L’opposante algérienne a fui son pays en passant par la Tunisie, début février. Depuis son arrivée en France, plusieurs personnes, liées ou non à sa fuite, sont poursuivies en Algérie.
L’opposante algérienne Amira Bouraoui, l’une des figures majeures du Hirak, à sa libération de la prison Kolea, près de la ville de Tipasa, à l’ouest d’Alger, le 2 juillet 2020. RYAD KRAMDI / AFP
Après la traque, les représailles. L’affaire Amira Bouraoui, cette opposante algérienne, détentrice d’un passeport français, dont la France a empêché l’expulsion vers Alger le 6 février alors qu’elle venait de se réfugier à Tunis, prend une tournure judiciaire. Dimanche 19 février, son cousin, le chauffeur de taxi qui a conduit la militante jusqu’à Tunis, un adjudant de la police aux frontières et le journaliste Mustapha Bendjama, une connaissance de Mme Bouraoui, ont été placés en mandat de dépôt. La mère de l’activiste est, quant à elle, sous contrôle judiciaire.
Toutes ces personnes sont poursuivies, selon l’acte d’accusation établi à Annaba (ville d’où est originaire la famille de Mme Bouraoui et d’où elle est partie vers Tunis), pour « association de malfaiteurs dans le but d’exécuter le crime d’immigration clandestine dans le cadre d’une organisation criminelle ». En clair, la justice leur reproche d’avoir aidé Amira Bouraoui à s’enfuir du pays. Depuis son retour en France, les autorités algériennes cherchent à comprendre comment elle a pu traverser la frontière alors même qu’elle fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire.
Alger est allée jusqu’à « protester fermement contre l’exfiltration clandestine et illégale d’une ressortissante algérienne ». Cette affaire a occasionné le rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France « pour consultations ». Une dépêche de l’agence officielle Algérie Presse Service a fustigé « les barbouzes français » de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui « cherchent la rupture définitive avec l’Algérie ». « Toute cette histoire de DGSE ne tient pas. A moins d’accuser ma mère d’en être membre, souligne amèrement au Monde Amira Bouraoui. Les autorités ont perdu la face en rappelant l’ambassadeur d’Algérie pour rien. Ils ont perdu la face à l’international et toute cette propagande n’a qu’un but interne. Je ne suis ni la première ni la dernière opposante à quitter ce pays. »
Comme elle l’a rappelé à plusieurs reprises, Mme Baraoui, 46 ans, a quitté l’Algérie en traversant le poste-frontière d’Oum Teboul dans un taxi collectif en utilisant le passeport de sa mère, âgée de 71 ans. « Il faisait très froid ce jour-là, j’étais emmitouflée. On ne pouvait pas savoir si j’étais une dame âgée, raconte-t-elle. Ma mère doit pointer au tribunal tous les quinze jours dans l’attente de l’instruction. Je ne sais ce qu’ils entendent par instruction. Voilà ce que c’est d’être la mère d’une militante dans une dictature », ajoute-t-elle. Mme Bouraoui assure par ailleurs n’avoir jamais rencontré auparavant le chauffeur de taxi ni avoir révélé son identité. Et concernant le journaliste, « je n’ai pas croisé Mustapha Bendjama et je ne lui ai pas parlé en partant à Tunis », affirme-t-elle.
« Harcèlement de la justice »
Depuis des années, M. Bendjama est dans le viseur des autorités. Rédacteur en chef d’un journal indépendant à Annaba, Le Provincial, il a été arrêté le 8 février. Depuis le Hirak – le « mouvement » populaire pacifique qui a secoué l’Algérie à partir du 16 février 2019 et qui a mis fin au règne d’Abdelaziz Bouteflika –, « il subit un harcèlement de la justice. Il a enchaîné les contrôles judiciaires, raconte un de ses confrères algériens. Il a révélé plusieurs affaires qui ont dérangé les autorités locales et notamment le wali [préfet]. On cherchait à le coincer depuis longtemps ».
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Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En obligeant Mustapha Bendjama à leur fournir le code déverrouillant son téléphone, les gendarmes se sont lancés dans une chasse aux sources du jeune journaliste, sans aucun lien avec l’affaire Bouraoui. Selon le média en ligne algérien Interlignes, le chercheur Raouf Farrah qui était de passage à Annaba – il réside à Tunis – a été arrêté le 14 février et poursuivi pour « réception de fonds depuis l’étranger dans le but d’effectuer des actes attentatoires à l’ordre public » et « publication sur Internet d’informations classifiées ». Son père a été également inculpé pour « participation à la réception de fonds depuis l’étranger ».
Raouf Farrah paie-t-il son travail de chercheur pour l’ONG Global Initiative against Transnational Organized Crime ? Ou son appartenance à Ibtykar, un mouvement citoyen favorable aux libertés politiques et individuelles en Algérie ? Fait troublant, le 18 février, est sorti à Alger un ouvrage collectif sur le Hirak coordonné par le chercheur : Algérie : l’avenir en jeu, essai sur les perspectives d’un pays en suspens (Koukou éditions). Parmi les vingt contributeurs, on trouve Mustapha Bendjama.
L’exploitation du téléphone de M. Bendjama a en outre débouché sur une autre affaire, pour laquelle il est également inquiété : des échanges supposés avec Abdou Semmar, un journaliste réfugié en France et recherché par la justice algérienne. Deux autres personnes ont été inculpées.
La femme sans sépulture d’Assia Djebar retrace la vie de Zoulikha, une résistante de la guerre d’Algérie montée au maquis à l’âge de 40 ans et disparue après son arrestation par l’armée française en 1957. Le roman rappelle non seulement son combat pour la libération de son pays mais aussi son enfance, son adolescence et sa vie de femme à travers le récit des personnages féminins qui l’ont connue mais aussi de monologues dont celui du spectre de Zoulikha elle-même. L’auteure-narratrice reconstitue de manière authentique par l’écoute des récits de vie de ces différentes femmes l’histoire de Zoulikha tout en y accordant une part fictionnelle. Ainsi se retrouvent dans le roman des éléments de fantastique comme la représentation de Zoulikha en fantôme flottant au dessus de la ville où elle a vécu. La spectralisation de l’héroïne s’appuie cependant sur le fait que son corps n’a jamais été retrouvé et qu’il n’a pas pu être enterré selon les rites islamiques. Par son écriture, l’auteure rend hommage à Zoulikha et crée un lieu d’expression féminine où elle agit comme médiatrice des différentes évocations du passé. Cette distance voulue entre elle et les autres femmes permet de rouvrir un passé dérobé par l’histoire coloniale et postcoloniale et au-delà du silence de la société patriarcale algérienne de toucher le véridique par les actes narratifs féminins. Libérées du silence, les femmes peuvent enfin exprimer leur douleur et les traumatismes infligés par la guerre.
Je me centrerai dans cet article sur l’analyse du personnage de Hania dans le roman à la lumière de la théorie du complexe de la mère morte d’André Green. Ce complexe se traduit par un ensemble de contenus inconscients perturbant l’activité du sujet par le déclenchement du système de défense du moi suite à un traumatisme narcissique, à une perte angoissante de sens en rapport à la mort psychique de l’objet maternel. Dans le roman de Djebar, il ne s’agit pas du traumatisme d’un enfant en bas âge face à l’absence de sa mère mais d’un comportement similaire à ce complexe chez un personnage adulte dont la mère est morte mais dont le deuil n’a pu être finalisé puisque son corps a disparu et semble hanter les êtres qui l’ont côtoyée. Comme nous le verrons, Hania, la fille aînée de Zoulikha possède tous les signes du complexe de la mère morte et ce pour des raisons traumatiques similaires. Le roman de Djebar illustre l’enfermement que ce soit celui de la femme dans la société patriarcale et dans la tradition, celui du corps féminin dans l’histoire de l’Algérie, celui des résistants incarcérés et torturés mais aussi l’enfermement dans les prisons de l’inconscient comme dans le cas de Hania. Pourtant si Djebar représente par l’écriture divers types d’incarcération, elle propose également un moyen de s’en évader. Après avoir analysé le personnage de Hania, nous mettrons en valeur la puissance de la résolution artistique que Djebar offre aux personnages de l’histoire pour s’affranchir de leur servitude mentale.
Dans la théorie du complexe de la mère morte, le traumatisme n’est pas seulement produit par la mort psychique et soudaine de la mère, donc par un changement brutal de l’imago maternel, mais par l’état d’impréparation de l’enfant face à un tel changement qui va bouleverser toute son unité car en perdant l’objet l’enfant perd son moi à cause de son précédent état quasi-fusionnel avec sa mère. Dans le roman de Djebar, Hania est en proie à une profonde angoisse due à la perte de sa mère et aux incertitudes autour de sa disparition puisque son corps n’a jamais été retourné à sa famille. Hania a eu de plus très jeune le devoir de prendre soin de son frère et de sa sœur et de les élever après la montée au maquis de Zoulikha. Hania se retrouve ainsi seule face à ses responsabilités familiales, à son incapacité de rationaliser les cruautés infligées à sa mère et à son espoir secret et tourmentant de pouvoir un jour la revoir. Comme dans la théorie de Green, la mère de Hania « avait été enterrée vive, mais son tombeau lui-même avait disparu » (Green 2007, 262), la fille de Zoulikha se trouve alors dans l’impossibilité de faire son deuil et doit vivre avec sa présence désincarnée en elle, la présence d’une mère « qui n’en finit pas de mourir » (Ibd., 261) et qui la retient prisonnière. L’angoisse qui en découle est couverte par une activité frénétique de paroles à laquelle Hania s’emploie malgré elle depuis que sa mère a disparu: « Elle parle sans s’arrêter, pour elle seule. Sans reprendre son souffle. Du passé présent. Cela la prend comme de brusques accès de fièvres […] Il y a dix ans tout juste, germa en elle cette parole ininterrompue qui la vide » (Djebar 2002, 63-63). Dans le complexe décrit par Green, l’enfant traumatisé se livre à la contrainte de penser et à développer ses capacités intellectuelles dans sa quête inconsciente de sens. La voix de Hania qui semble compulsivement la déranger dans son être même correspond à la définition que Green donne de l’angoisse comme « bruit qui rompt le continuum silencieux du sentiment d’exister dans l’échange d’informations avec soi-même ou avec autrui » (Green 2007, 168). Hania ne peut pleinement vivre hantée par le fantôme de sa mère, elle perçoit le monde comme un écran et ses propres gestes paraissent ne plus lui appartenir. L’arrivée de la narratrice rappelle à Hania un passé qui la violente (Djebar 2002, 50) et qui la plonge dans une angoisse indéfinissable (Ibd., 48). L’enfant à la mère morte semble aussi grandir sous la malédiction de celle-ci car toute anticipation de l’échec possible de futures relations d’objet fait ressurgir régulièrement en lui une profonde douleur (Green 2007, 260-261).
Selon Green, la perte de l’objet maternel aboutit à ce que l’enfant, afin de lutter contre ce traumatisme narcissique, se désinvestit de l’objet : « Il y a eu enkystement de l’objet et effacement de sa trace par désinvestissement, il y a eu identification primaire à la mère morte et transformation de l’identification positive en identification négative, c’est à dire identification au trou laissé par le désinvestissement et non à l’objet » (Ibd., 235). Le sentiment de vide, de mort sans mort est le résultat de cette blessure narcissique constamment répétée. L’identification au vide, c'est-à-dire à l’objet primaire effacé est le seul moyen de se réunir avec celui-ci. Par mimétisme, l’enfant rétablit la fusion d’avant le traumatisme et semble pouvoir étouffer son angoisse déclenchée par la perte. Le moi crée en lui-même un objet d’amour basé sur le modèle de sa mère décédée psychiquement et par cette introjection le sujet acquiert l’impression de pouvoir contrôler l’objet. Dans le roman de Djebar, Hania présente les mêmes signes que ceux de l’enfant à la mère morte. L’absence maternelle est vécue par Hania comme un trou noir qui se creuse de plus en plus profondément dans son corps (Djebar 2002, 51). Depuis la recherche du cadavre de sa mère dans la forêt, elle semble être hantée par Zoulikha. L’idée d’être possédé par le corps d’un mort appartient à la tradition de son pays. Les meskounates, mot qui signifie ‘peuplées’ ou ‘habitées’ en arabe étaient des femmes dont le corps était possédé par un bon ou un mauvais esprit (Ibd., 65). Hania croit selon l’imaginaire collectif non seulement porter en elle l’esprit de sa mère mais elle s’identifie aussi à celle-ci. Elle dit lui ressembler et la considère comme sa sœur jumelle surtout qu’elle a atteint 40 ans, l’âge où Zoulikha a disparu.
Dans la théorie de Green, le narcissisme de mort peut dériver du traumatisme de la mère morte. Le sujet confronté à son vide constitutif se trouve devant une solitude insoutenable et dans le but de soutenir l’illusion de toute puissance, se tourne alors vers la quête de l’immortalité afin de se protéger de la blessure du désir. Le moi se désinvestit totalement de tout objet et se replie narcissiquement sur lui-même. Le sujet ne peut plus aspirer qu’à l’autonomie puisqu’il est dans l’incapacité d’aimer sous l’emprise de la mère morte. Cette autonomie mène à la réduction de toute pulsion vers le degré zéro et à la création d’un monde qui n’évolue qu’à l’intérieur de lui-même. Le narcissisme négatif correspond à une pulsion de mort ou de déliaison totale, à une force qui tend à ramener l’être à un état inorganique, à l’inertie dans la mort psychique. Le narcissisme négatif est la dernière instance de défense d’un moi narcissique qui ne peut plus soutenir sa hantise de l’objet. Une neutralisation sera alors tentée contre l’objet et contre lui-même pour tendre vers la nullification du psychisme : « La retraite vers l’unité ou la confusion du moi avec un objet idéalisé ne sont plus à portée, c’est alors la recherche active non de l’unité mais du néant » (Ibd.,). Dans La femme sans sépulture, Hania sous l’emprise du spectre de Zoulikha ne peut plus se rattacher ou participer à la vie de sa communauté. Le bruit ou les voix qui proviennent de son corps la détachent des autres et toutes les activités auxquelles elle se livre quotidiennement lui demandent un effort considérable : « Se lever ! Me lever !... La voix réaffleure en moi, marmonnement incompréhensible […] gargouillis dans le creux de mon corps. Relève-toi, redresse-toi ! C’est facile, tout doit être facile pour toi, fille de Zoulikha. Descendre pour m’asseoir sous le citronnier ? » (Djebar 2002, 89). Hania nourrit en elle sa mère morte afin de la maintenir illusoirement en vie mais cette séquestration l’empêche d’évoluer et meurtrit son corps. Depuis l’épisode de la forêt, Hania n’a plus de règles et ne peut plus enfanter. Elle se replie sur elle-même à tel point qu’elle n’aspire plus qu’au silence et au répit (Ibd., 90). Hania souhaite avoir une tombe pour sa mère sur le sol humide et la poussière de laquelle elle s’allongerait (Ibd., 93). Nous retrouvons ici le désir de tendre vers l’inorganique, de fusionner avec le néant, désir relevant du narcissisme de mort et de la psychose blanche où le moi se fait disparaître pour vaincre « l’intrusion du trop plein de bruit qu’il faut réduire au silence » (Green 2007, 174).
Dans le roman de Djebar, la voix a une place centrale puisque c’est par la voix des femmes que se construit l’histoire de Zoulikha. Si Hania tend au silence total en se coupant du monde, Djebar offre par l’expression de la parole féminine un moyen possible de guérison des traumatismes de la guerre. Le roman débute par la constatation d’un silence, celui des femmes dans la société patriarcale algérienne mais aussi celui de la souffrance étouffée et endurée lors des combats contre la France. Extérieure à sa communauté par son exil et son éducation française, Djebar sert de récepteur aux diverses manifestations de la parole et par son écriture devient médiatrice entre le passé et le présent, entre le vécu et l’imaginaire colonial et postcolonial pour enfin permettre une réconciliation de tous ceux qui ont souffert et qui ont fait souffrir afin de sortir de la torpeur et de l’apathie qui règne depuis l’indépendance. La voix permet ainsi de se libérer par l’extériorisation des affectes. Cette catharsis se fait dans le roman de Djebar par l’art littéraire qui se veut réceptacle des actes de langages et qui amplifie leur puissance cathartique en les condensant et en les sublimant. La voix et le corps de Zoulikha sont exhumés de l’histoire officielle qui les a fait disparaître pour être réifiés en œuvre d’art apaisant les souffrances vécues et infligées.
Green soutient que tout désir d’objet provoque un décentrement du sujet (Ibd., 22) et un ébranlement de son unité qui peut être rétablie par une ouverture vers l’objet et une incorporation partielle de celui-ci dans le moi. Dans le cas de la mère morte, l’identification du sujet à celle-ci ne peut permettre le recentrement, l’objet n’existant plus. Toutefois le moi peut dépasser l’inertie et le danger d’auto-anéantissement en se tournant vers « un objet intégralement idéalisé avec lequel il fusionnera à la manière dont il procédait avec l’objet primaire » (Ibd., 24). Dans le roman de Djebar, le déplacement interne des personnages et en particulier de Hania semble impossible, l’art propose alors une ouverture vers l’universel et une résolution à l’inertie psychique. Le manque sera esthétisé et la mère morte réifiée en œuvre d’art, en statue « d’un éclat aussi pur que tel ou tel marbre de déesse » (Djebar 2002, 242). Cette idée d’un narcissisme comme énergie créatrice se retrouve chez Kohut qui souligne que le narcissisme peut être une force positive et prendre des formes plus poussées que la libido d’objet sous les tournures de l’humour, de la créativité, de l’empathie et de la sagesse. Il étudie la relation du narcissisme et de la créativité qu’il considère comme une des transformations du narcissisme. Dans le travail créatif des énergies narcissiques sont employées qui ont été transformées en libido idéalisante c'est-à-dire en libido d’objet après que celui-ci a été investi de libido narcissique et inclus dans le contexte de l’Ego (Ibd., 74).
Dans le roman de Djebar, l’auteure condamnée elle-même à l’errance dans sa quête identitaire par son histoire personnelle, son exil et son émancipation fait halte pour écouter les femmes de sa terre natale. Par la mise en écriture de ces voix, l’écrivain prend racine et se libère tout à la fois. Le décentrement du moi est source et fondement de l’œuvre mais aussi principe de guérison car l’œuvre en création exorcise et chasse les démons des femmes habitées. L’art comme catharsis est représenté par la mosaïque que la narratrice voit au musée de Césarée. Cette mosaïque au nom d’Ulysse et les sirènes réunit trois femmes oiseaux qui contemplent un vaisseau. Chacune d’elle a à la main un instrument de musique et bien que la scène symbolise un danger, l’image de la mosaïque, elle, paraît sereine. Le roman de Djebar est semblable à cette représentation car par la voix des femmes et la polyphonie que celle-ci constitue, l’histoire de Zoulikha se construit fragments par fragments, de moments à moments dyschroniques pour que le chant féminin puisse libérer ses auditeurs de leur enfermement. Le risque est pourtant grand de faire le voyage au pays des morts, du refoulé et des affectes mais ce passage est nécessaire pour retrouver la quiétude du recentrement. La mère morte en tant que mort en soi est remplacée par la femme intemporelle à l’image de la femme oiseau. Cette ancienne représentation de la sirène symbolisait autrefois l’âme des morts qui tourmentaient les vivants pour finalement leur apporter l’apaisement. La narratrice s’identifie elle-même à Ulysse mais à la différence de celui-ci, elle ne désire pas s’éloigner mais recherche au contraire le tourment des sirènes, pour le retranscrire en le magnifiant afin de donner à la mort la plus belle des sépultures.
Bibliographie :
Djebar Assia 2002, La femme sans sépulture. Paris : Albin Michel.
Green André 2007, Narcissisme de vie, narcissisme de mort. Paris : Les éditions de minuit.
Kohut Heinz, 1986, Form and Transformation of Narcissism. In: Morrison Andrew, Essential papers on Narcissism, New York: New York University Press, 61-89.
La Femme sans sépulture (2002) d’Assia Djebar fut d’abord pour moi un roman intimidant à mettre au programme de mon cours de 102 en raison de sa richesse historique, de tous ses non-dits et de sa structure narrative ambitieuse. Les choix de corpus de la romancière et professeure de littérature au cégep Katia Belkhodja m’inspirent, j’aime connaître les nouveaux titres auxquels elle a osé s’attaquer comme Mrs Dalloway de Virginia Woolf ou La Québécoite de Régine Robin. J’ai lu La Femme sans sépulture précisément parce qu’elle l’avait enseignée. Quand une oeuvre comme celle-ci m’effraie un peu tout en me stimulant, je la mets très rapidement dans mon plan de cours, j’envoie ma commande de livres et je me dis que je m’arrangerai bien pour trouver comment la présenter à mes futur.e.s étudiant·e·s en temps et lieu. Afin de déjouer la routine de prof de collégial, il me faut sans cesse me donner des défis pour me réinventer. Sinon je crains de mourir ennuyée par les remarques cyniques sur la prétendue médiocrité du français des étudiant·e·s entendues ici ou là ou par l’uniformisation quasi-inévitable de l’enseignement de la littérature engendrée par l’Épreuve uniforme de français. La relecture et la découverte de nouvelles oeuvres, comme La Femme sans sépulture, m’aident à rester vivante dans un milieu qui met parfois des freins à l’activité intellectuelle de ses professeurs. Pour ne pas se laisser happer par la morosité non-assumée de certains enseignants de cégep qui se passionnent pour la rénovation de leur maison et l’achat de bons alcools, je me vois comme une artiste qui enseigne et qui inscrit son travail dans sa démarche d’écriture et non comme une femme professionnelle qui rêve de REER. D’ailleurs, heureusement que je ne rêve pas de REER, parce que je n’en ai pas!
Quand j’ai enseigné le roman d’Assia Djebar, Julie et moi avions déjà lancé ce blogue. Puisque l’autrice d’origine algérienne y met en scène une héroïne absente, il est tout indiqué pour notre réflexion. Djebar travaille la figure de l’absente d’une manière toute personnelle. Elle l’aborde comme seule une artiste peut le faire : elle s’imprègne complètement de son personnage, sa quête s’inscrit au coeur de sa vie. Elle s’ouvre à tous les possibles qui se dévoileront lors de son projet d’écriture, accepte de perdre parfois le contrôle et se laisse altérer par son héroïne. Son travail sur Zoulikha Oudai (1911-1957), résistante oubliée de la Révolution algérienne, est double : elle réalise d’abord un film (La Nouba des femmes du mont Chenoua, 1979), puis fait paraitre le roman bien plus tard.
Au début du livre, un avertissement atteste de la volonté de Djebar de rapporter les faits « avec un souci historique […], selon une approche documentaire » (p. 9), mais tout de suite après, elle ajoute qu’elle a « usé à volonté de [sa] liberté romanesque, justement pour que la vérité de Zoulikha soit éclairée davantage » (p. 9). J’ai demandé à mes étudiant.e.s ce que Djebar voulait dire exactement par cet avertissement, en ajoutant que puisque le roman commençait ainsi, ça devait bien être une précision importante pour l’autrice. Optimiste, je m’attendais à une réponse, peut-être imprécise, embryonnaire ou impertinente, mais à une réponse quand même. Ils furent complètement muets alors que je les connaissais plus loquaces! Une des difficultés pour moi comme enseignante de collégial qui a été chargée de cours à l’université est d’accepter qu’une idée comme celle-là qui est si aisée à faire entendre à des universitaires est quasiment impossible à aborder, de manière aussi frontale du moins, avec des cégépiens. Pour les amuser, j’ai lancé à la blague qu’ils n’avaient pas idée à quel point ce genre de tension entre la fiction et la vérité peut exciter un prof de littérature comme moi. J’ai dû dire quelque chose comme « Des tensions pareilles, les profs de littérature, on en mange! » ou sinon j’ai probablement dit qu’on pourrait écrire 300 pages seulement sur cette question et qu’on ne l’aurait pas encore épuisée. Ils ont rigolé et m’ont fait des yeux qui disent « Ben voyons, donc! », mais je ne pense pas qu’ils ont compris l’idée d’une « liberté romanesque » exercée dans un contexte d’une recherche de la vérité de Zoulikha. Puisque je travaille souvent avec des romans autobiographiques en classe, j’ai rencontré ce problème à maintes reprises et n’ai pas encore trouvé une solution qui me plaise. J’ai abandonné la discussion plus conceptuelle pour faire confiance au roman qui selon moi faisait ressentir cette tension mieux encore que toute discussion à ce sujet.
Au fil de son parcours, la narratrice rencontre des personnes qui ont connu Zoulikha et qui lui racontent des bribes d’histoires sur la femme qu’elle a été. Elle est présentée d’entrée de jeu comme une héroïne. En 1930, Zoulikha est la première fille musulmane diplômée de sa région. Rebelle au caractère fort, elle vit comme elle l’entend et sort parfois en société sans recouvrir sa tête dans des contextes où c’est mal vu. Elle critique ouvertement les Européens, parle mieux le français que certains Français nés sur le continent africain. Ses comportements lui valent le surnom de « L’anarchiste » (p. 20). Avec mes étudiant·e·s, nous avons lu attentivement la scène au début du roman où Zoulikha se fait insulter par une Française née sur l’île de Malte. Notre Algérienne téméraire lui répond avec force et exige de sa part plus de respect. Avant la confrontation, la narratrice précise que la nouvelle vie d’épouse au foyer de Zoulikha n’avait rien enlevé à sa fougue et ne l’avait pas assagit. Juste avant d’entamer la lecture de La Femme sans sépulture, nous avions lu Une mort très douce de Simone de Beauvoir. Nous avions vu la représentation plutôt négative de la femme mariée que faisait de Beauvoir en parlant de sa mère. L’idée d’en présenter un contre-poids avec le roman de Djebar était stimulante. Fort surprise, j’ai constaté que la question de la représentation favorable ou défavorable de la femme au foyer semblait les intéresser. Quand on parle d’un sujet comme celui-ci, on ne sait jamais à qui on s’adresse. Combien de mes étudiant·e·s avaient une mère au foyer ou même étaient le conjoint de l’une d’elles ? Leurs yeux attentifs me laissaient croire que cette réalité ne leur était pas étrangère. Je leur ai raconté l’épisode des Yvettes de 1980 au Québec, qui a fait suite à une remarque de Lise Payette. J’ai eu l’impression que c’était la chose la plus étonnante et passionnante que j’avais pu raconter de la session. Ils ne comprenaient pas mon enthousiasme pour la tension entre la vérité et la fiction, mais avec cette affaire des Yvettes, ils étaient pourtant fascinés par une relation contradictoire similaire. Une révolte des femmes dites « soumises », c’est tout une tension conceptuelle!
La confrontation entre la Française et Zoulikha survient alors que cette dernière voilée accroche au passage l’autre femme dans la rue. Pour lui signifier son agacement et, du même coup, sa supériorité sur elle, la Française lui crie « Eh bien, Fatma! » (p. 23) Prénom féminin, « Fatma » est aussi un terme péjoratif utilisé pour dénigrer une femme musulmane. Zoulikha lui répond sans détour en faisant tomber sa voilette : « Eh bien, Marie? » (p. 23) Son insulte lui est ainsi renvoyée par un jeu de miroir. La riposte de Zoulikha excite alors la colère de la Française : « Tu m’appelles Marie ? Quel toupet ! » (p. 23) L’héroïne ne se laisse pas intimider de la sorte : « Vous ne me connaissez pas ! Vous me tutoyez… et, en outre, je ne m’appelle pas Fatma !… Vous auriez pu me dire « Madame », non ? » (p. 23) La demande ferme de Zoulikha de se faire respecter par la Française attire une foule de curieux qui reconnaissent et admirent le courage de la rebelle. La scène est superbe pour discuter de la connotation avec les étudiant·e·s et pour travailler les jeux de pouvoir inscrits à même le langage. Il permet aussi de donner un peu de chair à l’héroïne qui sera surtout un fantôme dans le reste du roman.
Dans un de mes groupes, la lecture de ce passage a donné lieu à un affrontement dans la classe. Certains étudiant·e·s ont profité de l’analyse de l’extrait pour exprimer des commentaires désobligeants sur les femmes musulmanes. D’autres étudiant·e·s se sont empressés de répondre avec véhémence aux propos énoncés. J’ai saisi l’occasion pour leur dire explicitement que le roman de Djebar tentait précisément de nous présenter la femme voilée comme un sujet à part entière, une femme que l’on devait entendre sans parler à sa place. Le cours suivant, j’ai lu des passages de Classer, dominer : qui sont les autres de Christine Delphy afin d’alimenter notre réflexion. J’en ai profité pour expliquer aux étudiant·e·s comment la littérature peut permettre une sortie salutaire des discours politiques qui tendent à réifier les individus. La femme voilée, comme la femme au foyer lors de l’épisode québécois des Yvettes, est précisément celle qui est à la fois visée et exclue par les débats politiques. Le roman d’Assia Djebar, en plus de présenter ces femmes comme des sujets pensants et agissants, nous offre une occasion unique d’entrer dans leur intimité. La narratrice nous sert de guide pour aller à leur rencontre, comme nous n’aurions pas tous la chance de le faire.
Cette question de la femme voilée mise à l’écart des discours m’a permis de poursuivre avec celle extrêmement importante pour lire le roman des oubliés de l’histoire. Le projet d’Assia Djebar est de partir à la recherche de Zoulikha pour donner à celle que certains personnages surnomment « La mère des maquisards ! » (p. 15) la place qu’elle mérite dans la Révolution algérienne. Montée au maquis en 1956, elle a décidé de jouer un rôle actif dans les combats. À sa mort, après une arrestation par l’armée française, son corps n’est pas envoyé à sa famille qui ne peut donc pas accomplir le rite funèbre. La narratrice se fait Antigone, elle tente de voir comment la littérature pourrait donner un tombeau à l’héroïne. L’enjeu n’est toutefois pas seulement de lui offrir une sépulture, il faut surtout lui en offrir une qui puisse préserver sa révolte. Dans Les subalternes peuvent-elles parler ?, Gayatri Chakravorty Spivak raconte l’histoire d’une jeune femme indienne qui avait pris part à la lutte armée pour l’indépendance de l’Inde, Bhuvaneswari Bhaduri, dont la rébellion et le caractère belliqueux seront ravis par sa famille après sa mort. Ses proches ont justifié son suicide en prétextant un revers amoureux alors qu’en réalité son chagrin était lié à une tentative d’assassinat raté visant un responsable politique. Cette femme n’avait donc pas droit de mourir comme la guerrière qu’elle avait été. La narratrice La Femme sans sépulture veut à tout prix rendre la colère de Zoulikha et des autres personnages qui peuplent le livre comme la conteuse Dame Lionne.
L’approche documentariste de la narratrice, comme la présence de contes, permet aussi de donner une place dans le texte à la parole. L’héroïne oubliée revient d’abord par la voix des vivants. La place de la narratrice près des filles de Zoulikha, Mina et Hania, est faite de confiance et de complicité. À son arrivée, Mina lui lance sans ambages : « Je t’ai attendue toutes ces années ! » (p. 15) Hania confie à la romancière-cinéastre qu’habituellement elle n’est pas aussi à l’aise pour se raconter : « Face aux journalistes […] quand ils viennent m’interroger sur Zoulikha, j’ai l’impression, en déroulant les mots… (elle passait soudain à la langue arabe, qu’elle a plus raffinée), en parlant de Zoulikha, il me semble que, à mon tour, je la tue ! » (p. 50) Hania explique avec douleur qu’alors que les autres pensent qu’elle s’enorgueillit d’avoir une mère guerrière, elle ressent plutôt l’immense vide qui ne se refermera jamais qu’a laissé dans son âme l’absence de sa mère près d’elle. Elle a désormais presque l’âge qu’avait Zoulikha le jour de sa mort. Hania veut préserver la mémoire de sa mère, mais souffre de la réification de sa figure : « […] on la tue une seconde fois, si c’est pour l’exposer ainsi, en images à la télévision… (elle réfléchit), une image projetée n’importe comment, au moment où les familles entament leur dîner du ramadhan… » (p. 54). Avec chagrin, Hania sait que les médias aiment bien les femmes mortes, comme sa mère, elles ne sont plus là pour protester : «Zoulikha, vivante aujourd’hui, elle est les aurait dérangés tous!… » (p. 90) La narratrice assemble les voix, elle cite beaucoup et interprète très peu. Elle ne laisse sa trace qu’en arrière-plan à travers l’ordonnancement des paroles recueillies. L’oralité sert de premier garde-fou contre un deuxième assassinat de Zoulikha.
Puisque son corps ne peut être retrouvé, la quête de la narratrice vers Zoulikha ne peut désormais passer que par l’onirisme. Le rêve fait office de second garde-fou. Des monologues où la parole imaginée de l’héroïne prend toute la place apparaissent alors au coeur de la trame narrative. L’héroïne flotte encore sur la ville algérienne de Césarée (aujourd’hui Cherchell) : comme fantôme (« Comme si Zoulikha restée sans sépulture flottait, invisible, perceptible au-dessus de la cité rousse » (p. 17)), puis comme femme-oiseau. Une étrange mosaïque de Césarée représente les sirènes, de l’épisode de l’Odyssée, en femmes-oiseaux. La narratrice est comme Ulysse qui « veut absolument continuer son voyage, mais [qui] veut tout autant écouter le chant des sirènes ». (p. 117) Elle prend le risque d’aller au-devant de cette histoire, le risque surtout de trouver le moyen de conserver Zoulikha vivante. Insaisissable, la maquisarde, reconstituée par Djebar, poursuit son vol au-dessus de Césarée, au-dessus du monde entier, et refuse de se laisser saisir par quiconque.
Le film Les Harkis a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022. Il raconte l’histoire des algériens qui se sont battus dans les troupes françaises pendant la guerre d’Algérie, enrôlés de bon cœur puis abandonnés une fois les accords d’Evian signés. Le réalisateur Philippe Faucon déjà auteur du film La Trahison revient une fois encore sur une page douloureuse de l’histoire de France contemporaine.
Une guerre sans nom mais pas sans souffrances
Né pendant la guerre d’Algérie, le réalisateur ne cesse de revenir sur ce conflits rempli de morts, de tortures et de trahisons. Algériens, pieds noirs et harkis ont tous souffert d’un conflit mené à reculons par l’armée française. Le film revient sur le sort de ceux qui s’étaient engagés comme Harkis, c’est-à-dire supplétifs algérien de l’armée française, pendant la guerre d’indépendance algérienne entre 1954 et 1962, membres d’une unité appelée harka (mot arabe signifiant mouvement. Pas de personnage principal qui se dégage particulièrement du film parmi eux, le groupe prime sur l’individu. Chacun semble renfermé sur lui-même, avec la peur de ce qui l’attend en cas de départ de l’armée française. Pas d’épanchements mais beaucoup de regards fuyants angoissés parmi ceux que la France a abandonné à une population ivre de vengeance. Concentré sur les 3 dernières années du conflit de 1959 à 1962, le film fait en quelque sorte écho à des débats ayant courts actuellement dans la vie politique national. Sans prendre véritablement parti, le réalisateur n’oublie pas que cette population a subi des exactions et une destinée peu reconnue pour les rapatriés dans l’hexagone. Camps de transit, ghettoïsation, amnésie collective, les harkis semblent mis sur la touche de l’histoire de France. Sans trop d’artifices ni aucun effet spéciaux, le film s’intéresse à la chronologie, aux promesses et à la trahison, avec le sentiment d’une intense injustice à leur égard.
Le film s’ouvre sur la tête décapitée d’un harki cachée dans un sac en osier. Une manière de ne pas passer sous silence la violence et l’horreur du conflit. Le film sort en vidéo le 21 février pour un vrai shoot de réalité.
Synopsis: Fin des années 50, début des années 60, la guerre d’Algérie se prolonge. Salah, Kaddour et d’autres jeunes Algériens sans ressources rejoignent l’armée française, en tant que harkis. Á leur tête, le lieutenant Pascal. L’issue du conflit laisse prévoir l’indépendance prochaine de l’Algérie. Le sort des harkis paraît très incertain. Pascal s’oppose à sa hiérarchie pour obtenir le rapatriement en France de tous les hommes de son unité.
60 ans des accords d'Évian : une guerre, des mémoires
Les accords d'Évian ont 60 ans. Signés le 18 mars 1962, ils ont mis fin à la guerre d'Algérie et ses huit ans de conflit. Entre 260 000 et 400 000 personnes sont mortes du côté algérien, 30 000 personnes du côté français et plusieurs dizaines de milliers chez les harkis. Une guerre qui a laissé des séquelles psychologiques et politiques durables en Algérie et en France. Plusieurs mémoires s'opposent et la France tente, depuis plusieurs années, de mener un processus de réconciliation.
Une émission préparée par Élise Duffau, Anthony Saint-Léger et Morgane Minair.
Annick Cojean, grand reporter au Monde, était cette semaine l’Invitée d’Hubert Coudurier sur TÉBÉO et TébéSud à l’occasion de la sortie de la BD “Une farouche liberté” (éditions Steinkis) cosignée avec Sophie Couturier et Sandrine Revel, une adaptation du livre de Gisèle Halimi paru en 2020.
“Un roman graphique, ça donne beaucoup de liberté. Des journalistes comme vous et moi on a l’habitude du texte, de travailler sur notre matière et après de jouer avec les mots. Et là, tout à coup, il faut aussi jouer avec le dessin, exprimer en peu de mots l’essentiel”.
“Par le roman graphique, on peut faire passer à la fois de l’émotion, de la sophistication, des choses très raffinées, et de la nuance, surtout !”
“Gisèle Halimi a été pour l’indépendance de l’Algérie, pour Bourguiba, et quand la guerre est arrivée en Algérie, spontanément elle a voulu défendre l’indépendance et défendre les Algériens”
“C’est la vie d’une femme courageuse, intrépide, qui n’avait peur de rien, qui a pris tous les risques”.
“Grâce au hashtag Metoo et aux réseaux sociaux, les femmes se sont rendu compte qu’elles n’étaient pas seules”.
“On ne peut pas dire que la situation des femmes dans le monde va bien !”
S’il est un domaine dans lequel l’arrivée de la gauche au pouvoir change la donne en Amérique latine, c’est celui de la politique étrangère. Alors que plusieurs dirigeants appellent à une relance des processus d’intégration régionale, les capitales passées à gauche n’hésitent pas à afficher leurs désaccords avec Washington. Notamment sur le « dossier Assange ».
l y a l’Amérique qui le persécute, il y a celle qui le soutient. Dès 2010, quand WikiLeaks secoue la planète en rendant public un déluge de documents classifiés, Fidel Castro estime que Julian Assange a mis les États-Unis « moralement à genoux » (1). « [Il] est en train de démontrer que l’empire le plus puissant de toute l’histoire peut être défié », écrit le dirigeant cubain. « Je dois féliciter les gens de WikiLeaks pour leur bravoure et leur courage », tranche le président vénézuélien Hugo Chávez, qui dit avoir « peur pour la vie » du journaliste australien (2). « Il a mis à nu une diplomatie qui paraissait intouchable », commente M. Luiz Inácio Lula da Silva. Avant de compléter : « Le coupable n’est pas celui qui divulgue [les télégrammes diplomatiques] mais celui qui les écrit (3). » L’Équateur de M. Rafael Correa accorde l’asile à Assange dans son ambassade londonienne en 2012. Il y restera reclus jusqu’en 2019.
Aujourd’hui encore, une grande partie des gouvernements d’Amérique du Sud soutient le journaliste, détenu depuis près de quatre ans dans une prison de haute sécurité à Londres en attendant la décision sur son extradition vers les États-Unis, de plus en plus menaçante. Il encourt jusqu’à 175 années de prison. Alors que les gouvernements américains et leurs agences de renseignement le harcèlent financièrement, physiquement et juridiquement depuis treize ans, neuf chefs d’États latino-américains demandent désormais qu’il soit libéré : Mme Xiomara Castro (Honduras) et MM. Andrés Manuel López Obrador (Mexique), Daniel Ortega (Nicaragua), Miguel Díaz-Canel (Cuba), Nicolás Maduro (Venezuela), Gustavo Petro (Colombie), Luis Arce (Bolivie), Alberto Fernández (Argentine) ainsi que « Lula » (Brésil). Ce dernier a même suggéré qu’Assange reçoive le prix Nobel pour avoir « fait la lumière sur les magouilles de la CIA » (RT, 11 septembre 2020 (4)). De son côté, le président mexicain, dit « AMLO », a proposé de lui accorder « la protection et l’asile » (5). Après avoir remis une lettre au président Joseph Biden, il plaide : « Il n’a commis aucun crime grave, n’a causé la mort de personne, n’a violé aucun droit humain. Il a exercé sa liberté, et l’arrêter serait un affront permanent à liberté d’expression (6). »
Une scène digne d’un film
Pour éclairer cette mobilisation, la journaliste chilienne Daniela Lepin Cabrera avance que « la plupart des dirigeants n’ont pas grand-chose à perdre, puisque leurs relations avec les États-Unis ne sont pas des plus fluides ». Pour Renata Ávila, avocate guatémaltèque et amie d’Assange, la position latino-américaine se veut « digne et égalitaire ». Les actions de soutien au fondateur de WikiLeaks constituent « un mécanisme de responsabilisation des États-Unis, qui ne cessent de pointer du doigt les pays latino-américains sur les questions liées à la liberté d’expression, dans une énorme incohérence et sans observer leurs propres actions ». « D’une certaine façon, s’il n’y avait pas eu l’Amérique latine, Assange serait déjà aux États-Unis », conclut Lepin.
« Ce qui m’a frappé en Amérique latine, c’est que je n’ai pas besoin de convaincre qui que ce soit de ce que la CIA est capable de faire en matière d’ingérence, d’enlèvement et d’assassinat politique », commente Kristinn Hrafnsson, le rédacteur en chef de WikiLeaks. Les câbles de la diplomatie américaine rendus publics par WikiLeaks en 2010 confirment ce que la gauche latino-américaine dénonce depuis longtemps : l’interventionnisme frénétique de Washington dans son « arrière-cour ». Les documents publiés montrent qu’en 2004 l’envoyé américain à Caracas, M. William Brownfield, résumait, en cinq points, la stratégie de son ambassade contre le gouvernement de Hugo Chávez : « 1) Renforcer les institutions démocratiques, 2) Pénétrer la base politique de Chávez, 3) Diviser le chavisme, 4) Protéger les entreprises américaines vitales, et 5) Isoler Chávez au niveau international (7). »
Les câbles sur la Bolivie sont également éloquents. Quand M. Evo Morales est élu président, en 2006, sur la promesse de lutter contre la pauvreté et le néolibéralisme, l’ambassadeur américain vient lui rendre une visite singulière. « Cela aurait pu être une scène du film Le Parrain », ironisent Dan Beeton et Alexander Main, du Centre for Economic and Policy Research (CEPR), qui ont effectué un travail de dépouillement des documents. L’ambassadeur explique : si la Bolivie souhaite continuer à bénéficier des prêts internationaux, elle doit montrer patte blanche. « Quand vous pensez à la Banque interaméricaine de développement (BID), vous devriez penser aux États-Unis, lance l’ambassadeur au nouveau mandataire bolivien. Ce n’est pas du chantage, c’est la simple réalité. » Devant l’indifférence affichée par M. Morales, le département d’État s’attelle à renforcer l’opposition bolivienne par l’intermédiaire de l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Pour ce faire, des organisations locales opposées à M. Morales sont arrosées de dollars, selon un câble d’avril 2007 diffusé par WikiLeaks. Un an plus tard, une rébellion éclate, faisant au moins vingt morts parmi les partisans du président. Un autre document révèle que Washington envisage alors divers scénarios de renversement, voire d’assassinat, de M. Morales. Des télégrammes diplomatiques établissent que des procédés similaires ont été employés dans les années 2000-2010 au Nicaragua, en Équateur… Comme le notent les deux analystes du CEPR, ces câbles-ci devraient constituer « une lecture obligatoire pour les étudiants en diplomatie et ceux qui souhaitent comprendre comment fonctionne réellement le système américain de “promotion de la démocratie” ».
Assange et ses collègues n’ont cependant pas sélectionné leurs publications dans le but d’embarrasser exclusivement les États-Unis. Les révélations de WikiLeaks ont concerné le monde entier. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs suscité un certain malaise dans les rangs de la gauche latino-américaine. Comme lorsque les Vénézuéliens apprennent que les services de renseignement cubains conseillent directement le président Chávez au nez et à la barbe du Sebin (le service de renseignement vénézuélien). Ou quand le ministre de la défense de « Lula », M. Nelson Jobim, confie aux diplomates américains que M. Morales souffre d’une tumeur cancéreuse dans le nez (information démentie par le président bolivien). Dans la même série de révélations, on apprend que Chávez a « encouragé » M. Morales à nationaliser les hydrocarbures boliviens en 2006, ce qui a entraîné des tensions avec le Brésil, la mesure concernant vingt-six compagnies étrangères, dont le groupe brésilien Petrobras.
« Il faudrait ériger une statue en l’honneur de WikiLeaks », avait dit Castro lors des grandes révélations de 2010. Cinq ans plus tard, depuis son asile à l’ambassade équatorienne à Londres, Assange comparait le traitement qu’il subissait à celui de Cuba : « Quand on lit les documents internes de la Maison Blanche et du Conseil de sécurité nationale, on comprend qu’il ne s’agissait pas tellement de Cuba ; [les États-Unis] ne se souciaient pas tant que cela de Cuba en réalité. En revanche, ils se souciaient de l’exemple de Cuba pour le reste de l’Amérique latine. Si les autres pays avaient vu que l’on pouvait (…) mener impunément une lutte pour l’indépendance, ils auraient fait de même et cela aurait créé un gros problème. C’est la même attitude avec WikiLeaks. Ils ne veulent pas de cet exemple où on réussit à rendre la vie difficile à l’establishment américain du renseignement, de l’armée et de la diplomatie. D’où cette volonté de dissuader quiconque de suivre notre exemple (8).
Abdelkader Boumlik dit "Si Kouider", chahid exécuté à la guillotine, est l'un des symboles de la glorieuse guerre de libération nationale et restera la "fierté" de la wilaya de Sidi Bel-Abbès.
Né le 24 novembre 1926 au douar Mehaid dans la commune de Belarbi (w. Sidi Bel-Abbes), Abdelkader Boumlik a vécu son enfance dans un milieu pauvre, réussissant néanmoins à obtenir un certificat de fin d’étude primaire (CEP) avant d’abandonner les études pour subvenir aux besoins de sa famille, indique Abbès Kouider, chercheur en Histoire.
A l’adolescence, poursuit-il, Abdelkader Boumlik décrocha un emploi dans une briqueterie où il remarqua les conditions de travail de l'ouvrier algérien dans les usines des colons, un facteur ayant ainsi contribué à forger sa personnalité et à aiguiser son esprit patriotique.
Ainsi, il s'engagea dans l’action syndicale en 1949 et adhéra au Mouvement de triomphe des libertés démocratiques (MTLD) en activant au sein de l'Organisation spéciale (OS), selon le chercheur.
Au départ, Abdelkader Boumlik s'était vu confier la mission de distributeur de journaux nationaux et de tracts dénonçant le colonialisme et incitant les travailleurs algériens à revendiquer leurs droits à l'égalité, en plus d'écrire des graffitis pour mobiliser les masses en prévision du déclenchement de la Révolution.
Peu après le déclenchement de la Guerre de libération, Si Aissa Bouzid, chargé de la mission de coordination entre les régions de Sabra (Tlemcen) et Sidi Bel-Abbes, a rencontré Abdelkader Boumlik à la fin de l’année 1954 pour discuter des voies et moyens d’étendre la révolution dans la région qui connaissait une présence accrue des forces coloniales et où le manque d’armes se faisait sentir.
Abdelkader Boumlik a intensifié son action militaire sous le nom de guerre "Si Kouider", menant des opérations fidaies héroïques sous la houlette du commandement de la révolution dans la région. Son courage et sa perspicacité lui ont valu en 1955 d’accomplir d'autres missions, notamment celle de tenir des réunions dans sa maison au quartier Campo, qui porte aujourd’hui son nom et dans d'autres lieux secrets.
En un temps court, il parvint à former une cellule de fidaïs qui sema la terreur dans le camp des autorités coloniales. Il conduisit ainsi onze opérations dont celle de sabotage et de destruction de poteaux téléphoniques et électriques, d’attentat contre des membres de la police et de l'armée coloniale et leurs agents et d’attaques d’entrepôts et de fermes de colons.
Parmi les opérations fidaies spectaculaires, le vaillant Si Kouider a chargé le militant Mahdjoub El Ghaouti d’incendier une grande ferme d’un colon dans les environs de Kaid Belarbi.
Le 24 novembre 1955, Boumlik Abdelkader fut arrêté à proximité de sa maison familiale, a rappelé Pr Abbès Kouider soulignant que les forces coloniales ont également arrêté d'autres membres de la cellule fidaie, à savoir Dalaa Kaddour, Mehadji Benabdellah, Samiria Benabdellah, Kaddour Benamro Hor Abdelkader, le fidai dit Salah, Djilali Feraoun, Hadj Benzineb et Belabbès Saim qui furent incarcérés dans la caserne de la Légion étrangère au centre-ville.
Suite à des interrogatoires et des tortures 20 jours durant, ce groupe de fidaïs a été transféré à la prison de Sidi Bel-Abbes avant de comparaître 7 mois après devant le tribunal militaire d'Oran. Dans son intervention à l’audience, Abdelkader Boumlik a crânement défendu ses compagnons et sa cause avec courage et habileté, donnant une leçon aux colonisateurs.
"Une peine de 20 ans, je ne crois pas la passer dans les prisons de la France qui ne devra pas rester aussi longtemps dans mon pays. Je sortirai inévitablement de la prison d'ici un ou deux ans au plus", disait-t-il, ajoutant: "je ne reconnais pas le tribunal de l'ennemi français, qui n'a pas le droit de me poursuivre dans mon pays".
Les membres du groupe ont été condamnés pour plusieurs affaires à des peines allant de 5 ans de prison à la réclusion à perpétuité.
Abdelkader Boumlik fut condamné deux fois à 20 ans de prison et, après un appel en cassation le 25 mai 1956, à la peine de mort et fut placé dans une geôle avec son compagnon Hor Abdelkader.
Le 1er décembre 1956, il fut transféré seul vers la cellule 13 réservée aux condamnés à mort. Un numéro 7046 lui fut attribué.
Le 4 décembre 1956, il fut exécuté. Dirigé vers la guillotine, il recommanda à ses compagnons de continuer la lutte tout en leur rappelant qu'il a laissé une fille à Sidi Bel-Abbès. Ses dernières paroles furent "Allah Akbar et vive l'Algérie".
La moudjahida Yasmina Belkacem a été honorée lors de cette manifestation par le conseiller du président de la République chargé des Archives et de la Mémoire nationale.
Les activités de la semaine historique et culturelle sur la Guerre de Libération nationale ont débuté mardi au Palais de la culture Moufdi Zakaria (Alger) sous le thème «Les amis de la révolution algérienne: Algériens de coeur et de sang», et ce, dans le cadre de la commémoration de la Journée nationale du chahid célébrée le 18 février de chaque année. Dans une allocution prononcée à cette occasion, le conseiller du président de la République chargé des Archives et de la Mémoire nationale, M. Abdelmadjid Chikhi a affirmé que «cette manifestation est organisée en l'honneur des amis de la révolution algérienne et en reconnaissance de leur soutien malgré toutes les intimidations subies de la part des régimes politiques hostiles à la Guerre de libération dans leurs pays». Rappelant le soutien indéfectible de l'Algérie aux causes justes à travers le monde, il a relevé que les amis de la révolution algérienne ont soutenu l'Algérie partant de ses principes justes affirmant que «nous ne renoncerons jamais à soutenir ce qui est juste». M. Chikhi a expliqué que la Journée nationale du chahid «est une reconnaissance pour les sacrifices importants des chouhada pour le recouvrement de la souveraineté nationale», insistant sur la nécessité de rester fidèles à leur serment, à savoir le sacrifice pour la patrie».
Il a insisté, en outre, sur le rôle de l'enseignement dans la préservation de la Mmémoire nationale et la transmission des valeurs nationales aux générations montantes.La moudjahida Yasmina Belkacem a été honorée lors de cette manifestation par le conseiller du président de la République chargé des Archives et de la Mémoire nationale. Différentes activités culturelles et des conférences sur l'histoire de la Guerre de libération ainsi qu'une journée de reboisement sont également prévues à l'occasion.
Grâce à la technologie du scanner, Sahar Saleem a notamment découvert la blessure au couteau à la gorge de Ramsès III, qui a très probablement causé sa mort.
Le Dr Sahar Saleem place une momie royale dans le scanner du Musée égyptien du Caire (MEE/avec son aimable autorisation)
Plusieurs mystères de l’égyptologie vieux de 3 000 ans ont finalement été résolus au cours des deux dernières années ; la façon dont les pharaons de l’Égypte antique vivaient et mouraient et à quoi ils ressemblaient de leur vivant ont fait l’objet de nouvelles révélations.
Une radiologue en particulier a joué un rôle de premier plan dans ces découvertes, en offrant notamment l’année dernière une vue de l’intérieur du cercueil du pharaon Amenhotep Ier à l’aide de la technologie du scanner.
Le projet dirigé par Sahar Saleem, professeure et responsable du département de radiologie de la faculté de médecine de l’Université du Caire, a révélé une mine de nouvelles informations sur l’un des plus grands gouvernants de l’histoire égyptienne.
La momie, qui a été découverte pour la première fois en 1881, était entourée de mystères et d’interrogations car les historiens hésitaient à enquêter davantage par peur de l’endommager.
Mais le Dr Saleem est à l’origine, plus de trois millénaires plus tard, de nombreuses découvertes grâce au scanner non invasif, une technique qui a permis de réaliser des images en 3D du corps et du visage de la momie.
« La meilleure découverte »
« C’est la meilleure découverte au monde, pas seulement dans [le domaine] des antiquités égyptiennes », se réjouit le Dr Saleem, rencontrée par Middle East Eye.
« Ce qui a enthousiasmé les médias à propos de cette découverte, c’est qu’ils ont pu voir le visage du roi Amenhotep Ier, fils du roi Ahmose, conquérant des Hyksôs, 3 000 ans plus tard. »
« J’ai vu le visage du roi pour la première fois. Son ossature montre qu’il était en bonne santé »
- Sahar Saleem, radiologue
« J’ai examiné la momie par scanner sans décoller les parchemins ni endommager les restes organiques. J’ai vu le visage du roi pour la première fois. Son ossature montre qu’il était en bonne santé. Il est mort à 35 ans », précise-t-elle.
Le scanner est un type de radiographie avancée où des centaines d’images du corps sont prises et assemblées à l’aide d’un ordinateur, fournissant un modèle tridimensionnel de l’objet étudié.
En 1881, environ 50 momies ont été retrouvées dans une cachette de la ville moderne de Louxor appelée Cachette royale de Deir el-Bahari. Les momies y étaient stockées dans le but de les protéger des voleurs de tombes.
En 1898, un autre groupe d’une vingtaine de momies a été découvert dans une cache royale de la vallée des Rois. Elle incluait des souverains ayant régné de la XVIIe dynastie (environ de 1580 à 1550 avant notre ère) à la XXe (de -1189 à -1077).
Selon Sahar Saleem, toutes les momies ont été déballées de leurs rouleaux de lin par des experts en antiquités en présence du khédive, qui régnait alors sur l’Égypte, et d’ambassadeurs.
« La momie d’Amenhotep Ierest la seule à ne pas avoir été ouverte », raconte la radiologue.
« La momie est surmontée d’un masque funéraire et de couronnes de fleurs colorées, jaunes et bleues notamment », décrit-elle.
Le projet a déjà aidé à résoudre de nombreux mystères restés jusqu’alors sans réponse. L’un des principaux concerne le projet de réinhumation mené par les prêtres de la XXIe dynastie.
« Les prêtres ont lancé ce projet après avoir constaté que de nombreuses tombes royales avaient été pillées et que les momies avaient été brisées. Il était destiné à restaurer les momies et à les réenterrer, mais cette fois, cachées dans un endroit plus sûr », explique-t-elle. L’endroit le plus sûr était les deux caches royales découvertes plus tard.
Cependant, de nombreux débats tournent encore autour de la momification originale des corps, avant l’intervention des prêtres.
La numérisation d’Amenhotep Ier par le Dr Saleem a aidé à y apporter une réponse.
« Plusieurs égyptologues ont soutenu que le projet de réinhumation était un moyen de voler les anciennes momies royales afin de donner leurs biens aux rois suivants de la XXIe dynastie, mais ma numérisation révèle le contraire », affirme-t-elle.
« Elle montre que la momie d’Amenhotep Ier a été décapitée. Ensuite, les prêtres, dans leur projet de réinhumation, ont fixé la tête avec de la résine, un matériau semblable à de la colle prélevé sur des cèdres du Liban. Son pied était cassé alors ils l’ont fixé au-dessus d’une planche. »
Le scanner a également révélé la présence de 30 amulettes fabriquées à partir de différents matériaux, dont l’or, ainsi qu’une ceinture composée de 34 perles d’or.
Pour le docteur Saleem, il est illogique que les amulettes et la ceinture dorée soient toujours dans les tombes si les prêtres avaient l’intention de les voler. Pour elle, la numérisation des tombes montre que les prêtres de la XXIe dynastie étaient en fait animés par l’envie de prendre soin de leurs rois.
« Gardienne de ma civilisation »
L’intérêt du Dr Saleem pour les momies découle non seulement de ses études, mais aussi de son désir de contribuer à la préservation et à la protection de sa propre civilisation.
Sahar Saleem est spécialisée en paléo-radiologie, c’est-à-dire l’imagerie des antiquités. Elle a participé au scanner de centaines de momies, un voyage qui a commencé en 2004.
« J’ai immédiatement pensé qu’en me spécialisant dans ce domaine, je pouvais en faire profiter ma propre civilisation »
- Dr Sahar Saleem, radiologue
À l’époque, elle étudiait la radiologie à l’Université Western Ontario au Canada, et sa tâche lors de son premier jour de travail l’a quelque peu surprise.
« Lors de mon premier jour à l’hôpital, ils ont amené une momie égyptienne pour la soumettre à un scanner. J’ai immédiatement pensé qu’en me spécialisant dans ce domaine, je pouvais en faire profiter ma propre civilisation », confie-t-elle.
« J’ai la capacité de comprendre ma civilisation et d’en être la gardienne. »
Sahar Saleem a rejoint le groupe de recherche actif en paléo-radiologie de l’université, qui comprenait différentes spécialités scientifiques telles que l’anthropologie et la pathologie. Elle est l’une des rares radiologues spécialisés dans ce domaine à travers le monde.
« Nous avions coutume de discuter entre nous de la manière de comprendre la civilisation, chacun selon son domaine d’expertise. Nous discutions de la façon dont nous pouvions développer nos spécialités afin qu’elles nous aident à mieux comprendre la civilisation et les appliquer aux antiquités. »
Parade dorée des pharaons
Tous les regards étaient tournés vers l’Égypte en avril 2021 lorsque 22 momies d’anciens souverains égyptiens ont été transférées du Musée égyptien de la place Tahrir, dans le centre du Caire, au nouveau Musée national de la civilisation égyptienne, dans le vieux Caire.
La somptueuse célébration a attiré l’attention du monde entier ; les momies étaient transportées dans des véhicules conçus de manière à ressembler aux bateaux traditionnels utilisés dans l’Égypte antique pour acheminer les pharaons jusqu’à leurs tombes.
Le spectacle, une étape importante dans la présentation du riche patrimoine égyptien au reste du monde, a également mis en lumière l’aspect technique du transport des momies.
Sahar Saleem a travaillé aux côtés d’une équipe de conservateurs de momies en utilisant la technologie du scanner pour fournir des informations sur la façon de résoudre les problèmes liés à la sécurité des momies pendant le transport.
Après une série de tests et de numérisations, les momies ont été déclarées aptes au transfert par l’équipe de conservation. Chacune d’entre elles a été placée dans un coffre rempli d’azote, sans oxygène, et transportée sur un véhicule équipé d’un matériau capable d’absorber les chocs.
Résoudre les mystères grâce au scanner
La Parade dorée des pharaons a été un moment charnière non seulement pour célébrer l’histoire égyptienne, mais aussi pour identifier des informations clés auparavant inconnues.
Lors de la numérisation des momies avant le défilé, les scanners ont en effet révélé de plus amples détails sur la façon dont les monarques étaient décédés.
Le docteur Saleem a sélectionné deux momies royales sur lesquelles effectuer un scanner : Seqenenrê Tâa de la XVIIe dynastie (1558-1555 avant notre ère) et Ramsès III de la XXe dynastie (1186 à 1155 avant notre ère).
« Seqenenrê a été tué lors d’une bataille contre les Hyksôs, pas dans un complot comme cela avait été dit auparavant. Je l’ai su en examinant les blessures sur son corps », explique-t-elle.
« Le scanner révèle que ses blessures correspondaient aux armes des Hyksôs, ce qui indique qu’il a été tué dans une bataille contre eux. »
Les armes ont été trouvées dans des tombes de la capitale des Hyksôs, Tell el-Dab’a (Avaris), dans la partie nord-est du delta du Nil.
Le scanner de Ramsès III a révélé qu’il avait été tué dans une conspiration de harem orchestrée par sa femme, la reine Tiyi, pour placer son fils Pentaour, âgé de 18 ans, sur le trône à la place de l’héritier légitime, Ramsès IV.
« Le scanner montre que le roi avait de multiples blessures : une coupure mortelle au cou ainsi que le gros orteil gauche amputé. »
Avant sa numérisation, la cause du décès de Ramsès III n’avait pas été solutionnée.
Reconstitution faciale des pharaons
Au cours de son travail sur les momies, Sahar Saleem a développé le désir de savoir à quoi ressemblaient les pharaons de leur vivant.
À cette fin, elle a lancé un projet scientifique visant à réaliser une reconstruction faciale des rois Toutânkhamon et Ramsès II sur la base des scanners de leurs momies.
Pour Ramsès II, Saleem s’est associée à l’anthropologue britannique Caroline Wilkinson de l’Université John Moores de Liverpool, surtout connue pour son travail sur la reconstruction faciale médico-légale. L’équipe a construit numériquement le visage du roi en ajoutant des couches de muscles au crâne.
Pour la reconstruction faciale du roi Toutânkhamon, le Dr Saleem a fait équipe avec Andrew Nelson, professeur d’anthropologie à la Western University, et le sculpteur canadien Christian Corbet. Le projet scientifique a été documenté par Soura Films pour la chaîne publique américaine PBS.
« Nous avons réalisé le processus en utilisant le crâne imprimé en 3D sur la base des scanners de la momie. Les muscles du visage ont été ajoutés à la modélisation du crâne en utilisant des mesures de visages égyptiens.
« La visualisation des visages réels des pharaons au cours de leur vie nous aide à nous connecter à leur côté humain », estime Sahar Saleem, qui a dirigé l’année dernière plusieurs projets scientifiques ayant recours au scanner pour reconstruire les vrais visages des grands pharaons égyptiens.
« Ceci est venu célébrer le premier centenaire de la découverte de la tombe du roi Toutânkhamon, ainsi que le bicentenaire de la naissance de l’égyptologie. »
Forte de ces progrès significatifs, la radiologue n’a pas ralenti le rythme et travaille actuellement à l’interprétation de plus de 40 scanners d’anciens rois et reines d’Égypte antique.
Elle passe la majeure partie de son temps sur le terrain, effectuant des radiographies sur les sites de fouilles de Saqqarah. À l’avenir, elle dit souhaiter continuer à collaborer avec des musées internationaux pour aider à l’étude et l’exposition des momies de l’Antiquité.
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