Les allégations de brutalité policière et la répression visant la tenue vestimentaire des femmes alimentent une importante vague de manifestations à travers l’Iran, soutenues par des personnes issues de milieux politiques et religieux différents.
Une photo obtenue par l’AFP hors d’Iran le 21 septembre 2022 montre des Iraniens dans les rues de la capitale Téhéran lors d’une manifestation en hommage à Mahsa Amini, quelques jours après sa mort en garde à vue (AFP)
Alors que le gaz lacrymogène tourbillonnait dans les rues et que les autorités s’efforçaient de disperser les femmes qui s’étaient rassemblées pour exprimer leur colère et leur défiance, Poori*, une diplômée en physique de 31 ans, a voulu tenir bon.
« J’y étais. J’ai l’impression d’avoir la poitrine et la gorge en feu à cause du gaz lacrymogène », confie-t-elle à Middle East Eye.
Poori a participé à l’une des dizaines de manifestations qui éclatent aux quatre coins de l’Iran depuis quelques jours, à la suite de la mort en détention d’une jeune femme arrêtée par la « police des mœurs » iranienne, qui appliquait alors la réglementation stricte du pays en matière de port du hijab.
Bien que Poori porte le foulard de son plein gré, elle s’oppose à la législation stricte de l’Iran sur la tenue vestimentaire des femmes.
« Cela en valait totalement la peine », affirme-t-elle à propos de la manifestation. « J’ai assisté à ce moment incroyable où les autres filles faisaient tourner leur foulard en l’air et scandaient “Femme, vie et liberté !”. »
Mahsa Amini vivait à Saghez, une petite ville de la province du Kurdistan, mais était en visite à Téhéran lorsqu’elle a été arrêtée devant une station de métro. Des membres de la « police des mœurs » sont souvent postés devant les stations de métro pour repérer les hijabs mal positionnés.
Peu après l’arrestation de la jeune femme de 22 ans, les autorités ont annoncé qu’elle était décédée d’une crise cardiaque. Des allégations selon lesquelles elle aurait été frappée et torturée après s’être opposée aux motivations des policiers et à leur volonté de la placer en détention ont néanmoins commencé à circuler.
Son père, qui nie tout problème lié à sa tenue vestimentaire, affirme qu’il y avait des ecchymoses sur son corps. Selon certains médias, des images radiologiques indiquent que la jeune femme a été battue.
Les citoyennes iraniennes sont soumises à un code vestimentaire strict depuis la révolution islamique de 1979. Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi l’an dernier, la « police des mœurs » a intensifié ses activités, appliquant de manière plus stricte encore la législation en matière de port du hijab.
La mort de Mahsa Amini a touché une corde sensible. Dans plusieurs villes, des citoyens iraniens se rassemblent dans les rues pour dénoncer la « police des mœurs » et le gouvernement. Lors de nombreuses manifestations, des femmes retirent leur foulard et l’enflamment.
« J’ai assisté à ce moment incroyable où les autres filles faisaient tourner leur foulard en l’air et scandaient “Femme, vie et liberté !” »
– Poori, manifestante
Les manifestations de cette ampleur sont inhabituelles en Iran et font souvent l’objet d’une répression brutale et meurtrière. En 2019, plus de 300 manifestants et passants ont été tués par les autorités lors de manifestations antigouvernementales, selon des groupes de défense des droits de l’homme.
Si le dispositif de sécurité a été renforcé dans les grandes villes, notamment Téhéran, Machhad et Racht, de nombreuses autres villes sont aussi concernées par la vague de manifestations.
Saghez, la ville natale de Mahsa Amini, est également le théâtre d’importantes manifestations. Les autorités ont coupé internet pour tenter de calmer la situation et d’empêcher la circulation d’autres images en ligne. La même situation est observée dans d’autres villes et dans certains secteurs de Téhéran, comme l’a confirmé mercredi Eisa Zarepour, ministre des Communications.
De nombreuses manifestations ont été violemment réprimées par les forces de sécurité. Des responsables gouvernementaux ont confirmé qu’au moins trois manifestants avaient été tués jusqu’à présent.
Certains manifestants ripostent : selon IRNA, l’agence de presse gouvernementale, quatre policiers ont été blessés et un « assistant policier » a été tué.
Des images relayées mardi montraient des membres des forces de sécurité en train de fuir une manifestation, alors que leurs véhicules étaient incendiés.
À Téhéran, malgré la présence des forces de sécurité, des manifestants se sont rassemblés à plusieurs endroits, notamment sur la place Valiasr. Les forces antiémeute ont utilisé des matraques et du gaz lacrymogène pour les disperser.
La police a envoyé des SMS aux citoyens, les exhortant à quitter les rues et affirmant vouloir « [s’]occuper de ceux qui causent l’insécurité ».
Des protestations d’un nouveau genre
Au cours des deux dernières décennies, l’Iran a connu plusieurs mouvements de protestation majeurs, notamment les manifestations meurtrières de 2019 principalement liées aux mauvaises conditions économiques. Les observateurs estiment toutefois qu’il existe une différence flagrante entre les manifestations actuelles et les mouvements précédents.
S’exprimant sous couvert d’anonymat, un journaliste politique interrogé par MEE observe « qu’un grand nombre de personnes sont unies dans la quête de leurs objectifs ».
« Contrairement aux manifestations précédentes, les gens scandent aujourd’hui des slogans et risquent leur vie pour une revendication d’ordre culturel, à savoir la fin du port obligatoire du hijab et de l’oppression des femmes iraniennes », souligne-t-il.
« Contrairement aux manifestations précédentes, les gens scandent aujourd’hui des slogans et risquent leur vie pour une revendication d’ordre culturel, à savoir la fin du port obligatoire du hijab et de l’oppression des femmes iraniennes »
– Un journaliste iranien
« En 2019, ce sont surtout des citoyens pauvres qui ont participé aux manifestations. Mais aujourd’hui, des gens issus de toutes les classes, avec des pensées différentes, descendent dans la rue. De nombreuses personnes qui portent le hijab sont également présentes dans les rues, ainsi que d’autres qui veulent toutes la fin du port obligatoire du hijab. »
D’après le journaliste, qui suit les manifestations depuis la rue, les manifestants suscitent la sympathie de milieux inhabituels.
« Même les personnes les plus religieuses et celles qui sont fidèles à la République islamique sont émues par la brutalité de la police à l’encontre de Mahsa Amini et éprouvent dans une certaine mesure de la sympathie pour les manifestants. »
Farah*, âgée de 43 ans, porte un tchador. Elle s’oppose au port obligatoire du hijab et estime que le comportement de la République islamique « nuit à l’ensemble de l’islam. [Les gouvernants] provoquent l’insécurité des femmes qui, comme moi, portent le hijab, car certains jeunes hommes en colère considèrent à tort que nous soutenons l’État. »
Traduction : « Les scènes observées en Iran sont stupéfiantes. Jusqu’où iront ces manifestations ? »
Parmi les principalistes, les membres du camp politique conservateur parfois appelés partisans de la ligne dure, une division de plus en plus prononcée de dessine autour de l’affaire Mahsa Amini, dont la mort suscite la colère de nombreux conservateurs.
« Je pense que le gouvernement rend lui-même les manifestations violentes afin d’avoir un prétexte pour les écraser », affirme un analyste politique, s’exprimant sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.
« Le résultat est que certains partisans de la ligne dure sont désormais préoccupés par les manifestations, alors qu’il y a quelques jours, ils éprouvaient de la sympathie pour les manifestants contre la police. De plus, le gouvernement et ses partisans affirment que les manifestants ont incendié deux mosquées. »
Il explique que ces tactiques sont de « vieilles ruses » employées par les autorités, déjà observées en 2009 lorsque les partisans du camp réformiste avaient protesté contre le résultat de l’élection présidentielle qui a offert un second mandat au principaliste Mahmoud Ahmadinejad.
« En agissant de la sorte, ils veulent provoquer la base de partisans de la ligne dure de manière à ce qu’elle n’éprouve aucune sympathie pour les manifestants, mais aussi préparer un prétexte pour réprimer les manifestants. »
En parallèle, des célébrités élèvent la voix et emploient un langage d’une dureté sans précédent.
Ali Karimi, légende du football iranien, se montre très actif ces derniers temps. Il a posté une vidéo montrant les forces de sécurité en train de battre des femmes dans la rue, les qualifiant de « salauds ». Pantea Bahram, une actrice célèbre, a également qualifié les forces de sécurité de « bande de traîtres ».
Une issue incertaine
Bien que la répression n’ait pas encore atteint les niveaux observés en 2019 ou 2009, de nouvelles violences meurtrières ne sont pas à exclure. Par ailleurs, on ne sait pas encore ce que ce déferlement émotionnel sans véritable direction pourra apporter.
S’exprimant sous couvert d’anonymat, un analyste politique établi à Téhéran, interrogé par MEE, souligne que « même si ces manifestations sont importantes de par leur dimension et leur portée, il est peu probable qu’elles parviennent à un résultat précis, compte tenu de l’absence de leadership ou de tout comportement organisé ».
« Même si ces manifestations sont importantes de par leur dimension et leur portée, il est peu probable qu’elles parviennent à un résultat précis, compte tenu de l’absence de leadership ou de tout comportement organisé »
- Un analyste politique
« J’ai l’impression que ces manifestations ne serviront qu’à permettre aux gens d’exprimer leur colère, ce qui se terminera malheureusement par une répression violente de la part du gouvernement », poursuit-il.
« Ces manifestations n’ont pas d’objectif spécifique. Certains veulent la fin du port obligatoire du hijab, d’autres l’abolition de la “police des mœurs” et d’autres encore le renversement de la République islamique. »
Selon un ancien responsable du camp politique modéré, toute concession de la part du gouvernement serait dangereuse.
« Le système n’a pas d’autre choix que de résister. S’il fait un pas en arrière, il subira de graves répercussions. Si le système recule et abolit la “police des mœurs”, l’étape suivante sera la fin du port obligatoire du hijab, qui fait partie de l’identité du système. Alors cela n’arrivera pas », explique-t-il.
« Par conséquent, une répression violente des manifestations ne nous surprendrait pas. »
* Certains noms ont été modifiés.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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