Le film, qui sortira le 7 décembre dans les salles françaises, représentera l’Algérie aux Oscars. Il avait été présenté, en avant-première et hors compétition, en mai au Festival de Cannes où il avait été chaleureusement accueilli.
En mettant en parallèle la mort de Malik Oussekine, jeune étudiant français d’origine algérienne, avec celle, le même soir, d’Abdel Benyahia, lui aussi Français d’origine maghrébine, Rachid Bouchareb affirme qu’ils font partie de la même histoire.
Un film que le réalisateur d’Indigènes avait «envie de faire depuis longtemps». «Là, c’est l’horloge personnelle qui s’est déclenchée. Il était temps», a-t-il confié à l’AFP lors d’un entretien réalisé en marge du Festival de Cannes.
Première adaptation cinématographique de ces drames qui ont marqué une génération – celle des étudiants opposés au projet de loi visant à réformer les universités françaises présenté en 1986 et dit projet de loi Devaquet – le film sort quelques mois après la série Oussekine sur Disney+.
«Il y a des sujets de mémoire qui sont difficiles et il faut attendre que la France soit complètement prête à en parler», poursuit le réalisateur.
«On parle beaucoup de droitisation de la France, [...] mais un film comme celui-là n’aurait pas pu se produire il y a quelques années. Qu’on puisse le faire aujourd’hui, c’est une vraie note d’espoir», complète auprès de l’AFP l’acteur Reda Kateb, qui campe le rôle de Mohamed, frère de Malik.
Si les familles n’ont pas participé au film, celui-ci s’est fait avec leur assentiment. «On n’a pas voulu bousculer ou réveiller leur blessure. On s’est tenu à notre place», poursuit l’acteur de Hors normes.
«C’est un film qui a été fait sans colère et avec beaucoup d’amour», explique à l’AFP l’actrice Lyna Khoudri qui incarne Sarah, la sœur de Malik.
Déclencher «un mouvement»
Avec une écriture au couteau, un récit resserré, le film prend ses distances avec la série Disney+, plus dense, qui abordait notamment le thème de la colonisation.
Le film de Rachid Bouchareb lui se concentre sur les destins de Malik et Abdel. Tous deux sont morts le même soir. Le premier à Paris, l’autre à Pantin, en proche banlieue parisienne. Tous deux ont été tués par des policiers.
Dans le cas d’Abdel Benyahia, jeune animateur de rue, d’une balle dans la poitrine par un inspecteur de police ivre alors qu’il tentait de s’interposer pour éviter une bagarre devant un café.
Son histoire n’a pas été immédiatement médiatisée, de peur que sa mort, s’ajoutant à celle de Malik Oussekine, ne provoque davantage de manifestations dans un pays déjà marqué par de vives protestations étudiantes.
D’une grande justesse, Samir Guesmi, qui incarne le rôle du père d’Abdel Benyahia, transmet la solitude de cet homme, ouvrier et seul, et celle d’Oussekine, portée par son frère aîné Mohamed qui prend en charge les démarches judiciaires et reçoit le soutien du président de la République française de l’époque, François Mitterrand.
«Incarner ce père qui a longtemps manqué dans le paysage du cinéma français et qui a maintenant sa place, c’est formidable», raconte Samir Guesmi qui incarnait déjà un père dans son premier film comme réalisateur, Ibrahim (2020).
Trente-six ans après les faits, qu’espérer du film? «À chaque fois, les films déclenchent tout un mouvement. [...] On met en route une locomotive et le cinéma est une locomotive», estime Rachid Bouchared.
En 2006, Indigènes, qui avait valu un prix d’interprétation collectif à ses interprètes, avait changé la vie des anciens combattants étrangers en permettant la revalorisation de leurs pensions.
Rachid Bouchareb : « Avant Malik Oussekine, nos morts n’avaient pas de nom »
La nuit du 5 au 6 décembre 1986, alors que les manifs anti-Devaquet embrasent le pays, Malik Oussekine est tué dans le quartier Latin par des voltigeurs, Abdel Benyahia dans un café de Pantin par un policier éméché. Trente-cinq ans plus tard, Rachid Bouchareb revient sur ces deux bavures, dont l’une a été dissimulée par la police, à travers une fiction tenue et digne ponctuée d’images d’archives où l’on retrouve Reda Kateb, Lyna Khoudri, Samir Guesmi, Raphaël Personnaz… En pleine cohabitation Mitterrand-Chirac, Robert Pandraud profère des horreurs sur Oussekine, la Mano Negra beugle « Mala Vida », et la France scande le slogan « Plus jamais ça ».
Depuis combien de temps « Nos frangins » vous trotte-t-il dans la tête ?
Depuis trente ans. J’ai toujours voulu tourner « Indigènes », puis « Hors-la-loi », qui en est la suite, et « Nos frangins », la suite de « Hors-la-loi ». Les trois films marchent de front. Le cinéma politique, je l’ai découvert avec Costa-Gavras, Francesco Rosi, Sidney Lumet, Alan Pakula et « la Bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo.
Dans les années 1980, que faites-vous ?
Je viens d’achever « Bâton rouge », mon premier long-métrage, sur des jeunes de banlieue qui rêvent d’Amérique, y vont et en reviennent dans tous les sens du terme. Je suis alors le seul cinéaste d’origine algérienne avec Mehdi Charef. L’élection de Mitterrand soulève le couvercle. SOS-Racisme naît en 1984. Avec le chanteur Rachid Taha, nous fréquentons certains des membres de l’association. La culture de l’immigration éclôt.
Pourquoi le meurtre de Malik Oussekine reste-t-il à ce point ancré dans l’imaginaire collectif ?
Il y a eu beaucoup de morts avant lui, mais ces morts n’avaient pas de nom. Peut-on citer une seule victime du massacre du 17 octobre 1961 [la répression sanglante d’une manifestation d’Algériens à Paris, NDLR] ? Malik porte un nom. Une énorme colère se lève dans le pays. Des centaines et des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue. Cette France est un des personnages du film.
La nuit du 5 au 6 décembre 1986, alors que les manifs anti-Devaquet embrasent le pays, Malik Oussekine est tué dans le quartier Latin par des voltigeurs, Abdel Benyahia dans un café de Pantin par un policier éméché. Trente-cinq ans plus tard, Rachid Bouchareb revient sur ces deux bavures, dont l’une a été dissimulée par la police, à travers une fiction tenue et digne ponctuée d’images d’archives où l’on retrouve Reda Kateb, Lyna Khoudri, Samir Guesmi, Raphaël Personnaz… En pleine cohabitation Mitterrand-Chirac, Robert Pandraud profère des horreurs sur Oussekine, la Mano Negra beugle « Mala Vida », et la France scande le slogan « Plus jamais ça ».
Depuis combien de temps « Nos frangins » vous trotte-t-il dans la tête ?
Depuis trente ans. J’ai toujours voulu tourner « Indigènes », puis « Hors-la-loi », qui en est la suite, et « Nos frangins », la suite de « Hors-la-loi ». Les trois films marchent de front. Le cinéma politique, je l’ai découvert avec Costa-Gavras, Francesco Rosi, Sidney Lumet, Alan Pakula et « la Bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo.
Dans les années 1980, que faites-vous ?
Je viens d’achever « Bâton rouge », mon premier long-métrage, sur des jeunes de banlieue qui rêvent d’Amérique, y vont et en reviennent dans tous les sens du terme. Je suis alors le seul cinéaste d’origine algérienne avec Mehdi Charef. L’élection de Mitterrand soulève le couvercle. SOS-Racisme naît en 1984. Avec le chanteur Rachid Taha, nous fréquentons certains des membres de l’association. La culture de l’immigration éclôt.
Pourquoi le meurtre de Malik Oussekine reste-t-il à ce point ancré dans l’imaginaire collectif ?
Il y a eu beaucoup de morts avant lui, mais ces morts n’avaient pas de nom. Peut-on citer une seule victime du massacre du 17 octobre 1961 [la répression sanglante d’une manifestation d’Algériens à Paris, NDLR] ? Malik porte un nom. Une énorme colère se lève dans le pays. Des centaines et des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue. Cette France est un des personnages du film.
Vous liez son destin à celui d’Abdel Benyahia…
Impensable pour moi de les séparer. Les faits concernent deux garçons du même âge, tués la même nuit à trois heures d’intervalle, nés en France et victimes de violences policières. J’ai été élevé à Bobigny, non loin de chez Abdel. Dans les années 1950-1960, la communauté algérienne se regroupait en banlieue. On se connaissait tous.
D’un côté, un crime qu’on ne peut cacher, de l’autre une bavure qu’on essaie de planquer. Et deux familles. Celle d’Oussekine, bourgeoise, a les codes ; celle de Benyahia, prolétaire, ne les a pas…
Oui, comme la grande majorité de l’immigration d’alors qui vit sous le poids de l’autorité. Je me reconnais dans la famille d’Abdel. Mes parents me répétaient : « Pas d’embrouille avec la police, évite même de sortir. » Octobre 1961 a marqué les esprits. Et puis, à partir des années 1970, les gouvernements avaient l’expulsion facile. On se retrouvait vite dans un avion.
Vous filmez avec beaucoup de pudeur la famille Oussekine et le père d’Abdel…
Les Oussekine téléphonent, se battent pour voir le corps de Malik. On impose l’attente au père d’Abdel. Il sait qu’il n’y a pas que son fils, qu’il y en a eu d’autres et que tout finit toujours de la même façon : le néant. Il se rend au café où le drame s’est produit. Se fait raconter la scène. Pas besoin de la tourner, on la voit. Pour « Nos frangins », j’ai voulu la plus grande simplicité possible.
Vous racontez un mensonge d’Etat avec un flic de l’IGS, la police des polices, chargé des deux affaires…
Nous l’avons imaginé. Il fait le boulot mais son humanité le rattrape. L’affaire de Malik prend de l’importance. Il y a des témoins aux fenêtres et des journalistes au coin de la rue Monsieur-le-Prince. Quand le Samu arrive, une caméra est là. Les urgentistes sont interviewés, pâles, mal à l’aise.
·Publié le elobs.com/culture/20221127.OBS66469/rachid-bouchareb-avant-malik-oussekine-nos-morts-n-avaient-pas-de-nom.html
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