Le 17 octobre, selon que l’on est une identité de droite, une identité de gauche, voire un islamiste, la date ne renvoie pas à la même référence. En revanche, l’objectif est similaire : désigner l’ennemi et appeler subliminalement à la vengeance. “L’affrontement” s’est déroulé de manière virtuelle et symbolique sur les réseaux sociaux, ce 17 octobre 2022, l’extrême droite tentant d’opposer le #17 octobre 1961, particulièrement cher sur la toile aux islamistes et islamo-gauchistes, la mémoire d’Octobre 17 1995.
La mise en lumière du 17 octobre 1995 par l’extrême droite vise à réveiller un traumatisme collectif enfoui. En ressuscitant l’attentat commis dans le RER C en 1995, l’objectif ici est de rappeler qu’une série d’attentats islamistes ont déjà eu lieu en France avant leur résurgence actuelle. Ces attentats, qui se sont déroulés entre juillet et octobre 1995, ont fait dix morts et près de 200 blessés. Ils sont liés au contexte de la guerre civile qui se déroulait à l’époque en Algérie et sont attribués au GIA (Groupe Islamique Armé) qui avait lancé le jihad sur le territoire français. Pour Damien Rieu, lier cette mémoire collective à la date du 17 octobre est donc l’occasion de faire le lien entre violences, attentats et immigration dans un contexte où l’assassinat atroce de Lola par un ressortissant algérien a traumatisé les Français. C’est tout le sens de son tweet qui remplace la date du 17 octobre 1961 par celle du 17 octobre 1995 : [sic] ” Le 17 octobre 1995, Smaïn Aït Ali Belkacem fait exploser une bombe dans le RER C. 30 blessés. Ni @EmmanuelMacron ni @Anne Hidalgo n’en parleront : cette attaque n’aide pas à faire diversion Lola “. Le tweet suppose donc que la mobilisation des islamistes, natifs de la République et autres La France insoumise autour de la date du 17 octobre 1961 est là pour faire oublier le meurtre de la jeune Lola et encore une fois, se substituer à une véritable horreur et immédiat, un événement historique que les islamistes ont longtemps exploité pour attiser la haine entre musulmans. Il faut malheureusement reconnaître que nous avons tous été gênés par le nombre de fois où, après des attentats atroces, islamistes et islamo-gauchistes ont tenté d’axer le débat sur les risques de représailles contre les musulmans comme pour évacuer plus rapidement la réalité des victimes, même bien que les Français n’aient pas fait d’amalgames douteux.
En revanche, pour l’extrême gauche et les islamistes, cette date fait référence au 17 octobre 1961. A l’époque, le contexte était lourd, la guerre d’indépendance se déroulait en Algérie. A Paris, entre fin août et début octobre, des commandos du FLN (Front de libération nationale) algérien ciblent les forces de l’ordre. Au cours de 33 attaques, 13 policiers ont été tués. Ils sont exécutés lorsqu’ils sont isolés, rentrent chez eux ou partent travailler. C’est dans ce contexte que se déroule la manifestation du 16 octobre, alors que la police exaspérée nourrit un fort ressentiment contre les militants algériens. Le FLN veut faire de cette parade contre le couvre-feu imposé aux seuls Algériens, une démonstration de leur force et de leur emprise sur la communauté algérienne de France. Le 17 octobre, le nombre de participants à la manifestation est très élevé, environ 50 000 personnes. La répression sera terrible et le nombre d’Algériens tués est estimé à une centaine de personnes. Cette date, purgée de tout élément de contexte, est devenue une référence pour l’extrême gauche et les islamistes. Elle permet de faire passer l’Etat français en justice en laissant entendre que depuis rien n’a changé et que la France et sa police continuent d’assassiner en toute impunité. Ceci est exprimé sans détour par le
de Sihame Assbague, militante raciste proche des islamistes : Ce sont des crimes de la République. Un massacre colonial perpétré par l’État FR. Le 17 octobre 1961, des milliers d’Algériens qui manifestent contre les mesures racistes de la Préfecture sont raflés, tabassés, des dizaines d’entre eux noyés dans la Seine par la police. Nous n’oublions pas les victimes du 17 octobre ni celles qui sont venues allonger la longue et désastreuse liste des tués par l’Etat FR. Leur rendre hommage, c’est dire les choses correctement, répondre aux revendications des collectifs du 17Oct & ne pas cacher la continuité de ces crimes “.
On peut bien sûr compter sur La France insoumise pour jeter de l’huile sur le feu et reprendre cette dialectique qui n’a pour but que d’ancrer l’idée que les musulmans ne sont pas seulement persécutés mais que leurs souffrances sont aujourd’hui ignorées. aujourd’hui comme hier. Clémentine Autain en rajoute donc une couche à l’instrumentalisation de cette affaire en faisant comme si aucun travail historique n’avait été mené en France et comme si cette histoire était occultée et niée : « Ce qui s’est passé il y a 61 ans, dans la nuit du 7 au 17 octobre 1961, porte un nom : crime d’État. Le massacre des manifestants algériens à Paris entache l’histoire de notre République. Contre l’oubli, exigeons vérité et justice “. Mais c’est faux. Il n’y a pas d’oubli. Depuis les années 90, la datte est étudiée et fait l’objet d’articles, d’études historiques, de documentaires. Le procès Papon, préfet de police à l’époque, relance les études sur cette période et nombre de débats ont lieu autour de cet événement. En revanche, essayez de voir si les massacres d’Européens après l’accession à l’indépendance de l’Algérie, comme les massacres d’Oran, font l’objet d’études historiques approfondies en Algérie comme en France et vous risquez d’être surpris de la différence en traitement.
Le plus significatif est que le tweet de Sihame Assbague réagit à une prise de position officielle du président Macron, qui dénonce clairement la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. François Hollande l’avait déjà fait en 2012. Cette histoire est également mise à l’honneur dans le cadre de la Musée de l’histoire de l’immigration.
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Que les deux dates méritent d’être rappelées et replacées dans leur contexte historique est correct. En faire des tisons pour réveiller secrètement les haines politico-raciales est en revanche un jeu dangereux. Mais la quête de la vérité historique est la dernière chose que recherchent les identitaires et les islamistes de droite et de gauche. Seuls certains événements les intéressent car ils sont passés dans la mémoire collective de certains groupes et leur permettent de réveiller haines, frustrations et désirs de vengeance. La date du 17 octobre en fait partie. Mais La Guerre des souvenirs, si elle est virtuelle, parle malheureusement d’une volonté de confrontation réelle sous couvert de victimisation orchestrée. Hélas, en l’absence d’un gouvernement perçu comme protecteur, ce type de raisonnement finit par toucher ses cibles. Ce n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie.
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