Guy-Pierre Gayral a quitté l’Algérie à l’âge de 6 ans et demi.
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En 1962, l’Algérie devenait indépendante après huit ans de conflit. Des Pieds-noirs ont été contraints de tout quitter pour rejoindre la métropole. Récit.
Le dernier d’une fratrie de six enfants, Guy-Pierre Gayral, de Saint-Sulpice-de-Pommeray (Loir-et-Cher), est né en 1956, en Algérie, à Mercier-Lacombe – commune dénommée aujourd'hui Sfisef – à l’heure où la guerre avait déjà éclaté. De là-bas, il se souvient, avec ses yeux d’enfant, de sa rue, de sa maison, de son école située pratiquement en face de chez ses parents.
"Chez nous, c’était grand. Mon frère aîné et ses deux enfants vivaient au-dessus de notre logement. Il y avait une grande cour où se trouvait l’atelier de mon père qui était charron. C’est ma sœur Georgette, qui a dix ans de plus que moi, qui m’a élevé et qui s’occupait de la logistique à la maison, ma mère travaillant dans un centre médical et mon père gérant son entreprise."
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Pas le souhait de retourner aux sourcesDe ces années de troubles et de conflit, il n’en a pas été traumatisé à un âge où l’insouciance prime. Il a bien le souvenir d’une manifestation où des coups de feu ont été tirés sur la façade de la maison, "mais je n’en garde aucune sensation de malaise".
L’été 1962 arrive et la guerre tourne aux massacres dans certains coins du pays. "Pendant que les hommes décidaient de rester en Algérie espérant que la situation s’arrange, nous sommes partis dans la précipitation avec ma mère, ma sœur Alice, ma belle-sœur et mes deux neveux, emmenant une valise chacun", se rappelle Guy-Pierre.
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Direction l’aéroport : "Nous y sommes restés deux-trois jours avant de prendre l’avion et d’atterrir à Marseille. Une connaissance de mon père nous a prêté une maison en Auvergne. J’ai vécu heureux là-bas. Nous, Pieds-noirs, nous étions vus par les habitants du coin comme des indiens débarquant avec leurs plumes… Mais dans l’ensemble, nous avons eu un bon accueil. Je n’ai pas mal vécu le déracinement. Je n’ai jamais été nostalgique. J’avais juste l’impression qu’on déménageait sans arrêt."
C’est là que ma vie sociale a démarré, que j’ai commencé à avoir des copains
Après l’Auvergne, la famille est descendue à Toulouse. "C’est là que ma vie sociale a démarré, que j’ai commencé à avoir des copains. Avant que la famille ne se retrouve en 1968, à Blois, où mon frère est monté travailler dans les ateliers municipaux de la Ville. J’avais 11 ans. Nous nous sommes installés dans la zup, construite pour les rapatriés. En classe de 6e, mes copains venaient de La Chaussée-Saint-Victor, je les suivais là-bas, on jouait au foot ensemble. Ce sont mes plus belles années. Cinquante ans après, ce sont toujours des amis."
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Devenu technicien chez Orange, Guy-Pierre a réalisé sa carrière professionnelle à Blois. Il n’a jamais remis les pieds en Algérie : "Je n’éprouve pas ce désir de retourner aux sources." Pour autant, il ne renie pas ses origines. À ses dires, il aurait même gardé l’accent pied-noir.
Dernièrement, Guy-Pierre s’est rendu dans le sud de la France avec sa grande sœur aux rencontres annuelles des anciens de Mercier-Lacombe, organisées à l’origine par le fils de l’ancien instituteur. Ces retrouvailles font écho aux moments de bonheur partagés en Algérie, sur la place du village au pied de l’emblématique arbre de fer. "On y va pour l’ambiance. On retrouve des gens qui nous ont connus petits. Les premières années, il y a plus de trente ans, on devait être plus de 400 personnes, se souvient-il. Désormais, nous sommes beaucoup moins."
Notre série se poursuit chaque dimanche de l’été.
••• Un appelé en Algérie : des conditions difficiles
Les appelés qui ont servi en Algérie avaient 20 ans à l’époque : ils en ont plus de 80 maintenant. Certains d’entre eux ne sont plus là aujourd’hui. La mémoire de ce qu’ils ont vécu là-bas risque de tomber dans l’oubli. Bernard Hureau, président de la Fnaca Vineuil - Mont - Bracieux, appelé en Algérie de janvier à septembre 1960, a tenu à jour un journal pendant tout ce temps.
Il a 20 ans en 1958 quand il part faire son service militaire, un service qui durera vingt-huit mois en ce qui le concerne. Les huit derniers, il les passe en Algérie. Il est, à l’époque, un jeune homme qui travaille dans la petite ferme de ses parents près du Mans (Sarthe). Il part en laissant sa famille et sa fiancée.
Les conditions sont difficiles dès l’embarquement à Marseille (Bouches-du-Rhône). La Méditerranée en hiver n’est pas une mer tranquille. Si Bernard Hureau, sous-officier, a droit à une cabine, les hommes de troupe sont entassés dans le « Ville de Marseille », dans une promiscuité dont on imagine ce qu’elle peut être avec des gens victimes du mal de mer.
La vie sur le terrain ne sera pas facile. Sa première affectation est Lapasset, à l’est de Mostaganem, une grosse ferme isolée. Les bâtiments logent une trentaine de militaires dont la moitié sont Algériens. L’isolement fait d’eux une cible potentielle. « Nous y pensions souvent mais nous n’en parlions jamais. La peur m’a accompagné pendant mes cinq mois dans cette région classée zone interdite », explique-t-il.
En juin, son régiment est affecté dans le sud, la région d’Aïn-Sefra, pour la garde du barrage électrifié entre l’Algérie et le Maroc. La chaleur est atroce, il fait 39°C à l’ombre. Vent de sable, cris des chacals, le Sahara n’est pas loin. La pièce qu’il partage avec deux autres sous-officiers est couverte de tôle. Les repas arrivent du PC à 30 km. Tout est tiède : la salade, les plats chauds, les desserts. Il faut se forcer pour manger. On traîne son ennui en attendant le soir.
Bernard Hureau a le sentiment d’avoir été arraché à un cocon familial et de s’être retrouvé plongé dans un milieu hostile. Il a connu en Algérie l’isolement, l’éloignement des siens et aussi la peur.
Cor. NR : Dominique Breton
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