Plusieurs acteurs clés ont amorcé un rapprochement pour normaliser leurs relations et ouvrir une nouvelle page.
La région du Moyen-Orient est depuis longtemps l’une des plus instables du monde.
L’instabilité, les conflits, la rivalité et les luttes entre les principaux poids lourds régionaux sont la norme, à tel point que l’on ne se souvient pas de la dernière fois où tous ces acteurs se sont mis d’accord sur quelque chose.
Pourtant, chose étonnamment contradictoire, le Moyen-Orient vit actuellement un rare moment de désescalade régionale et connaît un rythme de réconciliation sans précédent entre les puissances régionales.
Plusieurs acteurs clés ont amorcé un rapprochement pour normaliser les relations et ouvrir une nouvelle page.
Les affaires, la sécurité et la diplomatie sont au cœur des discussions entre les hauts dirigeants et les principaux décideurs de ces pays.
Le processus a commencé avec la main tendue des Émirats arabes unis à l’Iran fin 2020, puis celle de l’Arabie saoudite au Qatar début 2021. Par la suite, des engagements diplomatiques intensifs ont été pris entre l’Égypte et le Qatar, la Turquie et l’Égypte, les Émirats arabes unis et la Turquie, la Turquie et Israël, l’Arabie saoudite et l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite.
Les investissements, des motivations fortes
Dans la plupart des cas, les engagements entre les communautés du renseignement de ces adversaires ont garanti un environnement apolitique et professionnel permettant aux acteurs politiques de communiquer afin d’aplanir leurs différences.
De même, les affaires, le commerce et les investissements ont apporté des motivations fortes et solides pour pousser les parties concernées à chercher un terrain d’entente et à parvenir à une situation gagnant-gagnant.
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En janvier 2021, l’Égypte a relancé ses relations diplomatiques avec le Qatar après des années de tensions. Les hauts diplomates des deux pays se sont rendu mutuellement visite. Ils ont créé un comité de suivi pour régler les questions d’intérêt bilatéral et un haut comité conjoint pour stimuler la coopération entre les deux capitales.
Le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi a rencontré l’émir du Qatar à trois reprises, à Bagdad en août 2021, à Beijing en novembre 2021 et au Caire en juin. Les relations s’étant améliorées, Doha s’est engagé en mars à investir 5 milliards de dollars dans l’économie égyptienne au cours des prochaines années, qui s’ajouteront aux milliards de dollars déjà investis.
Quant à la Turquie et à l’Égypte, leur rapprochement a débuté officiellement en mai 2021. Les délégations des deux pays conduites par les vice-ministres des Affaires étrangères ont mené deux cycles de pourparlers exploratoires en 2021, au Caire en mai et à Ankara en septembre.
Ils ont abordé des questions bilatérales ainsi qu’un certain nombre de questions régionales, notamment la situation en Libye, en Syrie et en Irak, ainsi que la nécessité de parvenir à la paix et à la sécurité dans la région de la Méditerranée orientale.
La normalisation progresse lentement mais sûrement. En avril, le ministre turc des Affaires étrangères n’a pas exclu la nomination réciproque d’ambassadeurs avec Le Caire et une rencontre entre ministres des Affaires étrangères.
Le ministre turc du Trésor et des Finances, Nureddin Nebati, s’est rendu en Égypte en juin, soit la première visite d’un ministre turc au Caire depuis neuf ans.
En 2021, les deux grands rivaux régionaux, l’Arabie saoudite et l’Iran, se sont assis à la même table pour la première fois depuis des années, à la suite d’un effort irakien visant à permettre l’organisation de pourparlers entre les deux pays à Bagdad. Riyad avait coupé ses liens diplomatiques avec l’Iran en 2016 après l’assaut contre son ambassade à Téhéran.
Le premier cycle de pourparlers exploratoires entre les deux pays a débuté en septembre 2021. Malgré le bref contretemps survenu en mars lorsque l’Iran a annoncé la suspension des pourparlers, les responsables des deux pays ont mené un cinquième cycle de discussions en avril.
Les questions de sécurité, le Yémen et la réouverture des ambassades ont fait partie des sujets abordés. Si Téhéran souligne l’importance de la reprise des relations diplomatiques, Riyad affirme souhaiter en premier lieu des actions plus concrètes de la part de Téhéran.
Herzog en Turquie, une première depuis quinze ans
Le rapprochement entre les Émirats arabes unis et la Turquie a été étonnamment rapide, compte tenu des tensions observées depuis une dizaine d’années.
Ces mains tendues mutuelles avec un programme clair et direct tournant principalement autour des avantages mutuels d’une stimulation du commerce, des investissements et des affaires selon une formule gagnant-gagnant, se sont avérées déterminantes.
En novembre 2021, Mohammed ben Zayed (MBZ), alors prince héritier d’Abou Dabi et dirigeant de facto émirati, a effectué une visite en Turquie, la première du genre en neuf ans.
L’implication du gouvernement israélien signifie que la reconstruction des relations bilatérales doit se faire de manière mesurée et prudente. Mais au cours de l’année dernière, la coopération en matière de renseignement a pris le dessus entre les deux parties
Cette visite a été précédée de celle du conseiller émirati à la sécurité nationale, le cheikh Tahnoun ben Zayed, qui s’est rendu à Ankara en août 2021. Le président turc lui a rendu la pareille en atterrissant à Abou Dabi en février. Une réception somptueuse a été organisée à son intention.
Ces visites ont débouché sur un certain nombre d’accords, de protocoles d’accord et de contrats, qui ont ouvert une nouvelle page entre les deux capitales.
En ce qui concerne la Turquie et Israël, le président israélien Isaac Herzog a effectué une visite historique à Ankara en mars, la première pour un président israélien depuis quinze ans.
Plusieurs événements ont préparé le terrain pour cette visite, notamment une rare conversation téléphonique entre les deux présidents en juillet 2021, une visite secrète du directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, Alon Ushpiz, à Ankara en janvier, ainsi que l’envoi d’une délégation de hauts responsables turcs à Tel Aviv en février.
L’implication du gouvernement israélien signifie que la reconstruction des relations bilatérales doit se faire de manière mesurée et prudente. Mais au cours de l’année dernière, la coopération en matière de renseignement a pris le dessus entre les deux parties.
Par ailleurs, les deux parties se penchent sur la possibilité d’acheminer du gaz israélien vers l’Europe via la Turquie, ce qui changerait la donne en Méditerranée orientale si cette option venait à se concrétiser.
Pour faire suite à la visite du président israélien et consolider le rapprochement, le ministre turc des Affaires étrangères s’est rendu en Israël en mai, parallèlement à une visite en Palestine.
Pour ce qui est de l’Arabie saoudite et de la Turquie, bien que le rapprochement entre les deux pays ait commencé dès octobre 2020 lorsque le roi Salmane et le président Erdoğan ont échangé plusieurs messages et appels téléphoniques, le processus de normalisation s’est arrêté sur certaines questions pendant environ un an.
L’impact considérable de la défaite de Trump
Deux facteurs ont contribué à cette situation : la position personnelle du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane sur l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018, ainsi que l’absence de formule adéquate pour faire repartir les relations bilatérales à zéro après cet événement.
Les deux parties ont finalement réalisé une percée, qui s’est traduite par la visite du président Erdoğan à Riyad en avril et ses rencontres avec le roi Salmane et le prince héritier.
Les pays qui dépendaient depuis si longtemps de Trump et de sa politique transactionnelle pour favoriser et imposer des programmes régionaux idéologiques, clivants et conflictuels, se sont soudainement retrouvés dans une position défavorable
Réciproquement, Mohammed ben Salmane s’est rendu à Ankara en juin. Malgré les progrès apparents, aucun programme économique, politique ou de sécurité n’a été annoncé jusqu’alors.
Ces processus de normalisation n’auraient pu avoir lieu sans certaines évolutions aux niveaux international, régional et sous-régional.
Ces évolutions ont préparé le terrain pour une désescalade régionale, créant ainsi un environnement favorable et un terrain d’entente pour que les parties en conflit puissent s’asseoir à la même table, discuter de leurs intérêts communs, se réconcilier et normaliser leurs relations dans des proportions sans précédent.
La défaite de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de novembre 2020 a eu un impact considérable sur la nature des dynamiques régionales actives depuis 2021.
Les pays qui dépendaient depuis si longtemps de Trump et de sa politique transactionnelle pour favoriser et imposer des programmes régionaux idéologiques, clivants et conflictuels, se sont soudainement retrouvés dans une position défavorable à la suite du triomphe de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine.
L’arrivée d’un nouveau président à la Maison-Blanche a initié un nouveau jeu régional. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont notamment suivi le même chemin après avoir échoué à concrétiser leur programme régional.
Israël a vu s’évaporer l’investissement dans le projet d’« accord du siècle » de Jared Kushner. Le pays connaissait déjà un changement interne avec la défaite du Premier ministre israélien au plus long règne, Benyamin Netanyahou, resté au pouvoir pendant quinze ans.
La Turquie a pour sa part ressenti le besoin d’éviter d’être trop sollicitée au niveau régional. Elle a donc recherché un équilibre entre hard power et soft power pour faire fructifier ses succès en matière d’activité militaire en Syrie, en Irak, en Libye, au Haut-Karabakh et en Méditerranée orientale sur le plan politique et économique.
La déclaration d’al-Ula, survenue le 5 janvier 2021, a été le premier résultat majeur de l’accession de Biden à la Maison-Blanche.
Réaction en chaîne
Cette déclaration découle à l’origine d’un accord bilatéral entre l’Arabie saoudite et le Qatar. L’accord a mis fin au blocus imposé à Doha par le bloc dirigé par l’Arabie saoudite et comprenant les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte, ouvrant ainsi une nouvelle page entre le Qatar et ses voisins.
L’accord d’al-Ula a par conséquent accéléré le processus de réconciliation au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et déclenché une réaction en chaîne de plusieurs engagements diplomatiques régionaux qui ont ouvert la porte à des initiatives de réconciliation.
Malgré l’insatisfaction initiale des Émirats arabes unis et de l’Égypte vis-à-vis de l’accord, compte tenu du fait que l’Arabie saoudite ne les avait pas consultés à ce sujet, les deux pays y ont vu l’occasion de suivre des programmes relativement souples.
Cette approche les a aidés à diversifier leurs relations régionales, à donner la priorité à leurs questions clés et à promouvoir leurs propres intérêts.
Ainsi, l’Égypte a tendu la main au Qatar et les Émirats arabes unis ont tendu la main à la Turquie. De même, l’accord d’al-Ula a permis à Ankara de renforcer ses relations avec les petits pays du Golfe et de poursuivre la normalisation de ses relations avec l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Au-delà de ces deux évolutions majeures, plusieurs autres facteurs cruciaux ont contribué à la nouvelle dynamique régionale et ouvert la voie à une période rare marquée par une désescalade et des réconciliations régionales sans précédent.
Parmi ceux-ci figurent la fin de l’ère des soulèvements arabes de 2011, la décision de Washington de retirer la région de ses priorités et de revoir à la baisse ses engagements en matière de sécurité envers plusieurs pays, notamment du Golfe, la pandémie de covid-19, la reprise des négociations avec l’Iran sur le plan d’action conjoint, ainsi que l’invasion russe de l’Ukraine.
L’épuisement des puissances résultant de la poursuite de programmes géopolitiques et idéologiques très contrastés et l’apparition de la pandémie de covid-19 dans un contexte post-2011 ont encouragé les acteurs régionaux en conflit à adopter une attitude pragmatique
La poursuite par Washington de son recentrage et de la réorientation de ses ressources vers la Chine a incité les États du CCG à accélérer leurs stratégies de diversification et de couverture. Ainsi, des pays comme la Turquie, Israël et l’Iran ont gagné en importance dans ce contexte.
L’épuisement des puissances résultant de la poursuite de programmes géopolitiques et idéologiques très contrastés et l’apparition de la pandémie de covid-19 dans un contexte post-2011 ont encouragé les acteurs régionaux en conflit à adopter une attitude pragmatique et à donner la priorité à l’économie, aux affaires, au commerce et à des programmes fondés sur des intérêts plutôt que sur des idéologies.
Lorsque la pandémie a commencé à reculer à partir de 2021, ces acteurs régionaux étaient en bonne position pour se rapprocher les uns des autres dans un esprit pragmatico-économique visant à compenser les pertes économiques et financières dévastatrices causées par la crise sanitaire.
Les efforts de rapprochement entre l’Égypte et le Qatar, les Émirats arabes unis et la Turquie, la Turquie et l’Égypte, mais aussi Israël et la Turquie ont clairement illustré cette approche.
La guerre russe contre l’Ukraine a donné plus d’importance à la région de la Méditerranée orientale et à ses ressources pétrolières et gazières, ce qui a engendré une atmosphère propice à la recherche de terrains d’entente pour des situations gagnant-gagnant, notamment dans les cas de la Turquie, d’Israël et de l’Égypte.
Des défis à l’horizon
Malgré l’impact positif de cette désescalade sans précédent dans la région, des questions se posent quant à la durabilité des réconciliations et à la résilience des processus de normalisation.
Par ailleurs, on ne sait pas encore vraiment s’il s’agit d’une situation temporaire motivée par les calculs tactiques de certains des pays impliqués ou d’une nouvelle norme ou tendance fondée sur des calculs stratégiques. Quoi qu’il en soit, plusieurs défis s’apprêtent à mettre à l’épreuve ce nouveau phénomène au Moyen-Orient.
Les dynamiques régionales et internationales qui ont engendré ce rare moment de désescalade et de réconciliation entre les différents acteurs régionaux, en particulier, sont inconstantes et sujettes à des changements soudains.
En raison de la situation très instable, on ne peut exclure d’éventuelles évolutions de cette dynamique dans un avenir proche, ce qui pourrait avoir une incidence négative sur le processus et entraîner une régression.
De plus, les processus de normalisation ont comme caractéristique évidente de reposer fortement sur la nature des relations personnelles entre les décideurs des pays en question. Bien que cela puisse être une bonne chose lorsqu’il s’agit de surmonter des obstacles bureaucratiques pouvant considérablement ralentir la normalisation des relations, cela peut être un signe de faiblesse des relations institutionnelles.
Une relation sous-institutionnalisée rend la réconciliation entre les États concernés fragile et très vulnérable à de futures fluctuations politiques. Par ailleurs, un changement radical au sommet chez l’un des principaux acteurs régionaux pourrait déboucher sur différents types de relations intrarégionales.
Plusieurs autres facteurs méritent d’être observés de plus près dans un avenir proche et pourraient mettre à l’épreuve la dynamique actuelle de normalisation et de désescalade régionale :
Premièrement, l’élection présidentielle américaine de 2024 sera cruciale et déterminante pour la région, car elle pourrait amener au pouvoir un nouveau président adepte de la politique transactionnelle chère à Trump.
L’idée que Trump ou un président qui lui ressemble puisse arriver en 2024 pourrait encourager certains États régionaux, notamment les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte, à revenir à leurs anciennes politiques aventureuses
Dans un sondage réalisé en mai par Associated Press (AP), la cote de popularité du président Joe Biden a atteint son plus bas niveau, avec seulement 39 % d’opinions favorables à son action.
Alors que selon AP, la désapprobation des républicains à l’égard de Biden n’a pas faibli – moins d’une personne interrogée sur dix issue du Parti républicain l’approuve –, sa popularité auprès des démocrates a baissé tout au long de son mandat.
Si aucun président n’a effectué deux mandats non consécutifs dans l’histoire des États-Unis – à l’exception de Grover Cleveland, qui a occupé les fonctions de 22e et 24e président des États-Unis de 1885 à 1889, puis de 1893 à 1897 –, les spéculations vont bon train quant à un possible retour de Trump en 2024.
L’idée que Trump ou un président qui lui ressemble puisse arriver en 2024 pourrait encourager certains États régionaux, notamment les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte, à revenir à leurs anciennes politiques aventureuses.
Une élection en Turquie
Deuxièmement, il y a l’élection présidentielle de 2023 en Turquie, un scrutin d’une grande importance pour les Turcs et la région.
Plusieurs puissances régionales et internationales misent sur un changement interne à Ankara pour remodeler la dynamique régionale en leur faveur. Un scénario dans lequel un gouvernement soumis à l’Occident s’installerait changerait radicalement le rôle régional d’Ankara et la nature de ses relations avec plusieurs pays de la région.
Le principal parti d’opposition, le CHP, s’est engagé à chasser les réfugiés syriens de Turquie et à relancer les relations avec le régime d’Assad. Des tendances similaires peuvent être attendues pour diverses questions et divers gouvernements.
On pourrait également s’attendre à un revirement de la politique étrangère turque et à un engagement diplomatique, économique et militaire revu à la baisse au Moyen-Orient. S’il venait à se concrétiser, ce scénario aurait également un impact sur les relations intrarégionales.
Le troisième facteur concerne le sort de l’accord sur le nucléaire de 2015 entre les États-Unis et l’Iran. Les négociations entre l’administration Biden et le gouvernement iranien pour réactiver l’accord suivent leur cours depuis un certain temps.
Plusieurs pays de la région, notamment Israël et l’Arabie saoudite, se sont opposés à l’accord initial au motif qu’il n’empêcherait pas totalement Téhéran de produire une arme nucléaire. Ils ont également fait part de leur vœu de bloquer le programme de missiles de l’Iran et d’obliger le régime iranien à changer son comportement régional et à mettre fin à ses activités déstabilisatrices.
La réactivation de l’ancien accord donnera plus de pouvoir à l’Iran en l’incitant à poursuivre son programme expansionniste, ce qui obligera ses rivaux régionaux à adopter des politiques de confrontation pour le contrer. Toutefois, le scénario « sans accord » n’est pas moins dangereux, car cela rapprochera probablement l’Iran de la fabrication d’une bombe nucléaire.
Ce scénario déclenchera une course à l’armement nucléaire. Dans les deux cas, l’issue des négociations pourrait remodeler les alliances dans la région en fonction des positions vis-à-vis de l’Iran.
Une deuxième vague de soulèvements arabes pourrait obliger les acteurs régionaux à reconfigurer leurs alliances en fonction de la solidité des régimes
Le quatrième facteur est la situation émergente d’insécurité alimentaire au Moyen-Orient. En 2019, la Russie et l’Ukraine représentaient plus de 25 % des exportations mondiales de blé.
L’invasion de l’Ukraine par Moscou, ainsi que les sanctions contre la Russie, perturbent les exportations de blé, de céréales, de maïs et d’autres sources alimentaires essentielles, ce qui engendre une explosion des prix de ces denrées à l’échelle mondiale.
Plusieurs pays arabes ainsi qu’Israël et la Turquie reposent sur les importations de blé russe et ukrainien. L’Égypte, premier importateur mondial de blé, dépend de Moscou et de Kyiv pour satisfaire plus de 70 % de sa demande locale.
En plus de l’Égypte, plusieurs pays arabes sont gravement exposés. Si la guerre est appelée à se prolonger, il ne faut pas exclure qu’une crise alimentaire imminente, associée à la montée en flèche des prix des denrées alimentaires, puisse déclencher des soulèvements.
Ce scénario aurait des répercussions politiques, économiques et sécuritaires. Une deuxième vague de soulèvements arabes pourrait obliger les acteurs régionaux à reconfigurer leurs alliances en fonction de la solidité des régimes.
L’utilisation des ressources inexploitées de la Méditerranée orientale
Cinquièmement, on retrouve les éléments perturbateurs et l’évolution de la situation en Méditerranée orientale. En faisant de ses ressources énergétiques une arme dans le contexte de sa guerre contre l’Ukraine, Moscou a mis l’Europe à ses pieds.
Compte tenu de cette situation, l’Europe recherche de toute urgence des sources d’énergie alternatives afin de répondre à la demande, de réduire sa dépendance envers le gaz russe et de maîtriser son exposition aux risques vis-à-vis de Moscou
Une source de gaz inexploitée se trouve dans le bassin de la Méditerranée orientale. Compte tenu de la désescalade régionale, les États-Unis et certains pays européens envisagent la possibilité d’utiliser les ressources en hydrocarbures de la région.
L’utilisation des ressources inexploitées de la Méditerranée orientale et la résolution des conflits entre les différents acteurs nécessiteraient une prise en compte de l’approche holistique de la Turquie sur la question ainsi qu’un gazoduc qui s’étendrait d’Israël à la Turquie, en lieu et place du projet irréalisable baptisé EastMed, un gazoduc censé relier Israël à la Grèce via la Crète en passant par des eaux revendiquées par Ankara.
En dépit de l’atmosphère régionale très positive résultant des processus de normalisation, il est difficile de juger si certains des acteurs concernés suivent cette nouvelle voie avec une volonté réelle ou s’ils font simplement preuve de pragmatisme.
Peu satisfaite de ces évolutions et de la normalisation des relations entre ses principaux partenaires régionaux – les Émirats arabes unis, Israël, l’Égypte et l’Arabie saoudite – et la Turquie, la Grèce se présente en trouble-fête.
Athènes s’emploie activement à perturber le climat de désescalade et à entraîner d’autres acteurs, tels que les États-Unis, dans ses propres problèmes. Une persistance de cette attitude pourrait avoir un impact négatif sur la région et mettre sérieusement à l’épreuve certains des processus de réconciliation et de normalisation.
Un élan à conserver
En dépit de l’atmosphère régionale très positive résultant des processus de normalisation, il est difficile de juger si certains des acteurs concernés suivent cette nouvelle voie avec une volonté réelle ou s’ils font simplement preuve de pragmatisme en rangeant leur épée dans son fourreau, en faisant profil bas et en attendant le bon moment pour revenir à leurs anciennes politiques.
Ceci dit, s’il existe une réelle volonté de transformer cette période de désescalade en une situation durable, nous devrions voir les principaux pays de la région prendre au moins quelques-unes des mesures suivantes dans un avenir proche.
Premièrement, donner la priorité à l’aspect économique des relations bilatérales. L’espace économique est un espace dépolitisé par nature, qui peut facilement contribuer à établir une formule gagnant-gagnant pour les parties concernées. Une approche fondée sur des intérêts économiques permettra de consolider le processus de réconciliation et apportera des gains réels et tangibles pour toutes les parties.
Bien que les États rentiers ne soient peut-être pas si intéressés par de tels avantages, le contexte post-pandémie, la guerre russe contre l’Ukraine et les désirs de diversification économique obligent ces parties à observer sérieusement la dimension économique.
Deuxièmement, identifier les intérêts communs dans d’autres domaines tels que la sécurité et la politique. Il faut ensuite s’appuyer sur ces domaines tout en essayant de maintenir une séparation entre politique, économie et sécurité en période de tension afin d’éviter une rupture soudaine de tous ces liens. Cette méthode minimisera les dégâts et permettra aux parties de maintenir la communication sur d’autres questions non conflictuelles.
Troisièmement, engager une discussion constructive sur les points de divergence entre les principales puissances régionales. En ce sens, il est essentiel que les parties concernées mettent en place un mécanisme à même de contenir/résoudre les problèmes susceptibles de se présenter à l’avenir.
On peut également y ajouter la préservation des canaux de renseignement, qui doivent rester ouverts et opérationnels. La sécurité est importante pour tous. En raison de leur position géographique et de leur sentiment d’insécurité, certains pays ont tendance à donner la priorité aux relations dans le domaine de la sécurité. Le maintien d’un canal ouvert permettra non seulement d’approfondir la coopération sur les questions de sécurité, mais aussi de faciliter la discussion autour de certaines questions politiques non résolues.
L’absence de telles mesures sera un signe de faiblesse de ces processus de réconciliation et de normalisation. Ces derniers seront alors extrêmement vulnérables aux défis susmentionnés, qui devraient tôt ou tard mettre à l’épreuve les configurations régionales actuelles.
Cet article a été publié initialement par le site Insight Turkey.
- Ali Bakir est chargé de recherche au Centre Ibn Khaldun spécialisé en humanités et sciences sociales (université du Qatar). Il étudie les tendances géopolitiques et en matière de sécurité au Moyen-Orient, la politique des grandes puissances, le comportement des petits États, l’émergence de risques et menaces peu conventionnelles. Il se concentre principalement sur les politiques étrangères et de défense de la Turquie, les relations entre les Turcs et les Arabes et entre la Turquie et le Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AliBakeer.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
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