà lâché du lest après les émeutes d’octobre 1988 : Abderrahmane Bouguermouh, ancien assistant de Mohamed Lakhdar-Hamina (le réalisateur de Chronique des années de braise, Palme d’or au Festival de Cannes en 1975), est enfin autorisé à tourner son adaptation de La Colline oubliée, d’après le roman de Mouloud Mammeri (1952), qu’il tentait d’imposer depuis vingt ans en langue kabyle. Retardées plusieurs fois, les prises de vue démarrent mais en pleine guerre civile, et donc le plus souvent sous la protection de milices villageoises. Lorsqu’il sort en Algérie à l’été 1996, ce premier long-métrage kabyle rencontre un vrai succès auprès du public (1). Les chercheurs le considèrent aujourd’hui comme l’une des trois œuvres fondatrices de l’histoire de ce cinéma, avec La Montagne de Baya, d’Azzedine Meddour, et Machaho, de Belkacem Hadjadj, tournés lors de la même période. Aujourd’hui, Latéfa Lafer, maîtresse de conférences en anthropologie à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou, à partir d’un travail historique et thématique impressionnant, ouvre un débat d’importance : le cinéma amazigh est-il ou non un genre du cinéma algérien (2) ?
Poésie, musique et chanson kabyles existent quant à elles depuis longtemps, comme en témoigne par exemple le recueil de textes d’Adolphe Hanoteau publié en 1867 (3). Si la part des femmes dans cet univers a été mise en valeur par Laakri Cherifi (4) dans son livre consacré aux chanteuses kabyles, qu’elles soient acceptées ou « damnées », c’est un chanteur, Idir, qui est aujourd’hui le champion des monographies en langue française. Après Youcef Allioui (Idir ou le Message de Jugurtha, L’Harmattan, 2019), le journaliste Farid Alilat, traitant des thématiques essentielles au long de sa biographie, raconte l’histoire d’un garçon plutôt timide, d’abord promis au métier d’ingénieur géologue, qui, par hasard, a abordé la chanson avec succès en 1973. Avant de signer, trois ans plus tard, avec le poète Ben Mohamed, le « tube » planétaire A Vava Inouva, le dialogue d’un père avec sa fille, inspiré probablement d’un conte kabyle (5).
Née à Alger puis formée en France, Amel Brahim-Djelloul est une chanteuse lyrique reconnue dans le monde entier. Enfant, elle écoutait les chanteurs kabyles de l’immigration comme Idir, avec lequel elle devait d’ailleurs plus tard chanter en duo. Dans un album surprenant de beauté (6), elle réussit le tour de force de mettre, avec retenue, sa voix de soprano au service de la chanson kabyle, qu’elle soit simple ou plus travaillée, d’hier (Taos Amrouche, Djamel Allam, Idir, Djura) ou d’aujourd’hui (le poète Rezki Rabia). Une grande rencontre, portée également par les arrangements de Thomas Keck, qui alternent instruments de tradition occidentale et orientale.
Jean-Louis Mingalon
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