Slimane Zeghidour, journaliste à TV5MONDE, a grandi dans un camp de déplacés durant la guerre d'indépendance.
Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste à TV5MONDE, est né dans un village de montagne en Kabylie, où rien n'avait bougé depuis des siècles : ni la langue, ni les légendes, ni la mortalité infantile, ni l'habitude de vivre en communion avec la nature. Le gouvernement français durant la guerre d'Algérie décide de regrouper les villageois dans des camps pour les soustraire aux indépendantistes du FLN. À l'âge de 4 ans, Slimane Zeghidour est arraché à son village ancestral. Ce moment là est aussi pour lui la découverte de l'école, de l'hôpital, de la captivité et des "vrais Français". Témoignage.
TV5MONDE : Racontez-nous le cadre de votre enfance ? Comment vivez votre famille en Kabylie ?
Slimane Zeghidour : Je suis né le 20 septembre 1953 dans un hameau de Kabylie, un hameau complètement enclavé dans le Djébel. C'est à dire à l'écart de tout réseau routier administratif, routier ou postal. C'était un hameau où on ne voyait jamais d'Européen comme on disait à l'époque. Les seuls personnes du hameau qui avaient des contacts avec les Français, appelons les comme ça, étaient les aînés. C'était le cas de mon grand-père paternel. Il travaillait comme métayer chez des agriculteurs européens d'origine suisse à Sétif.
Sans la guerre, je ne serais pas là aujourd'hui pour témoigner. Je n'aurais pas connu l'école. Je n'aurais pas été soigné de la tuberculose. Deux frères et une soeur ont succombé à cette maladie.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Dans la mémoire du village, le rapport avec les Français était lié à la guerre. Des ancêtres étaient partis combattre au côté des Français lors de la guerre de Crimée (1853-1856) ou de la Première guerre mondiale (1914-1918).
Sans la guerre, je ne serais pas là aujourd'hui pour vous parler et témoigner. Je n'aurais pas connu l'école. Je n'aurais pas été soigné de la tuberculose. Deux frères et une soeur ont succombé à cette maladie. Je n'aurais jamais vu de Français.
Les "camps de regroupement" et la guerre d'Algérie. À partir de 1957, les militaires français décident de lutter contre la guérilla menée par le FLN en reprenant le contrôle de la population et en privant le FLN des moyens logistiques (abri, nourriture) qu'il obtient de gré ou de force auprès de la population. Pour cela, des zones interdites sont créées, où tout être vivant, homme ou animal, est abattu sans sommation. La population qui y vit est chassée de ses habitations et regroupée dans des villages de tentes. Plus d'un 1/3 de la population rurale algérienne sera regroupée dans ces camps, soit un peu plus de deux millions d'habitants selon l'historien Benjamin Stora. L'Algérie coloniale compte 10 millions d'habitants en 1954.
TV5MONDE : Comment était la vie quotidienne dans le village ?
La vie dans le village était assez morne, rythmée par les saisons. Nous nous éclairions avec la lampe à pétrole. Nous vivions dans des zones pentues à flanc de colline. Nous vivions d'une agriculture de subsistance. Nous cultivions de l'orge. Les fruits se résumaient aux figues de nos arbres. Comme légume on cultivait des fèves. Nous ne connaissions pas les pommes, les poires, les oranges et encore moins les bananes.
Le camp de regroupement d'Erraguene où se trouvaient Slimane Zeghidour et sa famille de 1957 à 1961.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
TV5MONDE : Comment votre famille a appris le début de la guerre d'indépendance (1954-1962) ?
Dans notre village nous n'avions aucun écho du déclenchement de la guerre. Nous n'avions pas de poste de radio et nous n'avions pas de journaux. Mais c'est la guerre qui est venue à nous. Lorsque les soldats français sont revenus de l'Indochine, ils ont mis en place des théories contre-révolutionaires. Ces théories s'inspiraient de cette maxime de Mao Zedong (révolutionnaire et dirigeant de la Chine communiste entre 1949 et 1976, ndlr) selon laquelle les révolutionnaires évoluent au sein de la population comme des poissons dans l'eau. C'est ce qu'avait fait le vietcong (mouvement communiste indépendantiste vietnamien, ndlr), lors de la guerre d'Indochine (1946-1954). Et donc la théorie contre-révolutionnaire consistait à retirer l'eau du poisson pour qu'il meure. Et l'eau du poisson c'était nous les villageois des villages enclavés où l'armée ne pouvait pas se rendre.
Le seul souvenir, à 4 ans, que j'ai de notre déménagement (en 1957), en catastrophe, de notre village est une image un peu sépia, lointaine. Je vois au loin des mulets chargés d'ustensiles de cuisine, de jarres en argiles, de nattes. Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
L'état major français décide de transférer tous les habitants des villages enclavés dans des camps dit de regroupement pour pouvoir les soustraire à l'influence de l'ALN, l'armée de libération nationale, bras armée du FLN. Mais ce n'était pas le seul objectif. Il fallait leur faire découvrir les bienfaits de la France, l'amour de la France et les convaincre qu'il est plus intéressant pour eux de se ranger du côté de la France que du côté du FLN.
TV5MONDE : Comment s'est passée l'arrivée des soldats ? Comment avez vous dû quitter le village ?
Le seul souvenir, à 4 ans, que j'ai de notre déménagement subi (en 1957), en catastrophe, de notre village est une image un peu sépia, lointaine. Je vois au loin des mulets chargés d'ustensiles de cuisine, de jarres en argiles, de nattes. C'est tout ce dont je me souviens. Je ne me souviens pas du trajet long de 7 km. Je ne me souviens pas de l'arrivée dans le camp, du premier jour dans le camp.
TV5MONDE : Comment était réglée la vie à l'intérieur du camp de regroupement ?
Nous avions construit une paillote comme les 6500 personnes qui étaient présentes dans le camp. Mon père a pu ensuite construire une barraque en bois avec de la tolle ondulée. C'était un palace absolu comparé aux abris du reste du camp. Et je me souviens par contre ce qu'était enfant le sentiment de courrir sur un espace plat. La cuvette était plate. C'était un sentiment bizarre. Nous venions de villages extrêmement pentus. Je me souviens du froid aussi d'un froid terrible dans cette cuvette. Le camp était entouré de barbelés électrifiés. Je me souviens avoir vu une chèvre completement explosée le long du barbelé. Je revois les étincelles.
Les conditions d'hygiène étaient effroyables. Plus de 10 % des personnes dans le camp sont mortes, essentiellement des enfants.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Nous étions 6500 dans le camp, dans une cuvette très humide, arrosée par les rivières. Et c'est là que nous enfants avons découvert l'école, une structure installée par l'armée. Les instituteurs étaient des "bidasses", des soldats. Les infirmiers étaient des soldats. Les médecins étaient des médecins militaires.
Les conditions d'hygiene étaient effroyables. Plus de 10 % des personnes dans le camp sont mortes, essentiellement des enfants. J'ai failli moi-même être emporté par une angine pulmonaire. J'en ai encore des séquelles dans mes poumons aujourd'hui. J'ai encore des traces de calcification.
C'est comme cela qu'il y a eu dans mon expérience personnelle une forme d'ambiguïté vis à vis de cette armée française. On voyait les bombardements de l'armée dans le Djebel environnant. Mais en même temps ce sont des gens en uniforme qui m'ont soignée de la tuberculose et ce sont des gens en uniforme qui m'ont appris à lire et à écrire.
Des enfants du camp d'Erraguene à l'école. Slimane Zeghidour se trouve à gauche de la photo.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
C'est cela cette dette étrange et cette expérience étrangère que j'ai avec l'armée française et avec cette guerre. Je suis conscient des effets désastreux de la guerre. Et en même temps si il n'y avait pas eu la guerre, dans mon cas, je ne serais pas là pour vous parler.
TV5MONDE : C'est la première fois que vous rencontriez des Français ?
C'était, sous la quatrième République, notre premier contact avec les Européens. En Alégrie, la population était divisée entre ceux que l'on nommait les Européens et ce que l'on nommait les musulmans. Et ce premier contact n'était pas avec les Français d'Algérie mais avec des soldats venant de la Savoie, de la Corse, ou du Vaucluse en Provence. Après 125 ans de colonisation, c'était la première fois que l'Algérie profonde rencontrait la France profonde. Des fils de paysans du Limousin rencontraient des paysans du Djebel.
Nous découvrions des Français qui étaient des infirmiers, des instituteurs ou des médecins.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
C'était un moment capital. La surprise a été totale pour les deux. Ces Français de France avaient été instruits avec des livres qui disaient que la France, la République aimait ces enfants. Et là ils découvrent une situation sociale qui ne s'apparentait pas à celle du Moyen-Âge mais bien à celle du Néolithique.
Et nous découvrions des Français qui étaient des infirmiers, des instituteurs ou des médecins. Les méchants pour nous c'etaient les légionnaires avec des Allemands, des Hongrois et les harkis qui n'étaient pas de la région mais qui venaient d'autres régions d'Algérie. Et les Français avec qui nous avions affaire c'étaient surtout des gens qui faisaient de l'assistance sociale et qui parlaient arabe ou kabile. C'étaient des gens qui faisaient partis de la SAS, la Section administrative spécialisée, organisme chargé d'aider les populations algériennes.
Un soldat français dans le camp d'Erraguene avec des habitants du camp.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
Le camp était tout sauf un camp d'extermination. Tout en réprimant, tout en faisant la guerre en faisant disparaître des gens, l'armée française avait un rôle d'assistance sociale, d'aide aux populations. L'armée française avait une main qui torturait et une autre qui soignait.
J'ai grandi donc avec le préjugé favorable que les Français étaient des gens bien. Mon père disait souvent : "Lui c'est un bon Français, comme si Français était un préjugé positif." J'apprendrai beaucoup plus tard que le barrage qui était en construction en amont du camp était protégé par un régiment de forces spéciales. Mais nous n'avions pas affaire à eux.
Des enfants en tenue kabyle traditionnelle dans le camp.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
Des familles d'ingénieurs vivaient non loin du chantier. Et le chantier était approvisionné par avion. Enfant, j'ai vu des avions avant de voir des automobiles ou des vélos.
Le chantier du barrage d'Erraguene a donné du travail à tous les hommes. Et donc les paysans qui vivaient au rythme des caprices de la nature, des saisons, des bonnes ou des mauvaises récoltes avaient soudain un revenu mensuel stable.
Comment dire cela ? C'est un coup de pied formidable dans le derrière ! C'était une entrée violente dans la modernité et l'économie de marché. C'était un choc avec aussi une élévation du niveau de vie.
J'ai été le premier à annoncer le cessez-le feu dans un groupe de paillotes du camp. C'est la première et la seule fois que j'ai vu mon père dans un tel état d'allégresse.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Mes parents étaient complètement illettrés. Mon père avait appris à écrire son nom et il avait ensuite passer son permis. L'armée a ouvert un marché et un abbatoir. Mon père et mon oncle ont ouvert une petite boutique. Après, ils ont acheté un camion. Et donc nous avons découvert des choses aussi banales que des navets, des oranges, des bananes, des aubergines. Nous n'avions jamais vu cela.
À l'école on a eu une maîtresse civile apres les soldats instituteurs. C'était la première Française que je voyais. Elle a dit à mon père : "Slimane c'est une bonne tête". C'était quelque chose d'extremement valorisant. Et donc je suis rentré dans la vie avec le plein de confiance en moi.
TV5MONDE : Comment se déroule pour votre famille et pour vous la fin du conflit ? Comment avez-vous appris le cessez-le-feu du 19 mars 1962 ?
Le barrage d'Erraguene dans lequel j'ai grandi a été inauguré en 1961. J'ai vu les eaux monter. On nous a déplacé dans un autre camp que l'on appelait "La Carrière". En 1961 les négociations étaient déja engagées avec le FLN. Le premier camp était ceinturé de barbelés. Ce n'était pas le cas dans le deuxième camp. Dans le premier camp nous n'avions pas de contact avec les maquisards, les indépendantistes du FLN. Dans le deuxième camp, la nuit tombée, les responsables du FLN venaient dans le camp. Ma mère leur faisait des frites et leur donner du pain et ils repartaient. La caserne française se trouvait loin au sommet d'une colline, à un kilomètre. Et un matin je suis sorti. Je n'avais pas école ce jour-là.
Avec l'expérience de mon enfance je n'ai jamais perçu les conflits de façon manichéenne. La guerre c'est le pire de l'homme mais c'est aussi le meilleur de l'homme même si c'est de manière très minoritaire.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
C'était le 19 mars 1962. J'ai vu un avion qui lachait depuis le ciel des tracts. J'ai lu le tract "Kessez le feu" et non "cessez-le feu "! Mais tout le monde a compris. J'ai été le premier à annoncer le cessez-le feu dans un groupes de paillotes du camp. C'est la première et la seule fois que j'ai vu mon père dans un tel état d'allegresse. Et ensuite nous sommes allés défiler.
TV5MONDE : Vous avez retranscrit dans un livre intitulé "Sors la route t'attend", votre expérience dans ce camp de déplacés. Que signifie ce titre ?
Dans le premier camp l'école était à un kilomètre et demi. Dans le deuxième camp, elle se trouvait à sept kilomètres. Il fallait traverser une fôret. J'avais parfois la flemme de partir. J'imaginais cette route comme un serpent, un être vivant. Je percevais la route comme un être vivant.Il fallait partir tôt le matin à pied. Et donc ma mère me disait les matins d'école : "Sors la route t'attend". J'ai écrit ce livre aussi en hommage à ma mère qui ne savait pas liren encore moins écrire. Elle est morte dix jours avant la publication de l'ouvrage.
Des enfants du camp jouent à l'entrée du camp d'Erraguene tenue par l'armée française.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
TV5MONDE : Vous êtes devenu journaliste, grand reporter. Vous avez couvert des conflits. Votre expérience de la guerre durant votre enfance a-t-elle eu un rôle dans le choix de votre métier ?
J'ai été effectivement grand reporter au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Russie. J'ai passé ma vie à couvrir des conflits. J'ai vu des camps de réfugiés en Irak, en Palestine. J'ai grandi dans la guerre mais je n'ai jamais fait le lien entre ce que j'ai vécu et mon métier. Cela montre l'extraordinaire capacité du psychisme humain à mettre en place des barrières hermétiques. Pourtant le camp c'était visible. Pourtant j'ai connu l'exode. Avec l'expérience de mon enfance je n'ai jamais perçu les conflits de façon manichéenne. La guerre c'est le pire de l'homme mais c'est aussi le meilleur de l'homme même si c'est de manière très minoritaire.
Slimane Zeghidour a retrancrit son expérience dans l'ovrage "Sors, la route t'attend".
DR
TV5MONDE : Le président français Emmanuel Macron essaie d'opérer un rapprochement mémoriel avec l'Algérie. Comment percevez-vous cette tentative de réconciliation des mémoires ?
Pour moi la mémoire c'est quelques chose de très personnelle. Je crois plus en l'histoire. Il y a les faits tels qui se sont déroulés et il y a la façon dont les gens les vivent ou les ont vécu. Ce sont deux choses totalement différentes pour moi. Toutes les mémoires font partie du conflit même si ce sont des mémoires amplifiées et exagérées. Pour cautériser les plaies la question des faits de l'histoire est primordiale. Mais en même temps, le poids des mémoires fait partie du conflit. Reconcilier les mémoires ? Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire. Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich a trouvé une très belle formule. Il a dit : "Je voudrais que l'on discute avec eux, les voisins israéliens non pas argument contre argument qui consiste à dire que l'un détruit des maisons et que l'autre pose des bombes sinon c'est sans fin. Je veux discuter vécu contre vécu. Faire comprendre à l'autre ce que l'autre a enduré et c'est de là que peut naître la réconciliation".
Saad Khiari est de cette race qui tend à disparaître, celle des intellectuels authentiques, pétri de culture et de connaissances, et qui décline idées et concepts avec une maîtrise parfaite de la langue arabe ou sa consoeur, la française.
Lui qui partage sa vie entre Paris, Alger et Marrakech, animé par un esprit de transversalité maghrébine trop rare aujourd’hui, est d’abord un cinéaste, diplômé, excusez du peu de la célèbre IDHEC, mais aussi auteur, essayiste, romancier.
On lui doit de nombreux articles et analyses sur l’Islam, la dialogue des religions, l’Algérie, etc., parus dans les plus grands titres de la presse maghrébine et hexagonale, et, notamment, deux ouvrages qui ont fait grand bruit lors de leur parution : « Catholique/Musulman : je te connais, moi non plus », en 2006, et « L’Islam et les valeurs de la République », en 2015.
Son dernier roman, « Le soleil n’était pas obligé », édité au Maroc par « La Croisée des Chemins », sera présent au 25è SIEL et figure parmi les titres en compétition pour le Prix Grand Atlas.
Saad Khiari a bien voulu répondre, avec la finesse qu’on apprécie tant chez lui, aux questions de www.lnt.ma et de La Nouvelle Tribune. A déguster sans modération…
Fahd YATA
La Nouvelle Tribune :
Vous avez publié il y a quelques mois aux Éditions La Croisée des Chemins un roman sous le titre : « Le soleil n’était pas obligé » et que vous présenterez lors de la 25ème édition du Salon International de l’Edition et du Livre de Casablanca, du 7 au 17 Février 2019.
Ce livre aborde la relation entre un personnage fictif, Marie Cardona, virtuelle fiancée de Meursault, le personnage principal du célèbre roman d’Albert Camus, « L’étranger », et l’écrivain algérien Kamel Daoud.
Ce romancier avait publié en 2016 un livre dédié à la victime inconnue de Meursault, « l’Arabe » sous le titre, « Meursault, contre-enquête » dans lequel il évoque le destin du frère de cet homme assassiné par le principal personnage d’Albert Camus.
Pourquoi reprendre à votre manière et aujourd’hui « la saga » de « L’étranger » en mêlant imaginaire et réel ?
Saad Khiari
J’aimerais en préliminaire avant de répondre à votre question, vous remercier de votre accueil et de l’hospitalité de vos colonnes et ensuite apporter la réponse à une question qu’on me pose souvent à propos du titre : « Le Soleil n’était pas obligé ». Je l’ai choisi en hommage à mon ami feu Cheikh Ahmadou Kourouma, dont le roman « Allah n’était pas obligé » a obtenu le Prix Renaudot en 2000. C’était un grand écrivain ivoirien engagé et un grand militant anticolonialiste.
Pour revenir à votre question, je dois à la vérité de préciser que je n’avais nullement l’intention de reprendre comme vous dites la saga de « L’Etranger ». L’idée m’est venue à la suite d’une lettre que j’avais fait publier par un grand hebdomadaire français, suite à la parution de « Meursault, contre-enquête » le roman de Kamel Daoud qui venait d’obtenir le Goncourt de premier roman. L’auteur tentait d’explorer à son tour et avec un immense talent, les zones d’ombre du fameux roman de Camus et notamment le fait que son auteur n’ait pas donné un nom à « l’Arabe ». Cette lettre avait eu beaucoup de succès auprès des internautes. Je l’ai adressée à Kamel Daoud et signée « Marie Cardona », la « fiancée » de Meursault.
Elle demande à le rencontrer au nom de ce que j’ai appelé la « proximité dans le malheur » puisque Marie Cardona avait perdu l’homme de sa vie (Meursault), le héros du roman de Camus. Il avait été condamné par la justice et exécuté pour avoir tué « l’Arabe » qui n’est autre que le frère du héros du roman de Kamel Daoud. J’avais pris le risque de donner corps à un personnage fictif (Marie Cardona) et à la faire exister en m’adressant à un auteur vivant ( Kamel Daoud ) au sujet d’un personnage fictif ( Meursault). L’exercice était séduisant d’une part, parce que j’en profitais pour parler d’un aspect important du drame de la guerre d’indépendance en Algérie ( nous y reviendrons ) et d’autre part, parce que je tenais là l’occasion de mettre mon petit grain de sel à mon tour dans le débat autour de l’œuvre d’Albert Camus, en créant une situation absurde, pour rester dans l’atmosphère du roman et d’un aspect majeur de l’œuvre d’Albert Camus.
Avec « L’étranger », « Meursault, contre-enquête » et « Le soleil n’était pas obligé », c’est en quelque sorte une trilogie sur la colonisation française de l’Algérie et ses suites qui est évoquée. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de « parfaire » l’œuvre de Kamel Daoud ?
Je suis très flatté par votre question parce qu’elle me place sans crier gare, à côté d’Albert Camus et de Kamel Daoud, mais je décline d’emblée ce que je considère comme une imposture car je n’ai pas leur talent et je n’aurai jamais l’audace et l’outrecuidance de lorgner sur un quelconque rapprochement avec ces deux auteurs immenses ; tout au moins sur ce plan-là.
Même si on l’a souvent écrit, mon roman ne fait pas partie de cette trilogie, sauf à considérer que les deux autres romans traitent essentiellement de la colonisation ; ce qui n’est pas tout à fait exact. J’aborde effectivement la colonisation de l’Algérie et ses conséquences, mais sous l’angle particulier de l’incompréhension entre les êtres à cause de l’absence de dialogue entre eux. Ibn Arabi a écrit : « L’homme est l’ennemi de ce qu’il ignore ».
C’est – mutatis mutandis – l’endroit par où ont péché les Français (pas dans leur ensemble naturellement, nous y reviendrons, là aussi). Comme je l’ai écrit, les pieds noirs « avaient découvert un peu tard qu’ils vivaient sur les terres de voisins dont ils avaient fini par oublier jusqu’à l’existence, à force de certitudes imposées et de mépris inconscients » (sic). Il faut peut-être rappeler pour ceux qui ne le savent pas, que le départ massif et dans des conditions dramatiques de la très grande majorité des pieds noirs au lendemain de la proclamation de l’indépendance en juin 1962, s’est fait sous la menace de l’O.A.S ( Organisation de l’Armée Secrète : groupe armé d’extrême droite animé par les putchistes. NDLR ). Le slogan de cette organisation à l’adresse des Français – « La valise ou le cercueil » – annonce à lui seul l’étendue de la catastrophe.
Il fallait pendant ces terribles semaines sanglantes, beaucoup de courage et l’amour profond du peuple algérien, pour ne pas quitter le pays. J’ai eu l’immense bonheur de connaître dix ans plus tard, quelques-unes des familles qui n’ont pas quitté l’Algérie. C’étaient essentiellement des communistes et des progressistes qui avaient eu le courage de soutenir la lutte du peuple algérien pour son indépendance, au nom de la justice et des valeurs humanistes. Mon roman est pour une large part, une manière de leur rendre hommage. De même que j’y aborde la question de ce qu’on appelle les « petits blancs ». Ce sont ces français modestes qui vivaient entre eux, qui ne se mélangeait pas aux autochtones et qui n’avaient pas vu venir le soulèvement du peuple algérien et sa volonté de se libérer du colonialisme. C’est injuste de les assimiler dans leur totalité à des colons esclavagistes et racistes comme l’ont été les gros colons car il y avait aussi parmi ces pieds-noirs d’origine modeste, des hommes et des femmes qui certes n’avaient pas épousé la cause du peuple algérien, mais qui s’étaient retrouvés involontairement du côté de l’occupant.
Pensez-vous que le passé colonial de l’Algérie, qui est la trame sous-jacente de votre livre, interpelle encore les lecteurs et notamment ceux de votre pays d’origine ? Car, dans un premier temps, on peut penser que la décolonisation des esprits (et des cœurs) n’est pas accomplie après plus de cinq décennies d’indépendance de l’Algérie ?
Est-ce que le passé colonial de l’Algérie interpelle encore les lecteurs ? Je ne peux qu’exprimer un sentiment personnel, fondé plus sur des intuitions que sur des vérités. Je ne pense pas que plus de cinquante après la fin de la guerre, on s’intéresse de manière sérieuse à cette période de l’histoire de l’Algérie et des relations franco algériennes. En Algérie on n’insiste pas trop à mon goût dans l’enseignement sur cette période essentielle ou alors on le fait de manière inadéquate. En France, hormis les historiens et les chercheurs, cette question n’intéresse que l’extrème-droite et les nostalgiques de l’empire colonial. Je regrette profondément cette situation car on gagne toujours à s’adosser à l’histoire de manière objective quand on veut étudier l’évolution de la société et le mouvement des idées.
Guy Pervillé, Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie, Préface de Serge Barcellini, Ed Soteca, 2022
La guerre d’Algérie, contrairement à ce que l’on dit trop souvent, tient une place non négligeable dans les programmes d’histoire de l’enseignement secondaire français depuis les années 1980, et sa mémoire a fait l’objet d’un enseignement méthodologique particulier pour la préparation de l’oral du baccalauréat, concurremment avec celle de la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, ces deux histoires et ces deux mémoires sont loin d’être identiques. Les élèves et les enseignants en sont d’ailleurs bien conscients, et se sentent souvent moins à l’aise avec la plus récente qu’avec la plus ancienne des deux.
D’autre part, le statut reconnu par l’Etat à la mémoire de cette guerre n’est pas du tout le même en France et en Algérie. Il faut comprendre les raisons de cette différence et ses conséquences, d’autant plus importantes que l’Etat algérien s’est efforcé depuis plus d’un quart de siècle d’effacer cette différence en essayant d’obtenir que la mémoire française s’aligne sur la mémoire algérienne, sans succès jusqu’à présent.
L’auteur a donc voulu faire œuvre d’histoire contemporaine et immédiate, en allant jusqu’aux événements les plus récents.
Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine, a consacré de nombreux livres et articles à la guerre d’Algérie.
L’ouvrage de Guy Pervillé rentre dans la collection « Histoire de Mémoire », dirigée par Serge Barcellini.
Parmi les autres ouvrages publiés dans cette collection :
Rémi Dalisson, Histoire de la mémoire de la guerre de 14-18, 2015
Olivier Lalieu, Histoire de la mémoire de la Shoah, 2015
Emile Kern, Histoire de la mémoire du Premier Empire, 2016
Sophie Hasquenoph, Le devoir de mémoire, Histoire des politiques mémorielles, 2017
Véronique Gazeau-Goddet, Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet, Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie, puf, 2022
Cet ouvrage vient rompre le long silence tombé sur la mort de l’aspirant Bernard Goddet, l’un de quinze tués du 3/23e Régiment d’infanterie dans l’embuscade de Sakiet du 11 janvier 1958, à la frontière algéro-tunisienne. L’enquête s’est cristallisée autour du jeune homme qui a laissé des écrits et une abondante correspondance, croisés avec des sources archivistiques et des entretiens avec des appelés du 23e Régiment. Sorti d’HEC, chrétien, le jeune homme s’interroge sur différentes solutions pour mettre fin à la guerre. L’opération dans laquelle Bernard Goddet et ses camarades trouvent la mort est enfin mise au jour grâce aux archives militaires. Cette opération était-elle bien préparée ? L’événement soulève aussi la question des frontières. Ainsi, à la suite de l’embuscade, la France bombarde le village de Sakiet Sidi Youssef et déclenche ainsi une grave crise, tant internationale que nationale, qui se solde par la chute de la IVe République, avec le putsch d’Alger du 13 mai 1958.
Ce deuxième numéro de la nouvelle formule de L’Histoire-Collection, réunit les spécialistes de l’Algérie.
Le trimestriel du magazine L’Histoire fait peau neuve et devient un mook de 132 pages. Portfolios, cartes, BD, infographies, entretiens, complètent les articles pour éclairer le passé et en comprendre les enjeux.
Le temps long de l’Algérie a été privilégié : les violences de la conquête et du régime colonial français les huit ans d’une guerre qui déchira tous les camps, mais aussi les drames qui ont suivi l’indépendance de 1962.
Historia, Numéro spécial, Guerre d’Algérie, Le choc des mémoires, mars 2022
Historia revient dans ce dossier sur les points de tensions mémoriels entre la France et l’Algérie et publie, pour la première fois dans l’histoire des relations franco-algériennes un sondage, réalisé des deux côtés de la Méditerranée, qui ouvre de nouvelles perspectives pour un avenir apaisé.
Raphaëlle Branche (Dir) En guerre(s) pour l’Algérie, Témoignages, Tallandier, 2022
La guerre s’est achevée il y a soixante ans en Algérie. Elle a marqué durablement les sociétés française et algérienne et touché directement des millions de personnes. Comment ces Français et ces Algériens ordinaires l’ont-ils vécue ? Quinze femmes et hommes ont accepté de confier leurs souvenirs de jeunesse. Leurs témoignages sont essentiels pour écrire une histoire qui ne soit pas seulement celle des décisions et des grands événements politiques et militaires. Ils éclairent ce que furent des vies simples prises dans la tourmente de la guerre.
Ils étaient appelés du contingent, militaires de carrière, harkis ou militants indépendantistes (du FLN et du MNA) en métropole et en Algérie, mais aussi membre de l’OAS, simples civils algériens ou français. Conscients de l’urgence de témoigner, ils racontent la guerre vue d’un appartement d’Alger, d’une usine parisienne, du maquis, d’une caserne. Quelles peurs les habitaient ? Quels dangers ont-ils affrontés ? Quelles étaient aussi les raisons de leur engagement ? Quels étaient leurs espoirs ? Ils répondent à ces questions avec le souci constant de dire au plus vrai, de raconter au plus juste. Les témoignages ne se situent pas d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée. Ils ne sont pas au service d’une groupe de mémoire particulier. Au contraire, ils permettent d’explorer les multiples facettes de ce conflit complexe où guerre de libération et luttes fratricides se sont mêlées, où destruction et ravages se sont accompagnés d’aspiration au renouveau.
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Bartillat, 2022
Comment s’est développé en France, aux lendemains de la guerre de 1870, une volonté cohérente d’expansion coloniale ? Comment cette volonté s’est-elle affirmée, quels échos a-t-elle rencontrés dans les esprits et dans les cœurs ? Autour de quels thèmes la vision impériale française s’est-elle progressivement définie ? À quelles résistances s’est-elle heurtée et comment celles-ci se sont manifestées ? De l’époque où se consommait le partage du monde jusqu’aux derniers sursauts de la décolonisation, quelle place le fait et le débat colonial ont-ils en définitive occupé dans la conscience nationale française ? C’est à ces questions encore jamais abordées qu’a tenté de répondre Raoul Girardet.
Étude d’histoire collective des mentalités, des sentiments et des croyances, menée avec toute la rigueur méthodologique du spécialiste, ce livre est aussi l’histoire d’une idée, une idée que l’on voit naître, croître, combattre, s’imposer, puis décliner et succomber…
La renaissance de ce livre équilibré et original permettra justement d’offrir un regard pertinent sur le fait colonial qui fait tant débat aujourd’hui.
Simon Murray, Légionnaire, un Anglais dans la guerre d’Algérie, Perrin 2022
Le 22 février 1960, à l’âge de dix-neuf ans, Simon Murray pousse les portes du fort de Vincennes pour s’engager dans la Légion étrangère. L’Aventure commence : l’embarquement à Marseille, l’arrivée en Algérie, à Sidi bel-Abbès, les longs mois d’instruction, l’affectation au 2e régiment étranger de parachutistes, la guerre et la traque des fellaghas de la frontière marocaine à la frontière tunisienne, les Aurès, le putsch avorté de 1961, les accords d’Evian, la lente et difficile adaptation au temps de paix… Durant ses cinq années de service, Murray consigne dans ses carnets de bord son expérience quotidienne de la rude vie de légionnaire, l’entraînement, les marches sans fin et les échauffourées avec les fellaghas dans les montagnes de l’Atlas. La force du récit tient à la personnalité atypique de son auteur. Issu d’un milieu bourgeois, formé dans une vénérable école britannique, il s’enorgueillit de servir dans une unité légendaire. Telle est la vertu première de ce journal de guerre unique en son genre : il dit la vérité, toute la vérité et permet de comprendre l’organisation et les motivations de cette troupe à nulle autre pareille.
Un témoignage essentiel sur la guerre d’Algérie comme sur le quotidien des « hommes sans nom » qui composent la Légion étrangère.
Alice Kaplan, Maison Atlas, Le Bruit du Monde, 2022
Au début des années 1990, Emily quitte le Minnesota pour s’installer à Bordeaux. Sur les bancs de l’université, elle rencontre Daniel Atlas, un juif algérien dont elle tombe amoureuse. Il n’est encore qu’un jeune dandy lorsque la guerre civile déchire son pays, l’obligeant à quitter Emily et la France. De retour à El Biar, le quartier de son enfance, Daniel retrouve ses parents isolés et menacés. Cette illustre famille de commerçants, qui a connu l’Algérie colonisée puis indépendante, a choisi de rester sur cette terre envers et contre tout. Bien des années plus tard, Becca, une jeune Américaine fera elle aussi le voyage jusqu’à Alger pour mieux comprendre leur lignée.
Béatrice Commengé, Alger, rue des Bananiers, Verdier, 2022
« Le hasard m’avait fait naître sur un morceau de territoire dont l’histoire pouvait s’inscrire entre deux dates : 1830-1962. Tel un corps, l’Algérie française était née, avait vécu, était morte. Le hasard m’avait fait naître sur les hauteurs de la Ville Blanche, dans une rue au joli nom : rue des Bananiers. Dans la douceur de sa lumière, j’avais appris les jeux et les rires, j’avais appris les différences, j’avais aimé l’école au Soleil et le cinéma en matinée, j’avais découvert l’amitié et cultivé le goût du bonheur. »
En remontant le cours d’une histoire familiale sur quatre générations, Béatrice Commengé entremêle subtilement la mémoire d’une enfance et l’histoire de l’Algérie française. Au plus près de l’esprit des lieux, elle parvient à donner un relief singulier au récit de cet épisode toujours si présent de notre passé.
Henri-Christian Giraud, Algérie : Le piège gaulliste, Perrin, 2022
« Je ne me sens bien que dans la tragédie » Charles de Gaulle. Au terme de sa longue traversée du désert, Charles de Gaulle s’empare de la cause de l’Algérie française pour prendre le pouvoir en 1958. Loin des hésitations et des tâtonnements que certains historiens prêtent au Général à cette époque, Henri-Christian Giraud dresse le portrait d’un homme déterminé, guidé par une idée qu’il suivra tout au long de l’affaire algérienne : l’indépendance ne fut jamais pour lui une concession accordée à contrecœur, pas plus qu’une noble initiative anticolonialiste placée sous le signe du temps.
Elle fut un moyen, un prétexte pour la France de s’extraire d’une colonie dont elle n’avait plus rien à espérer. Convaincu de servir l’intérêt supérieur de son pays, de Gaulle doit faire face à de nombreux obstacles : l’armée, l’opinion publique, le gouvernement, le peuple français, la presse, les agitateurs, les Européens d’Algérie… Autant d’intransigeants que ce « prince de l’ambiguïté » entend surmonter à sa façon. Faisant miroiter l’association aux uns, la sécession aux autres, louvoyant entre représentants de l’URSS, du FLN, du GPRA et de son propre camp, de Gaulle orchestre d’une main de maître, et par une série de coups montés, le piège dans lequel tous les acteurs du conflit vont être amenés à glisser, jusqu’à la tragédie finale. Un document capital, fondé sur des archives inédites, notamment soviétiques, et des observations presque quotidiennes de nombreux témoins clés des événements.
Maxime Tandonnet, Georges Bidault, de la Résistance à l’Algérie française, Perrin, 2022
Fondée sur d’abondantes archives personnelles récemment ouvertes et de nouveaux témoignages, cette biographie de Georges Bidault (1899-1983) brosse le portrait romanesque d’un professeur d’histoire issu de la France profonde, militant chrétien dans l’entre-deux-guerres, engagé dans la lutte clandestine au sein du mouvement Combat dès 1941 et devenu, en 1942, le plus proche compagnon de Jean Moulin avant de lui succéder à la tête du Conseil national de la Résistance. Ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle à la Libération, il prit personnellement une part déterminante à la reconquête du « rang » international de la France en 1945, malgré des relations tendues avec l’homme du 18 Juin. Créateur d’un parti politique, l’inclassable Mouvement républicain populaire (MRP), Bidault fut l’un des principaux dirigeants de la IVe République, plusieurs fois reconduit au Quai d’Orsay en pleine guerre froide, visionnaire de la réconciliation européenne et bête noire de Staline, mais aussi président du Conseil à l’origine de grandes réformes sociales dont la création du SMIG.
Pourtant, son style exagérément bohème, mâtiné d’un sens aigu de la dérision et de la provocation, le condamna à l’incompréhension puis à la solitude. Au début des années 1960, son engagement en faveur de l’Algérie française acheva de le diaboliser et d’en faire un authentique paria contraint à l’exil avec son épouse Suzanne Borel, ancienne résistante et première femme diplomate française. Grand-croix de la Légion d’honneur, compagnon de la Libération, passé en quelques années de la lumière du héros à la nuit du pestiféré, hanté par le déclin de la France et de l’Europe mais pourfendeur de la résignation, Bidault sort aujourd’hui de l’oubli grâce à la plume savante et passionnée de Maxime Tandonnet.
Pierre Pellissier, Les derniers feux de la guerre d’Algérie, Perrin, 2022
Le couchant de l’Algérie française. Cet ouvrage brasse les derniers mois de « l’Empire » et apporte une réponse à de nombreuses questions demeurées en suspens. Oui, avant même les accords d’Evian, des contacts entre l’Etat français et le FLN ont eu lieu contre l’OAS et les populations réfractaires à l’indépendance. Oui encore, il y a eu un engagement commun contre le maquis de l’Ouarsenis. Un ordre a été effectivement donné pour ouvrir le feu contre des civils, rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962. Un général français a bien refusé de voir les massacres d’Oran et de venir en aide aux victimes. Le livre s’attarde également sur le refus de la métropole d’accueillir les harkis et autres supplétifs au service de la France, sur son indifférence, également, devant l’exode des pieds-noirs. Cet ouvrage, nourri de sources inédites, fait la lumière sur la fin crépusculaire de l’Algérie française.
Saad Khiari, Le soleil n’était pas obligé, orientseditions, 2021
Dans « l’Etranger », le célèbre roman d’Albert Camus, Meursault est condamné à mort et exécuté pour avoir assassiné l’ « Arabe », laissant seule sa compagne Marie Cardona. Des dizaines d’années plus tard, celle-ci vit seule dans le sud de la France et apprend par le roman de Kamel Daoud « Meursault, contre-enquête » que l’auteur n’est autre que le propre frère de l’ « Arabe ». Meursault, l’unique homme de sa vie a donc été guillotiné pour avoir tué le frère unique de l’auteur. Convaincue que le malheur partagé crée la proximité, elle se sent dès lors proche de Kamel Daoud et cherche à le rencontrer. Elle décide de partir en Algérie pour des raisons que l’auteur nous dévoile dans ce roman au cours de ce voyage éprouvant et difficile mais riche en découvertes surprenantes.
Daniel Saint-Hamont, Lionel d’Arabie, Orients Editions, 2021
Daniel Saint-Hamont est un scénariste connu pour avoir décrit au cinéma ou dans ses romans les affres et les souffrances des Pieds-noirs d’Algérie, aussi bien dans leur exode que lors de la leur arrivée en France. Le Coup de Sirocco, Le Grand Pardon, Le Grand Carnaval, l’Union Sacrée, ne sont que quelques-uns des films qu’il a signés ou cosignés, el plus souvent avec le réalisateur Alexandre Arcady.
On ne sait toutefois pas que le père de l’auteur était en fait algérien et musulman, marié à une Pied- noire chrétienne, dont la sœur avait elle-même épousé un Juif. Deux événements très rares dans l’Algérie d’alors.
Lionel d’Arabie revient sur cette histoire familiale enfouie où cultures et religions, Bible, Coran et Evangiles mélangés se bousculent dans un tourbillon étonnant qui fait tour à tour sourire et pleurer.
Alexandre Lalanne Berdouticq, Souvenirs du colonel de la Chapelle, Dans les tempêtes de l’Histoire, de la drôle de guerre au putsch d’Alger, Ed Pierre de Taillac, 2022
En avril 1961, le colonel de la Chapelle commande le célèbre 1er régiment étranger de cavalerie. Considérant « qu’il y a des choses qui ne se font pas », il fait le choix d’engager son unité dans le putsch d’Alger. Cet officier courageux a commencé sa carrière à l’âge de 20 ans comme simple soldat. Pendant les vingt-sept ans où il servira la France les armes à la main, Gilbert de la Chapelle sera impliqué dans toutes les guerres où sera engagé notre pays : la campagne de France (1940), la guerre fratricide en Syrie (1941), la dure campagne de Tunisie (1943) et la libération de la France (1944-45)
Il part en Indochine en 1951 et s’illustre à la tête d’un groupement amphibie pendant deux ans puis sert un an à l’état-major du commandant en chef, entre autres lors de la bataille de Diên Biên Phu. Après un premier séjour en Algérie, il se voit confier le commandement du 1er REC en 1960. Ces souvenirs offrent un éclairage original sur les tempêtes de l’Histoire qu’a traversées l’armée française au XXe siècle, vécues par un acteur étranger aux passions. Son témoignage, inédit, a été recueilli par le général Lalanne Berdouticq en 1995 sur des cassettes audio. Il se révèle exceptionnel et apporte à l’Histoire bien des précisions sur des événements parfois peu connus.
Dominique Lormier, Histoires secrètes de la guerre d’Algérie, Alisio Histoire, 2022
Soixante ans après les accords d’Évian, la guerre d’Algérie (1954-1962) demeure un événement majeur et douloureux de notre histoire contemporaine. De nombreuses zones d’ombre restent à ce jour non élucidées : faits d’armes, arrestations, missions secrètes, guérillas…
Dans cet ouvrage, Dominique Lormier revient sur les moments déterminants du conflit jusqu’à la déclaration d’indépendance et donne voix aux récits de 23 acteurs de la guerre d’Algérie : politiques, anciens combattants, officiers et simples soldats, Pieds-noirs et nationalistes algériens, partisans et adversaires de l’Algérie française. Ils racontent à l’historien leur guerre, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu. Et leur parole, bien des décennies après, brûle encore.
Jean-Claude Degras, De la monarchie à la France libre, Destins d’officiers et de soldats français de la Caraïbe, 2022
Il y a quatre siècles, le hasard et la géographie ont placé les Antilles au cœur du monde. De la monarchie à la République, des soldats et des officiers nés sur ces terres françaises ont par éducation, désir de s’émanciper ou esprit d’aventure, choisi le métier des armes. Dans le chaos de l’histoire, leurs motivations disparates en ont fait des héros et rarement des proscrits avec pour seule devise la France ou l’honneur de servir leur conscience. Ce dictionnaire qui décrit leur parcours rappelle l’apport des îles des Caraïbes à l’histoire de France avec pour seul passeport pour l’existence : la vie ou la mort.
Jean-Claude Degras est délégué général du Souvenir Français pour le département de la Guadeloupe.
Jean-Yves Séradin, La maison d’à côté ou les trois filles du Professeur Lot, à l’ombre des Mots, 2022
En 1939, le grand historien Ferdinand Lot achète la villa Breiz-Izel à Trégastel sur la Côte de Granit rose. Le prix Osiris obtenu pour l’ensemble de son œuvre lui permet cette acquisition. Il a 73 ans. Avec son épouse Myrrha d’origine russe, médiéviste et théologienne, il projette d’y retrouver ses filles lors des longues vacances d’été : Irène et son mari Boris Vildé, linguiste et ethnologue né à Saint-Pétersbourg comme sa belle-mère, Marianne et son mari Jean-Berthold Mahn, historien et Eveline, la cadette. La défaite de juin 1940 ne le permettra pas. La famille Lot ne peut tolérer que les principes de la République française soient piétinés par les envahisseurs nazis et les Français qui les soutiennent. Dès la fin de l’été 1940, Boris prend la direction de ce qui va devenir le Réseau du Musée de l’Homme. Eveline y participe, tapant des articles pour le journal publié par Boris et ses amis : Résistance. Jean-Berthold, après un séjour en Espagne, rejoindra les armées de la France Libre. Le 23 février 1942, Boris est fusillé avec six camarades au Mont Valérien. Le 23 avril 1944, Jean-Berthold est tué dans une embuscade lors de la conquête alliée de l’Italie. Amoureuse d’Anatole Levitsky, ethnologue d’origine russe lui aussi, adjoint de Boris, fusillé ce 23 février 1942, Eveline sera doublement frappée. Les trois sœurs sublimeront leurs souffrances dans un intense travail intellectuel : Irène, bibliothécaire et linguiste, Marianne, historienne, et Eveline, ethnologue. Chaque été, les trois filles du Professeur Lot venaient se ressourcer à Trégastel. L’auteur les a connues dès le milieu des années 1950. Sa maison familiale est voisine de Breiz-Izel. Dans ce livre, ses souvenirs de vacances ouvrent les portes de leurs histoires et de leurs œuvres.
Jean-Claude Auriol, Les insoumises de 1914-1918, La résistance des femmes oubliée, 2022
« Ce que personne ne sait et qui ne laisse pas de trace, n’existe pas… « . Cette phrase de l’écrivain Italo Sveso décrit bien la résistance durant la Première Guerre mondiale et notamment celle des femmes. Qu’elles soient françaises ou belges, elles se sont révoltées face aux exactions des troupes allemandes. Dans cet ouvrage l’auteur a voulu honorer et rendre publiques, les épreuves de celles qui n’ont pas eu le beau rôle dans cette tragédie que fut la Grande Guerre, et parmi cette foule anonyme, il a choisi celles qui ont résisté dans un mouvement jusque-là inconnu.
Ce livre répare un oubli. Il interroge sur les conditions de vie et de lutte des résistantes, espionnes disait-on à l’époque. Il met en lumière les parcours exceptionnels des femmes ayant œuvré dans la vie politique et économique du pays.
Au moyen d’une sélection de témoignages, ce document propose d’explorer diverses facettes de la guerre clandestine dans les régions occupées. Ainsi le lecteur pourra connaître les différentes formes de cette guerre secrète : l’espionnage ferroviaire, la transmission de courriers, l’édition et la distribution d’une presse clandestine ou encore l’histoire de la « ligne », barrière électrifiée le long de la frontière belgo-hollandaise. Sans oublier les difficultés quotidiennes, la peur, les différentes craintes et soucis engendrés par la féroce répression de la « Polizei » allemande.
Grande absente de l’historiographie de la Grande Guerre, la résistante féminine retrouve la place qui correspond à la vaillance, mais aussi à la souffrance, engendrées par la lutte contre l’occupant. Il est vrai que le terme de résistance n’a pas la même valeur sémantique de celle du second conflit mondial, car elle ne fut pas armée. Mais cette lutte de l’ombre a généré des héroïnes obscures, humbles, voire marginales. Toutes ces résistantes resteront hostiles à l’occupant, insensibles aux punitions et sourdes aux invitations à trahir.
Nicolas Balique, Tu verras du pays mon fils, Paroles d’appelés en Algérie, 2022
Un film écrit et réalisé par Nicolas Balique, président du comité du Souvenir Français de Martigues dans les Bouches-du-Rhône. Il a retrouvé et interviewé des anciens appelés de la guerre d’Algérie qui racontent leurs souvenirs de la guerre, et le retour en France et à leur vie après les accords d’Evian.
Avant-première au cinéma La Cascade le jeudi 17 mars 2022 à Martigues.
France télévision, C’était la guerre d’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Juillet 1962, l’Algérie est indépendante. Ils sont des millions à travers tout le pays à fêter la naissance d’une nation et la fin de 130 années de présence française. Un million d’autres, Européens, appelés les « Pieds-noirs », nés en Algérie, enracinés depuis des générations quittent le pays dans un dramatique exode. « La guerre d’Algérie, c’est la guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu », a dit Ferhat Abbas, le premier président du gouvernement provisoire de la République algérienne. Et pourtant cette guerre qui longtemps n’aura pas de nom va durer huit longues années. De 1954 à 1962, la guerre d’Algérie, ce sont un million et demi de jeunes appelés français, contre des milliers de maquisards, côté algérien, 30 000 morts militaires français, des centaines de milliers d’Algériens tués, des milliers d’Européens disparus au moment de l’indépendance… On devrait dire « les » guerres d’Algérie. Une guerre entre nationalistes algériens et l’armée française bien sûr, mais aussi une guerre entre Algériens ; celle qui opposa cruellement deux mouvements indépendantistes rivaux. Et l’autre qui opposa les harkis, ces musulmans pro-français, au Front de libération nationale algérien (FLN) et qui fit, à l’indépendance, des dizaines de milliers de morts, côté harkis. Et enfin la guerre franco-française qui commence à Alger en juin 1958 par un grand malentendu. Une guerre qui divisa la France, la terrorisa durant des années et faillit la faire basculer dans le chaos. C’est tout cela la guerre d’Algérie. L’histoire de deux peuples déchirés un temps, mais liés à jamais par ce passé commun.
A partir d’archives rares, restaurées et colorisées, C’était la guerre d’Algérie, est un film sans tabou et à hauteur d’hommes. Tous les tabous de cette « guerre sans nom » sont abordés : les tabous de la colonisation française et de ses promesses non tenues ; mais aussi les tabous d’une histoire algérienne méconnue, avec ses vainqueurs et ses victimes…
Arte, En guerre(s) pour l’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Soixante ans après les accords d’Evian, cette série documentaire retrace l’un des plus traumatisants conflits coloniaux du XXe siècle. En archives et à travers l’expérience intime de celles et ceux qui l’ont vécu en France et en Algérie, un récit aussi éclairant que touchant.
Brahim, chauffeur de car, assiste dans les Aurès, le 1er novembre 1954, à l’assassinat de deux passagers. Cet attentat, signé par le FLN, compte parmi les dizaines qui éclatent ce jour-là sur tout le territoire algérien. Il marque le début de la guerre de libération. Installée depuis 1830 en Algérie, la France coloniale est restée sourde aux alertes. Après le « Manifeste du peuple algérien » de Ferhat Abbas publié en 1943, et malgré les massacres des environs de Sétif et Guelma en 1945, cette dernière ignore encore qu’elle est condamnée, se berçant de l’illusion que la « Méditerranée traverse la France comme la Seine, Paris ». Entre richesse de la plaine de la Mitidja et misère de l’immense majorité de la population, entre discriminations et insouciance, l’histoire de chacun ne paraît pas raconter le même pays.
Ils sont civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN et du MNA, combattants de l’ALN, intellectuels et étudiants, réfractaires, employés de l’administration française en Algérie, membres de l’OAS, supplétifs de l’armée française, porteurs de valises… Soixante ans après, toutes et tous, certains pour la première fois, racontent avec une émotion intacte, la guerre telle qu’ils l’ont vécue, à hauteur de jeunes adultes ou d’enfants : les douleurs subies, les actes de violence commis, les illusions brisées, les regrets et les espoirs aussi.
France télévision, Les appelés de la guerre d’Algérie, Un si long silence, 2022
Un film documentaire qui donne la parole à des appelés partis en Algérie à 20 ans. Ils racontent leur expérience de la guerre d’Algérie, mais surtout le retour en France après la fin du conflit, le retour à la vie qu’ils avaient laissée, et l’incompréhension des proches pour qui la guerre d’Algérie était déjà un lointain souvenir.
Alexis Rousseau, Verdun la première Ligne, en ligne sur YouTube
Court-métrage réalisé par Alexis Rousseau sur un jeune soldat engagé sur la première ligne française à Verdun.
Pour visionner le court-métrage :
La mémoire à travers les spectacles
Les renards volants, L’homme de boue, 2022
L’homme de boue est un seul-en-scène bouillonnant de dynamisme et de fureur de vivre. Le comédien entraîne le public dans un voyage émotionnel à travers 4 ans d’une guerre indicible, celle de 14-18. Rendu vivant par sa parole, le texte apparaît alors troublant de modernité et de poésie. L’acteur virevolte entre les objets parsèment le plateaux seuls compagnons d’armes qui le soutiennent dans les méandres de cette histoire. Complétés par de la vidéo et une bande sonore qui mélange styles et époques, l’Homme de Boue est une pièce hors du temps qui nous rappelle que, finalement, cela aurait pu être écrit aujourd’hui.
Musée Clémenceau, Des femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, du 8 mars 2022 au 30 juillet 2022
Le musée Clémenceau présente Des Femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, une exposition s’intéressant aux positions de Clémenceau sur les droits des femmes à travers plusieurs portraits féminins parmi ses relations : Louise Michel, Marguerite Durand, Sévérine, Rose Caron et d’autres. Réputé misogyne, Georges Clémenceau, à partir de 1894, une fois divorcé, tout en continuant à mener sa vie d’homme libre, œuvre pour la reconnaissance de certains droits aux femmes. Loin de devenir féministe. Il Refuse le puritanisme et se batte contre les humiliations et l’injustice, il combat « l’ordre moral bourgeois » et revendique des droits économiques et sociaux pour les femmes.
Les expositions conseillées par François Rousseau, journaliste du Patrimoine
Musée de l’Ordre de la Libération, Entre ombre et lumière, Portraits de Compagnons de la Libération
C’est la disparition d’Hubert Germain, dernier Compagnon de la Libération, qui a conduit Christian Guémy, alias C215 à réaliser des portraits pour garder leur mémoire. Il n’en est pas à son coup d’essai dans ses représentations de personnages de la Seconde Guerre mondiale. On se souvient par exemple de sa sculpture de haut-relief de Joséphine Baker boulevard de l’Hôpital à Paris.
Christian Guémy exprime son émotion d’exposer à côté de la tenue de Jean Moulin, portée sur une des photos les plus importantes du 20e siècle. «On est au-delà d’un projet strictement artistique, on est dans le champ des valeurs. C’est la diversité des Compagnons qui est passionnante. Ils ont fait plus que ce que le destin aurait pu leur proposer.»
Le choix des 30 Compagnons représentés ne pouvait pas ignorer quelques grands noms qui sont autant de repères pour le grand public. Dans un souci d’équilibre, il exprime tout l’éventail politique de l’époque, d’Estienne d’Orves à Jean-Pierre Vernant.
C215travaille avec des pochoirs fabriqués par ses soins et des bombes aérosols. Il joue sur les contrastes entre ombre et lumière. Les documents originaux servant de supports aux pochoirs, journaux, objets militaires, ont été glanés par l’artiste. Le portrait de Romain Gary est peint sur une veste d’aviateur, tandis qu’une valise sert de support à celui de Marie Hackin. On verra Félix Éboué sur une carte d’Afrique et Leclerc dominant une carte d’Europe.
Comme exemple pour la jeunesse, C215 a choisi Henri Fertet, lycéen, dont la lettre à ses parents avant d’être fusillé montre sa maturité et sa force et bien sûr Daniel Cordier, entré en résistance à 20 ans et dont le portrait fait la couverture du catalogue.
Pour toucher tous les publics et en particulier ceux qui ne franchissent pas le seuil des Invalides, C215 a peint sur du mobilier urbain de l’arrondissement ces mêmes portraits de Compagnons.
Avec chaque portrait, le catalogue de l’exposition montre aussi le plan de l’exposition hors les murs.
François Rousseau
Jusqu’au 8 mai 2022
Musée de l’Ordre de la Libération Hôtel national des Invalides
Ouvert tous les jours de 10h à 18h (nocturne le mardi jusqu’à 20h)
Plein tarif: 14€, réduit: 11€ (avec l’entrée au musée de l’Armée)
Publication: C215 Entre ombre et lumière Portraits de compagnons de la Libération, 120 pages, illustrations couleur, broché avec rabats, Critères Éditions, prix 13,5€
Avec les clichés de 8 femmes photographes de guerre qui couvrent le sort des réfugiés, des victimes civiles et des femmes au combat, l’exposition met en évidence l’implication des femmes dans tous les conflits. Peut-être plus que les hommes, elles prennent des images sans cacher l’horreur des événements.
Sylvie Zaidman, conservatrice du musée de la Libération de Paris, explique: «Nous sommes un musée d’histoire dont le rôle est de faire de la pédagogie. L’exposition, qui couvre plusieurs conflits différents dans le temps et les lieux, permet l’explication du présent par l’histoire.»
Les photos proposées aux organes de presse alertent l’opinion publique dans la limite de ce qu’elle est prête à accepter. On remarquera certaines mises en scène pour adapter la photo aux besoins de la presse.
Prenons l’exemple de Gerda Taro, née dans une famille juive de Galicie avant de s’installer en Allemagne. Elle échappe au nazisme et part pour Paris en 1933. Initiée à la photographie par Robert Capa, elle couvre avec lui la guerre civile en Espagne où elle succombe en juillet 1937. Elle tombe rapidement dans l’oubli, d’autant plus qu’une grande partie de ses images est attribuée à Capa. Ce n’est qu’au début du 21e siècle qu’est redécouvert son travail de photographe de guerre.
Sa photo du bataillon Tchapaiev sur le front de Cordoue porte un regard sur l’armée du peuple. La vision de Gerda Taro paraît la plus proche de nous, en référence au conflit actuel qui secoue de nouveau l’Europe. On verra le fac-similé de la Une de Ce soir du 28 juillet 1937: Notre reporter photographe Mlle Taro a été tuée près de Brunete.
La Guerre d'Algérie fut un réel bouleversement pour la France impérialiste. Et pour y faire face, il fallait des soldats, des tanks, des fusils, mais aussi et surtout des prisons. Celles de Paris étant pleines à craquer, ce sont celles de la Normandie qui étaient venues à la rescousse. C'est là l'une des conclusions d'un travail qui a pris plus de 2 ans à un étudiant français.
Originaire de l'agglomération de Rouen, Arthur Lamboy-Martin a, en effet, livré un mémoire de Master sur les prisons normandes pendant la Guerre d'Algérie. Les vérités qui y sont contenues sont d'une valeur historique certaine. « Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Normandie compte une vingtaine d'établissements pénitentiaires. Entre 1953 et 1955, 10 d'entre eux seront fermés définitivement pour cause d'insalubrité. Les autres de 1954 à 1964 seront occupés dans un premier temps par des détenus, militants du FLN et du Mouvement national algérien, puis par les condamnés politiques de l'OAS, Organisation de l'Armée secrète », confie Lamboy-Martin à Actu.fr[1].
thur Lamboy-Martin, avec son mémoire « Les prisons normandes pendant la guerre d'Algérie ». Photographie d'André Morelle
Passionné d'histoire, l'étudiant résume son travail comme suit : « De novembre 1954 à juillet 1962, la France est bouleversée par la Guerre d'Algérie. Durant ce conflit, à travers les territoires d'Algérie et de métropole, des dizaines de milliers d'individus sont emprisonnés dans divers lieux : des commissariats, des camps, des hôpitaux, des prisons… L'état d'urgence en avril 1955 et les pouvoirs spéciaux votés en mars 1956 permettent à la France de se doter d'un arsenal judiciaire puissant et de condamner aisément des militants politiques ».
Lamboy-Martin ajoute que « nombre [de ces prisonniers] furent incarcérés à Rouen Bonne nouvelle, capacité de 500 places, Le Havre et Maison centrale de Caen, 400 places. Neuf prisons au total en Normandie. Les prisons normandes renvoient à tous types d'établissements dans lesquels des individus auraient pu être détenus ; des prisons classiques comme des maisons d'arrêt, des centrales, des centres de triage et d'observation, mais aussi des camps, des hôpitaux et des écoles. La Guerre d'Algérie engendre une profusion d'incarcérations en Normandie, car les prisons parisiennes sont rapidement encombrées ». « Dès les Accords d'Évian, les militants algériens sont libérés. En revanche, une part considérable des détenus OAS demeure en prison après 1962, ainsi que certains objecteurs de conscience. Ils seront libérés en décembre 1964 puis en 1965 et 1966, les derniers en 1968 », précise Lamboy-Martin.
Réparer les liens abîmés par cette relation pathologique qu’est la domination raciale, telle a été l’une des préoccupations majeures de Fanon au cours de son existence.
Engagé très jeune dans les Forces françaises libres durant la Seconde Guerre mondiale, brillant psychiatre, essayiste passionné, militant de premier plan de la révolution africaine, Frantz Fanon est une figure majeure de l’anticolonialisme. Ses réflexions sur la souffrance psychique subie par les colonisés, la violence libératrice ou encore les dangers qui guettent les nouvelles nations indépendantes en font l’un des pionniers des études postcoloniales.
Né à Fort-de-France en Martinique le 20 juillet 1925, il mourra emporté par une leucémie à seulement 36 ans dans un hôpital près de Washington (États-Unis), le 6 décembre 1961. Selon ses vœux, il fut enterré en terre algérienne, à quelques mois seulement d’une indépendance pour laquelle il avait tant œuvré.
Karima Lazali : « La colonialité en Algérie s’est construite sur un projet d’effacement »
Au cours de son enterrement, le 12 décembre 1961, Krim Belkacem, alors vice-président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), eut ces mots :
« Tes lourdes obligations de médecin consciencieux n’ont pas ralenti ton action militante en faveur de tes frères opprimés. Bien plus, c’est ton activité professionnelle même qui t’a permis de mieux connaître la réalité de l’oppression coloniale et de prendre conscience d’une façon aiguë du sens de ton engagement en vue de lutter contre cette oppression. »
L’attention quasi exclusive portée à l’œuvre politique de Fanon a masqué son investissement quotidien dans la pratique psychiatrique. L’historien Jean Khalfa a raison de souligner que Fanon se considérait avant tout comme psychiatre et interrompit rarement sa pratique, que ce soit en France, en Algérie ou en Tunisie.
Ses écrits sur la psychiatrie furent tout aussi nombreux et riches que ses textes politiques. Dans son étude sur le trauma colonial, Karima Lazali relève avec surprise que les rares travaux cliniques en Algérie et en France sur les atteintes psychocorporelles et les effets psychiques de la colonisation demeurent ceux de Frantz Fanon.
À rebours de l’ethnopsychiatrie coloniale
La recherche scientifique de Fanon démarre par sa thèse de médecine, soutenue à Lyon en 1951 : « Altérations mentales, modifications caractérielles, troubles psychiques et déficit intellectuel dans l’hérédo-dégénération spino-cérébelleuse. À propos d’un cas de maladie de Friedreich avec délire de possession ».
Cette thèse porte principalement sur la spécificité de la psychiatrie et de la neurologie et marque l’intérêt – aussi bien politique que scientifique – de Fanon pour les processus plutôt que pour les entités. Elle lui permet de rejeter vigoureusement l’approche de l’« école d’Alger » qui, sous un vernis scientifique, naturalisa durant un demi-siècle (des années 1910 aux indépendances) la maladie mentale sur une base raciale.
Fanon rejet[a] vigoureusement l’approche de l’« école d’Alger » qui, sous un vernis scientifique, naturalisa durant un demi-siècle (des années 1910 aux indépendances) la maladie mentale sur une base raciale
Le chef de file de cette ethnopsychiatrie coloniale, Antoine Porot, était à l’origine de la construction de l’hôpital de Joinville-Blida en Algérie, qu’il dirigea à son lancement officiel en 1938. Militaire de formation, il était pour une stricte séparation entre patients indigènes et ceux en provenance d’Europe.
À son arrivée en poste, Fanon eut ainsi sous sa responsabilité un pavillon d’« Européennes » et un autre de « musulmans ». Dans ses « Notes de psychiatrie musulmane » publiées en 1918 dans les Annales médico-psychologiques, Porot exposa ses conceptions sur la « mentalité primitive musulmane », caractérisée selon lui par la passivité, une crédulité et un entêtement enfantins, le puérilisme mental, l’absence d’appétit scientifique, la soumission aux instincts, etc.
Porot affirmait dans le même texte que fixer, même à grands traits, la psychologie de l’indigène musulman est malaisé, tant il y a de mobilité et de contradiction dans cette mentalité développée dans un plan si différent du nôtre et que régissent à la fois les instincts les plus rudimentaires et une sorte de métaphysique religieuse et fataliste.
Soigner l’institution et ses patients
Bien avant son arrivée en Algérie, Fanon avait fermement rejeté le regard colonial de l’École psychiatrique d’Alger. Dans son étude du « syndrome nord-africain » parue dans la revue Esprit en février 1952, Fanon dénonça l’attitude « à prioriste » du personnel médical :
Samia Henni : « Ce qui s’est passé est un crime contre l’humanité »
« Le Nord-Africain n’arrive pas avec un fonds commun à sa race, mais sur un fonds bâti par l’Européen. Autrement dit, le Nord-Africain, spontanément, du fait de son apparition, entre dans un cadre préexistant. »
Fustigeant la pensée raciale à l’œuvre en matière médicale, Fanon affirmait ainsi que « le Nord-Africain qui se présente à une consultation supporte le poids mort de tous ses compatriotes » et conclut son étude par une adresse à l’endroit du personnel médical :
« Si tu n’exiges pas l’homme, si tu ne sacrifies pas l’homme qui est en toi pour que l’homme qui est sur cette terre soit plus qu’un corps, plus qu’un Mohammed, par quel tour de passe-passe faudra-t-il que j’acquière la certitude que, toi aussi, tu es digne de mon amour ? »
Dans la capitale algérienne de la folie
Reçu au médicat des hôpitaux psychiatriques, Fanon postula parmi les postes vacants (un peu par élimination) à celui de médecin-chef de l’hôpital de Blida, en Algérie. S’il était réticent à revenir sur son île natale, l’idée d’exercer ailleurs qu’en métropole lui plaisait bien.
Dès sa prise de poste à Blida, Fanon se démarqua par sa pratique novatrice, introduisant un certain nombre de réformes, inspirées de la sociothérapie, dans un univers asilaire colonial ségrégué racialement.
De l’aveu même de Fanon (et de son jeune collègue Jacques Azoulay), le bilan de ces changements fut mitigé. Les patientes européennes adhérèrent pleinement à la thérapie occupationnelle, au journal, ciné-club et à toutes les activités mises en place. Leur taux de départs commença même à augmenter.
Auprès de ses patients, Fanon put analyser au plus près les effets psychiques de la domination coloniale, du racisme, de la guerre
L’organisation de réunions entre personnel et patients, l’un des principaux outils de la sociothérapie, de même que toutes les activités prévues au titre de la thérapie occupationnelle, échouèrent cependant avec les patients algériens.
Les raisons de cet échec sont évidentes : Fanon et l’ensemble du personnel sous sa supervision essayèrent d’introduire des pratiques culturelles étrangères aux patients algériens.
« À la faveur de quel trouble du jugement avions-nous cru possible une sociothérapie d’inspiration occidentale dans un service d’aliénés musulmans ? », se demandent Fanon et Azoulay dans un texte publié en octobre 1954 dans le journal de l’hôpital psychiatrique de Blida
Les institutions mises en place par la suite (café arabe, fêtes traditionnelles, invitation de conteurs itinérants, etc.) connurent plus de succès. « Une sociothérapie ne pouvait être possible que dans la mesure où l’on tenait compte de la morphologie sociale et des formes de sociabilité », notent encore Fanon et Azoulay.
Ces expériences cliniques jetaient les bases de l’ethnopsychiatrie critique, à rebours de l’ethnopsychiatrie coloniale, laquelle faisait de la « personnalité algérienne », et plus largement de la « personnalité indigène », un objet inconnaissable.
Soigner les corps et les âmes
Ces quelques exemples de pratiques et d’interventions théoriques, qui ne sauraient rendre compte de la richesse et de la densité des activités professionnelles de Fanon, suffisent à caractériser son approche singulière.
Fanon était un chef de service attentif, proche de ses patients et de son personnel. Une proximité qui révélait une grande sensibilité à l’événement et à la violence subie, et un souci constant d’adapter sa pratique et ses réflexions à l’évolution de la situation.
Restitution des biens culturels : je n’ai qu’une histoire et ce n’est pas la mienne
Auprès de ses patients, Fanon put analyser au plus près les effets psychiques de la domination coloniale, du racisme, de la guerre. Après tout, « l’occupation coloniale n’est pas seulement celle du sol, n’est pas seulement celle du corps, mais est aussi, peut-être surtout, une occupation de l’âme », note à juste titre Seloua Luste-Boulbina.
Cette attention première fournit à Fanon une large base empirique lui permettant de multiplier les exemples dans ses essais politiques, afin, selon ses mots, de « ne pas perdre de vue le réel ». La compréhension du racisme est chez Fanon indissociable de sa pratique médicale.
« C’est parce qu’il s’intéresse à la pathologie mentale qu’il s’intéresse au racisme et à la colonie. Ils en relèvent », note encore Seloua Luste Boulbina, qui a raison de considérer Fanon comme un guérisseur qui n’a eu de cesse de pratiquer une médecine réparatrice.
Celui que l’on présente parfois comme un chantre de la violence débridée, un penseur manichéen qui se serait borné à décrire un monde en noir et blanc a en réalité toujours été préoccupé par la question du soin.
Le racisme comme pathologie
« Le colonialisme français s’est installé au centre même de l’individu et y a entrepris un travail soutenu de ratissage, d’expulsion de soi-même, de mutilation rationnellement poursuivie », écrit ainsi Fanon dans L’An V de la révolution algérienne.
« Le colonialisme français s’est installé au centre même de l’individu et y a entrepris un travail soutenu de ratissage, d’expulsion de soi-même, de mutilation rationnellement poursuivie »
- Frantz Fanon, L’An V de la révolution algérienne
L’expertise de Fanon portait sur les malades, mais aussi sur la pathologie qui les affecte, la domination de l’homme par l’homme, le racisme, dont il nous a appris à comprendre et anticiper les variations.
Car le racisme ne peut jamais s’enkyster, se scléroser. Il lui faut, prévient Fanon, se renouveler, se nuancer, changer de physionomie, en un mot, subir le sort de l’ensemble culturel qui l’informe.
C’est bien cette double approche, cette double attention, à la fois micropolitique (sur la vie psychique de la domination raciale) et macropolitique (sur le racisme lui-même), qui fait toute l’originalité de l’écriture fanonienne.
Réparer les liens abîmés par cette relation pathologique qu’est la domination raciale, telle a été l’une des préoccupations majeures de Fanon au cours de son existence, et l’une des leçons magistrales léguées à des générations entières qui n’ont pas fini de lire, relire et s’approprier son œuvre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Avocat, Rafik Chekkat a exercé dans des cabinets d’affaires internationaux et intervient désormais en matière de discriminations et libertés publiques. Concepteur et animateur du projet Islamophobia, il codirige la rédaction de la revue Conditions. Rafik Chekkat est diplômé en droit (Université Paris 1) et en philosophie politique (Université de Paris). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @r_chekkat
« Le colonialisme français s’est installé au centre même de l’individu et y a entrepris un travail soutenu de ratissage, d’expulsion de soi-même, de mutilation rationnellement poursuivie »
- Frantz Fanon, L’An V de la révolution algérienne
L’expertise de Fanon portait sur les malades, mais aussi sur la pathologie qui les affecte, la domination de l’homme par l’homme, le racisme, dont il nous a appris à comprendre et anticiper les variations.
Car le racisme ne peut jamais s’enkyster, se scléroser. Il lui faut, prévient Fanon, se renouveler, se nuancer, changer de physionomie, en un mot, subir le sort de l’ensemble culturel qui l’informe.
C’est bien cette double approche, cette double attention, à la fois micropolitique (sur la vie psychique de la domination raciale) et macropolitique (sur le racisme lui-même), qui fait toute l’originalité de l’écriture fanonienne.
Réparer les liens abîmés par cette relation pathologique qu’est la domination raciale, telle a été l’une des préoccupations majeures de Fanon au cours de son existence, et l’une des leçons magistrales léguées à des générations entières qui n’ont pas fini de lire, relire et s’approprier son œuvre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Avocat, Rafik Chekkat a exercé dans des cabinets d’affaires internationaux et intervient désormais en matière de discriminations et libertés publiques. Concepteur et animateur du projet Islamophobia, il codirige la rédaction de la revue Conditions. Rafik Chekkat est diplômé en droit (Université Paris 1) et en philosophie politique (Université de Paris). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @r_chekkat
Les allégations de brutalité policière et la répression visant la tenue vestimentaire des femmes alimentent une importante vague de manifestations à travers l’Iran, soutenues par des personnes issues de milieux politiques et religieux différents.
Une photo obtenue par l’AFP hors d’Iran le 21 septembre 2022 montre des Iraniens dans les rues de la capitale Téhéran lors d’une manifestation en hommage à Mahsa Amini, quelques jours après sa mort en garde à vue (AFP)
Alors que le gaz lacrymogène tourbillonnait dans les rues et que les autorités s’efforçaient de disperser les femmes qui s’étaient rassemblées pour exprimer leur colère et leur défiance, Poori*, une diplômée en physique de 31 ans, a voulu tenir bon.
« J’y étais. J’ai l’impression d’avoir la poitrine et la gorge en feu à cause du gaz lacrymogène », confie-t-elle à Middle East Eye.
Bien que Poori porte le foulard de son plein gré, elle s’oppose à la législation stricte de l’Iran sur la tenue vestimentaire des femmes.
« Cela en valait totalement la peine », affirme-t-elle à propos de la manifestation. « J’ai assisté à ce moment incroyable où les autres filles faisaient tourner leur foulard en l’air et scandaient “Femme, vie et liberté !”. »
Un journal de Téhéran affiche une photo de Mahsa Amini sur sa une (Reuters)
Mahsa Amini vivait à Saghez, une petite ville de la province du Kurdistan, mais était en visite à Téhéran lorsqu’elle a été arrêtée devant une station de métro. Des membres de la « police des mœurs » sont souvent postés devant les stations de métro pour repérer les hijabs mal positionnés.
Peu après l’arrestation de la jeune femme de 22 ans, les autorités ont annoncé qu’elle était décédée d’une crise cardiaque. Des allégations selon lesquelles elle aurait été frappée et torturée après s’être opposée aux motivations des policiers et à leur volonté de la placer en détention ont néanmoins commencé à circuler.
Son père, qui nie tout problème lié à sa tenue vestimentaire, affirme qu’il y avait des ecchymoses sur son corps. Selon certains médias, des images radiologiques indiquent que la jeune femme a été battue.
Les citoyennes iraniennes sont soumises à un code vestimentaire strict depuis la révolution islamique de 1979. Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi l’an dernier, la « police des mœurs » a intensifié ses activités, appliquant de manière plus stricte encore la législation en matière de port du hijab.
La mort de Mahsa Amini a touché une corde sensible. Dans plusieurs villes, des citoyens iraniens se rassemblent dans les rues pour dénoncer la « police des mœurs » et le gouvernement. Lors de nombreuses manifestations, des femmes retirent leur foulard et l’enflamment.
« J’ai assisté à ce moment incroyable où les autres filles faisaient tourner leur foulard en l’air et scandaient “Femme, vie et liberté !” »
– Poori, manifestante
Les manifestations de cette ampleur sont inhabituelles en Iran et font souvent l’objet d’une répression brutale et meurtrière. En 2019, plus de 300 manifestants et passants ont été tués par les autorités lors de manifestations antigouvernementales, selon des groupes de défense des droits de l’homme.
Si le dispositif de sécurité a été renforcé dans les grandes villes, notamment Téhéran, Machhad et Racht, de nombreuses autres villes sont aussi concernées par la vague de manifestations.
Saghez, la ville natale de Mahsa Amini, est également le théâtre d’importantes manifestations. Les autorités ont coupé internet pour tenter de calmer la situation et d’empêcher la circulation d’autres images en ligne. La même situation est observée dans d’autres villes et dans certains secteurs de Téhéran, comme l’a confirmé mercredi Eisa Zarepour, ministre des Communications.
De nombreuses manifestations ont été violemment réprimées par les forces de sécurité. Des responsables gouvernementaux ont confirmé qu’au moins trois manifestants avaient été tués jusqu’à présent.
Certains manifestants ripostent : selon IRNA, l’agence de presse gouvernementale, quatre policiers ont été blessés et un « assistant policier » a été tué.
Des images relayées mardi montraient des membres des forces de sécurité en train de fuir une manifestation, alors que leurs véhicules étaient incendiés.
À Téhéran, malgré la présence des forces de sécurité, des manifestants se sont rassemblés à plusieurs endroits, notamment sur la place Valiasr. Les forces antiémeute ont utilisé des matraques et du gaz lacrymogène pour les disperser.
La police a envoyé des SMS aux citoyens, les exhortant à quitter les rues et affirmant vouloir « [s’]occuper de ceux qui causent l’insécurité ».
Des protestations d’un nouveau genre
Au cours des deux dernières décennies, l’Iran a connu plusieurs mouvements de protestation majeurs, notamment les manifestations meurtrières de 2019 principalement liées aux mauvaises conditions économiques. Les observateurs estiment toutefois qu’il existe une différence flagrante entre les manifestations actuelles et les mouvements précédents.
S’exprimant sous couvert d’anonymat, un journaliste politique interrogé par MEE observe « qu’un grand nombre de personnes sont unies dans la quête de leurs objectifs ».
« Contrairement aux manifestations précédentes, les gens scandent aujourd’hui des slogans et risquent leur vie pour une revendication d’ordre culturel, à savoir la fin du port obligatoire du hijab et de l’oppression des femmes iraniennes », souligne-t-il.
« Contrairement aux manifestations précédentes, les gens scandent aujourd’hui des slogans et risquent leur vie pour une revendication d’ordre culturel, à savoir la fin du port obligatoire du hijab et de l’oppression des femmes iraniennes »
– Un journaliste iranien
« En 2019, ce sont surtout des citoyens pauvres qui ont participé aux manifestations. Mais aujourd’hui, des gens issus de toutes les classes, avec des pensées différentes, descendent dans la rue. De nombreuses personnes qui portent le hijab sont également présentes dans les rues, ainsi que d’autres qui veulent toutes la fin du port obligatoire du hijab. »
D’après le journaliste, qui suit les manifestations depuis la rue, les manifestants suscitent la sympathie de milieux inhabituels.
« Même les personnes les plus religieuses et celles qui sont fidèles à la République islamique sont émues par la brutalité de la police à l’encontre de Mahsa Amini et éprouvent dans une certaine mesure de la sympathie pour les manifestants. »
Farah*, âgée de 43 ans, porte un tchador. Elle s’oppose au port obligatoire du hijab et estime que le comportement de la République islamique « nuit à l’ensemble de l’islam. [Les gouvernants] provoquent l’insécurité des femmes qui, comme moi, portent le hijab, car certains jeunes hommes en colère considèrent à tort que nous soutenons l’État. »
Traduction : « Les scènes observées en Iran sont stupéfiantes. Jusqu’où iront ces manifestations ? »
Parmi les principalistes, les membres du camp politique conservateur parfois appelés partisans de la ligne dure, une division de plus en plus prononcée de dessine autour de l’affaire Mahsa Amini, dont la mort suscite la colère de nombreux conservateurs.
« Je pense que le gouvernement rend lui-même les manifestations violentes afin d’avoir un prétexte pour les écraser », affirme un analyste politique, s’exprimant sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.
« Le résultat est que certains partisans de la ligne dure sont désormais préoccupés par les manifestations, alors qu’il y a quelques jours, ils éprouvaient de la sympathie pour les manifestants contre la police. De plus, le gouvernement et ses partisans affirment que les manifestants ont incendié deux mosquées. »
Il explique que ces tactiques sont de « vieilles ruses » employées par les autorités, déjà observées en 2009 lorsque les partisans du camp réformiste avaient protesté contre le résultat de l’élection présidentielle qui a offert un second mandat au principaliste Mahmoud Ahmadinejad.
« En agissant de la sorte, ils veulent provoquer la base de partisans de la ligne dure de manière à ce qu’elle n’éprouve aucune sympathie pour les manifestants, mais aussi préparer un prétexte pour réprimer les manifestants. »
En parallèle, des célébrités élèvent la voix et emploient un langage d’une dureté sans précédent.
Ali Karimi, légende du football iranien, se montre très actif ces derniers temps. Il a posté une vidéo montrant les forces de sécurité en train de battre des femmes dans la rue, les qualifiant de « salauds ». Pantea Bahram, une actrice célèbre, a également qualifié les forces de sécurité de « bande de traîtres ».
Une issue incertaine
Bien que la répression n’ait pas encore atteint les niveaux observés en 2019 ou 2009, de nouvelles violences meurtrières ne sont pas à exclure. Par ailleurs, on ne sait pas encore ce que ce déferlement émotionnel sans véritable direction pourra apporter.
S’exprimant sous couvert d’anonymat, un analyste politique établi à Téhéran, interrogé par MEE, souligne que « même si ces manifestations sont importantes de par leur dimension et leur portée, il est peu probable qu’elles parviennent à un résultat précis, compte tenu de l’absence de leadership ou de tout comportement organisé ».
« Même si ces manifestations sont importantes de par leur dimension et leur portée, il est peu probable qu’elles parviennent à un résultat précis, compte tenu de l’absence de leadership ou de tout comportement organisé »
- Un analyste politique
« J’ai l’impression que ces manifestations ne serviront qu’à permettre aux gens d’exprimer leur colère, ce qui se terminera malheureusement par une répression violente de la part du gouvernement », poursuit-il.
« Ces manifestations n’ont pas d’objectif spécifique. Certains veulent la fin du port obligatoire du hijab, d’autres l’abolition de la “police des mœurs” et d’autres encore le renversement de la République islamique. »
Selon un ancien responsable du camp politique modéré, toute concession de la part du gouvernement serait dangereuse.
« Le système n’a pas d’autre choix que de résister. S’il fait un pas en arrière, il subira de graves répercussions. Si le système recule et abolit la “police des mœurs”, l’étape suivante sera la fin du port obligatoire du hijab, qui fait partie de l’identité du système. Alors cela n’arrivera pas », explique-t-il.
« Par conséquent, une répression violente des manifestations ne nous surprendrait pas. »
* Certains noms ont été modifiés.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Correspondant de MEE
–
TÉHÉRAN, Iran
Published date: Jeudi 22 septembre 2022 - 12:13 | Last update:2 days 11 hours ago
L’œuvre de l’érudit musulman andalou du Moyen Âge, mieux connu en Europe sous le nom d’Averroès, a conduit à un regain d’intérêt pour le philosophe grec Aristote et ouvert la voie à la Renaissance.
Peinture d’Ibn Rochd par l’artiste florentin Andrea di Bonaiuto au XIVe siècle (Wikimedia)
Les contributions les plus notables d’Ibn Rochd, savant musulman andalou du XIIe siècle, à la philosophie sont ses commentaires de l’œuvre du philosophe grec Aristote, qui ont inspiré des générations d’intellectuels européens.
Aussi appelé Averroès, la version latinisée de son nom, Abu al-Walid Muhammad ibn Ahmad ibn Rochd est né en 1126 dans la ville espagnole de Cordoue, qui fait alors partie de l’Empire almoravide.
Le philosophe et théologien jouera un rôle formateur dans l’établissement du rationalisme européen et sera salué comme un précurseur des Lumières en Europe, des siècles plus tard.
Outre la philosophie, Ibn Rochd a produit des travaux savants sur des sujets aussi divers que la médecine, la psychologie et l’astronomie.
Célèbre dans l’Europe médiévale, Ibn Rochd est surtout connu dans le monde islamique pour son travail théologique, en particulier dans le domaine du fiqh – l’aspect théorique de la loi islamique. Ses idées philosophiques n’ont gagné en popularité dans le monde musulman qu’avec l’essor des mouvements réformistes islamiques au XIXe siècle.
Ici, Middle East Eye explore la vie et l’œuvre de l’un des plus importants intellectuels musulmans de tous les temps.
Qui était Ibn Rochd ?
Ibn Rochd naît en 1126 dans une famille d’érudits islamiques respectés et prospères ; son grand-père, Abu al-Walid Muhammad, est le grand qadi (juge) de Cordoue et l’imam de la Grande Mosquée de la ville.
Le jeune intellectuel est formé à la théologie islamique et étudie le Coran, les hadiths (paroles et actes attribués au prophète Mohammed) et la jurisprudence islamique, selon l’école de pensée malikite.
Madrid ou Mayrit ? L’histoire islamique cachée de la capitale espagnole
Comme il est d’usage dans les familles d’érudits, Ibn Rochd étudie également des matières non religieuses, telles que la linguistique, la physique, la médecine et les mathématiques.
N’ayant pas écrit son autobiographie, il est toutefois difficile d’obtenir des détails précis sur sa vie personnelle.
Ce que l’on sait, c’est qu’il prend de l’importance en 1169 après avoir attiré l’attention d’Abou Yacoub Youssouf, calife de l’Empire almohade, qui dirige un territoire comprenant le sud de l’Espagne et le nord-ouest de l’Afrique.
Ce dernier, qui fait preuve d’une grande curiosité intellectuelle, apprécie la capacité d’Ibn Rochd à expliquer les œuvres des philosophes de la Grèce antique tels qu’Aristote. Sous le parrainage de Youssouf, l’Andalou officie comme qadi dans les villes espagnoles de Séville et plus tard Cordoue, devenant ensuite le grand qadi de cette dernière, comme son grand-père avant lui.
Pourquoi est-il célèbre ?
La renommée d’Ibn Rochd en Europe découle de ses commentaires des œuvres d’Aristote, qui conduisent à un regain d’intérêt pour le philosophe grec en Europe.
Ibn Rochd inspirera des philosophes comme le prêtre et philosophe italien du XIIIe siècle Thomas d’Aquin, qui consacrera du temps à critiquer ses œuvres tout en incorporant certaines de ses idées dans sa propre approche scolastique.
Au début du Moyen Âge, le rôle des méthodes philosophiques et la place de la raison dans l’étude de la religion sont controversés dans les mondes chrétien et islamique, l’Église catholique et de nombreux érudits islamiques estimant que de telles approches sapent le caractère sacré de la révélation divine.
Ibn Rochd (au centre) dans L’école d’Athènes de l’artiste italien de la Renaissance Raphaël (domaine public)
Tout au long du XIIIe siècle, les adeptes d’Ibn Rochd, connus sous le nom d’Averroïstes, feront l’objet de condamnations officielles de la part de l’Église, qui conteste leurs idées sur la nature éternelle de l’univers et le partage par tous les êtres humains d’un intellect unique.
Malgré la réprobation de l’Église, l’approche d’Ibn Rochd, devenue accessible grâce aux traductions latines de son œuvre, lui vaudront de nombreux adeptes, tant catholiques que juifs, dans les siècles qui suivront sa mort. Leurs efforts feront partie de l’épanouissement intellectuel que connaît l’Europe au XVIe siècle : la Renaissance.
Dans le monde islamique, l’intellectuel est célèbre pour avoir défendu la place de la recherche philosophique dans le discours religieux contre les attaques lancées par des érudits musulmans comme al-Ghazali.
La philosophie d’Ibn Rochd
Ibn Rochd croit que l’étude de la philosophie est un impératif coranique et donc un devoir pour chaque musulman.
Il pense en outre que la philosophie est un produit de l’esprit humain, tandis que la religion provient de la révélation divine, mais précise que les deux découlent finalement de la même source.
Qui était Ibn Sina, le grand philosophe et médecin de l’islam médiéval ?
L’objectif principal de ses œuvres originales est de démontrer la compatibilité de la révélation divine et des moyens philosophiques de détermination de la vérité.
Lorsqu’il y a contradiction entre l’Écriture et les vérités atteintes par la logique déductive, par exemple, le problème ne réside pas selon lui dans le texte lui-même mais dans son interprétation.
Ibn Rochd croit que Dieu a imprégné les textes religieux de significations apparentes et allégoriques, et que lorsqu’aucun consensus absolu n’existe sur une interprétation du texte sacré, le lecteur est libre de l’interpréter selon sa propre compréhension.
Un consensus absolu est presque impossible à obtenir, car il nécessite la connaissance de toutes les interprétations possibles du texte depuis sa révélation. L’argument d’Ibn Rochd crée donc un espace pour des lectures allégoriques du Coran d’une manière que les approches plus « littéralistes » ne permettent pas.
L’un des arguments clés d’Ibn Rochd est que si l’on n’aborde pas la religion d’un point de vue critique et philosophique, le sens véritable et voulu peut être perdu, ce qui conduit à une mauvaise interprétation de la révélation divine.
Une statue d’Ibn Rochd dans sa ville natale de Cordoue, en Espagne (Wikimedia)
L’érudit consacre des efforts considérables à l’examen des doctrines religieuses et met en évidence ce qu’il considère comme les erreurs commises par les adeptes des écoles théologiques rivales, comme les acharites, les mutazilites, les soufis et les « littéralistes ».
En ce qui concerne l’existence de Dieu, Ibn Rochd est un partisan de l’argument de l’ajustement fin, qui stipule que l’univers est si bien ajusté à l’apparition de la vie qu’il ne peut avoir existé que par l’acte de volonté d’un créateur divin.
Selon lui, Dieu a créé le monde naturel et tout ce qu’il contient, mais c’est le monde naturel qui est la source de ce qui se passe autour de nous, et le créateur seul ne peut être tenu directement pour responsable de tout ce qui se passe autour de nous.
Contributions à la science et à la médecine
Les contributions d’Ibn Rochd à la médecine comprennent une description des symptômes de la maladie de Parkinson, une explication des causes des accidents vasculaires cérébraux et la découverte de la fonction photoréceptrice de la rétine.
Il est également l’auteur d’une encyclopédie médicale, Kitab al-kulliyat fil-tibb (Livre des généralités sur la médecine ou Colliget en latin), écrite entre 1153 et 1169. Le texte est composé de neuf livres qui seront traduits en latin et en hébreu, puis enseignés dans toute l’Europe jusqu’au XVIIIe siècle.
Il s’intéresse aussi aux origines cérébrales et vasculaires des maladies et sera parmi les premiers à prescrire des traitements pour soigner des pathologies urologiques.
Malgré sa critique philosophique d’Ibn Sina (Avicenne), les travaux d’Ibn Rochd en médecine s’appuient sur ceux de l’érudit persan et de son compatriote al-Razi.
L’héritage d’Ibn Rochd
Outre son vaste héritage scientifique, religieux et philosophique, Ibn Rochd s’est également intéressé à la musique et à la langue.
En psychologie, son livre Talkhis kitab al-nafs (Grand commentaire du De Anima d’Aristote) divise l’âme en cinq facultés : nutritive, sensitive, imaginative, appétitive (en lien les appétences) et rationnelle.
Illustration latine du XIVe siècle montrant Ibn Rochd (à gauche) en conversation avec Porphyre, philosophe romano-syrien du IIIe siècle (domaine public)
Son travail ouvre la voie à d’autres philosophes européens, inspirant un renouveau intellectuel parmi les savants de langue latine. Ses réflexions sur Aristote ou la relation entre philosophie et religion créeront même un regain d’intérêt pour l’interprétation des textes sacrés, en particulier au sein du judaïsme, et influenceront fortement les œuvres du philosophe juif Maïmonide.
Ses écrits seront plus populaires dans le monde occidental que dans le monde islamique, où certains condamneront et critiqueront sa dépendance aux méthodes philosophiques.
Ibn Rochd s’éteint en 1198, à l’âge de 72 ans, à Marrakech (Maroc), où son corps est inhumé avant d’être transféré à Cordoue, sa ville natale.
Nadda Osman
Published date: Samedi 24 septembre 2022 - 02:16 | Last update:17 hours 14 mins ago
Pour « La Croix », Pascal Ausseur, directeur général de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES), dresse un portrait de la fragmentation planétaire et du déséquilibre des grands équilibres géopolitiques dont le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient sont un condensé.
Les Français sont légitimement préoccupés par leur quotidien : pouvoir d’achat, insécurité, migration, cohésion sociale, environnement… Ces préoccupations, loin d’être limitées à des choix de politique intérieure, sont avant tout les conséquences de la transformation du monde. Nous sortons d’une parenthèse de trente ans d’apesanteur géopolitique qui a bercé une génération qui pensait que notre sort était lié à notre adaptation au marché, régulateur principal des interactions humaines. Aujourd’hui, les tensions gouvernent de nouveau le monde : rivalité de puissances, rapports de force, appropriation des ressources, concurrence entre les modèles de sociétés. La planète se fragmente et s’antagonise et nous devons nous réinventer si nous voulons survivre.
Le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient sont un concentré de ce nouveau monde. La France, en première ligne, fait face aux tensions qui s’accroissent sur le flanc sud de l’Europe ; elle doit répondre aux quatre grands défis de l’époque.
Fragmentation Nord-Sud
Tout d’abord la fragmentation Nord-Sud. Deux univers y coexistent qui, contrairement aux attentes des années 1990, divergent chaque jour un peu plus en matière d’économie, de démographie, de représentation et de modèle. Les deux rives de la Méditerranée s’éloignent, les incompréhensions s’accroissent, le ressentiment augmente. La tension qui en résulte se diffuse au sein des sociétés du Sud à travers des mouvements sociaux qui suscitent un raidissement des pouvoirs en place rendus nerveux par les déstabilisations à l’œuvre en Libye, en Syrie, au Liban ou en Irak. Cette tension se matérialise également dans l’exaspération des rivalités nationalistes, comme entre la Turquie et ses voisins, ou entre l’Algérie et le Maroc. Elle est flagrante dans les relations avec l’Europe perçue à la fois avec envie, mépris et détestation.
Ensuite, l’émancipation des puissances régionales. La fin du mouvement de convergence vers le modèle occidental incite les pays du Sud à rechercher un nouveau positionnement qui leur permettra de défendre leurs intérêts. Les stratégies énergétiques des monarchies du Golfe et de l’Algérie, la politique israélienne de rapprochement avec les monarchies arabes et la Russie, et bien sûr, le poids croissant de la Turquie sont des illustrations de cette tendance qui réduit d’autant l’influence des Européens.
Un espace géopolitique pour la Russie
Troisième défi : le retour du jeu des grandes puissances. L’intérêt croissant des États-Unis à l’égard de la Chine a laissé un espace géopolitique à la Russie qui s’en est saisi. Vladimir Poutine cherche à placer son pays en troisième acteur global. Il a besoin pour cela d’étendre son influence en Europe, au Proche-Orient et en Afrique. Embarqué en Ukraine dans une guerre plus complexe que prévu, il utilise le flanc sud comme un front de revers pour faire pression sur les Européens, en particulier la France. L’arme informationnelle, devenue grâce à la révolution numérique d’une efficacité redoutable, est employée à plein en Afrique, dans les pays arabes mais également au sein des sociétés européennes. La Chine et la Turquie, si elles suivent des objectifs différents, se retrouvent dans leur volonté d’affaiblir l’Europe, perçues comme des proies.
Enfin, le réchauffement climatique, les pandémies, la criminalité internationale, le terrorisme et la régulation de l’économie et de la finance mondiales devraient inciter à la coopération, aux échanges et à la prise en compte des intérêts communs. Si des partenariats et des collaborations existent, force est de constater que l’égoïsme prime et que chaque État en capacité de le faire défend prioritairement ses intérêts, voire instrumentalise ces phénomènes pour renforcer son emprise sur ses concurrents ou sa population. Ces menaces partagées sont ainsi paradoxalement des sources de confrontations.
Face à ces évolutions qui pourraient mettre en péril l’existence même de l’Union européenne et de la France, il faut cesser de s’étonner et de se focaliser sur les symptômes pour s’attaquer aux causes. Cela demande d’abord de l’intelligence et de la lucidité pour comprendre et accepter le monde tel qu’il est, si différent de celui que nous attendions. Cela nécessite également de l’imagination et du courage pour inventer et mettre en œuvre les solutions qui permettent à la fois de dissuader les agresseurs et de remédier aux déséquilibres sécuritaires, écologiques, économiques et démographiques. Cela exigera également sans doute de la générosité, car nul ne peut croire que le modèle européen pourra survivre dans l’indifférence à la misère qui l’entoure.
(1) Les rencontres stratégiques de la Méditerranée que l’Institut FMES organise à Toulon les 27 et 28 septembre 2022, en partenariat avec la Fondation pour la recherche stratégique, visent à participer à cette réflexion et à croiser les regards pour réagir aux menaces et imaginer des solutions futures.
Une nouvelle fois la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme pour la Tunisie. Mais qui écoute, alors que les élections législatives sont programmées pour le mois de décembre ?
Observateurs et consommateurs sont pour une fois d’accord : la machine se dégrade à grande vitesse. Lundi 13 septembre 2022, l’Institut national de la statistique, qui publie les résultats du commerce extérieur pour les huit premiers mois de 2022 indique que le déficit augmente des deux tiers en un an. Le lendemain, la Banque centrale de Tunisie affiche le poids de la dette extérieure, toujours sur les huit premiers mois de l’année : 1,7 milliard d‘euros. Le calcul est vite fait. Le commerce et l’endettement extérieur sont déficitaires de 7 milliards d’euros, le tourisme et les revenus des émigrés excédentaires de 2,6 milliards d’euros. Il manque donc 4,4 milliards d’euros. Sur la totalité de l’année, le chiffre dépasse, au mieux, les 6 milliards d’euros et approche dangereusement la quasi-totalité des réserves de change qui oscille selon les mois entre 6,5 et 7 milliards d’euros.
UNE FUITE ÉPERDUE VERS L’ÉTRANGER
Dans les rues de Tunis, un mot revient dans toutes les conversations : pénuries ! On manque surtout de sucre, de lait, de beurre, de café, de riz, d’aliments pour bétail, de certaines pièces détachées, de médicaments, de boissons gazeuses… Chaque jour, ou presque, la liste des produits disparus, pas seulement alimentaires, s’allonge. En dehors de Tunis, la situation est encore pire. Les rumeurs incriminent monopoles, spéculateurs, trafiquants, saboteurs, contrebandiers, politiciens et ajoutent à l’angoisse des Tunisiens qui prennent de plus en plus le chemin de l’Italie. La dernière semaine d’août, 75 % des fuyards interpellés par la Garde nationale étaient de nationalité tunisienne. Les hôpitaux parisiens croulent sous l’avalanche des candidatures de médecins tunisiens à la recherche d’un emploi, loin derrière les ingénieurs encore plus nombreux à l’extérieur.
La réalité vécue par la population est l’exacte traduction de la dégradation de l’économie nationale. En dehors de quelques rares institutions publiques étrangères, plus personne ne prête un dollar à la Tunisie. Pire, les fournisseurs étrangers réclament de plus en plus d’être payés comptant avant d’expédier la marchandise commandée. Le crédit commercial à court terme disparait peu à peu. La pénurie alimente la pénurie. Les éleveurs de vaches ne peuvent supporter le coût des aliments du bétail largement importés, leurs bêtes dépérissent. Ils ont moins de lait à vendre et pour s’en sortir ils vendent tout ou partie de leur cheptel, réduisant un peu plus l’offre. D’autres quittent le secteur pour trouver un job dans la construction ou le commerce. Les boulangers, corporation influente, disposaient depuis le protectorat français d’un système de « compensation » avantageux destiné à alimenter le peuple des villes à bon compte et à faire vivre les artisans.
Mais, avec la flambée des prix des céréales, l’État n’y arrive plus. Les subventions, qui passent par une tuyauterie complexe de monopoles publics à tous les stades, ajoutées à un prix au détail qui n’a pas bougé depuis bientôt quinze ans, ne couvrent plus les coûts de production. Résultat, le Tunisien a du mal à trouver du pain alors que le gouvernement dépense plus d’un milliard d’euros en subventions. La Banque mondiale, dans un rapport récent qui a fait du bruit à Tunis1, plaide pour un nouvel arrangement plus ciblé, des versements directs aux plus pauvres. On en parle depuis au moins vingt ans sans que le dossier progresse, sous la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali comme sous ses successeurs.
COMPTER SUR SES PROPRES FORCES ?
Visiblement, cette marche vers l’abime de l’économie tunisienne n’intéresse guère les milieux politiques ou médiatiques. La loi électorale passionne plus que le double déficit du budget (- 9,7 % attendus cette année) et du compte courant avec l’extérieur, l’inflation (+ 8,6 % sur un an) ou le taux de chômage de la population active (18 %). Recevant dernièrement le gouverneur de la Banque centrale venu lui remettre le rapport annuel de l’institution et le pressant d’accélérer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), le président Kaïs Sayed l’a proprement rembarré et s’est livré à un panégyrique des « ressources locales », de leur richesse et de l’obligation de compter d’abord sur ses propres forces avant de recourir à l’étranger. Le message est limpide, le Raïs n’est pas pressé de conclure. Après tout, Tunis finance sur ses propres moyens son déficit budgétaire. Les banques locales y contribuent largement en prêtant de l’argent à l’État à des taux intéressants. Bien sûr, les clients privés sont de plus en plus exclus du financement bancaire, ce qui fragilise les entreprises et la création de valeur.
Reste que le président semble oublier un détail : la Tunisie n’imprime pas les dollars ou les euros indispensables pour nourrir, transporter, occuper ses concitoyens. Où les trouver, sinon auprès du FMI] avec lequel des négociations sont officiellement entamées depuis juin 2022 ? Fin juillet, une mission du Fonds a passé une semaine à Tunis. Officiellement pour négocier le prêt qui doit accompagner le programme de réformes adopté par le gouvernement il y a près d’un an. « Il faut un agenda clair », a conclu le chef de mission avant de quitter l’aéroport. En clair, une date pour chaque réforme (masse salariale publique, entreprises d’État, subventions…).
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), d’abord farouchement opposée à toute concession sur les traitements de la fonction publique, a finalement signé un accord avec le gouvernement. Est-ce un pas vers la solution ? Ministres et syndicalistes ont-ils découvert la manière « socialement acceptable » de relever les déséquilibres de toutes sortes qui accablent son économie, comme le suggérait le 19 juillet le chef de la mission, Björn Rother ? Deux mois après la visite des experts du Fonds, on attend toujours…
« Dernières heures avant l’aurore » · Le dernier livre de Karim Amellal, Dernières heures avant l’aurore, a été publié au début du Hirak qui a marqué l’année 2019 en Algérie. L’espoir d’un avenir meilleur annoncé par le titre est celui d’une génération à laquelle n’appartiennent pas les personnages du roman, septuagénaires revenus d’un long exil depuis la « décennie noire » et qui cherchent dans l’Alger d’aujourd’hui les traces d’un passé révolu.
Il dit : je suis de là-bas. Je suis d’ici Et je ne suis pas là-bas ni ici. J’ai deux noms qui se rencontrent et se séparent, Deux langues, mais j’ai oublié laquelle était celle de mes rêves1.
Né en 1978, Karim Amellal est ambassadeur délégué interministériel à la Méditerranée au Quai d’Orsay. Il est aussi l’auteur de Cités à comparaître (Stock, 2006), un roman psychologique qui analyse l’endoctrinement religieux d’un jeune des cités et Bleu Blanc Noir (L’Aube, 2016), une fiction dans laquelle il imaginait la victoire de l’extrême droite à l’élection présidentielle en France.
Avec Dernières heures avant l’aurore, son troisième roman, il raconte l’histoire de Mohamed et de Rachid, deux Algériens septuagénaires exilés à Paris au début de la « décennie noire » en Algérie. Après presque trente ans d’absence, les deux amis se sentent enfin prêts à accomplir le voyage du retour à la terre mère. Mais la joie des retrouvailles avec Alger est absente. Dès les premières pages, ce périple nostalgique vers leurs racines oscille entre crépuscule et aurore. Écrit avant même le Hirak, le roman rend compte du désespoir régnant en Algérie, en même temps qu’il laisse entrevoir la possibilité d’une aube radieuse.
LA GÉOGRAPHIE PERDUE
Le roman dépeint Mohamed et Rachid comme habités par l’angoisse de retrouver leur pays natal, et cette femme-patrie que plusieurs personnages ont aimée : Sonia. À la réflexion, ce retour est une source de conflits intérieurs, et les deux amis seront forcés de redéfinir leurs appartenances. Ce retour sera ainsi synonyme de la réinvention d’un espace et d’un état antérieur de leurs mémoires.
Malek Chebel explique dans son Dictionnaire amoureux de l’Algérie ce mélange confus d’émotions et de sentiments éprouvés à l’égard de son pays : « Le retour au pays a toujours été un problème, la joie indicible se mêlant presque instinctivement à la crainte de ne plus se sentir chez soi, d’être devenu un étranger. » Edward Saïd analyse également dans son dernier ouvrage Réflexions sur l’exil et autres essais, l’impossibilité du retour intégral chez soi :
J’ai défendu l’idée que l’exil peut engendrer de la rancœur et du regret, mais aussi affûter le regard sur le monde. Ce qui a été laissé derrière soi peut inspirer de la mélancolie, mais aussi une nouvelle approche. Puisque, presque par définition, exil et mémoire sont des notions conjointes, c’est ce dont on se souvient et la manière dont on s’en souvient qui déterminent le regard porté sur le futur.
C’est d’ailleurs le paradoxe que décrira Mahmoud Darwich lors de son retour historique en Palestine en 1995 : « Je ne reviens pas. Je reviens. […] Je viens, mais je ne reviens pas. Je viens, mais je n’arrive pas. Et ce n’est pas seulement de la poésie. C’est la réalité ».
Les identités de Mohamed et de Rachid sont marquées par un double exil : personnel et métaphorique. Un exil intérieur et extérieur, mais aussi la double douleur de la « géographie perdue » et retrouvée. Ce double exil exigera d’entreprendre un double deuil.
LE ROMAN DE LA VILLE D’ALGER
Le crépuscule faisait exploser à l’horizon un sublime dégradé d’orangés qui tombait sur la baie en se reflétant sur les immeubles du Front de mer. La ville était alors plus elle, peut-être parce que moins humaine.
Les deux septuagénaires arpentent les rues, observent la foule, dans l’espoir de trouver une révélation. Le roman suit le regard des personnages. L’errance sera un fabuleux exercice pour renouer avec Alger. Une fois à Alger, Mohamed pourra : « sentir sa moiteur mêlée au parfum de jasmin, zigzaguer dans ses rues en escalier, arpenter ses boulevards, déambuler sur le front de mer, puis descendre à la Pêcherie et après s’en aller sur la route de Tipaza ».
Ne reviens pas trop sur ton passé, el-hadj [cria-t-il à Rachid.] C’est l’Algérie d’aujourd’hui que tu vois là. Elle ne t’appartient plus. Ne sois pas nostalgique. Celle-ci est encore plus belle, même si elle ne ressemble pas à celle que tu as connue. Tu t’en apercevras un jour.
Les descriptions détaillées évoquent la méticulosité des Promenades dans Berlin de Franz Hessel. Dernières heures avant l’aurore est en fait le roman de la ville d’Alger. Outre la richesse chronologique, la variation des personnages, la profondeur de la thématique, ce roman fonde son unité dans la quête infatigable de ce qu’il se passe sur la scène urbaine algéroise.
Ce qui frappe, c’est surtout la beauté de ces images exceptionnelles qui confondent toutes ces réalités.
« ON NE PEUT PAS QUITTER L’ALGÉRIE, C’EST ELLE QUI VOUS QUITTE »
Karim Amellal rend compte de la métamorphose de l’espace algérois. Le lecteur est transporté dans un espace à la fois physique et émotionnel. Des émotions qui valsent entre espoir et désespoir, alacrité et mélancolie. Le temps et l’espace sont ici protéiformes, offrant des enchaînements riches en émotions et en bouleversements.
L’immersion de soi dans les rues et la déambulation hasardeuse et inconsciente nous invitent à déambuler dans la ville d’Alger et ses quartiers périphériques, observant ses changements continuels, s’attardant sur les célèbres quartiers et la beauté des plages d’Alger. Tout cela sera mis principalement en valeur par le personnage de Rachid : « Il se laissa choir sur la plage et ferma les yeux. Il n’y avait là que la mélodie des vagues et du vent, exactement ce qu’il était venu chercher ».
ENTRE MÉMOIRE ET HISTOIRE
L’écrivain joue avec une narration de reconstitution des événements marquants du pays. Le spectre de l’Alger d’antan rôde toujours dans l’esprit de Mohamed et de Rachid. Le présent et le passé sont en dialogue permanent et les souvenirs sont indissociables des événements majeurs de leurs vies constituant la trame narrative de ce roman.
La densité textuelle de Dernières heures avant l’aurore est mimétique de la richesse de la ville et surtout de la mémoire de Mohamed qui est née de la perte et du déracinement. Rapidement, ses souvenirs déferlent sous ses multiples formes. S’ancrer dans le présent d’une « nouvelle » Alger représente un défi pour les deux exilés hantés par le passé, qui s’accrochent au mythe national et au passé glorieux. On est dans la nostalgie d’un âge d’or chimérique.
Le romancier donne aussi de l’importance à la mémoire vivante, qui passe d’abord par la mémoire personnelle des personnages du roman : la Bataille d’Alger en 1957, l’arrestation de Mohamed alors jeune étudiant et son incarcération à Barberousse, l’année 1973 : « Il n’entendait plus rien. Le bruit des rires et des cigales recouvrait tout le reste. 1973 : la conférence d’Alger, le nouvel ordre économique international, les non-alignés… » ou encore le match de 1982 : « Il ne bougera pas el-hadj : c’est le match 82, c’est sacré ! »
On comprend que l’espace et la mémoire sont inséparables. Mohamed tente d’emprunter un chemin vers sa propre conscience pour affronter puis accepter ses souvenirs dans le cheminement d’une mémoire apaisée.
Chez Amellal, la technique littéraire reproduit la réalité historique du peuple algérien dialoguant avec son présent et murmurant avec son avenir. Il questionne sans cesse et remet en perspective la pluralité des regards portés sur l’histoire de l’Algérie par ce texte aussi brillant que courageux. Entre crépuscule et aurore, Alger sera « flamboyante, turbulente, mais plus belle ».
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