Le 5 juillet 2022, anniversaire des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, a marqué la fin de cent trente-deux ans de colonisation, dont huit ans de guerre. Cette date, qui n’a été saluée par aucun discours officiel du côté français, traduit un évident inconfort. Il y a la joie des héritiers de celles et ceux qui sortirent à cette occasion de l’oppression coloniale, et conquirent une liberté qui était la condition sine qua non de l’épanouissement et de l’émancipation.
Mais se mêlent les regrets et les amertumes de l’exil et du déracinement de soi ou de ses ancêtres. Déracinement de celles et ceux qui avaient leur vie dans cette « Algérie française » sans forcément avoir conscience des privilèges que leur offrait la situation coloniale. Cette histoire a concerné ou frappé une proportion spectaculaire de chacune des populations : combattants indépendantistes, Algériens libérés du joug colonial, pieds-noirs, juifs d’Algérie, harkis, appelés du contingent français, intellectuels et militants ayant pris position dans le conflit…
Mais soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, ce sont de nouvelles générations qui – en Algérie et en France - ont à affronter les conséquences de cette histoire. Le chemin de ces nouvelles générations ne peut être ni la confrontation ni la réconciliation. En effet, il n’y a pas, pour elles, de camps qui s’affronteraient ou de mémoires cloisonnées.
Comprendre l’histoire et les mémoires de la colonisation
Les nouvelles générations ont bénéficié de l’enseignement de l’école, ont pris connaissance des travaux d’historiens, ont vu les films de Rachid Bouchareb, ont lu les romans d’Alice Zeniter. Celles et ceux qui constituent ces générations partagent pour l’essentiel une même culture politique et sont – sur cette période historique – d’accord sur l’essentiel, et notamment sur le travail à accomplir, et les projets à mener.
Ainsi, que ce soit en France ou en Algérie, les jeunes générations, lorsqu’elles sont interrogées, considèrent que la connaissance historique constitue une étape nécessaire pour tourner la page de ce passé traumatique, et pour refuser les tensions et instrumentalisations dont les jeunes connaissent les dégâts sur leurs familles et leurs sociétés, qu’il s’agisse de l’incapacité encore trop fréquente au sein des institutions françaises de dire l’illégitimité coloniale, ou du monolithisme encore trop prégnant au sein du pouvoir algérien dans la présentation des dynamiques nationalistes.
Dans ce processus, il s’agit bien évidemment de mieux connaître mais surtout de mieux comprendre l’histoire et les mémoires de la colonisation et de la guerre. Si les enjeux de reconnaissance symbolique ou de réconciliation sont importants dans les relations entre les deux pays, les jeunesses semblent se situer au-delà.
Pour l’invention d’une relation
En effet, les nouvelles générations ne sont pas enfermées dans le passé et, pour peu qu’elles soient écoutées, ont des demandes bien présentes pour le dépasser. Il en va ainsi de la demande d’une plus grande circulation entre les deux rives de la Méditerrannée alors que la France a, ces derniers temps, divisé par deux le nombre de visas accordés aux Algériens.
A cette politique qui empêche concrètement les jeunesses de se rencontrer, il faut préférer un projet d’échange permettant aux jeunes Algériens et aux jeunes Français de se découvrir, d’exercer une curiosité mutuelle pour la culture, d’apprendre de leur histoire commune, et de relever les nombreux défis contemporains qui leur sont si souvent communs. Ce qui se joue pour les jeunes générations n’est ainsi pas tant une réconciliation – se seraient-elles fâchées ? – que l’invention d’une relation.
Cette nouvelle relation doit bien évidemment être une relation d’égalité, débarrassée du surplomb colonial. Cela nécessite que cette relation soit fondée sur un rapport à l’autre construit sur la considération, la curiosité, l’empathie et la circulation entre les pays, et au sein même de chacune des sociétés. Cette nouvelle relation requiert un travail et des investissements qui vont au-delà de la reconnaissance ou du dialogue sur le passé.
Mener des objectifs ambitieux mais nécessaires
L’enjeu est d’accompagner la création, dans les deux sociétés et entre elles, de structures et de politiques publiques permettant la multiplication d’espaces, de moments et d’opportunités de rencontres et d’échanges. Dans cette histoire algérienne, le « eux » et le « nous » sont intimement liés. En se lançant dans la construction de cette nouvelle relation à l’autre, les deux sociétés entreraient inévitablement dans une égale découverte d’elles-mêmes.
Pour relever ce défi, il faut des outils. C’est pourquoi, nous appelons à la création d’un office franco-algérien (ou algéro-français) pour la jeunesse. Fondé sur le modèle de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, cet office permettrait concrètement, et dans une gestion laissant une large place aux organisations de jeunesse des deux pays, de mener des objectifs ambitieux mais nécessaires :
- développer et faciliter les échanges entre établissements scolaires et universitaires français et algériens ;
- renforcer les programmes scolaires sur l’histoire de la colonisation, encourager les témoignages en milieu scolaire d’acteurs de cette histoire et soutenir la création de programmes de recherches universitaires communs aux deux pays ;
- faciliter l’accès aux archives, et concevoir des campagnes de collecte d’archives privées et de témoignages ;
- organiser des rencontres régulières de jeunes et d’acteurs de la société civile des deux pays ;
- financer des projets éducatifs, sociaux et culturels portés par des institutions, les sociétés civiles ou les individus ;
- soutenir des projets de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, fléaux que cette histoire a favorisés.3Lire aussi Article réservé à nos abonnés « L’Enigme algérienne », les chroniques sans concession d’un ancien ambassadeur de France à Alger
Dans l’édification de cette ambition, nous veillerons avec une attention particulière à tous les progrès qui viendraient de l’une ou de l’autre rive de la Méditerranée.
Les premiers signataires de cette tribune sont : Dounia Addad, étudiante, militante antiraciste et membre du projet Regards croisés ; Hakim Addad, membre fondateur du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) en Algérie ; Saphia Aït Ouarabi, vice-présidente de SOS Racisme ; Pierre Audin, membre de l’association Josette et Maurice Audin ; Amina Cheballah, membre de l’association féministe algérienne Tharwa N’Fadhma N’Soumer ; Louri Chretienne, président de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL, syndicat lycéen) ; Lenny Gras, cosecrétaire général du Mouvement national lycéen ; Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) ; Paul Mayaux, président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) ; Imane Ouelhadj, présidente de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) ; Emma Rafowicz, présidente des Jeunes socialistes.
Ainsi, que ce soit en France ou en Algérie, les jeunes générations, lorsqu’elles sont interrogées, considèrent que la connaissance historique constitue une étape nécessaire pour tourner la page de ce passé traumatique, et pour refuser les tensions et instrumentalisations dont les jeunes connaissent les dégâts sur leurs familles et leurs sociétés, qu’il s’agisse de l’incapacité encore trop fréquente au sein des institutions françaises de dire l’illégitimité coloniale, ou du monolithisme encore trop prégnant au sein du pouvoir algérien dans la présentation des dynamiques nationalistes.
Dans ce processus, il s’agit bien évidemment de mieux connaître mais surtout de mieux comprendre l’histoire et les mémoires de la colonisation et de la guerre. Si les enjeux de reconnaissance symbolique ou de réconciliation sont importants dans les relations entre les deux pays, les jeunesses semblent se situer au-delà.
Pour l’invention d’une relation
En effet, les nouvelles générations ne sont pas enfermées dans le passé et, pour peu qu’elles soient écoutées, ont des demandes bien présentes pour le dépasser. Il en va ainsi de la demande d’une plus grande circulation entre les deux rives de la Méditerrannée alors que la France a, ces derniers temps, divisé par deux le nombre de visas accordés aux Algériens.
A cette politique qui empêche concrètement les jeunesses de se rencontrer, il faut préférer un projet d’échange permettant aux jeunes Algériens et aux jeunes Français de se découvrir, d’exercer une curiosité mutuelle pour la culture, d’apprendre de leur histoire commune, et de relever les nombreux défis contemporains qui leur sont si souvent communs. Ce qui se joue pour les jeunes générations n’est ainsi pas tant une réconciliation – se seraient-elles fâchées ? – que l’invention d’une relation.
Cette nouvelle relation doit bien évidemment être une relation d’égalité, débarrassée du surplomb colonial. Cela nécessite que cette relation soit fondée sur un rapport à l’autre construit sur la considération, la curiosité, l’empathie et la circulation entre les pays, et au sein même de chacune des sociétés. Cette nouvelle relation requiert un travail et des investissements qui vont au-delà de la reconnaissance ou du dialogue sur le passé.
Mener des objectifs ambitieux mais nécessaires
L’enjeu est d’accompagner la création, dans les deux sociétés et entre elles, de structures et de politiques publiques permettant la multiplication d’espaces, de moments et d’opportunités de rencontres et d’échanges. Dans cette histoire algérienne, le « eux » et le « nous » sont intimement liés. En se lançant dans la construction de cette nouvelle relation à l’autre, les deux sociétés entreraient inévitablement dans une égale découverte d’elles-mêmes.
Pour relever ce défi, il faut des outils. C’est pourquoi, nous appelons à la création d’un office franco-algérien (ou algéro-français) pour la jeunesse. Fondé sur le modèle de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, cet office permettrait concrètement, et dans une gestion laissant une large place aux organisations de jeunesse des deux pays, de mener des objectifs ambitieux mais nécessaires :
- développer et faciliter les échanges entre établissements scolaires et universitaires français et algériens ;
- renforcer les programmes scolaires sur l’histoire de la colonisation, encourager les témoignages en milieu scolaire d’acteurs de cette histoire et soutenir la création de programmes de recherches universitaires communs aux deux pays ;
- faciliter l’accès aux archives, et concevoir des campagnes de collecte d’archives privées et de témoignages ;
- organiser des rencontres régulières de jeunes et d’acteurs de la société civile des deux pays ;
- financer des projets éducatifs, sociaux et culturels portés par des institutions, les sociétés civiles ou les individus ;
- soutenir des projets de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, fléaux que cette histoire a favorisés.
Dans l’édification de cette ambition, nous veillerons avec une attention particulière à tous les progrès qui viendraient de l’une ou de l’autre rive de la Méditerranée.
Les premiers signataires de cette tribune sont : Dounia Addad, étudiante, militante antiraciste et membre du projet Regards croisés ; Hakim Addad, membre fondateur du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) en Algérie ; Saphia Aït Ouarabi, vice-présidente de SOS Racisme ; Pierre Audin, membre de l’association Josette et Maurice Audin ; Amina Cheballah, membre de l’association féministe algérienne Tharwa N’Fadhma N’Soumer ; Louri Chretienne, président de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL, syndicat lycéen) ; Lenny Gras, cosecrétaire général du Mouvement national lycéen ; Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) ; Paul Mayaux, président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) ; Imane Ouelhadj, présidente de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) ; Emma Rafowicz, présidente des Jeunes socialistes.
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