Cinquante ans après le procès de Bobigny, des archives inédites
Tribunal de Bobigny, 8 novembre 1972. L’avocate Gisèle Halimi appelle Paul Milliez à témoigner en faveur de Michèle Chevalier, accusée, avec trois autres femmes, d’avoir aidé sa fille Marie-Claire à se faire avorter. « Si Mme Chevalier était venue me trouver, je l’aurais sûrement aidée », annonce le célèbre professeur de médecine, catholique pratiquant et opposant à la légalisation de l’avortement. Dans les semaines qui suivent cette déposition — décisive dans le dénouement du procès qui contribuera, en 1975, à autoriser l’interruption volontaire de grossesse —, Paul Milliez reçoit des centaines de lettres. Des attaques de confrères, des messages de soutien, des commentaires philosophiques… Mais aussi des lettres de femmes désespérées, qui implorent son aide. Des archives inédites dont nous reproduisons ici des extraits.
29 novembre 1972
Docteur,
Je viens par ce petit mot vous faire part de mon problème.
Voilà, je suis enceinte de trois semaines. J’ai déjà trois garçons et je n’ai que 25 ans. Je ne voudrais pas le garder, car trois, j’estime que j’en ai assez. Mon mari ne le sait pas. Je viens vous voir [pour savoir] si vous ne pourriez pas m’avorter. Dites-moi combien vous prenez, car, vous savez, je ne suis pas bien riche. Dites-moi si vous pouvez m’avorter. Je vous remercie d’avance.
Petite ville de province, 4 février 1973
Monsieur le Professeur,
En lisant mon quotidien, je viens de découvrir un article de vous au sujet de l’avortement, c’est pourquoi je me permets de m’adresser à vous.
Je n’ai encore consulté aucun docteur, mais pas mal de symptômes me prouvent que j’attends un troisième enfant. J’en serais en cours de mon second mois, ce qui me met bien en peine.
J’ai déjà deux filles (…) et viens juste de reprendre mon travail. J’ai mon mari malade (…) qui exerce son métier avec difficulté. L’année passée, il est resté [plusieurs] mois sans travailler. De plus, nous avons une maison en construction, nous devrons cesser tous travaux si je dois arrêter mon travail. Tout cela me met le moral au plus bas, je ne cesse de penser à ce qui m’arrive.
Aujourd’hui, en vous écrivant, il me semble que je revis, car grâce à vous, j’espère être libérée de mes ennuis.
Que dois-je faire ? Prendre un rendez-vous avec vous ou pourriez-vous m’indiquer un docteur de votre avis pour me faire arrêter cette grossesse ? Je suivrai vos conseils !
Je vous joins une enveloppe timbrée pour la réponse que j’attends avec impatience. Mon mari est tout à fait d’accord.
Recevez, professeur, mes sincères salutations.
Madame A
M. Milliez. — Si Mme Chevalier était venue me trouver, je l’aurais sûrement aidée. Car, vivant depuis quarante ans le métier de médecin, j’ai eu connaissance d’un nombre de cas dramatiques comme le sien et je crois que j’ai toujours fait mon devoir, quelle que soit la loi. J’ai aidé les femmes qui se confiaient à moi.
J’ai fait personnellement un avortement à l’âge de 19 ans alors que j’étais externe des hôpitaux de Paris à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne. Cette femme, qui avait fait une tentative d’avortement, est arrivée exsangue à l’hôpital. Elle avait quatre enfants, et venait d’être abandonnée par son mari.
Le président. — Cela n’est pas faire acte d’avortement, c’est réparer les conséquences.
M. Milliez. — Quand elle est arrivée, elle avait raté son avortement. Si je n’étais pas intervenu, sa grossesse se serait poursuivie. Je ne peux pas vous dire que j’ai fait cela sans troubles de conscience. Puisque vous me demandez de vous dire toute la vérité, je vous la dis. J’étais alors catholique pratiquant. Je suis encore militant d’Action catholique, mais j’ai considéré que mon devoir était d’aider cette femme, dans la situation difficile où elle se trouvait.
Depuis, j’ai favorisé, au cours de ma carrière, un certain nombre d’avortements, pas seulement des avortements thérapeutiques, mais aussi des avortements sociaux. J’ai toujours fait avorter les filles violées qui sont venues me voir. Il faut avoir vécu le drame d’une fille violée pour comprendre l’attitude que peut adopter un médecin qu’on vient voir dans des conditions semblables.
Sauf dans le premier cas que je vous ai rapporté, je n’ai pas fait personnellement d’avortements, mais j’en ai fait faire et, pour ne pas violer la loi, je les ai fait faire hors de France. Inutile de vous dire que j’ai fréquemment été conscient de l’injustice sociale devant laquelle je me trouvais. Il n’est pas d’exemple qu’une Française riche ne puisse pas se faire avorter, soit très simplement en France, soit à l’étranger. On a toujours assez d’argent dans ces cas-là pour un avortement fait dans de bonnes conditions.
Les femmes pauvres, je les voyais une fois qu’elles avaient fait leur tentative d’avortement. Mais quelle tentative et dans quelles conditions ! J’ai vu mourir des dizaines de femmes après des avortements clandestins et j’ai eu la chance et l’honneur d’être le premier à sauver des femmes atteintes de septicémie. En 1948, à Broussais, nous avons eu les premières exsanguino-transfusions. Là encore j’ai vu des femmes qui avaient approché la mort de près parce qu’elles ne voulaient pas avoir un enfant supplémentaire, elles ne le pouvaient pas. (…) Je ne me souviens que trop de la situation des ouvrières chez Renault qui donnaient deux mois de salaire à un médecin marron pour faire commencer l’avortement que je terminais douloureusement à l’hôpital sans anesthésie, parce que mon patron chirurgien, bien que socialiste très mondain, jugeait qu’il fallait que la femme s’en souvienne.Extrait du livre Choisir la cause des femmes. Le procès de Bobigny. Sténotypie intégrale des débats du tribunal de Bobigny (8 novembre 1972), Gallimard, coll. « NRF », Paris, 1973 (réédition 2006).
Petite ville de province, 22 novembre 1972
Monsieur, Je m’excuse de vous déranger, mais peut-être êtes-vous mon salut, mon seul refuge. De vous dépend ma vie. Voici : je suis enceinte et ne veux absolument pas de cet enfant, en ayant déjà cinq et un mari malade du coeur. J’ai fait tout ce que je pouvais faire pour une fausse couche mais rien n’y fait. J’ai donc pris une assurance-vie et ainsi, je pourrai me suicider sans laisser mon mari et mes enfants dans le besoin, du moins dans l’immédiat car n’étant pas riche, je n’ai pu prendre une assurance-vie de plus de 3 200 000, j’écris en anciens francs. Mais ce qui m’ennuie le plus dans ce projet, c’est mon petit garçon de 3 ans. Il est toujours derrière moi et dès qu’il ne me voit plus, il m’appelle et me cherche partout. Même la nuit en dormant, il m’appelle, je lui fais deux ou trois chut et il se rendort paisiblement. Ce sera pour lui plus dur. J’ai longuement hésité pour lui. Mais il n’y a rien à faire, je ne veux pas de cet autre enfant. Aussi, je vous demanderai si vous pouvez quelque chose pour moi SVP, ou si vous ne pouvez pas, ce que je comprends très bien à cause de la loi, pouvez-vous me donner l’adresse et le montant d’une clinique en Angleterre SVP. Je vous en prie, Professeur, essayez. La 2e question serait même très bonne et je puis vous jurer que personne ne saura que c’est vous qui m’avez donné [cette adresse]. Seulement je vous demanderais de me répondre vite SVP, car la 24e semaine se termine le 10 décembre.
Je vous remercie à l’avance. En espérant que vous pourrez peut-être quelque chose pour nous.
Je vous prie de croire, Monsieur le professeur, à l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Petite ville de province, 26 novembre 1972
Docteur, Par l’intermédiaire d’une camarade, j’ai eu votre adresse. Elle a téléphoné chez vous et votre dame lui a répondu si je pouvais écrire.
Voici ma situation. J’ai 21 ans et je suis enceinte de cinq mois et demi, je travaille dans la ferme avec mes parents.
Je viens vous demander de me faire avorter, je ne voudrais pas avoir des inconvénients avec ma santé plus tard. Je puis vous dire que je suis en bonne santé et que je ne suis pas déclarée aux assurances. De plus, je n’ai passé aucune visite de maternité.
Si vous pouvez me pratiquer l’avortement, soyez bien aimable, Docteur, de me donner des renseignements. Si je dois être hospitalisée, je préférerais rentrer le lundi. S’il vous plaît [merci de] me dire le nombre de jours d’hospitalisation et le prix que je dois verser. Ou alors s’il y a un médicament à prendre pour me provoquer une fausse couche.
Dans l’attente d’avoir une réponse bientôt, recevez, docteur, mes salutations les plus respectueuses.
1er décembre 1972 (préfecture de province)
Monsieur le Professeur, Si je me décide à vous écrire, c’est que j’ai longuement réfléchi. Je vous expose mon cas. Je suis enceinte pour la cinquième fois et mon mari vient de me quitter. Mon médecin ne peut rien faire pour m’aider. Il m’a dit qu’il n’y avait qu’une solution : aller en Angleterre. Mais cela occasionne de très gros frais. Pour y aller, je serais obligée d’emprunter de l’argent. De plus, je supporte très mal mes grossesses. Le début, cela se présente bien, mais les sept derniers mois, il me faut garder le lit et me faire une série de piqûres. Jusqu’à présent, tout se passe comme je viens de vous le dire. Ne comptant sur aucun secours de ma famille, je vais être obligée de travailler. Mais si je garde le lit, je ne pourrai pas le faire, et mes enfants ont besoin de manger. De plus, Noël approche, je ne peux pas les priver de ce jour de fête. Et s’il n’y a aucune issue à mon cas, le désespoir me fera faire des bêtises, et mes enfants seront entraînés avec moi. Depuis que je sais mon état, je suis désespérée. J’ai déjà voulu mettre fin à mes jours deux fois. Et si je le faisais partir moi-même, je risque la prison. J’espère que vous me comprendrez. Si vous pouvez m’aider, ou me faire parvenir l’adresse d’un de vos confrères, ou mieux encore, me dire si vous connaissez une adresse en Angleterre, où on aide les gens dans ma situation. M. le professeur excusez-moi d’être aussi exigeante vis-à-vis de vous. Mais voyez-vous, quand vous vous trouvez seule sans aucune aide de qui que ce soit, cela est très dur.
J’ose espérer que votre réponse m’arrivera à temps… Veuillez agréer, Monsieur le professeur, mes salutations distinguées
Madame B
PS : je vous demanderai, après réponse, d’oublier mon nom et mon adresse. Je vous en remercie.
Petite ville de province, 8 mars 1973
Professeur, Je vous écris car j’ai lu un de vos articles dans Détective [sur] l’avortement et je suis de ce cas-là. Je suis fille-mère, j’ai déjà deux petites filles de 4 et 2 ans. Je ne veux pas du troisième que je porte. Je suis enceinte de 2 mois et demi. Professeur, pouvez-vous faire quelque chose pour moi ? Car je suis bien embêtée, je travaille en usine, mais je n’arrive pas assez à gagner ma vie pour moi et mes deux gosses. Pouvezvous me répondre Professeur, ou me donner un rendez-vous ? Faites quelque chose pour moi. Pouvez-vous me le faire passer ? Car d’après votre article, vous êtes pour. J’aimerais mieux vous voir pour parler plus librement.
Je vous joins mon adresse.
Veuillez agréer professeur mes sincères salutations.
Réponse de la patiente
Petite ville de province, 16 mars 1973
Professeur, Je vous envoie cette lettre pour vous remercier de m’avoir répondu si vite et pour la convocation. Mais je suis hospitalisée depuis avant-hier soir, j’ai fait une fausse couche de 3 mois et ça m’est arrivé à mon travail en faisant un effort.
Je vous remercie. Veuillez agréer, Professeur, mes salutations dévouées.
Mlle A
Périphérie d’une grande ville, 9 janvier 1973
Monsieur,
Ne sachant vers qui me tourner et ayant lu que vous avez pris position en faveur de l’avortement lors du procès de Bobigny, je vous écris car je n’ose dire que je suis désespérée mais il s’en faut de peu.
Je suis en instance de divorce. J’ai six enfants (…). Je suis enceinte de quatre ou cinq semaines, mes dernières règles datant du 8 novembre et vivant maritalement, ce nouvel enfant est pour moi une catastrophe. Ayant déjà beaucoup de mal à élever les six enfants, je ne vois pas comment en avoir un septième. De plus, ayant été opérée (…) il y a six ans, j’ai eu des ennuis lors de mes deux derniers accouchements.
J’ai bien entendu parler d’un médecin, mais il m’est impossible d’y aller car je n’ai pas d’argent et pas les moyens d’en emprunter, car nous avons déjà des tas de traites à payer.
Je viens donc vous demander si vous ne pourriez pas faire quelque chose pour moi.
Dans l’espoir que vous ne serez pas fâché par ma lettre,
Et en espérant que vous voudrez bien me répondre,
Soyez assuré, Monsieur, de ma considération.
Afin d’en assurer la conservation, le professeur Paul Milliez a remis à Gisèle Halimi les lettres qu’il a reçues après sa déposition au procès de Bobigny. Huit grosses enveloppes kraft que l’avocate a rangées dans les bibliothèques de son association, Choisir, où elles furent oubliées pendant de longues années. Ce n’est qu’au moment du décès de Gisèle Halimi, en juillet 2020, que ces documents furent retrouvés, alors que l’association quittait ses locaux et choisissait de confier ses archives au Centre des archives du féminisme, à Angers. Nous remercions Mme Violaine Lucas, présidente de Choisir, et les membres de cette association de nous avoir permis de consulter et de reproduire une partie de cette correspondance.
L’accueil des réfugiés en Occident n’a jamais été exempt de contradictions, mais l’invasion russe de l’Ukraine et la fuite de quelque cinq millions de personnes ont rendu ces contradictions plus explicites. Les politiques gouvernementales créent partout un système de sélection des réfugiés basé sur l’origine ethnique et la religion.
La répression d'octobre 1961 a d'abord fait l'objet d'un puissant déni, et d'occultations habiles. 60 ans plus tard, faut-il cibler Papon ? Rouvrir les archives ? L'histoire de la plus violente répression d'une manifestation de rue en France est aussi celle d'un silence.
Emmanuel Macron n’a finalement pas reconnu un “crime d’Etat” à l’occasion du soixantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961. Mais “des crimes inexcusables pour la République”, “commis sous l’autorité de Maurice Papon”. Son communiqué a été diffusé après sa venue, le 16 octobre, sur le pont de Bezons d’où précisément, parmi d’autres ponts de la capitale, des Algériens ont été jetés à la Seine, il y a soixante ans. Un jour de manifestation pacifique organisée par le FLN contre le couvre-feu imposé aux Algériens. Il ne mentionne ni le rôle central de la police, ni l’ampleur de la rafle sanglante, dont le bilan funèbre a fait pendant un demi-siècle l’objet de controverses importantes. Il pointe en revanche “des responsabilités clairement établies” que “la France regarde avec lucidité”. Comme une flèche invisible qui achèverait sa course d‘un raccourci en piqué sur Maurice Papon, préfet de police à Paris à cette époque-là. Une démarche de funambule, sur cette ligne de crête dont s’était déjà revendiqué Emmanuel Macron sur la guerre d’Algérie, et conforme à la politique des petits pas affichée par l’Elysée. Ces mots survenus quelques jours après des propos au lance-flammes sur la “rente mémorielle” sur laquelle spéculerait l’Algérie, laissent toutefois des centaines de personnes engagées dans la reconnaissance du 17 octobre sur leur faim.
Car la labellisation de ce massacre qui fit entre 200 et 300 morts, le 17 octobre 1961, à six mois de la fin de la guerre d’Algérie et en plein Paris, est en fait une question ancienne. Et le combat pour obtenir qu’il soit nommé ”crime d’Etat”, une offensive de longue haleine. Dès les mois qui suivront le 17 octobre, l’idée d’un “crime d’Etat” habitait déjà Octobre à Paris, le grand film de la répression de 1961 et, en même temps, l’une de ses toutes premières traces. Toujours cruciale, soixante ans plus tard.
Ce film a été tourné entre octobre 1961 et mars 1962, à Paris, pour reconstituer les faits et donner la parole aux victimes, aux témoins. Et aussi, pour confronter le reste de la France. Derrière la caméra, on trouve Jacques Panijel et une équipe de cinéastes amateurs et militants. Panijel, la quarantaine à peine à l’époque, était biologiste de métier, mais il avait déjà co-réalisé un film remarqué. Il racontera avoir d’abord cherché un cinéaste pour filmer cette histoire. Truffaut par exemple avait décliné, et répondu que ce serait aussi saugrenu que de lui demander “un film sur la déportation”. À l’époque, le monde des arts et les intellectuels se mobilisaient pourtant contre la guerre d’Algérie, dont la fin semblait poindre : la très violente répression du 17 octobre s’ébranlera alors que les Français, en métropole, avaient déjà plébiscité à plus de 74% l’indépendance algérienne dans un référendum. En octobre 1961, des négociations étaient en cours, entre l’Etat français et le FLN.
L’issue n’avait jamais été aussi proche après plus de sept ans de guerre, et pourtant, ce soir-là, les manifestants qui protestaient contre le couvre-feu de la préfecture de police de Paris, essuieront une violence rare. Rare, c’est-à-dire extrême, mais pas inédite pour autant : depuis plusieurs semaines, déjà, dans les milieux algériens en région parisienne, on déplorait des disparitions dont certaines avaient fait l'objet d’une déclaration à la police. Et puis, déjà, des hommes avaient été poussés par-dessus les parapets, au bord de la Seine. Et même si les autorités laissent croire que les Algériens s'entre-tuent entre coreligionnaires, ces noyés repêchés un peu plus loin, un peu plus tard, sont de bien des conversations, alors que les contrôles d’identité rythment le quotidien. Ils sont souvent synonymes de brimades, et parfois suivis d’interrogatoires et de tortures qu’on délègue facilement à des harkis. Le 17 octobre cependant, nombreux sont ceux qui défileront en famille, pour beaucoup en habits du dimanche.
Ce défilé pacifique, le FLN l'avait voulu si ample qu’il aurait forcé le respect, et parlé au monde entier : le parcours du cortège, de République à Opéra, avait justement été choisi parce qu’il passait à proximité de grands journaux français, mais aussi des bureaux de la presse étrangère. Il s’agissait ainsi d’abord de faire la démonstration d’une dignité. Et depuis la hiérarchie de la Fédération de France du FLN jusqu’aux militants de base dans les bidonvilles en lisière de Paris, on avait passé la consigne : ni armes, ni couteau, pas même un caillou. Faire défiler femmes et enfants, c'était engager une image respectable, celle d'une mobilisation non-violente.
Les flaques de sang n’avaient pas encore séché sur l’asphalte du parcours qu’on parlera aussitôt de “ratonnade”. Une poignée de semaines passeront et, en novembre, l’historien Pierre Vidal-Naquet dira rapidement “pogrom”. Le bilan officiel est de deux morts, bientôt rectifié à trois, loin des 200 à 300 morts que compteront bien plus tard les historiens. Mais déjà des militants s’activent pour ne pas laisser dire. Très vite, on cible l’impunité de la police parisienne, chauffée à blanc par Maurice Papon après des attentats meurtriers du FLN dans ses rangs. On pointe en même temps la dissimulation. Vidal-Naquet et le Comité-Audin (fondé quatre ans plus tôt pour faire la lumière sur la disparition de Maurice Audin en Algérie), se laissent convaincre : parce que justement, ils avaient réunion tous ensemble ce soir-là, Panijel, le 17 octobre, avait traversé les Champs-Elysées, marché dans les rues humides où erraient des Algériens aux os fracassés, des blessés par centaines, des femmes qui avaient perdu leurs chaussures et cherchaient leur mari. Ils seront quelque 12 000 à être arrêtés, parqués dans plusieurs lieux de la capitale, comme le Parc des expositions. Quelques jours plus tard, on les déplacera pour que le public venu écouter le concert de Ray Charles n'entende ni leurs cris ni leurs râles : certains qui ont le crâne ouvert et des plaies aiguës mourront dans les jours qui suivent. D’autres, enfin, sont emmenés dans une cave de la Goutte d’or, où l’on matraque les testicules, où l’on enfonce des bouteilles dans l’anus. Il s’agit de blesser et de déshonorer tout à la fois.
"Mais moi je sais nager"
À l’époque, déjà, les arrestations n’étaient pas rares, et les centres de tri où l’on embarquait les Algériens à l’issue de contrôles d’identité, l’ordinaire du petit quotidien. Mais du 17 octobre, c’est l’ampleur qui frappera, et aussi la violence extrême : tout de suite, ont utilisera le mot “rafle”. Et dans son film, Jacques Panijel, l’ancien résistant, Croix de guerre à la Libération, ne cesse de confronter l’opinion publique : il dresse un constant parallèle avec Vichy et la Shoah, vingt ans en arrière. Octobre à Paris est un film pour interpeller, et un film pour témoigner. Ce soir d’octobre 1961, Jacques Panijel n’avait pourtant pas de caméra, et il existe très peu d'images filmées du 17 octobre. Mais durant six mois, lui et ceux qui travaillent avec lui vont reconstituer l’histoire de cette date-là, en interrogeant, face caméra, des victimes et des témoins qui racontent les assauts, les humiliations, qui montrent leurs cicatrices, et aussi des enfants qui expliquent aux cinéastes qu’ils ont vu des policiers passer des hommes à la Seine. L’un d’eux a survécu, il est là, il nous fait face au centre de l’image, bien mis en cravate et pull en V, à expliquer qu’il a d’abord nagé des dizaines de mètres, avant de rester planqué dans l’eau jusqu’au petit matin. Il était blessé, il était bleu, oui - “mais moi je sais nager”.
Ce film est resté comme une toute première pierre à la mémoire de cette histoire-là. Pour cela, sa trajectoire nous renseigne aussi sur le sort fait à cet épisode de la guerre d’Algérie. Sa trace nous aiguille jusqu'au récit assourdi des faits, devant lequel on se bouchera soigneusement les oreilles durant plusieurs décennies. Intercalées entre les entretiens filmés dans les bidonvilles où parfois on entend le bruit d’un hélicoptère qui surveille encore, des photos d’Elie Kagan nous font pénétrer dans le 17 octobre, à hauteur de bitume, et au ras des silhouettes étendues sur la chaussée. Avec la pluie qui traîne, on voit du sang qui ruisselle. Le photographe, qui avait vécu l’Occupation et Vichy, caché dans Paris, sera l’un des seuls avec Georges Azenstarck, pour L’Humanité, à documenter le 17 octobre. Ils laisseront Jacques Panijel utiliser comme bon lui semblera les clichés du jour J.
Aujourd’hui, les images d'Elie Kagan sont conservées aux archives de La Contemporaine (avec l'inventaire ici). Mais il a fallu, entre-temps, que s’écrive une histoire contrariée. Et c'est cette histoire qui a affleuré par secousses, comme un puzzle de preuves, de témoignages et d’évidences exhumées par une poignée d’acteurs opiniâtres et décisifs - jusqu'à aujourd'hui, et cette quête de reconnaissance.
Ce sera long : si le tournage de Octobre à Paris démarre dès le lendemain de la répression, pour se dérouler jusqu’au mois de mars 1962 juste après le massacre de Charonne, toute l'équipe autour de Jacques Panijel échappe à la saisie durant cinq semaines de montage au secret d’un studio camouflé. Mais le film ne rencontre guère d’écho une fois achevé. Des projections clandestines sont pourtant organisées par le Comité-Audin, qui assurera qu'il a auto-financé le film et refusé l’argent du FLN. Parfois, la police débarque en pleine projection et la copie est saisie. D’autres fois, la visite des forces de l’ordre est éventée et on fait mine de projeter Le Sel de la terre de Herbert Biberman. Venus les beaux jours et le Festival de Cannes 1962, les accords d’Evian ont eu raison de la guerre d’Algérie en avril, mais le film n’est toujours pas autorisé. Jacques Panijel et le Comité-Audin louent une salle à Cannes, rue d’Antibes, et continuent de projeter Octobre à Paris, comme ils n’ont cessé de le faire, à des journalistes triés sur le volet, des politiques et des intellectuels, depuis plusieurs mois déjà. Chou blanc : seul le magazine Variety s’en fera l'écho.
Pédagogie du "crime d'Etat"
Non seulement les autorités continuent d’interdire le film en lui refusant un visa d’exploitation mais les journalistes s’en désintéressent, se désespérait encore Jacques Panijel en 2001 dans un entretien à Vacarme, venu le chercher pour le quarantième anniversaire du 17 octobre. Le cinéaste, qui mourra en 2010, était encore, alors, l'un des acteurs majeurs du décillement quand il s'agissait de percer le silence.
En 1973, quand le film, enfin, reçoit son visa d’exploitation après une grève de la faim du cinéaste et résistant René Vautier, on n’entendait plus guère parler du 17 octobre. Les autorités s’engageaient bien à ne plus censurer un film pour “raisons politiques”... mais à vrai dire, il n’y avait plus grand monde pour fouiller le souvenir de cet épisode-là. Surtout, Jacques Panijel, lui-même, s’opposait désormais à sa projection : le film passera l’essentiel de sa vie dans un placard avant sa sortie en salles, en 2011. En effet, le cinéaste exigeait dorénavant de pouvoir y adjoindre une postface filmée. Une coda, en somme, destinée à faire de la pédagogie sur la notion de “crime d’Etat”, justement. Cette coda ne sera jamais filmée par Panijel, qui cachera dans le faux-plafond de sa cuisine une copie, et laissera le film comme endormi.
En 1968, Octobre à Paris avait pourtant été projeté, en mai, au Quartier latin – en alternance avec La Bataille d’Alger. C’est encore à l’extrême gauche qu’on avait conservé la trace la plus vivace de ce qui s’était passé, ce soir-là d’octobre 1961 dans Paris. Une transmission malgré tout, mais une mémoire encore un peu inerte. Presque fossilisée sous les couches du discours officiel, qui très vite était venu assourdir l’écho de l’événement. Le vrai bras de fer attendra les historiens.
Immédiatement après le 17 octobre, des voix s'étaient pourtant élevées. Pour dire l’ampleur de la rafle, la systématicité du contrôle au faciès, et la carte blanche aux forces de l’ordre qui, à la vue de tous, incorporaient, à Paris, des pratiques de répression en cours sur le sol algérien. Saisi chez l’imprimeur, Paulette Péju avait écrit Ratonnades à Paris, publié dès l’automne 1961 chez Maspero (il faudra attendre 2000 pour le voir réédité, à La Découverte). Au même-moment, François Maspero connaissait le même sort, avec un texte publié dans le numéro de novembre-décembre de la revue Partisans, saisi lui aussi chez l’imprimeur à l'heure du brochage. Pourtant, il serait faux de dire qu’on n’a rien su du 17 octobre. L’événement n’a pas été enfoui immédiatement. D'autres échos allaient déjouer la censure, dans les semaines suivantes : des entrefilets dans les journaux, évoquant des corps d’Algériens repêchés à la Seine, plusieurs jours après la manifestation sanglante ; ou Témoignage Chrétien publiant, le 27 octobre 1961, un numéro explicite rehaussé d’une photo de Elie Kagan en Une. En parallèle, des médias moins téméraires saisissaient l’occasion pour envoyer leurs journalistes dans les bidonvilles : c’est beaucoup à ce moment-là que la presse française se met à regarder l'immigration algérienne.
Pourtant, le fond de l'air est trouble : dans bien des rédactions, on croit savoir que des Algériens se sont entre-tués. C’est une des rumeurs véhiculées par les autorités dès le lendemain de l’événement. Une autre rapporte que des Algériens ont fait feu sur la police française. Elle aura la vie longue. C’est faux, mais ça crée un écran de fumée en même temps que ça laisse planer un doute. Et puis dans Le Monde, Jacques Fauvet met en garde dans un édito contre l‘exploitation des “sanglants incidents de Paris” par le FLN. Il faudra plusieurs jours pour que Le Monde, grâce au travail du journaliste Pierre Viansson-Pontet, infirme finalement sa version. Au même moment, des graffitis surgissent sur les murs de Paris, qui crient à bas bruit : "Ici on noie les Algériens". Mais à la télévision, immédiatement après les faits, le ministre de l’Intérieur est venu dire qu’il ne s’est rien passé. Interpellé à l’Assemblée nationale, le 30 octobre, Roger Frey assurera à Eugène Claudius-Petit, député centriste, qui l'interpelle :
Je n'ai pas eu entre les mains le début du commencement d'une ombre de preuve.
"Youpins et bicots"
À la sortie du premier conseil des ministres après l'épisode, Louis Terrenoire, porte-parole du gouvernement depuis deux ans, avait pourtant confirmé l’arrestation de 11 500 personnes. Mais Maurice Papon, qui ce soir-là dirigeait les opérations, n’est pas sous pression de l’exécutif. Bien au contraire : il paraît hors d'atteinte. Interpellé le 27 octobre au Conseil de Paris par l’élu Claude Bourdet, qui dirigeait alors France Observateur, et qui affirme que des policiers en service et en tenue sont venus à la rédaction, l’alerter au beau milieu du drame, Maurice Papon se contente d’un grand blanc. La police n’aurait fait que son devoir. La chape de silence retombe peu après. Celle-là même que Octobre à Paris, parmi les premiers, cherchera à fendre. Dans le film, une voix trouble la (bonne) conscience du spectateur sur fond de musique concrète. Elle harangue presque, intime d’ouvrir les yeux :
La porte va se rouvrir. C’est sur nous qu’elle se rouvre. Sur nous qui ne sommes pas des bicots. Qui n’étions pas des youpins il y a vingt ans.
Le film, qui avait démarré sur un panneau précisant que “les personnages, les lieux, les faits sont tous vrais”, s’achève sur ces mots :
Qu’est-ce qu’il faut donc encore pour que tout le monde comprenne que tout le monde est un youpin, que tout le monde est un bicot? Tout le monde. D’accord, Kader ?
Oui c’est d’accord.
Comme Claude Bourdet de France Observateur, qui de surcroît bénéficiait du prestige d’un grand résistant de la Seconde Guerre mondiale, Jacques Panijel avait placé au centre de son récit de contre-offensive des témoignages bruts. Leur force et leur présence, mais aussi leur valeur.
Or le poids de ces témoignages n'y suffira pas. Et le souvenir du 17 octobre s'estompera dans les brumes d'un déni commode et parfois d'une occultation habile. L'oubli autour du 17 octobre est faite de ces deux oblitérations-là. Entre-temps, le gaullisme au pouvoir aura cédé sur l’indépendance algérienne, avec les accords d’Evian en avril 1962, mais soigneusement évité de rouvrir ses lignes de fracture interne. Or, l’histoire du 17 octobre se révèlera être, aussi, celle d’une rupture au sein de l’exécutif. Michel Debré, Premier ministre, perdait certes la main sur le dossier algérien, mais le voilà qui allait se rattraper, peu avant le 17 octobre, et obtenir la tête des ministres de l’Intérieur, et de la Justice. Ce sera décisif : non seulement parce que Maurice Papon aura eu, ce soir-là, les coudées franches ; mais, de surcroît, parce que les signalements et les déclarations de disparitions seront vite enterrées, classées sans suite, et dissimulées sous le simulacre d’enquêtes bâclées. Et qui dit procédure judiciaire dit absence d’enquête parlementaire.
Mais celui qui, justement, réclamait une telle enquête parlementaire s’appelait Gaston Deferre. Or, une fois la gauche arrivée au pouvoir, dans les années 80, le même Deferre devenu entre-temps ministre de l’Intérieur, se gardera de rouvrir le dossier du 17 octobre. Dans l'intervalle, la gauche avait fait de l’événement un objet d’évitement tenace. Pour mieux forger le récit de ce qui restera comme “Charonne” - et éclipsera le 17 octobre. La répression à la station Charonne a lieu le 8 février 1962 alors que le Comité-Audin travaille encore à son film. L'équipe l’intègre dans son récit, et surligne, même, deux fois plutôt qu'une : c’est bien "la même police” qui œuvre ces deux jours-là. Siamois_._ Mais voilà : venu l’enterrement des neuf morts de Charonne (tous Français, tous blancs, morts dans une manifestation organisée par les partis de gauche, contre l’OAS et pour la paix... mais pas pour l’indépendance), seul le responsable de la CFTC, syndicat chrétien, parlera du 17 octobre dans son discours.
Le FLN aussi
Hormis le PSU, à l’époque, il ne se trouvait guère de parti à relayer la cause du FLN à gauche. Jacques Huybrecht, un chef opérateur autodidacte et communiste que Panijel avait embauché s’était même vu répondre par sa section du PCF que sa contribution au film était néfaste à l’image du parti. Depuis, des historiens ont mis en lumière que le FLN n’avait pas non plus été tout à fait étranger au faible écho du 17 octobre, dans les trois décennies qui suivront l’événement. En novembre 1961, alors que ses dirigeants négociaient l'indépendance à l’ONU avec Paris, ils accepteront de ne pas mettre le massacre de plus de 200 manifestants sur la table.
Mais, des rangs gaullistes jusqu’aux travées diplomatiques, ces éclairages viendront beaucoup plus tard (par exemple dans la récente postface que Gilles Manceron vient de signer à l’occasion de la réédition du livre de Marcel et Paulette Peju, Le 17 octobre des Algériens, qui vient de reparaître à La Découverte). C’est-à-dire, une fois le dossier du 17 octobre rouvert.
Libération y consacrera bien un dossier spécial en 1980, puis, de nouveau, en 1981. Mais pour l'essentiel, il faudra attendra 1991 pour une vraie onde de choc, avec un livre tiré à l'époque 20 000 exemplaires au Seuil. Ce livre est celui de Jean-Luc Einaudi : La Bataille de Paris. Publié avec (encore) une photo d'Elie Kagan en couverture, c'est l’ouvrage qui rouvrira fondamentalement l’enquête sur le 17 octobre. Et c'est à lui, éducateur de métier et historien dit “amateur” à la publication, qu’on doit d’avoir percé un silence étourdissant.
Sylvie Thénault a montré en effet le peu d'écho que des travaux précédents avaient eu, comme par exemple un livre de Michel Lévine, qui avait paru en 1985 chez Ramsay. Intitulé Les Ratonnades d'octobre, il n'avait valu à son auteur que six lettres de lecteurs, et fait les frais d'une réception un peu estropiée... jusqu'à sa reparution (chez Jean-Claude Gawsewitch), en 2011 et à l'occasion des 50 ans. Cette année-là, Octobre à Paris sortait enfin en salle, sous les couleurs des films de l'Atalante, à qui le fils de Jacques Panijel et sa veuve avaient cédé les droits, moyennant un avant-propos filmé de Medhi Lallaoui, qui entre-temps avait créé avec d'autres l'association "Au nom de la Mémoire". C'est cette version du film de 1962 qui est désormais projetée en salle.
Les anniversaires au chiffre rond ont décidément beaucoup fait pour la notoriété du 17 octobre : c'est aussi en 2011, qu'un autre documentaire, Ici on noie les Algériens, par Yasmina Adi, avait redonné de l'écho à l'événement après d'un nouveau public. Or ce film doit lui-même beaucoup à Jean-Luc Einaudi. Toute son enquête, en effet, révèle ce déni, et aussi les stratégies du pouvoir en place pour assourdir l’événement, euphémiser le récit, et exonérer les protagonistes. Il revient aussi sur ce que les acteurs de l’époque ont fait de ce silence. Rien, le plus souvent : c’est chez Einaudi qu’on est confronté, par exemple, au puissant déni d’un Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture au moment des faits, qui affirmera au bout de deux rendez-vous à l’historien qu’il a beau fouiller sa mémoire, plus rien ne lui reste. C’est pourtant lui qui avait cédé sa place, à la tribune à l’Assemblée nationale, à Roger Frey, sommé de s’expliquer dans la foulée des violences. Ce passage est sidérant, parce qu'il montre toute la puissance du déni, et autant de faits tragiques dont on ne s'encombrera guère.
Trente ans plus tard, c’est toujours le livre de Jean-Luc Einaudi qu’il faut lire, et aussi celui de Fabrice Riceputi, Ici on noya les Algériens, pour accéder à une lecture vive de l'événement. C’est en effet dans cet ouvrage (qui vient aussi de reparaître au Passager clandestin, actualisé et enrichi, pour le 60e anniversaire du 17 octobre) que l’historien revient sur l’enquête de Einaudi, et tout ce qu’on lui doit dans la mise au jour de la répression inouïe du 17 octobre. C’est-à-dire, sa violence et son impunité, mais aussi ses ressorts. En fait, ce qui l’a rendue possible.
Car depuis Einaudi, qui publiait son livre à une époque où par exemple l’historienne Sylvie Thénault ne recensait guère que trois mémoires universitaires dont le sien, les historiens dialoguent désormais autour du 17 octobre. Au-delà même de la bataille des chiffres dont a pu faire l’objet cette manifestation : Jim House et Neil MacMaster, grands historiens du 17 octobre et auteurs de Paris 1961 (qui vient aussi de reparaître chez Folio) considèrent que c’est la plus grande répression d’une manifestation de rue de toute l’histoire de l’Europe occidentale. Plutôt, en envisageant carrément, comme le fait par exemple l’historien Emmanuel Blanchard, fin connaisseur de la police française en situation coloniale, en quoi il a bien pu s’agir d’une rafle organisée. Comprenez : un dispositif explicitement raciste, façonné autour d’un objectif de répression à grande échelle.
Dévoiler les ressorts du 17 octobre 1961 passe aujourd’hui par la mise en lumière de ces mécanismes-là, et le détail des noyades. Au cimetière de Thiais, dans le Val-de-Marne, par exemple, où se trouve un carré musulman, on a bien consigné en octobre et novembre 1961 un afflux hors de proportion de 38 “X-FMA” - c’est-à-dire ces "Français musulmans d'Algérie" inconnus. Des cadavres en fait, parmi ceux jetés à la Seine. L’état actuel de la recherche sur le 17 octobre reste tributaire de l’accès aux archives, qui s’est rétréci avec une loi passée à l’été 2021. Or les archives existent. Et cela aussi, c’est à Jean-Luc Einaudi qu’on doit d’en avoir la certitude. À une époque où les témoignages filmés par Jacques Panijel faisaient encore figure d’exception, l'historien est ainsi reparti à la source. Il a compilé des centaines d’heures de récits, auprès d’Algériens, victimes ou témoins, qu’il est parfois allé rencontrer en Algérie, le temps d’un voyage un été. Mais aussi, et c’est crucial, auprès de policiers en activité ce soir-là (ou d’un séminariste auprès des forces armées). Ce sont eux qui lui ont notamment raconté les consignes, et le laisser-faire. Et qui lui ont finalement permis d’étayer sa démonstration. Par exemple, en mettant en évidence que les bus de la RATP, réquisitionnés une fois les cars de police saturés, étaient revenus au dépôt tellement maculés de sang que des pétitions avaient circulé, les jours suivants, dans le personnel.
Ces témoignages font toute la trame du livre La Bataille de Paris. Il ne passera pas inaperçu : Fabrice Riceputi recense pas moins d’une soixantaine d’évocations dans la presse à sa parution - à quoi il faut ajouter encore de nombreux ricochets, depuis lors. Autant dire, un événement en soi, qui frappe d‘autant plus les esprits que, le soir du 17 octobre 1961, le préfet de police à Paris s’appelait Maurice Papon. Or justement Maurice Papon est jugé, en 1997, devant une cour d’assises à Bordeaux, et un avocat de la partie civile a l’idée de génie de faire comparaître Einaudi. Qui expliquera plus tard qu’il a accepté parce qu’il se sentait ”en sympathie avec les victimes juives” de Papon. Et qui livrera un récit impeccable et terrible à la fois de ce qui s’est passé ce soir-là à Paris : on a noyé des Algériens, on en a mutilés, et tout cela sous la responsabilité de Maurice Papon.
À l’occasion du soixantième anniversaire du 17 octobre, et via le blog collectif "Histoire coloniale et post-coloniale", sur Mediapart, Fabrice Riceputi a mis en ligne un extrait du procès Papon. Où l’on voit précisément Jean-Luc Einaudi livrer son récit implacable des faits, sous les yeux du président de la cour d’assises, et devant la caméra en contre-plongée. L'extrait dure 23 minutes (sur une déposition de 2 heures 30 au total), et c’est un document exceptionnel pour prendre la mesure de ce à quoi Jean-Luc Einaudi nous aura permis d’accéder.
Toutefois, à mesure que son travail gagnera en visibilité, Jean-Luc Einaudi s’exposera davantage aussi. En déclarant dans une tribune dans Le Monde que le 17 octobre 1961 fut un “massacre” qui avait bien eu lieu à Paris “sous les ordres de Maurice Papon”, il sera attaqué par Papon lui-même, pour diffamation. Ce procès-là, véritable affaire dans l’affaire, aura lieu en 1998. Mais fin mars 1999, la 17e chambre du tribunal estimera finalement qu'on peut exonérer Einaudi depuis sa bonne foi :
Dès lors que l'on admet que la version officielle des événements de 1961 semble avoir été inspirée largement par la raison d'Etat admissible, au demeurant, au regard de la situation de l'époque et que l'extrême dureté de la répression d'alors doit appeler, de nos jours, des analyses différentes, qui n'excluent pas nécessairement l'emploi du mot "massacre", on ne saurait faire grief à un historien, auquel on ne conteste finalement pas le sérieux et la qualité de sa recherche, d'avoir manqué de circonspection lorsque, dans une formule conclusive [...], il qualifie rudement les faits et désigne sèchement un responsable.
Sans doute Emmanuel Macron ne dit-il pas autre chose. Entre-temps, Einaudi avait armé sa défense, et bénéficié du parrainage de Brigitte Lainé et Philippe Grand, deux archivistes, chartistes, qui paieront de leur carrière le soutien à cet historien autodidacte dont ils étaient venus étayer les affirmations depuis leur connaissance des archives. Lui permettant de faire la preuve, ainsi, de toute la minutie de son travail d’enquête.
Personne toutefois n’avait eu accès aux cassettes audio qu’Einaudi avait pourtant méthodiquement enregistrées tout au long de ces années à travailler sur le 17 octobre. Plusieurs mètres cubes, en vérité, qui dormaient dans la maison d’une vieille tante. Ce sont ces archives-là que le documentariste Tristan Thil est allé exhumer à l’occasion des 60 ans du 17 octobre, cette année. Et c’est sur Binge audio, dans l’émission Programme B de Thomas Rozec et sous la forme d’un podcast en trois épisodes dont le dernier vient d’être mis en ligne ce 20 octobre, qu’on peut entendre quelques extraits du travail de recueil entrepris par Jean-Luc Einaudi.
Ces archives audio, montées ici à la façon d’une mosaïque un peu trépidante peut-être, et parfois saturées d’une musique de fond qui met à distance la source brute, sont extrêmement précieuses. Elles représentent la pièce manquante qui vient compléter les traces visuelles scénarisées par Jacques Panijel trente ans plus tôt. Elles redonnent une voix aux protagonistes d’un jour d’automne dont François Maspero, qui ce soir-là circulait à moto dans Paris, dira dans Le Silence du fleuve, le film d’Agnès Denis et Mehdi Lallaoui, en 1991 : “Dans ma mémoire, je n’entends qu’un seul bruit, celui des bâtons sur les crânes.”
Journalistes, documentaristes, et chercheurs en histoire ou en sociologie de l’action publique, nombreux seront ceux qui devront à Tristan Thil d’être allé chercher ces cassettes, et d’avoir convaincu Christine Einaudi, la veuve de l’historien mort en 2014, de laisser diffuser ces archives personnelles. Elles feront bientôt, à leur tour, l’objet d’un dépôt aux archives de La Contemporaine. Pour ceux qui réclament une reconnaissance au-delà de la responsabilité de Maurice Papon, c'est aussi la promesse de nouvelles investigations, à l'heure où l'accès aux archives de police semble se rétrécir.
La Diaspora algérienne et de nombreuses organisations de Perpignan se sont réunies ce samedi 29 octobre a la place Molière à Perpignan. Le maire RN Louis Aliot souhaite rebaptiser l’esplanade au nom de Pierre Sergent, un ancien chef de l’OAS
Selon France 3, plus de 30 associations se sont donné rendez-vous ce samedi à place Molière pour dénoncer ce projet. Au total, 200 personnes se sont réunies pour demander de « baptiser symboliquement l’esplanade Maurice Audin ».
Pour Valentin Stel, militant de l’association SOS Racisme, le projet de Louis Aliot prouve que sa famille politique d’extrême droite « n’a toujours pas digéré la guerre d’Algérie ». Il y voit même une forme de « nostalgie de l’Algérie française coloniale » et « du système d’oppression, du cortège de violence qui allait avec ».
De son côté, Hakim Addad, de l’association Josette et Maurice Audin, s’est indigné de ce baptême qu’il qualifie de « honteux » car « c’est le nom d’un assassin, d’un antirépublicain » qui va être attribué à cette esplanade.
Ce samedi, les associations mobilisées ont plaidé pour une réflexion générale et globale en France « sur ce qu’a été l’ensemble de la colonisation ».
Une dénomination qui divise
à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Celle d’une esplanade que le maire Rassemblement national Louis Aliot veut baptiser du nom de Pierre Sergent, un ancien chef de l’OAS, l’Organisation de l’armée secrète, qui a combattu violemment pour le maintien de l’Algérie française. Un projet qui fait polémique : ses détracteurs s’y opposent fermement, plus de 30 associations ont appelé à la mobilisation place Molière ce samedi 29 octobre pour refuser cette nouvelle dénomination.
200 personnes se sont réunies dès 11 heures, pour dénoncer ce nouveau nom. A la place, ils ont souhaité baptiser symboliquement l’esplanade Maurice Audin, du nom de ce militant de l’indépendance algérienne tué par l’armée française à 25 ans, en juin 1957.
« Un autre nom que celui, honteux, que le Conseil municipal et son maire ont décidé de donner », explique Hakim Addad, de l’association Josette et Maurice Audin, « puisque que c’est le nom d’un assassin, d’un antirépublicain, qui a même attaqué le président de la République d’alors Charles de Gaulle. »
La résolution appelle à « une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable » dans la perspective d’une « autodétermination » du peuple sahraoui.
Des combattants sahraouis dans le camp de réfugiés de Tindouf, en Algérie, en janvier 2022. RAMZI BOUDINA / REUTERS
Le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé les « parties » au conflit du Sahara occidental à « reprendre les négociations », jeudi 17 octobre, pour permettre une solution « durable et mutuellement acceptable ». Les Etats-Unis, qui ont rédigé le texte de la résolution, ont regretté l’absence d’unanimité lors de ce vote qui a recueilli treize voix pour, avec les abstentions du Kenya et de la Russie, qui a dénoncé un texte « pas équilibré ».
La résolution appelle « les parties à reprendre les négociations sous l’égide du secrétaire général sans préconditions et de bonne foi », avec l’objectif de parvenir à « une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable » dans la perspective d’une « autodétermination du peuple du Sahara occidental ». Le Conseil avait lancé ce même appel il y a un an, au moment où le nouvel émissaire de l’ONU, l’Italien Staffan de Mistura, prenait ses fonctions. Il s’est depuis rendu plusieurs fois dans la région pour rencontrer les différents acteurs.
Mais dans son rapport annuel publié récemment, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « vivement préoccupé par l’évolution de la situation ». « La reprise des hostilités entre le Maroc et le Front Polisario marque un net recul dans la recherche d’une solution politique à ce différend de longue date », a-t-il insisté, évoquant des « frappes aériennes et des tirs de part et d’autre du mur de sable » qui sépare les deux parties.
Le mandat de la Minurso renouvelé pour un an
Le Sahara occidental, ex-colonie espagnole, est considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU, en l’absence d’un règlement définitif. Il oppose depuis des décennies le Maroc au Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Rabat, qui contrôle près de 80 % de ce vaste territoire, prône un plan d’autonomie sous sa souveraineté. Le Polisario réclame pour sa part le référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU qui avait été prévu lors de la signature en 1991 d’un cessez-le-feu mais jamais concrétisé.
L’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, a salué la résolution, estimant qu’elle « conforte le soutien massif de la communauté internationale en faveur de l’initiative d’autonomie marocaine ». Le représentant du Polisario, Sidi Omar, a quant à lui dénoncé « l’inaction continue » du Conseil de sécurité face aux tentatives du Maroc « d’imposer un fait accompli dans les territoires occupés de la République sahraouie [RASD, autoproclamée par le Polisario] ». Cela « ne laisse d’autre option au peuple sahraoui que de continuer et d’intensifier la lutte armée légitime pour défendre son droit non négociable à l’autodétermination et à l’indépendance », a-t-il déclaré, regrettant que les Etats-Unis, rédacteurs du texte, aient « dévié de leur position de neutralité ».
La résolution adoptée « ne reflète pas la situation » au Sahara occidental et « il est peu probable qu’elle permette de faciliter les efforts de Staffan de Mistura pour une reprise des négociations directes entre le Maroc et le Front Polisario », a de son côté commenté l’ambassadeur russe adjoint à l’ONU, Dmitry Polyanskiy. La résolution adoptée jeudi appelle également les parties à « coopérer pleinement » avec la mission de l’ONU, la Minurso, dont le mandat a été renouvelé pour un an, jusqu’au 31 octobre 2023.
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La guerre d’Algérie n’en finit pas d’alimenter les polémiques en France. La mairie de Perpignan (sud) s’apprête à réaliser une esplanade en hommage à Pierre Sergent, fervent défenseur de l’Algérie française et fondateur de la branche de l’OAS (organisation de l’armée secrète) en France métropolitaine.
Un geste dénoncé par plusieurs syndicats et associations de défense des droits de l’homme et de lutte contre le racisme.
Pierre Sergent était capitaine de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Fervent défenseur de l’Algérie française, il a pris part au putsch avorté des généraux en 1961 puis à la création de l’OAS.
Il a été le chef de cette dernière sur le territoire français, où elle a commis quelque 70 assassinats, dont celui du maire d’Évian, ville près de la frontière suisse où ont été signés les accords éponymes ayant mis fin à la guerre. L’organisation est aussi responsable de la tentative d’assassinat contre le général De Gaulle en 1962.
Après le démantèlement de l’organisation, Pierre Sergent a poursuivi son activisme politique dans la clandestinité. Condamné à mort par contumace, il a été gracié après la promulgation de la loi d’amnistie en 1968. En 1986, il a été député du Front national. Il est mort en 1992, à 66 ans.
C’est le même parti, devenu le Rassemblement national, qui s’apprête à lui rendre hommage. La mairie de Perpignan est dirigée par un personnage bien connu de cette formation politique, Louis Alliot.
Une initiative dénoncée par une trentaine d’organisations, principalement de gauche, qui ont appelé à manifester ce samedi 29 octobre à Perpignan. « C’est comme si on créait une place Pétain ou Hitler », explique Michel Chabasse, responsable du syndicat CGT.
Louis Alliot a tenté de défendre son initiative en mettant en avant le fait que Pierre Sergent était aussi « un résistant » français pendant la seconde Guerre mondiale. Mais Pierre Sergent reste avant tout un chef de l’OAS et l’hommage qui lui est rendu ne passe pas.
Torpiller la réconciliation franco-algérienne
« Pierre Sergent, c’est ce monsieur qui a créé l’OAS, responsable de 70 assassinats sur le territoire national, dont celui du maire d’Evian », rappelle SOS Racisme, qui juge l’initiative « hallucinante ».
Louis Alliot défend encore sa décision en affirmant qu’elle a été prise « en accord avec toutes les associations de rapatriés » et un « certain nombre d’associations d’anciens combattant ».
Ces initiatives répétées de l’extrême-droite visent à contrebalancer la politique du président Emmanuel Macron qui a entrepris de « réconcilier les mémoires » de la guerre d’Algérie.
Emmanuel Macron a multiplié les gestes, reconnaissant notamment la responsabilité de l’Etat français dans la mort de résistants algériens, comme Maurice Audin et Ali Boumendjel, ou la répression des manifestations du 17 octobre 1961 à Paris, qualifiée de « crime inexcusable »…
Le Rassemblement national, malgré la volonté de « diabolisation » qu’on lui prête, demeure droit dans ses bottes concernant tout ce qui a trait au passé de la France en Algérie. Un de ses élus aux dernières législatives, en juin, a exprimé sa nostalgie de l’Algérie française dans le discours inaugural de la nouvelle législature qu’il a prononcé en sa qualité de doyen de l’assemblée.
C’est l’action de ces lobbies qui est régulièrement dénoncée par le président algérien Abdelmadjid Tebboune comme un frein à la bonne entente entre l’Algérie et la France.
BLIDA - La wilaya de Blida a marqué sa participation au déclenchement de la guerre de libération nationale, le 1 novembre 1954, avec une série d’opérations armées, ayant porté atteinte aux infrastructures de base (dont des casernes militaires) du colonisateur français, annonçant le début de la Révolution d'un peuple qui avait foi en sa cause, selon des moudjahidine ayant participé à ces faits d’armes.
"L’objectif principal de ces opérations était de briser la barrière de la peur chez les moudjahidine et d'annoncer le déclenchement de la guerre de libération nationale, indépendamment de l’idée de sa réussite ou de son échec, au vu du manque accusé dans les armes à l’époque", a confié le moudjahid Abdelkader Annane (un des participants à ces opérations) dans un entretien à l’APS.
Selon des sources de la Direction des moudjahidine et ayants droit, des préparatifs intenses, liés notamment à l’entrainement des moudjahidine et à la planification des opérations et des sites ciblés, ont précédé ces actions militaires, auxquelles ont pris part neuf groupes de moudjahidine, appelés "Les groupes moudjahidine du 1er novembre de la Mitidja". Ces actions ont occasionné des pertes matérielles considérables à l’administration coloniale.
A cinq jours du 1er novembre, des militants connus de la cause nationale, dont les moudjahidine Rabah Bitat et Mohamed Boudiaf, ont effectué une tournée dans la région en vue de fixer les sites à cibler dans la wilaya, pour enclencher l’une des plus célèbres guerres d’indépendance de l'histoire contemporaine.
Les préparatifs ont également englobé l'inauguration des premières unités de confection de bombes à Soumaâ, Bouinane et Ouled Yaich, le 14 mai 1954, outre l’entrainement des éléments participants au maniement des armes, entre autres.
Une opération a été aussi lancée pour la collecte d’anciennes armes à feu auprès des citoyens, parallèlement à l'organisation de patrouilles pour inspecter les sites ciblés, en veillant scrupuleusement au secret total de toutes ces opérations, conformément aux instructions des chefs de la Révolution.
Le moudjahid Abdelkader Annane fut chargé, à ce titre, d’enrôler de jeunes candidats pour participer à ces opérations, a-t-il indiqué à l’APS. "J’avais pour instruction de choisir de jeunes célibataires en bonne condition physique et ayant déjà effectué leur service militaire obligatoire pour qu’ils puissent contribuer à l’entraînement des autres jeunes bénévoles au maniement des armes", a-t-il expliqué.
Des jeunes moudjahidine venus de la Kabylie ont, également, pris part à un nombre de ces opérations, visant des casernes militaires à Blida et Boufarik. "Ces opérations furent un succès. Ils retournèrent dans leurs région chargés d’armes et de munitions", a-t-on appris auprès de la direction locale des moudjahidine.
Casernes et ponts, cibles majeures des moudjahidine
Les chefs de la Révolution ont particulièrement veillé, lors de la planification de ces attaques militaires, à cibler les infrastructures de base de l’administration coloniale française. L'usine des alliés et de la papeterie de Bab Ali ont été incendiées, les ponts de l’Oued Lekhel, à l’entrée de la ville de Boufarik, de Ben chaâbane et de l’Oued Chaàbnia, situé entre Birtouta et Ouled Chbel, ont été détruits pour entraver les mouvements ennemis.
L'opération de la caserne "Bizzot" de Blida, menée par une trentaine de moudjahidine sous le commandement de Rabah Bitat, fut également un succès, au même titre que toutes les autres opérations qui ont surpris le colonisateur français. Les groupes participants à ces actions se sont repliés dans les monts de Chréa et de Megtaà Lezreg, tandis que les moudjahidine non recherchés ont regagné leurs domiciles.
Le moudjahid Abdelkader Annane (90 ans) dit se souvenir, à ce jour, "des moindres détails des opérations de la nuit du 1 er novembre", dotées d’"une haute symbolique", selon son expression. Il s’est également félicité de la réussite de ces opérations qui ont "déconcerté les autorités coloniales, qui ne s'attendaient pas à des attaques simultanées sur tout le territoire national".
Pour le professeur d'histoire à l'université Ali Lounici d’El Affroune, Abdelkrim Menaceur, le succès du déclenchement de la Révolution de Novembre s’explique par la "très bonne organisation des opérations, qui n’a négligé aucun détail, de même que les entraînements", notant que les" préparatifs qui ont précédé, n’ont laissé aucune place au hasard".
A cela s’ajoutent la "conviction et la détermination des moudjahidine, ainsi que leur foi en la justesse de leur cause", a soutenu l’universitaire, qui n’a pas manqué de souligner l’adhésion du peuple à cette Révolution, notamment à la suite des manifestations du 8 mai 1945, qui ont renforcé sa conviction que "seule l’action armée est à même d’expulser la France coloniale de l'Algérie".
"Les autorités coloniales, qui ne s'attendaient pas à de telles opérations simultanées dans tout le pays, ont été surprises par le déclenchement de la guerre de libération et ont réalisé, pour la première fois, qu'elles étaient confrontées à une véritable Révolution et organisation", a ajouté M. Menaceur.
Il a, également, souligné combien étaient "difficiles" pour les chefs de la Révolution de l’époque de mener des actions contre l'ennemi dans la Mitidja qui comptait "un grand nombre de points de contrôle français, de par sa position proche des centres de décision, en plus du fait qu'elle constituait une ressource économique d’importance pour les autorités coloniales".
ORAN - L’attaque de la grande Poste d’Oran, le 5 avril 1949, est considérée comme l’une des actions les plus spectaculaires menées par l’Organisation Spéciale (OS), pour assurer la préparation du déclenchement de la future lutte armée contre l’occupant français.
Exécutée par un groupe de militants de l’OS, la branche armée du PPA-MTLD, l’attaque de la grande Poste d’Oran visait la récupération des fonds nécessaires à l’acquisition d'armes devant servir, plus tard, au déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954.
Enseignant en Histoire à l’Université Oran-1 "Ahmed Benbella", Mohamed Belhadj considère que les massacres perpétrés par les forces répressives et les milices armées françaises contre les Algériens, le 8 mai 1945, ont démontré la nécessité d’opter pour l’action armée afin de recouvrer l’indépendance.
Selon M. Belhadj, les responsables de l’OS avaient réfléchi aux voies et moyens pour collecter les fonds nécessaires pour mener le combat libérateur contre l’occupant français.
Pour cela, le responsable national de l’Organisation, Hocine Aï Ahmed, avait donné son aval pour la conduite de cette opération et sa préparation sur les plans logistique et matériel, avec le soutien de l’ensemble des responsables des cellules de la région ouest, Ahmed Ben Bella et le responsable de la cellule locale, Hammou Boutlélis.
Au commencement, la réflexion avait porté sur l’attaque d’un train transportant des fonds entre Oran et Béchar. Toutefois, l’idée avait été vite abandonnée car, supposée risquée du fait qu’elle nécessitait des éléments spécialisés et de gros moyens, soutient l’universitaire Belhadj selon qui le militant Bekhti Nemmiche, employé comme préposé à la Poste d’Oran était chargé de se procurer le plan des lieux à investir.
Il avait suggéré comme cible, ce centre régional qui finance la Grande Poste d’Oran et les villes de l’ouest du pays et avait pour rôle, dans cette opération, de trouver "la brèche" pour pouvoir y accéder en prenant toutes les précautions nécessaires.
La préparation était parfaite pour cette importante opération et avait duré trois mois entiers pour laquelle une petite chambre a été louée au quartier de "Gambetta" (l’actuel Seddikia) à Oran par le militant de l’OS, Gheddifi Benali.
Le lieu a servi de base des opérations et de la préparation du hold-up, rappelle l'universitaire.
Le domicile d’un militant, en l'occurrence Zaoui Abdelkader, au quartier populaire " les planteurs" (l’actuel Haï sanawber) a également servi dans cette opération pour loger des membres du groupe qui devaient connaître l’adresse du domicile du chahid Hamou Boutlélis, au Boulevard de Mascara, pour procéder, après l’action, au transfert des fonds récupérés.
Concernant l’établissement visé, le choix a porté sur le militant Souidani Boudjemaa pour repérer l’objectif que représentait la Poste d’Oran et surveiller, pendant 15 jours, l’entrée et la sortie des véhicules et les mouvements des agents.
Pour cette mission, Souidani Boudjemâa s’est fait passé pour un vendeur ambulant opérant aux alentours de la Poste.
Ahmed Benbella s’est déguisé, quant à lui, en agent postier à l’entrée en faisant la reconnaissance des coins et recoins de la poste, de l’intérieur, rapporte l’historien.
"L’exécution de l’opération devait avoir lieu au mois de mars. Toutefois, il a été décidé de la reporter en raison d’une panne ayant touché le véhicule devant servir de moyen de transport des fonds.
Ce n’est ainsi qu’en avril 1949 que le choix avait porté sur six militants pour mener cette attaque. Il s’agit de Belhadj Bouchaïb, le seul à porter les armes dans cette opération, Mohammed Bouihi, Amar Haddad, Rabah Louraghiou, Souidani Boudjemaa et Mohamed Khider.
Après quelques jours de surveillance de l’édifice, le feu vert a été donné pour accéder au service de télégraphie, passage indiqué par le militant Djelloul Nemmiche pour pénétrer à la Poste d'autant qu'il était le seul service qui ouvre tôt le matin, et partant pouvoir voler la voiture ciblée d’un médecin français pour mener cette opération.
Le 5 avril, les membres du commando accédèrent au service de télégraphie après avoir réussi à tromper la vigilance d’un des agents postiers. Ils se sont dirigés directement vers l’étage supérieur où se trouvait le coffre contenant plus de 30 millions de Francs.
Cependant, les membres du commando ont été surpris par un planton qui avait alerté la police. Les membres de l’OS avaient réussi à prendre un butin de 3.178.000 francs français qui devait être distribué aux sept centres postaux d’Oran.
L’argent fut transporté rapidement au domicile de Hammou Boutlélis et Mohamed Khider a été chargé d’acheminer les fonds jusqu’à Alger pour les mettre au Commandement de l’OS.
==Des armes pour préparer le déclenchement de la lutte armée==
Grâce aux fonds provenant de l’attaque de la Grande Poste, plus de 350 pièces d’armes et des munitions provenant de la Libye ont été acquis.
Le stock a été acheminé jusqu’à la région de "Machounch", entre Biskra et Batna et enterré dans une "Matmoura" jusqu’au déclenchement de la lutte armée, rapporte Mohamed Belhadj, se référant au témoignage d’un des organisateurs de l’opération, Ahmed Benbella.
Avant le déclenchement de la révolution armée, il a été procédé à la distribution des armes dans la région Est du pays, selon le témoignage de feu Ahmed Benbella, en tant qu’acteur et témoin, qui avait déclaré que "l’argent de l’opération de la Poste d’Oran avait contribué en grande partie au déclenchement de la lutte armée dans la région des Aurès".
Ahmed Benbella a indiqué, dans ce cadre, "l’existence de plusieurs autres opérations et attaques dans d’autres régions du pays, pour récupérer des armes, des explosifs, des fusils de chasse et munitions".
Selon l’universitaire "cette opération de la Grande Poste d’Oran était décisive, voire un tournant dans l’histoire de la lutte armée au regard de l’organisation parfaite et l’exécution minutieuse ainsi que son impact sur le déclenchement de la Révolution".
Suite à cette audacieuse opération, une enquête judiciaire a été déclenchée par les autorités coloniales sans qu’elle n’aboutisse à la conclusion que cette attaque aurait un lien quelconque avec la question nationale, mais confondue comme une opération de " casse et de banditisme" ayant ciblé la poste centrale d’Oran.
"Toutes les investigations ont convergé à cette piste et n’ont fait le lien avec l’OS qu’après, une année, lors de la découverte de l’existence de l’OS et son démantèlement.
Dans ce cadre, il a été procédé à l’arrestation de plusieurs auteurs de l'opération, à l’instar de Hammou Boutlélis, condamné à 7 ans de prison, Rabah Lourghiou à 20 ans de prison, Fellouh Meskine, 5 ans de prison et Benaoum Benzerga, à plus de 10 ans.
Pour l’universitaire Mohamed Belhadj, il est aujourd'hui impératif "de multiplier et d’approfondir les études monographiques et biographiques sur les acteurs de cette opération qui n’a pas encore livré tous ses secrets", en braquant les projecteurs sur d’autres membres à l’instar de Hadj Benâala, Belkacem Zaoui, Djelloul Nemmiche, Benaoum Benzerga, Hocine Abdelbaki, Gheddifi Benali, Amar Haddad et Mohamed Khider.
Environ 200 personnes étaient présentes ce samedi matin pour protester contre le projet de la municipalité de Perpignan de nommer une esplanade de la ville en hommage à Pierre Sergent, ancien député FN des Pyrénées-Orientales et un des chefs de l'OAS.
"Une injure aux familles des victimes", "une tentative de dédiabolisation de l'OAS", "un activisme pro-Algérie française", "une démarche révisionniste". La colère de la trentaine d'organisations politiques, syndicales, associatives, majoritairement de gauche, à l'origine de la mobilisation, s'est fait entendre, ce samedi 29 octobre. Environ 200 personnes ont répondu à leur appel, pour s'opposer au projet de Louis Aliot, maire de Perpignan, de baptiser une esplanade en l'honneur de Pierre Sergent, ancien député FN des P. -O., mais aussi, et c'est bien là le problème des opposants au projet, chef de l'organisation armée secrète, qui a notamment créé la branche métropolitaine de l'organisation. "L'OAS a fait 70 morts en France", s'indignent les opposants.
Après s'être rassemblés sur la place Molière, les manifestants se sont rendus sur l'esplanade en question, qu'ils ont décidé d'eux-mêmes baptiser. Une pancarte au nom de Maurice Audin, mathématicien, militant de l'indépendance algérienne, et torturé et tué en 1957 en Algérie a été installée.
Les manifestants se sont également interrogés sur les motivations du maire Louis Aliot : "Il y a une volonté d'instrumentaliser Perpignan dans la course à la présidence du RN pour montrer qu'il est le meilleur défenseur des fondamentaux du parti d'extrême droite", a notamment soulevé un participant de la mobilisation.
Pour rappel, SOS Racisme a saisi le préfet des Pyrénées-Orientales Rodrigue Furcy pour demander l'annulation de la délibération du conseil municipal du 22 septembre dernier qui a décidé de nommer l'esplanade d'après Pierre Sergent.
La fin de l'Algérie française et les juridictions d'exception - Etat, Justice et Morale dans les procès du putsch d'Alger et de l'OAS.
Dans ce petit livre très documenté et percutant, c'est une véritable volée de bois vert que l'auteur administre au général de Gaulle. Si, pour les Juifs en général et pour les sionistes en particulier, la fameuse phrase du général sur « le peuple juif sûr de lui et dominateur » restera à jamais comme une arête en travers de leur gorge, pour Raphaël Draï, c'est le double langage, la tromperie caractérisée à propos de l'Algérie, de l'homme du 18 juin, qui sont mis en avant et analysés. À contre-courant des hagiographes et de ceux qu'il appelle les « mytholographes » avec leurs partis pris idéologiques, Raphaël Draï revient sur des événements qui continuent, longtemps après, à constituer pour des millions de personnes, une blessure ouverte. À propos des procès des généraux Salan et Jouhaux, du commandant Hélie Denoix de Saint-Marc et du lieutenant Bastien-Thiry, dont il rappelle par le détail les Etats de service antérieurs à leur arrestation, l'auteur n'hésite pas à tenter une comparaison avec la condamnation à mort de De Gaulle par le maréchal Pétain. Rappelant que les putschistes de 1961 avaient eux-mêmes installé De Gaulle au pouvoir, Raphaël Draï énumère les voltes et les virevoltes du général qui, dans un courrier adressé à Raoul Salan le 24 octobre 1958, écrivait : « L'ensemble de la nation française fait maintenant bloc sur quelques idées simples : on ne doit pas lâcher l'Algérie ». On connaît la suite. Pour Raphaël Draï, dès le début, De Gaulle savait qu'il allait lâcher l'Algérie, notamment parce qu'il ne voulait pas de millions de Musulmans français qui auraient modifié le caractère chrétien du pays auquel il tenait absolument, mais il n'a pas choisi de l'annoncer clairement et loyalement. Il a louvoyé, sacrifiant sciemment les « Pieds Noirs » ou « Européens de souche », les Juifs et les Musulmans qui préféraient la France, notamment les Harkis. « Le mot de tromperie est fort, dit Draï, mais on ne saurait en faire l'économie ». Entre le 4 juin 1958, lors de l'allocution dite « du Forum » ( « Je déclare qu'à partir d'aujourd'hui, la France considère que dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants ») et celle du 8 juin 1962 (« Dans 23 jours, le problème algérien sera résolu au fond »), tous les discours sont finement décryptés. La « politique de force » du général dont l'auteur souligne l'insensibilité et la surdité face aux malheurs qu'elle engendre conduira, on le sait à l'exode de populations trompées par des Accords d' Évian qui ne seront jamais appliqués. Pour ce qui est des 100 000 Juifs du pays, Raphaël Draï rappelle à juste titre que l'immense majorité d'entre eux était autochtone et que leur présence en Algérie était antérieure d'un millénaire à « la conquête de cette partie du monde par les armées mahométanes venues de la péninsule arabique ». En fin d'ouvrage, l'auteur dresse un constat : « Pour autant que l'on puisse en juger, la France compte aujourd'hui presque autant d'habitants arabo-musulmans que l'Algérie de l'époque » et passe en revue les événements dramatiques des tueries de Mohamed Merah et des frères Kouachi pour poser la question : « De Gaulle fut-il visionnaire ou fut-il aveugle ? ».
Le professeur Raphaël Draï est né à Constantine en 1942. Agrégé de sciences politiques et ancien doyen de l'Université d'Amiensil est actuellement Professeur de Sciences politiques à l'Université d'Aix-Marseille III et à l' Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence où il est chargé d'enseignements au Master Management interculturel et médiation religieuse. Ses recherches et publications sont caractérisées par un souci de pluridisciplinarité, se souciant de faire dialoguer et résonner des univers comme ceux de la psychanalyse, du droit, des sciences politiques, de l’histoire, de la médecine et les textes de la tradition juive. Toujours dans cette optique, il est également profondément engagé dans le dialogue inter-religieux.
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