Ibn Sina influença des philosophes et scientifiques durant des siècles après sa mort (Wikimedia)
Né en 980 dans une famille persane près de la ville de Boukhara, dans l’actuel Ouzbékistan, Abu Ali al-Husayn ibn Abd Allah al-Balkhi devint l’un des plus grands esprits de son époque et influença profondément les études futures dans des domaines aussi divers que la médecine, la philosophie et l’astronomie.
Connu sous le nom d’Ibn Sina dans le monde islamique et sous celui d’Avicenne chez les érudits occidentaux, ce polymathe incarne la période de l’histoire de l’islam qui a hérité du qualificatif controversé d’« âge d’or islamique ».
Les travaux de l’érudit perse eurent un impact considérable dans le monde islamique et plus tard en Europe.
Ses théories furent ainsi critiquées et défendues jusqu’à l’ère moderne.
L’impact d’Ibn Sina fut tel, notamment dans l’imaginaire européen, qu’il figure – avec le philosophe andalou Ibn Rochd (Averroès) et le célèbre guerrier musulman Saladin – parmi les « païens vertueux » de l’Enfer de Dante, occupant les premiers cercles de l’enfer aux côtés d’autres non-chrétiens tels que Platon, Socrate et Virgile.
Il est également loué pour avoir préservé et développé les idées du philosophe grec Aristote, qui constituent le fondement de la méthode scientifique moderne.
Pour les revificateurs islamiques, la figure d’Ibn Sina illustre l’épanouissement intellectuel qui se produisit au cours des premiers siècles de l’islam et sert à réfuter l’idée selon laquelle la religion serait un obstacle à la pensée scientifique et philosophique.
À l’âge de 10 ans, il avait mémorisé le Coran
Ibn Sina naquit au Xe siècle dans le village d’Afshana. Comme une grande partie de l’Asie centrale à l’époque, se village se trouvait dans l’Empire samanide, un État musulman sunnite d’origine iranienne.
Cette période fut marquée par l’effondrement de l’autorité centrale du califat abbasside établi à Bagdad, ainsi que par la montée en puissance d’entités musulmanes indépendantes.
En dépit de cette relative instabilité politique, l’atmosphère d’amitié intellectuelle que les Abbassides avaient favorisée dans le monde islamique perdura, l’érudition étant étroitement liée à l’étude de la religion. C’est dans ce contexte qu’Ibn Sina fut élevé par un père qui avait adopté la branche ismaélienne de l’islam chiite.
Si le jeune Ibn Sina se détourna des traces religieuses de son père en choisissant l’école hanafite de l’islam sunnite, les débats avec les ismaéliens furent probablement formateurs dans son développement intellectuel, tant religieux que laïc.
Évoquant ses interactions avec les ismaéliens dans son autobiographie, Ibn Sina écrit : « Je les écoutais et comprenais ce qu’ils disaient, mais mon âme ne l’acceptait pas […] Et ils se mirent à m’y initier en parlant constamment de philosophie, de géométrie et d’arithmétique indienne. »
L’éducation d’Ibn Sina, caractéristique des intellectuels islamiques de l’époque, était constituée d’un mélange de matières religieuses et profanes, telles que les mathématiques, la médecine et la philosophie. À l’âge de 10 ans, il avait mémorisé le Coran et, au milieu de l’adolescence, il avait acquis une réputation de médecin.
Fervent musulman, le jeune Ibn Sina consacra beaucoup de temps à l’étude des textes islamiques et de la philosophie grecque. Il chercha à marier ces deux volets en prouvant l’existence de Dieu par la logique et la raison, plutôt que par une foi aveugle.
À l’âge de 32 ans, l’érudit fut nommé vizir de l’État bouyide après avoir soigné son émir, Chams ad-Dawla. À la mort du monarque, Ibn Sina déclina l’offre de son fils et successeur qui lui proposa de continuer d’exercer cette fonction.
Les étoiles brillent d’elles-mêmes
En tant que médecin, l’une des contributions les plus notables d’Ibn Sina fut son livre Al-Qanun fi al-Tibb (Le Canon de la médecine), une encyclopédie qui oscille entre connaissances médicales acquises auprès des anciens et découvertes plus contemporaines de scientifiques islamiques.
L’ouvrage fut traduit en latin au cours du XIIe siècle. Il fut dès lors utilisé comme texte de référence dans toutes les universités européennes jusqu’au milieu du XVIIe siècle.
Outre 600 remèdes potentiels pour soigner des maladies courantes, Ibn Sina décrivit également l’anatomie de parties du corps, comme l’œil et le cœur. Botaniste émérite, il mentionna également l’effet des plantes et des racines sur le corps humain.
L’une de ses principales contributions médicales fut son travail sur l’effet des quarantaines sur la limitation de la propagation des maladies : il fit ainsi valoir qu’une période d’auto-isolement de quarante jours était essentielle pour empêcher les infections d’affecter d’autres personnes.
En dehors de la médecine, parmi ses œuvres importantes figurait le Livre de la guérison, qui était divisé en quatre sections et couvrait un large éventail de sujets, tels que les mathématiques, la métaphysique, les sciences naturelles et la logique.
Ses travaux scientifiques comprenaient des arguments selon lesquels la lumière avait une vitesse spécifique, des descriptions de la propagation du son dans l’air, une théorie sur le mouvement et des études psychologiques sur la relation entre l’esprit, le corps et la faculté de perception.
L’une de ses principales contributions médicales fut son travail sur l’effet des quarantaines sur la limitation de la propagation des maladies : il fit ainsi valoir qu’une période d’auto-isolement de quarante jours était essentielle pour empêcher les infections d’affecter d’autres personnes
Dans une démarche apparentée à de la psychiatrie pré-moderne, le médecin décrivit également comment des affections mentales telles que la dépression et l’anxiété pouvaient avoir un impact sur le corps.
Il s’intéressait par ailleurs aux phénomènes naturels, tels que les séismes et la formation des nuages. En ce qui concerne les tremblements de terre, le polymathe affirmait qu’ils étaient le fruit de mouvements terrestres et d’une activité sous la Terre.
En tant qu’astronome, Ibn Sina observa la planète Vénus par rapport à l’orbite du soleil et parvint à conclure que la planète était plus proche de la Terre que du Soleil. Il constata également que la supernova SN 1006, observable pendant trois mois au tournant du premier millénaire, était temporairement l’objet le plus brillant du ciel, éclipsant Vénus et observable même en plein jour.
On attribue également au scientifique l’invention d’un dispositif permettant de surveiller les coordonnées des étoiles et la constatation que les étoiles brillent d’elles-mêmes.
Le but de la logique, établir la vérité
En philosophie, la principale contribution d’Ibn Sina fut le développement de sa propre forme de logique aristotélicienne, au-delà de l’usage de la rationalité et de la raison pour établir l’existence de Dieu.
Ses travaux sur la logique figurent dans neuf ouvrages qui font partie du Livre de la guérison. Il y défend l’utilité de la logique et identifie les erreurs perçues dans les travaux antérieurs sur le sujet. Selon ses écrits, la logique est cruciale pour déterminer la validité des arguments et le développement des connaissances, tandis que le but de la logique est d’établir la vérité.
Tout en se livrant à une critique de son prédécesseur grec Aristote, le polymathe persan pensait lui aussi que l’homme possédait trois types d’âmes : la psyché végétative, la psyché animale et la psyché rationnelle. Les deux premières relient l’homme à la Terre, tandis que la psyché rationnelle le lie à Dieu.
En ce qui concerne l’existence de Dieu, Ibn Sina publia Burhan al-Siddiqin (Preuve de la vérité ), dans lequel il expose un argument en faveur de l’« existant nécessaire », soit quelque chose qui ne peut pas ne pas exister.
Il explique que tout ce qui se trouve en dehors de cet existant nécessaire est subordonné à l’existence d’une autre chose qui en est la cause. Ainsi, par exemple, la propre existence d’une personne est subordonnée à l’existence de ses parents, dont l’existence est elle-même subordonnée à celle de leurs parents, et ainsi de suite.
Observant l’agrégat de toutes ces choses contingentes qui existent, Ibn Sina détermina que cette somme demeurait contingente, dans la mesure où elle nécessite une cause non contingente extérieure à elle-même, qu’il identifia comme étant Dieu.
Ce raisonnement fut par la suite critiqué par Ibn Rochd, qui lui reprocha de s’appuyer sur la métaphysique plutôt que sur des lois démontrables de la nature.
L’un des objectifs de la vie d’Ibn Sina était de comprendre avec précision les sens humains et de démontrer qu’ils étaient plus nombreux que ce que reconnaissaient ses contemporains. Il avançait l’argument selon lequel nous avions tous des sens intérieurs qui complétaient nos sens extérieurs largement reconnus, à savoir la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût et le toucher.
Croyant fermement à l’intuition, Ibn Sina pensait que le bon sens était un sens interne et lui attribuait certaines des fonctions de l’âme. Ainsi, dans sa vision du monde, l’acte consistant à former et porter un jugement peut être compris comme un acte de l’âme.
Un tombeau transformé en mausolée
L’imagination rétentive serait un autre sens interne permettant à l’homme de se souvenir des informations qu’il recueille grâce au sens commun. Ce sens interne enregistre la forme des choses dans l’esprit de l’homme et lui permet de se référer à ces informations et de reconnaître les choses qui l’entoure.
L’imagination animale de composition est un sens qui, selon Ibn Sina, permet aux animaux d’apprendre ce qu’ils doivent éviter ou rechercher dans leur environnement naturel. De la même manière, l’imagination humaine de composition permet à l’homme d’apprendre ce qu’il doit rechercher et éviter autour de lui.
La faculté de porter des jugements sur l’environnement est qualifiée de puissance estimative par Ibn Sina, qui indique qu’elle nous permet de déterminer ce qui est dangereux ou bénéfique pour nous – par exemple en ayant peur de quelque chose.
Enfin, selon Ibn Sina, notre mémoire est chargée d’enregistrer toutes les informations développées par nos autres sens, tandis que le traitement désigne la faculté d’utiliser toutes ces informations en exploitant au maximum les capacités de nos sens internes.
Ibn Sina mourut en juin 1037 à l’âge de 56 ans, après une longue bataille contre des coliques. Il fut enterré à Hamadan (Iran), où son tombeau fut transformé en mausolée.
Le musée abrite une vaste collection d’objets, notamment des pièces de monnaie et des poteries remontant au premier millénaire avant J-C., ainsi qu’une bibliothèque contenant des milliers de livres. L’une des caractéristiques les plus emblématiques du mausolée est la tour en forme de fuseau inspirée de la tour de Gonbad-e Qabous, de l’époque ziyaride.
Aujourd’hui encore, l’œuvre d’Ibn Sina est largement commémorée. À Ankara, en Turquie, le centre hospitalier universitaire Ibn Sina porte son nom. Au-delà de la science, les influences d’Ibn Sina se sont étendues aux domaines de la musique, de la littérature et de la nature.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/ibn-sina-avicenne-grand-philosophe-medecin-islam-medieval
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