S’il est très difficile d’échapper à la Coupe du monde de football qui monopolise l’attention planétaire sur le Qatar, petit Etat gazier du Golfe, il est quasiment impossible de suivre les avancées de la COP15 qui se déroule en même temps à Montréal, au Canada, grand Etat extractif d’Amérique du Nord. On y négocie pourtant en ce moment le Pacte de la Nature qui pourrait tenter de freiner la destruction massive de la biodiversité. Le temps d’attention accordé à l’un et l’autre en dit long sur nos priorités !
Que restera-t-il de la plus vaste opération de relations publiques menée par le Qatar à travers sa Coupe du monde à 200 milliards de dollars et ses campagnes de lobbying pour enjoliver sa réputation dont on ignore le montant ? Sans doute une image durablement associée à la corruption qui mine les institutions, de la FIFA pour l’attribution de la compétition, au Parlement européen avec la mise en cause de plusieurs parlementaires européens, soupçonnés d’avoir reçu de l’argent du Qatar, pour "influencer les décisions économiques et politiques" au sein de l'hémicycle.
La nouvelle notoriété du Qatar lui permet de donner un élan supplémentaire à sa stratégie de softpower basée sur tous les sports, y compris le golf. Ce pays désertique où la chaleur ne cesse de s’aggraver, veut devenir une nouvelle destination pour les amateurs de clubs et de pelouses artificiellement très vertes, comme l’explique le média spécialisé Mygolfmedia.com. "Le Qatar semble bien décidé à devenir une destination touristique majeure même si la destination n’est pas encore aussi connue ou mise en avant que le Maroc, la Tunisie ou Dubaï", écrit le média spécialisé. Et d'ajouter, "la Coupe du monde a bien entendu favorisé la construction de nouveaux stades de football, avec son lot de polémiques, mais il faut aussi noter que cela a permis la construction de nouveaux hôtels, et augmenter la capacité d’accueil du pays. Plus de 100 hôtels sont ainsi en construction dans un pays en croissance accélérée…"
La Coupe du monde vient consacrer la stratégie des Etats du Golfe qui vise la captation des sports vitrines de modèles économiques carbo-intensifs et destructeurs de capital naturel par leurs intenses consommations d’eau et d’énergie. C’est le cas de la Formule Un dont "Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite reçoivent tous des événements et que le Qatar va bientôt rejoindre", explique l’article du journal israélien Ha’Aretz traduit par Courrier International, mais aussi du circuit professionnel de golf et des pistes de ski. Elles sont aujourd’hui dans les centres commerciaux de Dubaï et d’Oman mais prendront une autre ampleur avec les jeux d’hiver asiatiques de 2029 obtenus par l’Arabie Saoudite. Celle-ci veut aussi obtenir la Coupe du monde de football 2030 et espère que le Golfe pourra un jour accueillir les Jeux Olympiques.
LA COP15 QUASI ABSENTE DES MÉDIAS
Comment des pays désertiques qui manquent d’eau, de neige et de pelouses ont-ils réussi à convaincre les instances sportives qu’il y aurait toujours assez de glace, de neige et de pelouses irriguées pour planifier ces événements dans cette décennie alors que c’est celle qui doit être consacrée à limiter drastiquement les émissions de CO2 et préserver les ressources en eau ? Grâce à l’inaction générale des Etats, paralysés par leur dépendance aux énergies fossiles. De COP Climat en COP biodiversité, ils échouent à prendre des engagements de transformation des modèles économiques et ne font pas de lien entre les négociations sur le climat et celles sur la biodiversité.
Celles-ci sont très mal engagées à Montréal pour cette COP15 présidée par la Chine et décalée à de nombreuses reprises pour cause de Covid. Elle doit s’achever le 19 décembre sans perspective d’un accord à la hauteur de l’enjeu, alors que la Chine vient de mettre un nouveau texte sur la table. Celui-ci ne parvient pas à combler toutes les failles notamment sur la réduction des pesticides, les financements ou encore la transformation de notre modèle agricole.
La phrase prémonitoire du président français, Jacques Chirac, au Sommet de la Terre de Johannesburg de 2002 : "La maison brûle et nous regardons ailleurs" est plus que jamais d’actualité. Vingt ans après, la quasi-absence de la COP15 dans des médias centrés sur la Mecque du football, résume l’indifférence du monde à son propre avenir. Il dépend pourtant de sa capacité à préserver ce qu’il reste de biodiversité. L’indifférence médiatique tue lentement mais sûrement un écosystème de plus en plus fragile, en empêchant la mobilisation des opinions publiques sur ce qui est essentiel.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic
Publié le 18 décembre 2022
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