Le Canada vit un manque criant de main-d'œuvre et ses dirigeants comptent bien y remédier. En effet, pour combler cet important déficit, le gouvernement de Justin Trudeau a décidé d'accueillir près de 1,5 million d'étrangers d'ici l'année 2025. C'est le ministre de l'Immigration qui a fait cette annonce, mardi 1er novembre, lors d'une conférence de presse.
« Le Canada a besoin de plus de monde », a effectivement déclaré Sean Fraser, le ministre de l'Immigration du pays de l'érable qui a atteint un taux de chômage bas ces derniers mois. Le taux s'est établi à 5,2 % en septembre, selon des informations rapportées par le quotidien français Le Figaro, qui précise que plus de 900.000 postes sont actuellement à pourvoir dans de nombreux secteurs.
Dans le but de pourvoir ces postes et trouver une solution au problème du manque de main-d'œuvre, les autorités canadiennes prévoient d'accueillir pour une résidence permanente 465 000 personnes en 2023. Pour l'année suivante, le Pays de l'érable accueillera 20 000 de plus, soit 485 000 étrangers. Enfin, 500 000 étrangers auront la résidence permanente au Canada en 2025, selon les chiffres avancés par le ministre canadien de l'Immigration, Sean Fraser.
Le Canada veut encourager l'accueil de plus de migrants économiques
Dans ce sillage, le gouvernement fédéral canadien entend amender ses programmes de sélection pour encourager les migrants économiques, sur la base des besoins constatés sur le terrain. Comme par exemple orienter les arrivées de migrants vers les secteurs en crise de main-d'œuvre, à l'instar des soins de santé, des emplois spécialisés, du secteur manufacturier ainsi que les STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques).
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En fait, les autorités canadiennes visent à réduire le nombre de réfugiés à accueillir sur leur territoire. Comment ? En se fixant l'objectif d'accueillir plus de 60 % des admissions totales en migrants économiques. Mais aussi, en réunissant plus rapidement les familles dont certains membres sont à l'étranger. C'est, semble-t-il, le meilleur moyen pour le Canada d'améliorer la qualité de sa politique d'immigration.
Il importe de rappeler que le Canada, qui compte près de 39 millions d'habitants, enregistre une grande proportion d'immigrants. Le Pays de l'érable compte, en effet, un citoyen sur quatre né à l'étranger. Il y a même une certaine concurrence entre les provinces en matière d'accueil, certaines provinces comme l'Ontario revendiquant plus d'émigration et des prérogatives similaires à celles du Québec.
L’exposition « Les appelés gestois, avoir 20 ans en Algérie entre 54 et 62 » va présenter 400 photos, des documents, des tenues, des objets ayant appartenu à ces appelés, du 7 au 20 novembre 2022 à la mairie annexe de Gesté (Beaupréau-en-Mauges) dans le Maine-et-Loire.
he insists on the various groups bearing the memories of the Algerian war: from conscripts to career soldiers, passing through the rebellious, the separatists of the FLN/ALN, and its supporters, at the MNA, from the harkis to the black-footed, through the OAS.
Introduced by historians (Marc André, Raphaëlle Branche, Olivier Dard, Jean-Jacques Jordi, Abderahmen Moumen, Yann Scioldo-Zurcher-Levy, Tramor Quemeneur), these extracts from testimonies make it possible to grasp the diversity of the paths and experiences of men and women actors or witnesses of the Algerian war.
Between 1954 and 1962, nearly 1.2 million conscripts did their military service in Algeria. Their backgrounds are very diverse, when some took part in armed operations, others were teachers or doctors. This experience of the Algerian war marks the memory of each of them.
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III- What is a career soldier?
During the war, nearly 320,000 career soldiers were serving in Algeria. Some of them had already fought in Indochina and during the Second World War. Professional soldiers were often mobilized on the most combat missions.
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IV- Who are the rebels and supporters of the National Liberation Front (FLN)?
From the start of the conflict, networks were set up in mainland France to support the FLN. These networks of “suitcase carriers” helped the FLN by transporting arms, funds and hiding combatants. Added to this were rebellious and refractory people who deserted or refused to bear arms.
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V- What are the FLN and the National Liberation Army (ALN)?
In 1954, the National Liberation Front triggered an insurrection in Algeria and demanded independence. Composed of a political branch and an armed branch, the National Liberation Army, the FLN has multiplied political and armed actions in Algeria and France to achieve its ends.
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VI- What is the Algerian National Movement (MNA)?
Founded in 1954 by Messali Hadj, the MNA was an Algerian nationalist party with a reformist tendency which was directly opposed to the FLN. The struggle between the FLN and the MNA for the domination of the Algerian national movement during and after the war resulted in ten thousand deaths in Algeria and in mainland France.
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VII- Who are the harkis?
The Harkis were Algerians who were part of an auxiliary unit within the French army during the war. The term comes from the Arabic word meaning "movement". The number of auxiliaries during the conflict is estimated at 200,000. At independence, they were victims of reprisals in Algeria, many of them sought refuge in France. Many of them were accommodated in camps.
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VIII- Who are the French in Algeria?
The French in Algeria represented on the eve of the war nearly a million people. Coming from French or European Jewish families from Algeria naturalized at the end of the 19th century, their origins are plural, as are their socio-economic situations. It was only after the war that these French from Algeria were called Pieds-Noirs.
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IX- What is the Secret Armed Organization (OAS)?
Created in 1961, the OAS is a clandestine organization bringing together supporters of French Algeria. The OAS wanted to prevent Algeria's independence by force. To do this, it establishes a climate of terror by committing numerous attacks and targeted or indiscriminate assassinations in Algeria and France. The number of Algerian and French victims is estimated at 2,000.
Etienne Daho est né il y a soixante-six ans à Oran, en Algérie. Mais sa famille a été obligée de quitter la ville pour éviter le massacre historique qui a eu lieu en cette ville...
Il a l'air si serein, en paix, qu'on imagine difficilement à quel point son enfance a été rude. Alors qu'il s'apprête à dévoiler son 13e album studio, intitulé Tirer la nuit sur les étoiles, Etienne Daho sort un beau livre biographique avec son amie proche Sylvie Coma. L'occasion de revenir sur ses jeunes années, qu'il n'avait jamais trop évoquées jusqu'à présent, et pour cause. Lui qui est né à Oran, en Algérie, a dû fuir la ville avec sa famille en 1962, avant le massacre, pour s'installer au cap Falcon.
En Algérie, la vie était compliquée à cause de la guerre
"Ces années-là sont fondatrices mais j'ai vécu plus longtemps à Londres qu'en Algérie, explique Etienne Daho dans les pages du magazine Paris Match. Ce sont tous ces bouts mis ensemble qui me fabriquent. En Algérie, la vie était compliquée à cause de la guerre mais, enfant, on s'accommode de tout et l'on peut même jouer sous les bombes. Mes soeurs et moi devions éviter les cadavres dans la rue, nous baisser pour passer sous les fenêtres par peur de prendre une balle, s'allonger dans les voitures quand on circulait. Lorsque je suis arrivé à l'école en France, mes petits camarades avaient une vie normale, ils vivaient avec leurs deux parents, ce qui n'était pas du tout mon cas. Alors j'ai essayé de me rendre invisible. Cela a duré jusqu'à l'adolescence où, tout d'un coup, on m'a trouvé cool."
Musicalement, Etienne Daho a inspiré plusieurs générations avec sa pop fraîche et innovante. "Cool" est donc un mot bien faible pour décrire l'artiste de 66 ans, ancien partenaire d'Elli Medeiros. Pour autant, l'auteur compositeur et interprète n'est pas du genre à se mettre en avant. Hypersensible, il a carrément demandé à une copine de lycée de rédiger, pour lui, son autobiographie tant il redoutait l'exercice. "C'est plus facile de se faire raconter par les autres, affirme-t-il. Je n'ai pas choisi Sylvie Coma au hasard, j'habitais chez elle quand j'enregistrais mon premier album. Je lui ai pourri la vie pendant un mois en rentrant tous les soirs à des heures pas possibles..."
Un nouveau billet de 2.000 dinars algériens est émis depuis mercredi, avec la mention « two thousand dinars ». Si l’anglais fait effectivement son apparition, le français, lui, ne figurait plus sur les billets depuis, au moins, les années 1990.
Elisabeth Borne lors de sa visite à Alger le 9 octobre 2022 — New Press/SIPA
Un nouveau billet de 2.000 dinars a été mis en circulation mercredi. Il fait apparaître du texte en arabe et en anglais ( « two thousands dinars »).
« La langue commune ne l’est plus. Tristesse », a déploré Jean-Luc Mélenchon. Une réaction résumant le sentiment de plusieurs internautes.
Or, l’arabe a totalement remplacé le français à partir du milieu des années 1970. Si des coupures avec des mentions en français ont pu passer de main en main pendant quelque temps, les billets en circulation en Algérie étaient écrits uniquement en langue arabe, au moins depuis la réforme de 1990 », explique à 20 Minutes la chercheuse Fatiha Talahite.
Une nouvelle preuve de l’éloignement entre l’Algérie et la France ? Ce mercredi, de nombreux internautes se sont fait l’écho d’un changement, minime à première vue, mais hautement symbolique dans les relations entre les deux pays, surtout après le voyage de la délégation française sur place au début du mois d’octobre.
Les nouveaux billets de dinars algériens ne comporteraient plus de mentions en français. Ces dernières auraient même été remplacées par des mentions en anglais. Jean-Luc Mélenchon a tweeté mercredi à ce sujet, égratignant au passage le président de la République et la Première ministre : « La langue commune ne l’est plus. Tristesse. Macron Borne ont échoué en tout et pour tout. » Le message est accompagné d’un gros plan sur un billet de 2.000 dinars sur lequel on lit « Two thousands dinars ».
Le chef de file de la France Insoumise a quelques années de retard sur l'histoire des billets de banque algériens - Capture d'écran Twitter
Sauf que, si l’anglais est bien présent sur les nouveaux billets en Algérie, les internautes accusateurs et le chef de file de la France insoumise ont un train de retard. 20 Minutes fait le point.
FAKE OFF
La Banque d’Algérie a émis, ce 2 novembre, un nouveau billet de 2.000 dinars et une nouvelle pièce métallique de 50 dinars avec des mots en arabe et en anglais, comme le confirme le Journal officiel du 23 octobre.
« Le thème du billet de 2.000 dinars est le 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et le 31e sommet de la Ligue Arabe qui se tient à Alger le 1er novembre 2022, symbolisé par une carte du monde arabe, explique Fatiha Talahite, économiste et chercheuse associée au CNRS. La pièce de 50 dinars est à l’effigie de Hassiba Benbouali, martyre de la révolution. Elle porte le triple millésime hégirien, grégorien et amazigh de l’année de frappe. »
Le Journal officiel d'Algérie du 23 octobre 2022 - Extrait du Journal Officiel
L’arabe remplace le français dès les années 1970
Des billets avec leur valeur nominale écrite en français ont bien circulé après 1964, et l’entrée en vigueur de la monnaie algérienne. « Lorsqu’elle s’appelait Banque centrale d’Algérie (BCA), il arrivait que son nom aussi soit écrit aussi en français sur certains billets », ajoute Fatiha Talahite. Un reste de la colonisation puisque le français « n’est pas la langue officielle en Algérie, sa présence ne se justifiait donc pas ».
Ancien billet de cent dinars portant des mentions en français - Image fournie par Fatiha Talahite
Mais l’arabe a totalement remplacé le français à partir du milieu des années 1970. Si des coupures avec des mentions en français ont pu passer de main en main pendant quelque temps, selon la chercheuse, les billets en circulation en Algérie étaient écrits uniquement en langue arabe, au moins depuis la réforme de 1990 et le nouveau statut de la Banque centrale, devenue Banque d’Algérie. Et ce, jusqu’à ce mercredi 2 novembre.
Promouvoir la langue anglaise
La confusion semble avoir démarré avec un article de l’agence turque Anadolu titré « Algérie : l’anglais remplace le français sur le nouveau billet de 2.000 DA » et qui cite « au lieu de "deux mille dinars" qu’on retrouve sur les anciens billets, le nouveau billet contient une mention en anglais "two thousand dinars" ». Reprise par plusieurs médias étrangers, l’idée s’est vite retrouvée sur les réseaux sociaux.
Devant les autorités de Bahreïn, au premier jour de son voyage dans le pays, jeudi 3 novembre, le pape François a appelé au respect des droits de l’homme et à l’abolition de la peine de mort, toujours en vigueur dans le pays.
délivrer son message, François a choisi le lieu le plus solennel de son voyage. C’est au cœur de la cour du Palais royal, grand rectangle de marbre blanc brillant dans la nuit de Bahreïn, et sous l’immense drapeau rouge et blanc du pays, que le pape a prononcé jeudi 3 novembre, un discours éminemment politique. Au premier jour de son voyage dans ce royaume du Golfe, qui doit durer jusqu’à dimanche, il a appelé les autorités, devant le roi, à respecter les droits de l’homme, alors que Bahreïn est très critiqué par les ONG pour le sort qu’il réserve à la majorité chiite.
Le pape, dont l’arrivée au Palais présidentiel a été saluée par des chants d’enfants et 21 coups de canon, n’a jamais mentionné explicitement les deux courants du monde musulman, mais il s’est appuyé sur la Constitution de Bahreïn pour promouvoir une « égale dignité » et une « égalité des chances » pour « chaque groupe et chaque personne ». Et ce, « afin que les droits humains fondamentaux ne soient pas violés, mais (soient) promus », a-t-il insisté.
La liberté religieuse, a souligné le pape, doit être « totale », et « ne pas se limiter à la liberté de culte ». En employant ces mots, il a directement repris les critiques adressées au royaume par les ONG – et qui se sont amplifiées à l’approche du voyage –, consistant à accuser Bahreïn de violer les droits humains des chiites. Dans le royaume, les fidèles de ce courant de l’islam jouissent de moins de droits que les sunnites – leur accès à la fonction publique ou à l’armée est notamment très réduit.
En coulisses, le pape et son entourage entendent aussi agir en faveur de la majorité chiite. Selon une haute source vaticane, il pourrait ainsi plaider auprès du roi Hamad, lors de leur rencontre privée, en faveur de la libération de prisonniers chiites détenus dans les geôles bahreïniennes, en particulier des mineurs. Le Vatican compte sur la tradition selon laquelle le souverain de Bahreïn accorde souvent une grâce lors de la visite d’un hôte important dans le pays. « Les autorités voient dans les chiites la main de l’Iran, alors qu’il s’agit d’un islam plutôt libéral », analyse-t-on au Vatican.
Au cours de son discours, François a également développé une vive critique de la peine de mort, toujours en vigueur dans le pays. Il a ainsi fait une allusion au « droit à la vie », « à la nécessité de toujours le garantir », « même envers ceux qui sont punis, dont l’existence ne peut être éliminée ». Actuellement, 26 personnes sont condamnées à mort au Bahreïn, l’exécution de la sentence n’attendant que l’approbation du roi.
Mais le pape a également envoyé des messages à d’autres pays de la région. À trois semaines du début de la Coupe du monde de football au Qatar, à quelques dizaines de kilomètres du Palais royal, où il s’exprimait, il a durement critiqué le « travail déshumanisant ». « Cela comporte non seulement de graves risques d’instabilité sociale, mais représente aussi une atteinte à la dignité humaine », a-t-il martelé, alors que le Qatar est au centre des critiques pour avoir employé, ces dernières années, des centaines de milliers d’ouvriers immigrés pour construire des stades. Plusieurs milliers seraient morts dans des conditions dénoncées par les ONG.
Sans jamais parler explicitement des conditions, proches de l’esclavage, dans lesquelles les ouvriers étrangers ont travaillé au Qatar, François a condamné le travail qui, comparable à du « pain empoisonné »« asservit » ceux qui y sont contraints. « Le travail n’est pas seulement nécessaire pour gagner sa vie, a-t-il estimé, c’est un droit indispensable pour se développer intégralement et pour façonner une société à mesure d’homme. » L’homme, a poursuivi le pape, ne doit jamais être « réduit à un moyen pour produire de l’argent ».
La Cour pénale internationale devra établir si les viols commis par les soldats russes en Ukraine constituent des crimes contre l’humanité. En attendant, bien des obstacles demeurent pour rendre justice aux victimes.
En ce début juillet, il fait près de 40 °C dans la petite voiture qui emmène Mmes Tatiana Zezioulkina et Lyudmila Kravchenko près de la frontière biélorusse. « On va à Yahidne, un village occupé par les Russes pendant presque un mois, explique la première. Trois cent cinquante personnes ont été retenues de force dans le sous-sol de l’école. Et on pense que des viols y ont été commis. » Les deux militantes, membres du Réseau international d’entraide des survivantes de crimes sexuels en période de conflit armé (SEMA), sont ici pour enquêter. À l’école, abandonnée, vitres brisées, le gardien raconte : « Ils ont réclamé, oui, mais on n’a pas donné nos femmes aux soldats. » Une femme les approche, hésitante. Elle confie avoir trouvé des préservatifs chez elle après la libération et finit par donner le nom de deux victimes.
Dès fin mars, quelques semaines après le début de la guerre, alors que les forces ukrainiennes commencent à libérer des villages occupés — Boutcha, Irpin et d’autres —, les récits de viols commis par les forces russes sur des civils émergent sur les réseaux sociaux et dans la presse : le calvaire de cette mère violée pendant deux semaines devant sa fille ; ce garçon de 11 ans violé devant sa mère ; ces deux adolescentes violées par cinq soldats qui leur ont aussi fracassé les dents… Le président Volodymyr Zelensky parle début avril de « centaines de cas rapportés ». Représentants des Nations unies, dirigeants européens et américains s’indignent, réclament des enquêtes et des investigations poussées. Pour la première fois, à ce niveau, on parle du viol comme « arme de guerre » en Ukraine.
Si le viol dans la guerre a toujours existé, sa reconnaissance comme outil de la guerre s’est affermie ces dernières décennies. Une autorité politico-militaire peut en effet l’utiliser de manière stratégique pour humilier, détruire, prendre le pouvoir ; il est employé surtout sur les femmes, mais sur les hommes aussi. C’est avec le conflit en ex-Yougoslavie que le viol commence à être reconnu comme une arme. Il sera puni pour la première fois en tant que crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY, 2001) et comme acte de génocide par son homologue pour le Rwanda (tpir, 1998). Depuis 2002, viols et violences sexuelles sont intégrés dans la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur lesquels la Cour pénale internationale (CPI) peut statuer.
Les défenseurs des droits humains relèvent une forme d’inaction
Les instances qui se pencheront sur les crimes commis pendant le conflit ukrainien auront à juger des viols commis depuis l’invasion russe de février 2022. Mais pas seulement. En décembre 2020, la CPI déclarait déjà qu’il y avait de « sérieuses bases » pour croire que de nombreux crimes de guerre avaient été commis en Ukraine depuis 2014 — date de l’annexion de la Crimée par la Russie — y compris des viols et violences sexuelles (1).
En 2015, Mmes Zezioulkina et Kravchenko sont détenues plusieurs jours dans le Donbass par un bataillon pro-ukrainien (baptisé Tornado), et sont victimes d’attouchements et de menaces de viol. À cette période en effet, alors que les positions des belligérants sont très mouvantes dans l’est de l’Ukraine et que les structures étatiques se sont effondrées, les violences sexuelles sont couramment pratiquées des deux côtés de la ligne de front, aux abords des checkpoints ou en détention — par les bataillons armés et les services secrets côté pro-ukrainien ; par des milices et des membres du « ministère de la sécurité » côté séparatiste et même des membres des services de sécurité russes (FSB) présents sur le terrain. Viols avec objets, viols collectifs, menaces, nudités forcées, électrocutions des parties génitales sont perpétrés dans le but d’humilier, d’intimider, de punir, d’obtenir des informations, voire, côté séparatiste, d’extorquer des biens ou de l’argent.
Selon la mission onusienne de surveillance des droits humains en Ukraine, ces violences n’étaient alors pas utilisées « à des fins stratégiques », mais surtout comme méthodes de torture (2). Elle estime, dans un rapport de 2021, à environ 340 (depuis 2014) le nombre de victimes de violences sexuelles en détention, soit entre 170 et 200 côté séparatiste et entre 140 et 170 côté ukrainien. Des chiffres sous-évalués notamment dans les républiques séparatistes et en Crimée où la mission des Nations unies n’a pu se rendre depuis huit ans. Selon de nombreux chercheurs travaillant sur la base de témoignages d’anciens détenus, tortures et mauvais traitements ont cours quotidiennement dans diverses prisons côté séparatiste, rappelant, par leur systématisme, des méthodes employées dans l’univers carcéral russe (3). Certains les qualifient d’outils de contrôle politique de ces territoires.
Le parcours de Mme Iryna Dovgan, fondatrice du réseau SEMA (en Ukraine), illustre les difficultés auxquelles se heurtent les victimes qui souhaitent obtenir justice. Capturée par un groupe séparatiste au printemps 2014 près de Donetsk, elle est agressée, attachée à un poteau et humiliée en place publique, déshabillée, frappée sur les seins, menacée de viols. « Et encore, je ne dis que 5 % de ce qu’ils m’ont fait… », confie cette femme de 60 ans dans le jardin de sa maison près de Kiev. Mme Dovgan obtient l’aide d’un avocat en 2016. Elle est interrogée en 2017 par un procureur militaire, mais son dossier est ensuite égaré pendant plusieurs années. Ce n’est qu’en 2021, après une conférence de presse qu’elle organise pour présenter le réseau SEMA, que le bureau de la procureure générale ouvre une procédure… dont Mme Dovgan n’a aucune nouvelle à ce jour.
Même si les autorités ukrainiennes ont ouvert plus de 750 enquêtes sur des crimes commis envers les civils entre 2014 et 2020 par leurs propres forces armées, plusieurs rapports de défenseurs des droits humains relèvent une forme d’inaction. « Rien n’a été fait pour que justice soit rendue aux victimes de disparitions forcées, d’actes de torture et de détention illégale aux mains de membres du SBU [services de renseignement ukrainiens] dans l’est de l’Ukraine entre 2014 et 2016 », déplore ainsi Amnesty International en 2021 (4). Dans un procès-test pour la démocratie ukrainienne, des membres du bataillon pro-ukrainien Tornado ont toutefois été jugés en 2016 pour leurs exactions commises dans le Donbass, dont des viols. À l’époque, le procès, à huis clos, échauffe les esprits. Violences et menaces ont lieu dans et en dehors de la cour par les soutiens des paramilitaires pour intimider l’appareil judiciaire. Huit anciens combattants écopent de peines allant de huit à onze ans de prison. Aucun, cependant, n’a été condamné pour crimes de guerre, alors que des faits auraient pu être qualifiés comme tels. La législation ukrainienne sur les crimes de guerre, couverts par l’article 438 du code criminel notamment, ne détaille pas les crimes sexuels, ce qui complique le travail des magistrats, souvent mal formés sur le sujet. D’autant plus que, jusqu’en 2019, les viols avec objets, par sodomie ou entre personne de même sexe par exemple, n’étaient pas considérés comme tels par la loi, modifiée depuis pour s’aligner sur les standards internationaux.
« Dans les villages, les jeunes femmes ont peur de ne jamais pouvoir se marier »
Un défi se pose aujourd’hui en Ukraine pour mieux accompagner les victimes de violences sexuelles, qui seraient désormais commises en masse et utilisées comme « tactique de domination politique et militaire par les forces russes », analyse Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue et spécialiste des crimes de guerre. Pour Mme Matilda Bogner, représentante de la mission de surveillance des Nations unies en Ukraine, l’ampleur serait « significativement plus importante que ce qui s’est passé dans la première phase du conflit ». Sa mission comptabilise déjà plusieurs dizaines de cas de violences sexuelles par les forces armées russes. Des viols sur des hommes, femmes ou enfants, perpétrés souvent devant d’autres membres de la famille ou de la communauté. Des viols en général collectifs pour les femmes et commis en détention pour les hommes. « Toutes les femmes que je défends sauf une ont été violées par plusieurs soldats, trois en moyenne », confie Mme Larysa Denysenko, avocate ukrainienne spécialisée en droit international humanitaire.
Courant juillet, le bureau du procureur général ukrainien confirmait enquêter sur quarante-trois dossiers de violences sexuelles commises par les forces russes en Ukraine. Mais ce chiffre ne reflète pas la réalité, explique M. Oleksandr Pavlichenko, de Helsinki Human Rights Union (UHHRU), en rappelant que beaucoup de victimes ont fui le pays et que la stigmatisation reste particulièrement forte « dans les villages, où les jeunes femmes ont peur de ne jamais pouvoir se marier » : « Elles se disent aussi que les coupables ne seront jamais punis. »
Les victimes sont peut-être devenues encore plus méfiantes après l’affaire Lioudmila Denisova, du nom de l’ancienne commissaire aux droits humains à Kiev, qui avait dénoncé environ quatre cent cinquante cas de viols identifiés via sa hotline créée juste après le début de la guerre, en publiant des détails, parfois très crus, sur ses réseaux sociaux. Fin mai 2022, quelques jours après son renvoi par le président, elle a reconnu dans la presse avoir « exagéré » certains des témoignages (5) pour toucher les politiciens et l’opinion occidentale. Une source membre d’une organisation non gouvernementale (ONG) à Kiev et qui connaît bien le dossier ne cache pas sa déception : « Parmi ces cas, il y en a de véritables bien sûr, mais cette utilisation politique des violences sexuelles est très problématique. Elle a sans doute fait ça pour provoquer la société, pour venger ces crimes et obtenir plus d’armes. En fait, cela donne surtout une arme très puissante à la propagande russe et fait peur aux victimes. »
De nombreux observateurs sur place — notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (6) — considèrent que les viols y sont utilisés comme arme de guerre et pourraient être qualifiés de crimes contre l’humanité. Mi-octobre, la représentante spéciale de l’ONU Pramila Patten, en charge des violences sexuelles commises en période de conflit, parle d’une « stratégie militaire » et d’une « tactique délibérée pour déshumaniser les victimes », se basant sur les témoignages de femmes évoquant notamment « des soldats russes équipés de Viagra ». « On ne trouvera sûrement jamais d’ordre écrit de la part de Poutine pour dire : “Il faut violer toutes les Ukrainiennes” », explique Mme Larysa Denysenko. Mais, selon cette avocate, cela n’invalide pas la responsabilité de la chaîne de commandement. « Personne ne leur dit d’arrêter », avance-t-elle, avant de rappeler que M. Vladimir Poutine a décoré de médailles militaires la 64e brigade de fusiliers motorisés, auteurs présumés des exactions commises à Boutcha — dont des viols.
Pour expliquer en partie ces violences, l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe pointe la « tromperie » initiale de cette guerre, avec des troupes auxquelles on a promis une mission « pour sauver les populations russophones des nazis », mais qui ont en fait rencontré le rejet des populations locales. « Le sens même de cette guerre est donc mis en défaut et, si on ajoute la fréquence des viols de bizutage au sein de l’armée et l’abandon de leur hiérarchie sur le terrain, cela crée les conditions pour des exactions de masse. »
Les enquêteurs nationaux et internationaux vont devoir patiemment rassembler les pièces du puzzle pour pouvoir juger les coupables. Sachant que la CPI ne traitera que les cas les plus retentissants, de nombreux défenseurs des droits humains plaident pour la création d’un tribunal hybride regroupant des magistrats ukrainiens et internationaux. Mais, en attendant, c’est la justice ukrainienne qui se trouve aux manettes. Il y a donc urgence, selon Mme Oleksandria Matviitchouk, de modifier le code criminel. La directrice du Centre pour les libertés civiques (une ONG ukrainienne qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2022) se bat depuis plusieurs années pour faire passer le projet de loi 2689, qui détaille beaucoup plus concrètement les crimes de guerre et contre l’humanité susceptibles d’être punis, notamment les violences sexuelles. Ratifié par le Parlement en 2020, ce texte attend depuis la signature du président Zelensky. « Les militaires s’opposaient à ces changements, éclaire M. Pavlichenko, de l’UHHRU. Avec la guerre, ils sont devenus des héros. Il n’y a donc pas de volonté politique pour le moment. » « C’est le silence », résume Mme Matviitchouk.
Plusieurs acteurs clés ont amorcé un rapprochement pour normaliser leurs relations et ouvrir une nouvelle page.
La région du Moyen-Orient est depuis longtemps l’une des plus instables du monde.
L’instabilité, les conflits, la rivalité et les luttes entre les principaux poids lourds régionaux sont la norme, à tel point que l’on ne se souvient pas de la dernière fois où tous ces acteurs se sont mis d’accord sur quelque chose.
Levée du blocus du Qatar : comment la détente dans le Golfe pourrait se répercuter sur le football mondial
Pourtant, chose étonnamment contradictoire, le Moyen-Orient vit actuellement un rare moment de désescalade régionale et connaît un rythme de réconciliation sans précédent entre les puissances régionales.
Plusieurs acteurs clés ont amorcé un rapprochement pour normaliser les relations et ouvrir une nouvelle page.
Les affaires, la sécurité et la diplomatie sont au cœur des discussions entre les hauts dirigeants et les principaux décideurs de ces pays.
Dans la plupart des cas, les engagements entre les communautés du renseignement de ces adversaires ont garanti un environnement apolitique et professionnel permettant aux acteurs politiques de communiquer afin d’aplanir leurs différences.
De même, les affaires, le commerce et les investissements ont apporté des motivations fortes et solides pour pousser les parties concernées à chercher un terrain d’entente et à parvenir à une situation gagnant-gagnant.
La visite de l’émir du Qatar en Égypte (à droite) intervient dix-huit mois après que le Qatar et l’Égypte ont rétabli leurs relations, après une rupture de trois ans sous l’impulsion de l’Arabie saoudite (AFP)
En janvier 2021, l’Égypte a relancé ses relations diplomatiques avec le Qatar après des années de tensions. Les hauts diplomates des deux pays se sont rendu mutuellement visite. Ils ont créé un comité de suivi pour régler les questions d’intérêt bilatéral et un haut comité conjoint pour stimuler la coopération entre les deux capitales.
Le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi a rencontré l’émir du Qatar à trois reprises, à Bagdad en août 2021, à Beijing en novembre 2021 et au Caire en juin. Les relations s’étant améliorées, Doha s’est engagé en mars à investir 5 milliards de dollars dans l’économie égyptienne au cours des prochaines années, qui s’ajouteront aux milliards de dollars déjà investis.
Quant à la Turquie et à l’Égypte, leur rapprochement a débuté officiellement en mai 2021. Les délégations des deux pays conduites par les vice-ministres des Affaires étrangères ont mené deux cycles de pourparlers exploratoires en 2021, au Caire en mai et à Ankara en septembre.
Réchauffement des relations turco-égyptiennes : vers une extension du modèle d’Astana ?
Ils ont abordé des questions bilatérales ainsi qu’un certain nombre de questions régionales, notamment la situation en Libye, en Syrie et en Irak, ainsi que la nécessité de parvenir à la paix et à la sécurité dans la région de la Méditerranée orientale.
La normalisation progresse lentement mais sûrement. En avril, le ministre turc des Affaires étrangères n’a pas exclu la nomination réciproque d’ambassadeurs avec Le Caire et une rencontre entre ministres des Affaires étrangères.
Le ministre turc du Trésor et des Finances, Nureddin Nebati, s’est rendu en Égypte en juin, soit la première visite d’un ministre turc au Caire depuis neuf ans.
En 2021, les deux grands rivaux régionaux, l’Arabie saoudite et l’Iran, se sont assis à la même table pour la première fois depuis des années, à la suite d’un effort irakien visant à permettre l’organisation de pourparlers entre les deux pays à Bagdad. Riyad avait coupé ses liens diplomatiques avec l’Iran en 2016 après l’assaut contre son ambassade à Téhéran.
Le premier cycle de pourparlers exploratoires entre les deux pays a débuté en septembre 2021. Malgré le bref contretemps survenu en mars lorsque l’Iran a annoncé la suspension des pourparlers, les responsables des deux pays ont mené un cinquième cycle de discussions en avril.
Les questions de sécurité, le Yémen et la réouverture des ambassades ont fait partie des sujets abordés. Si Téhéran souligne l’importance de la reprise des relations diplomatiques, Riyad affirme souhaiter en premier lieu des actions plus concrètes de la part de Téhéran.
Herzog en Turquie, une première depuis quinze ans
Le rapprochement entre les Émirats arabes unis et la Turquie a été étonnamment rapide, compte tenu des tensions observées depuis une dizaine d’années.
Ces mains tendues mutuelles avec un programme clair et direct tournant principalement autour des avantages mutuels d’une stimulation du commerce, des investissements et des affaires selon une formule gagnant-gagnant, se sont avérées déterminantes.
En novembre 2021, Mohammed ben Zayed (MBZ), alors prince héritier d’Abou Dabi et dirigeant de facto émirati, a effectué une visite en Turquie, la première du genre en neuf ans.
L’implication du gouvernement israélien signifie que la reconstruction des relations bilatérales doit se faire de manière mesurée et prudente. Mais au cours de l’année dernière, la coopération en matière de renseignement a pris le dessus entre les deux parties
Cette visite a été précédée de celle du conseiller émirati à la sécurité nationale, le cheikh Tahnoun ben Zayed, qui s’est rendu à Ankara en août 2021. Le président turc lui a rendu la pareille en atterrissant à Abou Dabi en février. Une réception somptueuse a été organisée à son intention.
Ces visites ont débouché sur un certain nombre d’accords, de protocoles d’accord et de contrats, qui ont ouvert une nouvelle page entre les deux capitales.
En ce qui concerne la Turquie et Israël, le président israélien Isaac Herzog a effectué une visite historique à Ankara en mars, la première pour un président israélien depuis quinze ans.
Plusieurs événements ont préparé le terrain pour cette visite, notamment une rare conversation téléphonique entre les deux présidents en juillet 2021, une visite secrète du directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, Alon Ushpiz, à Ankara en janvier, ainsi que l’envoi d’une délégation de hauts responsables turcs à Tel Aviv en février.
Les renseignements ont rapproché Israël et la Turquie. Un gazoduc pourrait être à la clé
L’implication du gouvernement israélien signifie que la reconstruction des relations bilatérales doit se faire de manière mesurée et prudente. Mais au cours de l’année dernière, la coopération en matière de renseignement a pris le dessus entre les deux parties.
Par ailleurs, les deux parties se penchent sur la possibilité d’acheminer du gaz israélien vers l’Europe via la Turquie, ce qui changerait la donne en Méditerranée orientale si cette option venait à se concrétiser.
Pour faire suite à la visite du président israélien et consolider le rapprochement, le ministre turc des Affaires étrangères s’est rendu en Israël en mai, parallèlement à une visite en Palestine.
Pour ce qui est de l’Arabie saoudite et de la Turquie, bien que le rapprochement entre les deux pays ait commencé dès octobre 2020 lorsque le roi Salmane et le président Erdoğan ont échangé plusieurs messages et appels téléphoniques, le processus de normalisation s’est arrêté sur certaines questions pendant environ un an.
L’impact considérable de la défaite de Trump
Deux facteurs ont contribué à cette situation : la position personnelle du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane sur l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018, ainsi que l’absence de formule adéquate pour faire repartir les relations bilatérales à zéro après cet événement.
Les deux parties ont finalement réalisé une percée, qui s’est traduite par la visite du président Erdoğan à Riyad en avril et ses rencontres avec le roi Salmane et le prince héritier.
Les pays qui dépendaient depuis si longtemps de Trump et de sa politique transactionnelle pour favoriser et imposer des programmes régionaux idéologiques, clivants et conflictuels, se sont soudainement retrouvés dans une position défavorable
Réciproquement, Mohammed ben Salmane s’est rendu à Ankara en juin. Malgré les progrès apparents, aucun programme économique, politique ou de sécurité n’a été annoncé jusqu’alors.
Ces processus de normalisation n’auraient pu avoir lieu sans certaines évolutions aux niveaux international, régional et sous-régional.
Ces évolutions ont préparé le terrain pour une désescalade régionale, créant ainsi un environnement favorable et un terrain d’entente pour que les parties en conflit puissent s’asseoir à la même table, discuter de leurs intérêts communs, se réconcilier et normaliser leurs relations dans des proportions sans précédent.
La défaite de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de novembre 2020 a eu un impact considérable sur la nature des dynamiques régionales actives depuis 2021.
Les pays qui dépendaient depuis si longtemps de Trump et de sa politique transactionnelle pour favoriser et imposer des programmes régionaux idéologiques, clivants et conflictuels, se sont soudainement retrouvés dans une position défavorable à la suite du triomphe de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine.
Donald Trump et le Moyen-Orient : une histoire de grands vainqueurs et de perdants plus grands encore
L’arrivée d’un nouveau président à la Maison-Blanche a initié un nouveau jeu régional. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont notamment suivi le même chemin après avoir échoué à concrétiser leur programme régional.
Israël a vu s’évaporer l’investissement dans le projet d’« accord du siècle » de Jared Kushner. Le pays connaissait déjà un changement interne avec la défaite du Premier ministre israélien au plus long règne, Benyamin Netanyahou, resté au pouvoir pendant quinze ans.
La Turquie a pour sa part ressenti le besoin d’éviter d’être trop sollicitée au niveau régional. Elle a donc recherché un équilibre entre hard power et soft power pour faire fructifier ses succès en matière d’activité militaire en Syrie, en Irak, en Libye, au Haut-Karabakh et en Méditerranée orientale sur le plan politique et économique.
La déclaration d’al-Ula, survenue le 5 janvier 2021, a été le premier résultat majeur de l’accession de Biden à la Maison-Blanche.
Réaction en chaîne
Cette déclaration découle à l’origine d’un accord bilatéral entre l’Arabie saoudite et le Qatar. L’accord a mis fin au blocus imposé à Doha par le bloc dirigé par l’Arabie saoudite et comprenant les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte, ouvrant ainsi une nouvelle page entre le Qatar et ses voisins.
L’accord d’al-Ula a par conséquent accéléré le processus de réconciliation au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et déclenché une réaction en chaîne de plusieurs engagements diplomatiques régionaux qui ont ouvert la porte à des initiatives de réconciliation.
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Malgré l’insatisfaction initiale des Émirats arabes unis et de l’Égypte vis-à-vis de l’accord, compte tenu du fait que l’Arabie saoudite ne les avait pas consultés à ce sujet, les deux pays y ont vu l’occasion de suivre des programmes relativement souples.
Cette approche les a aidés à diversifier leurs relations régionales, à donner la priorité à leurs questions clés et à promouvoir leurs propres intérêts.
Ainsi, l’Égypte a tendu la main au Qatar et les Émirats arabes unis ont tendu la main à la Turquie. De même, l’accord d’al-Ula a permis à Ankara de renforcer ses relations avec les petits pays du Golfe et de poursuivre la normalisation de ses relations avec l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Au-delà de ces deux évolutions majeures, plusieurs autres facteurs cruciaux ont contribué à la nouvelle dynamique régionale et ouvert la voie à une période rare marquée par une désescalade et des réconciliations régionales sans précédent.
L’épuisement des puissances résultant de la poursuite de programmes géopolitiques et idéologiques très contrastés et l’apparition de la pandémie de covid-19 dans un contexte post-2011 ont encouragé les acteurs régionaux en conflit à adopter une attitude pragmatique
La poursuite par Washington de son recentrage et de la réorientation de ses ressources vers la Chine a incité les États du CCG à accélérer leurs stratégies de diversification et de couverture. Ainsi, des pays comme la Turquie, Israël et l’Iran ont gagné en importance dans ce contexte.
L’épuisement des puissances résultant de la poursuite de programmes géopolitiques et idéologiques très contrastés et l’apparition de la pandémie de covid-19 dans un contexte post-2011 ont encouragé les acteurs régionaux en conflit à adopter une attitude pragmatique et à donner la priorité à l’économie, aux affaires, au commerce et à des programmes fondés sur des intérêts plutôt que sur des idéologies.
Lorsque la pandémie a commencé à reculer à partir de 2021, ces acteurs régionaux étaient en bonne position pour se rapprocher les uns des autres dans un esprit pragmatico-économique visant à compenser les pertes économiques et financières dévastatrices causées par la crise sanitaire.
Les efforts de rapprochement entre l’Égypte et le Qatar, les Émirats arabes unis et la Turquie, la Turquie et l’Égypte, mais aussi Israël et la Turquie ont clairement illustré cette approche.
La guerre russe contre l’Ukraine a donné plus d’importance à la région de la Méditerranée orientale et à ses ressources pétrolières et gazières, ce qui a engendré une atmosphère propice à la recherche de terrains d’entente pour des situations gagnant-gagnant, notamment dans les cas de la Turquie, d’Israël et de l’Égypte.
Des défis à l’horizon
Malgré l’impact positif de cette désescalade sans précédent dans la région, des questions se posent quant à la durabilité des réconciliations et à la résilience des processus de normalisation.
Par ailleurs, on ne sait pas encore vraiment s’il s’agit d’une situation temporaire motivée par les calculs tactiques de certains des pays impliqués ou d’une nouvelle norme ou tendance fondée sur des calculs stratégiques. Quoi qu’il en soit, plusieurs défis s’apprêtent à mettre à l’épreuve ce nouveau phénomène au Moyen-Orient.
Les dynamiques régionales et internationales qui ont engendré ce rare moment de désescalade et de réconciliation entre les différents acteurs régionaux, en particulier, sont inconstantes et sujettes à des changements soudains.
Les tensions dans le Golfe s’apaisent-elles réellement ou les États gagnent-ils simplement du temps ?
En raison de la situation très instable, on ne peut exclure d’éventuelles évolutions de cette dynamique dans un avenir proche, ce qui pourrait avoir une incidence négative sur le processus et entraîner une régression.
De plus, les processus de normalisation ont comme caractéristique évidente de reposer fortement sur la nature des relations personnelles entre les décideurs des pays en question. Bien que cela puisse être une bonne chose lorsqu’il s’agit de surmonter des obstacles bureaucratiques pouvant considérablement ralentir la normalisation des relations, cela peut être un signe de faiblesse des relations institutionnelles.
Une relation sous-institutionnalisée rend la réconciliation entre les États concernés fragile et très vulnérable à de futures fluctuations politiques. Par ailleurs, un changement radical au sommet chez l’un des principaux acteurs régionaux pourrait déboucher sur différents types de relations intrarégionales.
Plusieurs autres facteurs méritent d’être observés de plus près dans un avenir proche et pourraient mettre à l’épreuve la dynamique actuelle de normalisation et de désescalade régionale :
Premièrement, l’élection présidentielle américaine de 2024 sera cruciale et déterminante pour la région, car elle pourrait amener au pouvoir un nouveau président adepte de la politique transactionnelle chère à Trump.
L’idée que Trump ou un président qui lui ressemble puisse arriver en 2024 pourrait encourager certains États régionaux, notamment les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte, à revenir à leurs anciennes politiques aventureuses
Dans un sondage réalisé en mai par Associated Press (AP), la cote de popularité du président Joe Biden a atteint son plus bas niveau, avec seulement 39 % d’opinions favorables à son action.
Alors que selon AP, la désapprobation des républicains à l’égard de Biden n’a pas faibli – moins d’une personne interrogée sur dix issue du Parti républicain l’approuve –, sa popularité auprès des démocrates a baissé tout au long de son mandat.
Si aucun président n’a effectué deux mandats non consécutifs dans l’histoire des États-Unis – à l’exception de Grover Cleveland, qui a occupé les fonctions de 22e et 24e président des États-Unis de 1885 à 1889, puis de 1893 à 1897 –, les spéculations vont bon train quant à un possible retour de Trump en 2024.
L’idée que Trump ou un président qui lui ressemble puisse arriver en 2024 pourrait encourager certains États régionaux, notamment les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte, à revenir à leurs anciennes politiques aventureuses.
Une élection en Turquie
Deuxièmement, il y a l’élection présidentielle de 2023 en Turquie, un scrutin d’une grande importance pour les Turcs et la région.
Plusieurs puissances régionales et internationales misent sur un changement interne à Ankara pour remodeler la dynamique régionale en leur faveur. Un scénario dans lequel un gouvernement soumis à l’Occident s’installerait changerait radicalement le rôle régional d’Ankara et la nature de ses relations avec plusieurs pays de la région.
Le principal parti d’opposition, le CHP, s’est engagé à chasser les réfugiés syriens de Turquie et à relancer les relations avec le régime d’Assad. Des tendances similaires peuvent être attendues pour diverses questions et divers gouvernements.
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On pourrait également s’attendre à un revirement de la politique étrangère turque et à un engagement diplomatique, économique et militaire revu à la baisse au Moyen-Orient. S’il venait à se concrétiser, ce scénario aurait également un impact sur les relations intrarégionales.
Le troisième facteur concerne le sort de l’accord sur le nucléaire de 2015 entre les États-Unis et l’Iran. Les négociations entre l’administration Biden et le gouvernement iranien pour réactiver l’accord suivent leur cours depuis un certain temps.
Plusieurs pays de la région, notamment Israël et l’Arabie saoudite, se sont opposés à l’accord initial au motif qu’il n’empêcherait pas totalement Téhéran de produire une arme nucléaire. Ils ont également fait part de leur vœu de bloquer le programme de missiles de l’Iran et d’obliger le régime iranien à changer son comportement régional et à mettre fin à ses activités déstabilisatrices.
La réactivation de l’ancien accord donnera plus de pouvoir à l’Iran en l’incitant à poursuivre son programme expansionniste, ce qui obligera ses rivaux régionaux à adopter des politiques de confrontation pour le contrer. Toutefois, le scénario « sans accord » n’est pas moins dangereux, car cela rapprochera probablement l’Iran de la fabrication d’une bombe nucléaire.
Ce scénario déclenchera une course à l’armement nucléaire. Dans les deux cas, l’issue des négociations pourrait remodeler les alliances dans la région en fonction des positions vis-à-vis de l’Iran.
Une deuxième vague de soulèvements arabes pourrait obliger les acteurs régionaux à reconfigurer leurs alliances en fonction de la solidité des régimes
Le quatrième facteur est la situation émergente d’insécurité alimentaire au Moyen-Orient. En 2019, la Russie et l’Ukraine représentaient plus de 25 % des exportations mondiales de blé.
L’invasion de l’Ukraine par Moscou, ainsi que les sanctions contre la Russie, perturbent les exportations de blé, de céréales, de maïs et d’autres sources alimentaires essentielles, ce qui engendre une explosion des prix de ces denrées à l’échelle mondiale.
Plusieurs pays arabes ainsi qu’Israël et la Turquie reposent sur les importations de blé russe et ukrainien. L’Égypte, premier importateur mondial de blé, dépend de Moscou et de Kyiv pour satisfaire plus de 70 % de sa demande locale.
En plus de l’Égypte, plusieurs pays arabes sont gravement exposés. Si la guerre est appelée à se prolonger, il ne faut pas exclure qu’une crise alimentaire imminente, associée à la montée en flèche des prix des denrées alimentaires, puisse déclencher des soulèvements.
Ce scénario aurait des répercussions politiques, économiques et sécuritaires. Une deuxième vague de soulèvements arabes pourrait obliger les acteurs régionaux à reconfigurer leurs alliances en fonction de la solidité des régimes.
L’utilisation des ressources inexploitées de la Méditerranée orientale
Cinquièmement, on retrouve les éléments perturbateurs et l’évolution de la situation en Méditerranée orientale. En faisant de ses ressources énergétiques une arme dans le contexte de sa guerre contre l’Ukraine, Moscou a mis l’Europe à ses pieds.
Compte tenu de cette situation, l’Europe recherche de toute urgence des sources d’énergie alternatives afin de répondre à la demande, de réduire sa dépendance envers le gaz russe et de maîtriser son exposition aux risques vis-à-vis de Moscou
Le navire de forage Tungsten Explorer, au large d’Oróklini (Chypre), dans le golfe de Larnaca, le 21 juillet 2020 (AFP)
Une source de gaz inexploitée se trouve dans le bassin de la Méditerranée orientale. Compte tenu de la désescalade régionale, les États-Unis et certains pays européens envisagent la possibilité d’utiliser les ressources en hydrocarbures de la région.
L’utilisation des ressources inexploitées de la Méditerranée orientale et la résolution des conflits entre les différents acteurs nécessiteraient une prise en compte de l’approche holistique de la Turquie sur la question ainsi qu’un gazoduc qui s’étendrait d’Israël à la Turquie, en lieu et place du projet irréalisable baptisé EastMed, un gazoduc censé relier Israël à la Grèce via la Crète en passant par des eaux revendiquées par Ankara.
Un nouveau Grand Jeu a commencé en Méditerranée orientale
En dépit de l’atmosphère régionale très positive résultant des processus de normalisation, il est difficile de juger si certains des acteurs concernés suivent cette nouvelle voie avec une volonté réelle ou s’ils font simplement preuve de pragmatisme.
Peu satisfaite de ces évolutions et de la normalisation des relations entre ses principaux partenaires régionaux – les Émirats arabes unis, Israël, l’Égypte et l’Arabie saoudite – et la Turquie, la Grèce se présente en trouble-fête.
Athènes s’emploie activement à perturber le climat de désescalade et à entraîner d’autres acteurs, tels que les États-Unis, dans ses propres problèmes. Une persistance de cette attitude pourrait avoir un impact négatif sur la région et mettre sérieusement à l’épreuve certains des processus de réconciliation et de normalisation.
Un élan à conserver
En dépit de l’atmosphère régionale très positive résultant des processus de normalisation, il est difficile de juger si certains des acteurs concernés suivent cette nouvelle voie avec une volonté réelle ou s’ils font simplement preuve de pragmatisme en rangeant leur épée dans son fourreau, en faisant profil bas et en attendant le bon moment pour revenir à leurs anciennes politiques.
Ceci dit, s’il existe une réelle volonté de transformer cette période de désescalade en une situation durable, nous devrions voir les principaux pays de la région prendre au moins quelques-unes des mesures suivantes dans un avenir proche.
Premièrement, donner la priorité à l’aspect économique des relations bilatérales. L’espace économique est un espace dépolitisé par nature, qui peut facilement contribuer à établir une formule gagnant-gagnant pour les parties concernées. Une approche fondée sur des intérêts économiques permettra de consolider le processus de réconciliation et apportera des gains réels et tangibles pour toutes les parties.
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Bien que les États rentiers ne soient peut-être pas si intéressés par de tels avantages, le contexte post-pandémie, la guerre russe contre l’Ukraine et les désirs de diversification économique obligent ces parties à observer sérieusement la dimension économique.
Deuxièmement, identifier les intérêts communs dans d’autres domaines tels que la sécurité et la politique. Il faut ensuite s’appuyer sur ces domaines tout en essayant de maintenir une séparation entre politique, économie et sécurité en période de tension afin d’éviter une rupture soudaine de tous ces liens. Cette méthode minimisera les dégâts et permettra aux parties de maintenir la communication sur d’autres questions non conflictuelles.
Troisièmement, engager une discussion constructive sur les points de divergence entre les principales puissances régionales. En ce sens, il est essentiel que les parties concernées mettent en place un mécanisme à même de contenir/résoudre les problèmes susceptibles de se présenter à l’avenir.
On peut également y ajouter la préservation des canaux de renseignement, qui doivent rester ouverts et opérationnels. La sécurité est importante pour tous. En raison de leur position géographique et de leur sentiment d’insécurité, certains pays ont tendance à donner la priorité aux relations dans le domaine de la sécurité. Le maintien d’un canal ouvert permettra non seulement d’approfondir la coopération sur les questions de sécurité, mais aussi de faciliter la discussion autour de certaines questions politiques non résolues.
L’absence de telles mesures sera un signe de faiblesse de ces processus de réconciliation et de normalisation. Ces derniers seront alors extrêmement vulnérables aux défis susmentionnés, qui devraient tôt ou tard mettre à l’épreuve les configurations régionales actuelles.
Cet article a été publié initialement par le site Insight Turkey.
- Ali Bakirest chargé de recherche au Centre Ibn Khaldun spécialisé en humanités et sciences sociales (université du Qatar). Il étudie les tendances géopolitiques et en matière de sécurité au Moyen-Orient, la politique des grandes puissances, le comportement des petits États, l’émergence de risques et menaces peu conventionnelles. Il se concentre principalement sur les politiques étrangères et de défense de la Turquie, les relations entre les Turcs et les Arabes et entre la Turquie et le Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AliBakeer.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Ali Bakir is a research assistant professor at Ibn Khaldun Center for Humanities and Social Sciences. He is following geopolitical and security trends in the Middle East, great power politics, small states' behaviour, emerging unconventional risks and threats, with a special focus on Turkey’s foreign and defence policies, Turkey-Arab and Turkey-Gulf relations. He tweets @AliBakee
« Israël est à la veille d’une révolution de droite, religieuse et autoritaire », titre le quotidien Haaretz au lendemain des élections législatives israéliennes du 1er novembre 2022, qui ont confirmé l’ancrage d’une extrême droite fascisante et le déni de l’oppression en Palestine. Si les forces traditionnelles de gauche ont fait faillite, Haaretz, journal libéral, maintient une ligne d’opposition conséquente aux politiques officielles. Enquête sur un quotidien à nul autre pareil.
Arrivé en Israël, vous achetez le journal Haaretz et vous découvrez ce titre : « Jetez le matériau dans les puits. Des archives montrent que l’armée israélienne a mené une guerre biologique en 1948 »1. À la lecture, vous découvrez que des ordres ont été donnés pour empoisonner les puits de villages palestiniens lors de la guerre civile qui opposa les forces du Yichouv (l’implantation juive en Palestine) à celles des populations autochtones dans la période qui précéda puis suivit la création d’Israël, le 15 mai 1948. Conçue sous la houlette du futur premier ministre David Ben Gourion et de son futur chef d’état-major Ygael Yadin, cette opération nommée « Répands ton pain » (« Cast Thy Bread »2), visait à empêcher tout retour des Palestiniens après qu’ils avaient été expulsés. Les archives montrent que le général Yohanan Ratner demanda un ordre écrit, qui lui fut refusé. Yadin écrivit à ses subordonnés qu’ils devaient agir « dans le plus grand secret ». Les premiers empoisonnements furent menés en avril 1948 près de Saint-Jean d’Acre et dans des villages proches de Gaza. Finalement, cette tactique assez peu efficace fut vite abandonnée.
RÉVÉLATIONS SUR LES CRIMES DU PASSÉ
Des révélations de ce type, portant sur la manière dont Israël expulsa les Palestiniens de leurs terres, Haaretz, le « journal de référence » israélien, en publie désormais à un rythme effréné. Il s’appuie, souvent, sur les travaux d’un jeune historien, Adam Raz, qui a créé en 2015 un groupe de travail, l’Institut de recherche sur le conflit israélo-palestinien, nommé Akevot. Le mot, en hébreu, signifie « traces ». Raz recherche les traces enfouies du passé israélien que l’historiographie officielle a effacées afin de masquer, précisément, les faits occultés par sa version héroïque. Ses révélations, Raz les publie systématiquement dans les colonnes de Haaretz.
Le journal emploie en effet quasiment à temps plein un journaliste (Ofer Aderet) qui suit les travaux d’historiens qui « déconstruisent » complètement les vieux récits officiels. Raz, qui a écrit plusieurs ouvrages (dont en 2018 Kafr Qasim Massacre sur le massacre de Kafr Kassem), a lui-même publié ces dernières années dans Haaretz ou vu ses travaux y être rapportés par Aderet dans une série d’articles sulfureux sur la Nakba, sur des massacres restés dans l’ombre, mais aussi sur des enjeux comme l’intégration des nouveaux arrivants juifs orientaux dans les années 1950. « Ni Yedioth Aharonot (le quotidien le plus lu dans le pays) ni aucun autre journal israélien n’aurait publié ces articles », nous confie-t-il. Hormis Haaretz, tous les grands médias défendent le « récit officiel » » sur le passé d’Israël, affirme l’historien.
Mais il n’y a pas que le passé sur lequel ce quotidien révèle ce que les autres masquent. Sur le présent aussi, Haaretz se distingue par une couverture unique dans son pays. « On n’a pas peur de s’attaquer aux sujets les plus conflictuels. Personne d’autre ne publie de manière constante et systématique l’information que nous diffusons », explique Hagar Shezaf, une jeune reporter qui couvre les territoires palestiniens occupés. « Un journaliste comme Dov Hasson a fait depuis une décennie un suivi exceptionnel de la judaïsation de Jérusalem et de l’incroyable ségrégation des résidents palestiniens qu’elle génère. Il incarne le changement qu’a connu le journal », poursuit l’une de ses stars internationales, Amira Hass, qui couvre les territoires palestiniens depuis 1993.
Le « changement » qu’elle évoque se déploie dans trois directions, explique Noa Landau, directrice adjointe de la rédaction : « Nous sommes d’abord un journal libéral » — dans le sens anglo-saxon du terme : inclinant vers le progressisme. « Et clairement, nous sommes leaders de l’information sur l’occupation des Palestiniens, le traitement des immigrés et les droits humains ». Comment cela est-il advenu dans un journal qui, après son rachat en 1933-1934 par les Schocken (une famille de riches juifs allemands ayant fui le nazisme), a été très longtemps porteur d’un sionisme revendiqué et politiquement de centre droit ?
LA RADICALISATION COLONIALE DE LA SOCIÉTÉ
Pour expliquer cette évolution, ses journalistes soulignent deux tendances convergentes. D’abord le renforcement constant de la colonisation israélienne des territoires occupés, ensuite la radicalisation dans un sens colonial tant de la société israélienne que de sa représentation politique. Ces tendances ont progressivement poussé la rédaction vers des formes de « résistance » plus ou moins vives, dues au sentiment d’un danger croissant, pas tant pour les Palestiniens que pour la « démocratie israélienne ». Amos Schocken, PDG du journal depuis 1992, incarne la version modérée, mais sans concession de cette évolution. Au sein de la rédaction, tous soulignent le rôle déterminant du PDG actuel dans le parcours qu’a suivi Haaretz. D’abord en ayant fait en sorte de préserver le caractère familial de sa structure financière, permettant ainsi de résister aux tentations des prédateurs. Ensuite en trouvant non seulement des actionnaires minoritaires qui ne menaçaient pas le futur, mais en créant aussi un supplément financier (nommé The Marker) qui, ancré dans un libéralisme économique bon ton, a beaucoup contribué au rétablissement de la santé financière du journal, en grosse difficulté il y a une décennie. Enfin, Schocken est la poutre essentielle qui a assuré le maintien de l’indépendance du titre.
Quant à son engagement politique : « Oui, je suis sioniste. Et quand on croit au sionisme exprimé dans la déclaration d’indépendance d’Israël, on ne peut pas accepter la loi sur l’État-nation du peuple juif, une loi à caractère fasciste », dit aujourd’hui Schocken. Votée en 2018, cette loi dite « fondamentale » (à vocation constitutionnelle) désigne deux catégories de citoyens : les Juifs, qui ont tous les droits, et les autres (donc les Palestiniens), qui, même citoyens, n’en jouissent pas en totalité. « Elle nous mène à la catastrophe », répète Schocken. Haaretz s’est opposé à la loi sur l’État-nation dès 2011, dès sa première présentation au Parlement.
2011, c’est précisément la date de prise de fonction de l’actuel directeur de la rédaction, Aluf Benn. Mais « le processus de libération de la parole concernant les Palestiniens avait commencé sous le précédent directeur de la rédaction » (Dov Alfon, aujourd’hui directeur de Libération), souligne Gideon Levy, un des chroniqueurs les plus engagés (il soutient le mouvement Boycott désinvestissement sanctions — BDS). Selon lui, « longtemps, il a été impossible de dire dans Haaretz que le sionisme en lui-même induit un suprémacisme juif. Sous l’égide de Benn, les termes « crime de guerre », « apartheid », « suprémacisme juif », etc., sont devenus légitimes » au sein du journal. On assiste depuis à un paradoxe : les gouvernants israéliens tentent de convaincre le monde entier que l’usage du terme apartheid pour qualifier le régime imposé aux Palestiniens est une manifestation d’antisémitisme. Mais au sein de la publication israélienne la plus connue, dit Anat Kam, une jeune journaliste qui travaille aux pages opinions du site web du journal, « il y a un débat profond sur l’utilisation du terme apartheid. Mais il ne peut exister que parce qu’il est fondé sur un accord collectif : le droit à l’expression est sacré ».
Ces changements sémantiques s’accompagnent de nombreux autres. « Longtemps, admet Aluf Benn, nous avons pensé que l’occupation [des Palestiniens] serait temporaire. Or il est clair qu’elle est devenue pérenne. Il y a 30 ans, quand les soldats tuaient un enfant, on pouvait s’attendre à une enquête. Aujourd’hui, l’armée avalise tout. Les enquêtes ont disparu. Cela explique l’avènement de Breaking the Silence » — une ONG de soldats de réserve qui témoignent des agissements de l’armée en Territoires occupés. C’est aussi ce qui a amené Haaretz à évoluer : « La plupart des journaux ne publient rien sur la réalité de l’occupation. À l’inverse, nous occupons une position unique dans ce domaine ».
Autre changement important : le traitement de la discrimination des Israéliens d’origine orientale s’est beaucoup développé. Iris Leal, qui contribue aux pages littéraires, se présente comme « l’Orientale de service » du journal. Très critique de « l’aveuglement » historique des dirigeants travaillistes ashkénazes (juifs d’Europe centrale) à l’égard des juifs orientaux, elle écrit le plus souvent sur son thème favori. « Les lecteurs de Haaretz, dit-elle, sont très majoritairement ashkénazes (donc plus riches et mieux éduqués). Ils me respectent parce que je suis de gauche » [sous-entendu, pas parce que je suis orientale]. En fait, « nombre de lecteurs du journal me traitent de “pleureuse”, m’écrivent que “la question des Orientaux est dépassée”. Ceux-là sont presque toujours ashkénazes ». Mais, poursuit-elle, « j’ai le soutien de la direction, qui tient à ce que ce qui est advenu et advient encore aux juifs orientaux en Israël soit amplement traité ».
Elle crédite son journal d’avoir empêché que « l’affaire des bébés yéménites soit balayée sous le tapis ». Cette affaire, qui remonte aux premières années 1950, reste un foyer de tension très brûlant. Des centaines de bébés nés de parents principalement issus du Yémen et d’autres pays musulmans auraient été faussement déclarés mort-nés à leurs parents pour être secrètement donnés en adoption à des couples ashkénazes en incapacité de procréer (dont des rescapés des camps de la mort). Entre ceux qui dénoncent un « crime d’État » d’une ampleur insoupçonnée et ceux qui contestent une fabrication « imaginaire », le débat fait rage depuis 50 ans, sans avoir été tranché. Haaretz, dit Leal, a beaucoup donné la parole aux dénonciateurs d’un fake. Mais Alon Idan, le patron des pages débats qui les a ouvertes aux « voix discordantes », a octroyé une large place aux tenants du crime d’État.
L’ARABISATION DE LA RÉDACTION
Mais le changement sans doute le plus spectaculaire qu’a connu Haaretz est indiscutablement le début d’ « arabisation » de sa rédaction. En 2000, Noa Landau a lancé le projet Haaretz 21. Objectif : recruter des journalistes palestiniens (citoyens israéliens). « La situation ne pouvait plus durer. Il nous fallait des Palestiniens dans la rédaction pour deux motifs : être conforme à nos principes, basés sur l’égalité des droits des citoyens israéliens, et plus important, pour donner à nos lecteurs la vision de l’autre, que les Israéliens n’entendent presque jamais. Or, pour un Palestinien, il n’y avait aucun moyen de se former au journalisme dans le système israélien. On a pris les devants. Haaretz 21 est un incubateur. La première promotion a réuni 20 personnes, dont cinq travaillent aujourd’hui au journal ». La seconde sortira dans un an, et 5 à 6 nouveaux journalistes palestiniens seront embauchés.
Sheren Falah Saab a fait partie des premiers élus. De manière rarement abordée par la presse, elle couvre essentiellement la société et la culture des Palestiniens citoyens israéliens. Ses papiers sont souvent publiés dans le supplément culturel Galleria. Quand on l’interroge sur son identité, elle répond qu’elle est « complexe ». Sans renier sa citoyenneté israélienne, elle se sent « parfois palestinienne, parfois arabe, et souvent les deux à la fois ». De plus, elle est druze, une identité qui revient au premier plan dans certaines circonstances. Bref, elle vit « les conflits identitaires intérieurs de la plupart des Palestiniens citoyens israéliens et qui sont pour beaucoup dus à la politique qu’Israël nous impose ».
Une Palestinienne écrivant dans un journal israélien ? Au début ses amis l’ont regardée avec suspicion. Maintenant, « c’est fini ». Elle dit aussi « ne pas se sentir étrangère » dans la rédaction. L’un de ses derniers articles, « La vie tragique de Ghassan Kanafani »3, portait sur celui qui reste une effigie du combat palestinien. Kanafani, poète et dirigeant du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), fut assassiné à Beyrouth par un commando israélien le 8 juillet 1972. Falah Saab lui consacre trois pages dans le supplément hebdomadaire, à partir du livre d’un ancien journaliste de Haaretz, Danny Rubinstein. À l’époque, tout Israël avait jugé légitime l’assassinat d’un « terroriste ». Aujourd’hui, il écrit que Kanafani « n’avait pas de gardes du corps. Il ne changeait pas non plus de domicile. Il n’imaginait même pas qu’Israël pouvait le considérer comme un terroriste ». Sheren expose juste l’histoire d’un homme en qui une société voit un monstre et l’autre un héros.
« Rien de tout cela ne serait possible sans le propriétaire », Amos Shocken, ce magnat progressiste souvent insulté par la droite israélienne comme Georges Soros peut l’être par les cercles trumpistes américains, clame Gideon Levy. « Si Yediot Aharonot disparaissait, Israël continuerait d’être le même. Si Haaretz disparaissait, plus personne ne parlerait des territoires palestiniens, ni des dangers environnementaux ni de l’oppression de la femme ». Aluf Benn exprime une idée similaire. « Sommes-nous devenus le seul pôle d’opposition dans le pays ? D’une certaine façon, oui. » La question, s’interroge-t-il, est
Pourquoi est-ce advenu ? Est-ce l’expression d’une lassitude ? Hormis les colons et les militaires, les gens ne vont pas dans les territoires occupés. En ce moment il y a une insurrection lourdement réprimée à Jénine et Naplouse.. Ni le gouvernement ni l’armée ne donnent la moindre explication. Mais personne ne pose de questions. Idem d’ailleurs pour les bombardements israéliens permanents en Syrie. En fait, quinze ans après la fin de la seconde intifada, la plupart des gens se désintéressent de ce qui advient aux Palestiniens.
Alors, conclut le directeur de la rédaction, « si révéler les faits que personne ne veut connaitre nous rend uniques, c’est aussi parce que pas mal de choses ont changé ces dernières décennies ». En termes différents, la journaliste Anat Kam abonde : « Oui, Haaretz constitue de facto la seule opposition aux gouvernants israéliens, mais cet état de fait en masque un autre : le journal ne convainc que les convaincus d’avance ».
UNE CRITIQUE DE GAUCHE
Si Haaretz suscite des réactions souvent outrées chez la majorité des Israéliens, le journal est parfois critiqué du côté des médias alternatifs adversaires de l’occupation. C’est le cas, par exemple, du site d’informations « Le lieu le plus chaud de l’enfer », ou encore de la chaine télévisuelle Democrat TV, dirigée par Lucy Aharish, une Palestinienne citoyenne d’Israël. Mais le site le plus actif se nomme Local Call (Appel local), et sa version anglaise +972.com. Certains, parmi ses journalistes et surtout ses visiteurs, critiquent la propension de Haaretz à préserver une forme de modération dans la critique des agissements des autorités israéliennes. Surtout, note la cinéaste Anat Even, Local Call est le seul média « réellement binational ». Ses plumes comme ses dirigeants se nomment Hagaï Matar, Orly Noy, Meron Rapoport, Yonit Mozes, etc., mais aussi Basil El-Adra, Fatima Abdul Karim, Vera Sajraoui, Baker Zoubi, Samiha Houreini, etc. Bref, on y compte autant de journalistes palestiniens que juifs.
Par ailleurs, à l’intérieur de Haaretz, des voix critiques se font aussi entendre. Correspondante dans les territoires palestiniens occupés où elle vit depuis 1993, Amira Hass reconnait que son journal n’a pas d’égal en Israël. « Nous publions aujourd’hui des articles et des informations qui ne seraient jamais parus auparavant et offrons aux Palestiniens une exposition médiatique qu’ils n’ont nulle part ailleurs dans les grands médias ». Mais elle ajoute :
Haaretz donne le sentiment d’en faire beaucoup. Comparé aux autres, c’est une évidence. Mais il se passe tellement plus de choses que ce qui est rapporté, que ce soient les tueries d’enfants par des soldats, les attaques de colons contre des fermiers palestiniens ou les méthodes israéliennes pour s’emparer des terres. Peut-être qu’avec dix journalistes supplémentaires, on y parviendrait, si par ailleurs le “rating”4 le permettait.
Il faudrait aussi, suggère-t-elle, s’intéresser autant à la société palestinienne qu’aux affrontements quotidiens. Elle n’est pas seule à évoquer ce manque. Plusieurs de mes interlocuteurs ont évoqué ceux qu’ils appellent les « telaviviens », et qui restent numériquement très dominants dans la rédaction. Le terme vise une sorte de « gauche bobo » certes globalement progressiste, mais peu encline à réellement s’intéresser à la vie des Palestiniens. Amira Hass insiste aussi sur le « vocabulaire » qui, pour ce qui concerne les Palestiniens, « n’est pas suffisamment émancipé du langage officiel » à la rédaction. Un exemple : si le nombre des tirs palestiniens s’accroit, le terme « escalade », immédiatement martelé par le porte-parole militaire, est souvent repris machinalement tel quel dans le journal. « Mais l’accélération de la colonisation, le processus le plus constant et agressif de tous, n’est jamais qualifié d’escalade ». Autre exemple : « Une ville ou un village palestiniens sont souvent désignés dans la presse, Haaretz inclus, en fonction de leur proximité avec une colonie. Cela donne une fausse impression de coexistence et de normalité. Plutôt que d’écrire que la ville de Salfit est proche d’Ariel (une grosse colonie israélienne), moi j’écrirais qu’elle est au sud-ouest de Naplouse et qu’Ariel a été bâtie sur ses terres”. En même temps, insiste-t-elle, à Haaretz « on jouit d’une liberté d’écriture inexistante dans les autres grands médias israéliens, qui tous pratiquent une autocensure massive » dès qu’on touche à l’occupation et à la colonisation ».
UN IMPACT À L’INTERNATIONAL
À cet égard, quel impact Haaretz a-t-il sur sa société ? Là, les journalistes divergent quelque peu. Sheren Falah Saab croit parvenir à « faire un peu bouger les choses ». Elle le voit dans les messages qu’elle reçoit, même s’ils incluent aussi pas mal d’insultes (« je n’en tiens pas compte »). Hagar Shezaf répond que « quelquefois, on enregistre des microsuccès. On oblige l’armée à modifier une déclaration. Mais si je faisais mon travail dans l’espoir de changer les choses, je crois que j’entrerai dans une profonde dépression ». Gideon Levy pense, tristement, que l’influence de son journal sur la société israélienne est « quasi égale à zéro ». En revanche, poursuit-il, son impact international est désormais acté. La hausse constante des ventes de sa version anglaise (en coopération avec le New York Times) et des connexions sur son site internet en anglais en font foi. Dans le monde entier, dirigeants politiques, hommes d’affaires, diplomates, universitaires, tous ceux qui s’intéressent au Proche-Orient « savent qu’il n’y a pas d’autre lieu qu’ Haaretz pour disposer d’une information fiable ». À défaut de modifier les rapports de force internationaux ou d’empêcher les succès diplomatiques d’Israël, le journal est devenu une source importante de la dégradation continue de l’image de cet État dans le monde.
Enfin, Noa Landau juge prématuré d’établir un réel bilan de l’évolution de Haaretz. Son plus important succès, à ses yeux, est d’avoir contribué largement à faire obstacle à la tentative des gouvernants de « rayer la Nakba du débat public », comme Benyamin Nétanyahou avait tenté de le faire. Mais elle pense, surtout, que le succès le plus probant de son journal n’est pas encore sensible, mais que « des groupes judéo-arabes se forment ». Comme Standing Together (Debout ensemble), une association qui lutte pour l’égalité salariale entre Juifs et Arabes. « De plus en plus de gens, à gauche, comprennent qu’il n’y a pas d’avenir en Israël sans tenir compte de l’opinion arabe. La tendance à œuvrer en commun, Palestiniens et Israéliens, se renforce, et va se poursuivre ». L’avenir le dira, mais c’est en tout cas la voie que Haaretz entend promouvoir.
Révolution du 22 Février. Du miracle au mirage. Une impasse algérienne. Recueil d'articles et de contributions de Said Sadi. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 302 pages, 1.000 dinars
Dans le premier tome, édité en 2019, le titre était bien plus court et bien plus optimiste, puisqu'il parlait seulement de «Miracle algérien». Seulement ! En trois années les choses ne s'étant pas passé comme il le fallait, le sous-titre de l'ouvrage, «augmenté», est assez pessimiste : «Du miracle au mirage». C'est tout dit.
Les articles de l'auteur des contributions «écrites au jour le jour et dans le feu de l'action - reflètent, en fait, fidèlement, à plusieurs interrogations récurrentes : Pourquoi en Algérie plus qu'ailleurs, il ne suffit pas de provoquer une puissante mobilisation en faveur de la rupture pour qu'elle soit entendue et assumée par celles et ceux qui disent comprendre les colères qui les sous-tendent ? Pourquoi les appels à une convention nationale pour définir les mécanismes et les retombées des multiples «révolutions» (dont celle de février 2019) se sont se retrouvées «condamnées» ? A cause de... l'aliénation des élites ? Peut-on aussi se suffire de la Diaspora, se retrouvant «du fait de la violence étatique et sociale - l'essentiel de la ressource humaine algérienne assumant (le pouvait-elle ?) «le rôle de traducteur institutionnel d'une insurrection citoyenne inédite» ? En Algérie même, un «groupe déterminé», assumant la substance politique de l'Ald (Charte pour l'Algérie libre et démocratique) appelait à une convention nationale pour définir les mécanismes, les méthodes et les délais d'une transition. Tout cela face aux «manœuvres du pouvoir qui jouait la montre».
Beaucoup d'interrogations, n'ayant reçu (ne pouvant recevoir), pour l'auteur, de réponses convaincantes car il fallait d'abord que la pensée critique explore les labyrinthes d'une histoire chaotique. L'invitation à l'exercice suite à la lecture des articles et réflexions- est lancée. Un exercice objectivement peu facile mais pas impossible.
Beaucoup (trop ?) de sujets sont abordés, rapidement ou longuement mais toujours instructifs. D'abord sur l'évolution politique du pays présentée par un homme devenu politicien grâce à sa lutte et sa défense des Droits de l'Homme... et surtout, me semble-t-il, à une très forte conviction «soummamienne». Jusqu'à l'obsession.
Un recueil où tout y passe. Le Hirak, la Révolution, Abane Ramdane, Boumediene, le Congrès de la Soummam, Rachad, la laïcité, la répression, la Constitution, Matoub Lounès, la Badissiya-Novembriya, l'islamo- populisme, l'Algérie et ses archaïsmes, le Maroc, le Maghreb, le Corona, la Palestine, la tragédie libanaise, les agressions... Un «testament» ?
Table des matières : Avant-propos/ Avertissement/ Chroniques (45)
L'Auteur : né le 26 août 1947 à Aghribs, médecin psychiatre... Militant, nationale 89, le Rcd, parti social-démocrate laïc qu'il présidera jusqu'en mars 2012. Il a été par deux fois député (Apn) d'Alger et, aussi, candidat à l'élection présidentielle. Auteur de plusieurs ouvrages (dont «Mémoires. La guerre comme berceau, 1947-1967» et «La fierté comme viatique, 1967-1987» aux Editions Frantz Fanon)
Extraits : «Si le séisme de février 2019 n'a pas emporté le système politique algérien, il a provoqué en son sein des schismes inédits dont les répliques et les turbulences risquent de rythmer un long et fatal chant du cygne» (p 14), «L'Algérie officielle est une mixture de léninisme sans marxisme, de fondamentalisme sans le clergé connu chez les Chiites et de jacobonisme sans la culture républicaine» (p35), «Sauf à s'assumer comme théocratie, un Etat démocratique n'a pas de religion. Il a des institutions, des normes et des règles qui permettent au citoyen d'être l'arbitre permanent de son destin avec des droits et des devoirs, c'est-à-dire des bénéfices et des obligations civiques» (p134), «Le problème avec les hommes aveuglés par la haine et qui ont perdu contact avec le réel, c'est qu'ils finissent par croire que la réalité n'est pas ce qu'elle est mais ce qu'ils ont décidé qu'elle devienne. Ils mentent mais ils n'en ont pas conscience» (p172)
Avis : Un recueil qui permet d'avoir une idée sur le déroulé de l'Histoire récente. Met les points sur i, bien que cela ne va pas plaire à tout le temps à tous les lecteurs (car trop de jugements de valeur... ce qui est signe d'un engagement politique, certes orienté et précipité, mais clair, décidé et franc). Sens aiguisé des formules-chocs ! Ah, il me semble qu'il insiste un peu trop sur la «singularité kabyle» et qu'il idéalise le rôle possible des élites algérienne et marocaine
Citations : «Les cinquante-sept ans de congélation politique du Fln ont formaté et inhibé les esprits : l'esclave a peur de la liberté» (p 15), «Quand la dimension symbolique de l'Histoire vient stimuler les luttes, elle joue toujours un rôle de catalyseur. Dans ces moments privilégiés, les ferveurs populaires se transforment alors en dynamiques libératrices» (p 27), «Les révolutions qui marquent l'histoire sont celles qui élaborent les bonnes doctrines, prennent les bonnes décisions, adoptent les bonnes méthodes, le tout se transmettant dans l'histoire par des actes symboliques» (32), «Une nation se grandit toujours quand elle assume et honore les séquences les plus fécondes de son histoire» (p53), «Un peuple qui récupère sa mémoire sort rarement de l'histoire» (p 61), «L'histoire enseigne qu'il est souvent plus simple de venir à bout d'un ennemi que de vaincre ses propres démons» (p81) , «Sous une casquette, un turban, une kippa ou avec une croix, un dictateur reste un dictateur» (p94), «L'histoire a vérifié sous tous les cieux une équation intangible : appétits carriéristes + courte vue = hypothèque de la démocratie» (p109), «Un peuple meurt ou régresse quand il ne tire aucune leçon du passé (p117), «Il n'y a d'impasse que celle dont on ne veut pas sortir» (p177), «Qu'elle soit active ou passive la complicité est toujours plus condamnable que la démission» (p209), «Le combat pacifique ne vise pas à contraindre mais à convaincre» (p 275)
Le projet Algérie. Brève histoire politique d'un pays en chantier. Essai (politique) de Ahmed Cheniki. Editions Frantz Fanon, Alger 2018, 800 dinars, 290 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits).
De quoi il retourne ? Tout en sachant que l'auteur part du principe que «toute analyse d'une pratique culturelle et politique est travaillée par l'Histoire et les différentes ruptures caractérisant le discours colonial»... et, de ce fait, ce n'est pas sans raison que les dirigeants algériens d'après 1962 (avec ceux d'aujourd'hui, en tant que «dignes» héritiers) ne réussissent pas, malgré leurs efforts, à rompre radicalement avec les formes de structuration coloniale, empruntant le mode de fonctionnement jacobin... et l'Etat est, donc, saisi dans sa fonction répressive, autoritaire, dirigé par des équipes s'autoproclamant uniques sauveurs du pays et n'admettant aucune parole différente... Donc, d'abord, «les pratiques politiques» et Dieu sait s'il y a, en notre bas monde, de bien «tordues» (l'ouvrage a été édité, hélas, juste avant le désormais fameux «cadenassage» de la porte d'entrée de l'Apn et l'«éviction» de son président). Tout y passe : l'Etat (qui fonctionne comme une entité double traversée par les contours du discours dominant européen et les résidus de la culture autochtone), les mythes, la fabulation, les zaouïate, les réseaux, le président, le Fln, l'armée, le pouvoir, les partis, le civil, le syndicat (et ses combats douteux)... Ajoutez-y les usages sociaux : les mots volubiles du discours politique algérien, les «émeutes», «les journées obscures» d'octobre 88, la corruption (et «ses ruelles ordinaires»), l'Histoire, les mémoires (souvent prétextes à des règlements de compte politiques et au déterrement d'inimitiés anciennes ) et les traficotages...
Ensuite, la presse passée à la moulinette de l'observation critique de quelqu'un qui l'a pratiquée (et continue de la pratiquer à travers des contributions) de l'intérieur : le secteur public, le service public, les jeux d'allégeance, les journalistes des années 70, octobre 88 (et «l'ouverture» de la presse écrite), le travail des journalistes, les relations avec le pouvoir politique, l'écriture journalistique et les ambigüités éditoriales...
Enfin, l'universitaire qu'il est ne manque pas de se pencher sur l'institution scolaire et universitaire... Pour lui, le diagnostic est sans appel: Une Ecole en déshérence et une université baignant dans une grande illusion !
Conclusion : «Dans le contexte actuel de corruption et de mauvaise gestion, l'entreprise est délicate, difficile, les périls futurs sont grands, les tensions et les crises continueront à secouer la société algérienne encore prisonnière du schéma colonial d'organisation et d'une privatisation de l'Etat».
L'Auteur : né à Collo (W. de Skikda), ancien journaliste s'occupant des questions culturelles («Algérie Actualités», entre autres),chercheur, actuellement, et depuis longtemps, professeur à l'Université de Annaba et professeur invité dans plusieurs universités étrangères, arabes et européennes. Auteur de plusieurs ouvrages pour la plupart sur le théâtre dont il est un des plus grands spécialistes algériens.Il a été un des rédacteurs du «Dictionnaire encyclopédique du théâtre» et de l' «Encyclopédie des Créatrices du Monde».
Extraits : «Dans le cas des pays colonisés comme l'Algérie, le droit ne constitue nullement un élément primordial, privilégiant les relations personnelles et les logiques de domination ponctuées par la puissance des gouvernants obtenue en dehors des urnes. Le droit n'est valable que pour arbitrer les petits conflits des gens du «peuple» entre eux ou pour abattre un adversaire politique» (p 13) «Contrairement à ce qui a été souvent soutenu, le taux d'intellectuels et d'anciens militaires ayant rejoint la lutte armée est proportionnellement beaucoup plus important que les recrues provenant du monde rural qui vont affluer, à partir de 1957. Le même constat est à faire pour ce qui est des populations ayant opté pour la France :le nombre de paysans est, de loin, plus important que celui des citadins, des intellectuels et des militaires déserteurs» (pp 19-20), «Les acteurs de la guerre de libération qui rédigent leurs mémoires pensent faire œuvre d'historien, alors que leur travail n'est qu'un assemblage de fragments de vie, se caractérisant par une forte empreinte d'égocentrisme et une grande subjectivité» (p 156), «Moins de 10% d'Algériens avaient fréquenté le système scolaire avant l'indépendance de l'Algérie. L'idée selon laquelle le France avait fondamentalement déculturé les Algériens est un non-sens, ne résistant pas à une fine analyse des réalités» (p 234),
Avis : Un «essai» réussi. Assez (trop ?) sévère, il est vrai. Il est vrai que «trop, c'est trop» ! Politiciens en herbe (ceux en activité étant, pour la plupart, irrécupérables) ou à l'écart, enseignants, étudiants... un régal. Attention à votre tension ! Des vérités dures à avaler tant les réalités sont amères. À lire et à faire lire absolument...
Citations : «Jusqu'à présent, tout pouvoir est perçu comme un espace de contrainte et de répression» ( p 20), «C'est un système où la parole l'emporte sur l'écrit et où l'informel constitue le lieu nodal du fonctionnement politique» (p 21), «Le président est à la fois espace d'allégeance «traditionnelle» et lieu de pratiques «modernes». Le cheikh et le président se mettent en concurrence. Le cheikh arrive, par endroits, à se substituer au président» (p 45), «L'Algérie a toujours fonctionné avec deux structures : l'une formelle, celle des structures de l'Etat et l'autre, informelle, celle de la société concrète, c'est-à-dire une construction de résidus de tribus, de clans et d'intérêts» (p 53), «Le cousin est le lieu central de la république» (p 54), «Le président fonctionne dans le discours de ses thuriféraires au niveau de l'axe du désir. Le seul «manque» qu'il lui faut combler, c'est être divin. L'Etat acquiert un caractère religieux et mythique. Nous avons affaire à cette équation : Etat=force divine=président» (p117), «Liberté (d'information) rime avec responsabilité.
Responsabilité devant les faits à publier et devant le lecteur» (p 209), «Le journalisme est l'espace privilégié du manque et de la frustration. C'est aussi le lieu de l'humilité» (p 209), «Si dans les années soixante-dix et quatre-vingts, malgré toutes les contraintes, il existait à l'université des voix intellectuelles écoutées, aujourd'hui, nous avons affaire à des reproducteurs du savoir» (p 274), «L'image de nous-mêmes est façonnée ailleurs et reproduite par nous-mêmes. L'Autre reste fascinant» (p 279)
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