L’opposante algérienne a fui son pays en passant par la Tunisie, début février. Depuis son arrivée en France, plusieurs personnes, liées ou non à sa fuite, sont poursuivies en Algérie.
L’opposante algérienne Amira Bouraoui, l’une des figures majeures du Hirak, à sa libération de la prison Kolea, près de la ville de Tipasa, à l’ouest d’Alger, le 2 juillet 2020.
Après la traque, les représailles. L’affaire Amira Bouraoui, cette opposante algérienne, détentrice d’un passeport français, dont la France a empêché l’expulsion vers Alger le 6 février alors qu’elle venait de se réfugier à Tunis, prend une tournure judiciaire. Dimanche 19 février, son cousin, le chauffeur de taxi qui a conduit la militante jusqu’à Tunis, un adjudant de la police aux frontières et le journaliste Mustapha Bendjama, une connaissance de Mme Bouraoui, ont été placés en mandat de dépôt. La mère de l’activiste est, quant à elle, sous contrôle judiciaire.
Toutes ces personnes sont poursuivies, selon l’acte d’accusation établi à Annaba (ville d’où est originaire la famille de Mme Bouraoui et d’où elle est partie vers Tunis), pour « association de malfaiteurs dans le but d’exécuter le crime d’immigration clandestine dans le cadre d’une organisation criminelle ». En clair, la justice leur reproche d’avoir aidé Amira Bouraoui à s’enfuir du pays. Depuis son retour en France, les autorités algériennes cherchent à comprendre comment elle a pu traverser la frontière alors même qu’elle fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire.
Alger est allée jusqu’à « protester fermement contre l’exfiltration clandestine et illégale d’une ressortissante algérienne ». Cette affaire a occasionné le rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France « pour consultations ». Une dépêche de l’agence officielle Algérie Presse Service a fustigé « les barbouzes français » de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui « cherchent la rupture définitive avec l’Algérie ». « Toute cette histoire de DGSE ne tient pas. A moins d’accuser ma mère d’en être membre, souligne amèrement au Monde Amira Bouraoui. Les autorités ont perdu la face en rappelant l’ambassadeur d’Algérie pour rien. Ils ont perdu la face à l’international et toute cette propagande n’a qu’un but interne. Je ne suis ni la première ni la dernière opposante à quitter ce pays. »
Comme elle l’a rappelé à plusieurs reprises, Mme Baraoui, 46 ans, a quitté l’Algérie en traversant le poste-frontière d’Oum Teboul dans un taxi collectif en utilisant le passeport de sa mère, âgée de 71 ans. « Il faisait très froid ce jour-là, j’étais emmitouflée. On ne pouvait pas savoir si j’étais une dame âgée, raconte-t-elle. Ma mère doit pointer au tribunal tous les quinze jours dans l’attente de l’instruction. Je ne sais ce qu’ils entendent par instruction. Voilà ce que c’est d’être la mère d’une militante dans une dictature », ajoute-t-elle. Mme Bouraoui assure par ailleurs n’avoir jamais rencontré auparavant le chauffeur de taxi ni avoir révélé son identité. Et concernant le journaliste, « je n’ai pas croisé Mustapha Bendjama et je ne lui ai pas parlé en partant à Tunis », affirme-t-elle.
« Harcèlement de la justice »
Depuis des années, M. Bendjama est dans le viseur des autorités. Rédacteur en chef d’un journal indépendant à Annaba, Le Provincial, il a été arrêté le 8 février. Depuis le Hirak – le « mouvement » populaire pacifique qui a secoué l’Algérie à partir du 16 février 2019 et qui a mis fin au règne d’Abdelaziz Bouteflika –, « il subit un harcèlement de la justice. Il a enchaîné les contrôles judiciaires, raconte un de ses confrères algériens. Il a révélé plusieurs affaires qui ont dérangé les autorités locales et notamment le wali [préfet]. On cherchait à le coincer depuis longtemps ».
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En obligeant Mustapha Bendjama à leur fournir le code déverrouillant son téléphone, les gendarmes se sont lancés dans une chasse aux sources du jeune journaliste, sans aucun lien avec l’affaire Bouraoui. Selon le média en ligne algérien Interlignes, le chercheur Raouf Farrah qui était de passage à Annaba – il réside à Tunis – a été arrêté le 14 février et poursuivi pour « réception de fonds depuis l’étranger dans le but d’effectuer des actes attentatoires à l’ordre public » et « publication sur Internet d’informations classifiées ». Son père a été également inculpé pour « participation à la réception de fonds depuis l’étranger ».
Raouf Farrah paie-t-il son travail de chercheur pour l’ONG Global Initiative against Transnational Organized Crime ? Ou son appartenance à Ibtykar, un mouvement citoyen favorable aux libertés politiques et individuelles en Algérie ? Fait troublant, le 18 février, est sorti à Alger un ouvrage collectif sur le Hirak coordonné par le chercheur : Algérie : l’avenir en jeu, essai sur les perspectives d’un pays en suspens (Koukou éditions). Parmi les vingt contributeurs, on trouve Mustapha Bendjama.
L’exploitation du téléphone de M. Bendjama a en outre débouché sur une autre affaire, pour laquelle il est également inquiété : des échanges supposés avec Abdou Semmar, un journaliste réfugié en France et recherché par la justice algérienne. Deux autres personnes ont été inculpées.
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