Après « Là où poussent les Coquelicots », sur la Guerre de 14-18, Vincent Marie réalise un documentaire, tout aussi réussi, autour des traumas de la colonisation et de la Guerre d’Algérie, avec les témoignages d’une série d’auteurs de bande dessinée ayant traité le sujet.
Spécialiste de l’histoire de la bande dessinée, Vincent Marie continue d’interroger l’Histoire et la mémoire que l’on conserve de ses grands traumas à travers les œuvres de bande dessinée et le travail de ses auteurs. Après Bulles d’exil en 2014, son premier documentaire sur les liens entre immigration et bande dessinée, puis en 2016 le très beau Là où poussent les coquelicots, sur la Première Guerre mondiale et enfin en 2019 Bartoli, le dessin pour mémoire en écho au film d’animation Josep d’Aurel, le chercheur et cinéaste porte son regard cette fois sur l’Algérie, et plus particulièrement sur les mémoires plurielles de la Guerre d’Algérie avec son nouveau film, présenté lors du Festival du film d’Amiens ce 12 novembre, Nos ombres d’Algérie.
On débute cette fois avec Jacques Ferrandez, qui dans sa grande saga des Carnets d’Orient a évoqué ses ancêtres, immigrés espagnols d’un côté, Alsaciens de l’autre, qui vont se retrouver dans le sud algérien, occasion de rappeler les origines de la colonisation française. Comme en miroir, Kamel Khélif, peintre et auteur de BD né en Algérie et venu avec sa famille s’établir à Marseille – qui a utilisé ses souvenirs dans plusieurs albums autobiographiques – raconte cet autre arrachement, cet autre dépaysement, l’intégration paradoxale et les « tabous » familiaux autour de la Guerre d’Algérie.
Cette guerre est au cœur du témoignage d’Alexandre Thikomiroff, que Gaëtan Nocq a recueilli et restitué avec beaucoup d’émotion dans Soleil brûlant en Algérie. Dans leurs échanges, ils reviennent notamment sur l’angoisse permanente qui saisissait le trouffion de base envoyé dans les collines algériennes. Mais la violence de cette guerre a franchi la Méditerranée, en octobre 1961 avec le massacre des manifestants algériens jetés dans la Seine sur ordre du préfet Papon, ainsi que le rappelle Kamel Khélif. Puis, plus présente dans la mémoire française, le massacre de Charonne, le 8 février 1962 qu’évoque Jeanne Puchol (et qu’elle a raconté dans Charonne Bou Kadir), dont la famille, fait du hasard, habitait justement rue de Charonne.
Autre thématique honteuse pour la France, le traitement des harkis dont parle Farid Boudjellal, à travers son album Le cousin harki, et aussi Gaëtan Nocq, filmé dans le camp de Rivesaltes où certains furent accueillis… dans cet ancien camp de rétention des réfugiés espagnols de 1940 !
Mais cette relation encore aujourd’hui conflictuelle entre la France et l’Algérie est aussi faite de liens et de mémoire partagée, comme ceux que Joël Alessandra a recueilli à Constantine, où le souvenir de sa famille, architectes concepteurs de nombreux bâtiments de la ville, est toujours présent ; un récit que l’auteur a conté dans son album Petit-fils d’Algérie.
Ces liens, Jacques Ferrandez les soulignent aussi, en conclusion, lui qui y revient dans ses récentes Suites algériennes, rappelant aussi combien la bande dessinée peut permettre d’affronter ensemble la Guerre d’Algérie et ses suites…
Toujours produit par Kanari Films et réalisé pour France 3, ce nouveau documentaire de 52 minutes conserve le dispositif narratif des précédents, allant de rencontres en rencontres pour aborder les différentes facettes du sujet. Visuellement, le montage est très fluide, multipliant les fondus enchaînés soignés entre photos d’archives et extraits de planches, mais aussi en s’attardant sur l’artiste dans son atelier, captant la phase de création – c’est notamment le cas d’une séquence, saisissante, montrant la création d’un dessin pleine page de Kamel Khélif ou de la mise en couleur délicate à l’aquarelle d’un dessin du bidonville de Nanterre par Jacques Ferrandez.
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