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Rédigé le 08/06/2022 à 06:30 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
J'en suuis un.... :)
Cette magistrale série documentaire en six volets de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, raconte le conflit à travers le prisme de ceux qui l’ont vécu, issus de chaque camp.
La guerre d’Algérie racontée par ceux qui l’ont subie, qui l’ont faite, qui ont voulu l’empêcher… C’est une série documentaire passionnante et bouleversante, où le corps des témoins exprime encore les tragédies enfouies dans leurs souvenirs, où les mots butent toujours sur les souffrances passées. A l’approche du soixantième anniversaire des accords d’Evian, ces cinq heures d’images et de témoignages apportent un regard inédit sur un conflit qui a duré huit ans - de 1954 à 1962 - et continue de déchirer les mémoires. Combattants indépendantistes du MNA (Mouvement national algérien) et du FLN (Front de Libération nationale), pieds-noirs, membres de l’OAS (Organisation de l’Armée secrète), militaires de carrière, appelés, harkis, porteurs de valises, civils algériens parqués dans des camps de regroupement… Ils sont une soixantaine de témoins, de visages, de voix, qui étaient enfants, adolescents ou jeunes adultes -« pas tout à fait un homme », dit joliment l’un d’eux - avant l’indépendance de l’Algérie et qui expliquent, souvent pour la première fois, ce qu’ils ont fait et ressenti durant les « événements », l’euphémisme employé par les autorités françaises jusqu’en 1999. Leur témoignage est précieux. Ils sont les derniers à pouvoir raconter ce que c’était de vivre dans les ultimes moments de l’Algérie coloniale. Entretien avec l’historienne Raphaëlle Branche, coauteure du documentaire.
TéléObs.- Avec cette série documentaire chorale, souhaitiez-vous mettre en lumière un récit plus complexe, plus nuancé de la colonisation et du conflit algérien ?
Raphaëlle Branche. La diversité des témoins et le fait qu’ils soient regroupés dans le même projet - le documentaire mais aussi la collecte patrimoniale de l’INA et le livre (1) [en librairie fin février, NDLR] - en font, je crois, le caractère unique. Avec mon coauteur, le réalisateur Rafael Lewandowski, nous avons choisi de partir des points de vue de gens ordinaires qui nous immergent dans leur expérience quotidienne, humaine, et racontent la guerre par le bas. Le projet ne privilégie pas une mémoire ou une autre. Les individus, d’ailleurs, ne sont pas réductibles à une seule identité et ont pu évoluer.
Nous voulions faire entendre un maximum de paroles, rendre visibles les différentes options, y compris minoritaires ou vaincues, que les gens aient été dans les Aurès, à Alger ou à Paris, qu’ils soient algériens ou français. Cette mosaïque fait sens : elle permet d’expliquer la complexité de la guerre, et peut-être de faire tomber certains préjugés car on a parfois de ce conflit une représentation exclusivement binaire, trop simplifiée.
L’originalité de ce projet réside aussi dans le fait que ces témoignages sont conçus pour être transmis, conservés et consultables.
C’est ce qui fait effectivement son caractère inédit. En trois ans, nous avons réalisé 66 entretiens filmés, de plusieurs heures chacun, soit cent quatre-vingts heures de témoignages au total. La plupart des témoins sont dans le documentaire et 15 entretiens sont plus précisément retranscrits dans le livre. Mais ces deux supports ne sont que la surface émergée d’un immense iceberg de paroles. Tous les témoignages sont librement accessibles sur le site internet de l’INA [à partir du 1er mars, NDLR].
Les témoins sont des vieux messieurs, des vieilles dames. Il y avait une sorte d’urgence ?
Oui car les plus âgés sont nés dans les années 1930. Certains sont morts avant même qu’on puisse les interroger, d’autres depuis. La plupart sont au crépuscule de leur vie et ont souvent le sentiment de ne pas avoir été compris, alors que des milliers de livres, de documents ont été publiés sur la colonisation et la guerre d’Algérie.
Ce qu’ils disent aujourd’hui, ils ne l’auraient pas formulé de la même façon il y a dix, quinze ou trente ans. Certains - je pense à des militants du MNA de Messali Hadj, le leader historique du nationalisme algérien, à des membres de l’OAS ou à des représentants de l’Etat français - s’expriment publiquement pour la première fois.
Beaucoup de ces témoignages sont poignants. Le chauffeur du car, dans les Aurès, cible d’un des attentats du 1er novembre 1954, date du déclenchement de la guerre ; un appelé qui voit son père, ancien poilu, pleurer pour la première fois quand il part en Algérie ; un fils qui n’ose pas dire à ses parents qu’il rejoint le maquis ; un gamin interné dans un camp de regroupement ; une femme torturée par les parachutistes ; un para pourtant engagé volontaire qui parle de son « dégoût »…
Les émotions furent nombreuses lors de ce recueil de témoignages. Mais il est vrai que les récits de crimes commis étaient particulièrement impressionnants tant ils étaient parfaitement assumés. Je pense ainsi aux militants indépendantistes algériens ou à un membre oranais de l’OAS qui explique la façon dont il a achevé des soldats français. Les témoignages sur le napalm sont également, à mon sens, extraordinaires. D’un côté, l’aviateur décrit ce qu’il voit depuis son avion et, de l’autre, une femme algérienne raconte les animaux qui fuient, les poules avec leurs petits, le corps d’une femme grillée comme un aliment, mais aussi la terreur et la souffrance. L’utilisation du napalm par l’armée française pendant la guerre d’Algérie est un fait connu et documenté par les archives mais, avec ces témoignages, on mesure ce que cela signifiait d’être sous les bombes.
Soixante ans plus tard, on voit que les corps parlent. Les voix se brisent, les mots restent coincés dans la gorge, les yeux s’embuent…
Les corps, les mains, les voix continuent d’exprimer ce qu’il s’est passé il y a soixante ans, soixante-dix ans et même quatre-vingts ans pour certains témoignages. Pendant toute la durée du projet, nous avons eu le souci de préserver cette émotion.
L’équipe a reçu une formation pour recueillir les récits. Il a fallu parfois interrompre le tournage, car le témoin était trop ému. Mais l’équipe n’était pas indemne non plus à l’écoute de ces histoires. Je pense à cette fois où le cameraman s’est senti mal.
Ce qui frappe également, c’est la force des images d’archives.
Nous avons puisé dans des dizaines de centres, en France et à l’étranger, et ainsi retrouvé des images passionnantes, comme ces interviews par la BBC d’étudiants français en 1960 ou les propos d’Algériens enregistrés par la télévision suédoise après le massacre du 17 octobre 1961 à Paris. Ces dernières années, beaucoup d’archives privées, films personnels, photographies, ont été déposées dans les centres dédiés.
Les images incroyables d’enfants qui jouent, de Français d’Algérie à la plage, de marchés ou de bidonvilles filmés par des soldats métropolitains sidérés de ce qu’ils découvrent en Algérie, viennent de ces fonds privés. Elles permettent de sortir des représentations fabriquées par l’armée française qui dominent encore souvent.
Vous êtes historienne, spécialiste de l’Algérie depuis vingt-cinq ans, vous avez écrit de nombreux livres sur cette guerre (2). Qu’avez-vous découvert avec ce documentaire ?
J’ai toujours travaillé avec des témoins et recueilli des paroles. Lors de cette collecte, j’ai été une fois de plus impressionnée par la grande dignité des hommes et des femmes qui ont souffert.
Au niveau strictement historique, de nombreux aspects sont éclairés comme jamais : par exemple, l’aide fournie par le monde arabe au FLN, la vie des femmes au maquis ou encore certains réseaux pro-OAS.
(1) « En guerre(s) pour l’Algérie », de Raphaëlle Branche (Editions Arte/ Tallandier, 2022).
(2) « La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie » (Gallimard, 2001), « l’Embuscade de Palestro » (Armand Colin, 2010), « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » (La Découverte, 2020).
Vidéo
https://twitter.com/i/status/1488835870195126275
·Publié le ·Mis à jour le
https://www.nouvelobs.com/tv/20220301.OBS55124/en-guerre-s-pour-l-algerie-les-derniers-temoins.html
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Rédigé le 08/06/2022 à 04:48 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 07/06/2022 à 21:47 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le 18 mars 1962, la signature des accords d’Évian marquent la fin de près de huit années de guerre et enclenchent le processus d’indépendance de l’Algérie, après 132 années d’occupation française. Alors que la colonisation mène à la destruction des identités et des repères, parce qu’il est plus facile de contrôler un peuple divisé, les Algériens sont parvenus à les conserver, notamment en résistant à travers l’art : « Les Algériens ont gagné la guerre par la justesse de leur combat, et la propagande des artistes, des intellectuels ou des écrivains militants comme Kateb Yacine, a été aussi importante que les armes », rappelle l’historienne Naïma Yahi pour la revue Memoria. À tel point que le Front de Libération Nationale (FLN) a même créé sa troupe artistique en 1957-58 à Tunis, sous la direction du dramaturge Mustapha Kateb avec un pan théâtral, et une branche musicale fondée par Ahmed Wahby. Basée dans la capitale tunisienne, elle réalise une tournée internationale pour sensibiliser à la cause algérienne et relater la violence du conflit, minimisée par les autorités françaises. Quand du désespoir à l’espoir nait, un répertoire coiffé des plus belles rimes, voici une sélection de onze morceaux qui ont accompagné la guerre d’Algérie ou rappellent sa mémoire.
Aujourd’hui considérée comme un hymne kabyle, cette chanson du poète, chanteur et compositeur Cherif Kheddam (1927-2012) est au départ un chant patriotique destiné à rendre hommage aux chouhadas, notamment ceux du secteur de Tizi-Ouzou, en Kabylie (haut lieu de la résistance algérienne), dont il était originaire. Les chouhadas sont des martyrs (politique et/ou religieux), c’est-à-dire des moudjahids (combattants du FLN) morts pendant la guerre d’Algérie.
Dahmane El Harrachi (1926-1980) est un auteur-compositeur-interprète algérois. Ce titre est l’un de ses premiers enregistrements, en 1956 chez Pathé Marconi, et rend hommage à la ville d’Alger. Il est considéré comme un cheikh (maître) du chaâbi, la musique populaire algérienne qui trouve ses racines dans la musique arabo-andalouse, et dont on retrouve dans ce morceau des instruments phares comme le derbouka, le tar, la mandole algérienne ou encore l’alto. À travers son répertoire de près de 500 chansons, il a participé à la modernisation et au rayonnement international du chaâbi en chantant l’exil.
Né à Marseille d’un père algérien et d’une mère française, Ahmed Wahbi (1921-1993) est rapidement orphelin et grandit à Oran. Interprétant plus de 800 chansons au cours de sa carrière, il enregistre la majeure partie de son œuvre en exil à Paris, entre 1947 et 1957, avant de fonder la troupe musicale du FLN en 1958. Militant nationaliste, il participe à la tournée internationale de la troupe pour représenter la cause algérienne. Dans « Oran, Oran ! », une chanson qui sera reprise par Cheb Khaled, il raconte les difficultés de l’exil et devient un symbole de la musique oranaise.
« Oran, Oran tu es perdue
Des êtres de valeur t’ont quittée
Exilés ils sont désorientés
Et l’exil est rude et traître
Je suis si plein de joie pour les enfants d’el Hamri
Ceux de Mdina Djedida et Sidi Lahouari
Jamais je n’oublierai mon pays, ma terre et la terre de mes ancêtres
Oran la ville de la jeunesse
Oran, j’espère que mon absence ne sera pas longue
Oran, je te promets que je serai parmi ma famille et mes amis
Avant de m’exiler, j’ai conseillé à des personnes de prendre soin de mon pays »
Cheb Khaled
Autre titre phare d’Akli Yahyaten, également composé en prison, ce morceau est une reprise en arabe dialectal d’un chant d’exil kabyle qui trouve ses racines en 1871. Au lendemain de la révolte de Mokrani — une importante insurrection kabyle dirigée contre l’occupant français, la plupart des leaders sont déportés en Nouvelle-Calédonie. « Yal Menfi » (Le Banni) raconte les souffrances endurées par les exilés algériens et en devient le symbole, toutes époques confondues. Le morceau sera d’ailleurs interprété en live par Rachid Taha, Cheb Khaled et Faudel en 1998.
« O mon coeur pourquoi es-tu dégoûté ?
La soupe est toujours la même
La gamelle est pleine d’eau
Et les cafards nagent dedans »
Akli Yahyaten
El Hadj M’hamed El Anka (1907-1978), surnommé le « Cardinal » du chaâbi pour en avoir été un précurseur et un de ses meilleurs représentants, interprète ce morceau pour la première fois dans la casbah d’Alger, le 3 juillet 1962. Soit le soir de la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie par le général De Gaulle. Face à une foule en liesse, il chante « Louange à Dieu, le colonialisme n’existe plus dans notre pays » et, pour un Maghreb uni, dédie son chant à l’Istiqlal — le premier parti politique marocain qui a lutté pour l’indépendance du Maroc et soutenu celle de l’Algérie.
Les 132 années d’occupation française ont profondément marqué la société algérienne et continuent de bouleverser les trajectoires de ses descendants. D’IAM à Médine, en passant par Zebda, les artistes poursuivent la transmission de cette histoire souvent mal connue, mais toujours prégnante au-delà des frontières algériennes. En témoigne ce pionnier du rap algérien, Rabah Donquishoot qui en 2016 s’associait à Diaz, son partenaire au sein du groupe MBS (le Micro Brise le Silence), pour relater un des évènements les plus sanglants du conflit : la bataille d’Alger (janvier à octobre 1957). Le morceau reprend les images du film du même nom et sample un titre de la B.O. composée par Ennio Morricone, “Tema Di Ali”. À travers la figure d’Ali La Pointe, un jeune chouhada élevé au rang de héros national, les deux rappeurs s’expriment sur les inégalités qui datent de la colonisation et demeurent palpables.
“Les ordres de Washington arrivent ici
Petit projet devenu grand
La mer c’est la victoire ; jamais ne s’éteindra le feu en nous
Tu nous entendras dans les informations
Des trottoirs aux Oscars
Ali se fait emprisonner à plusieurs reprises et jusqu’au bout,
Il clame haut et fort ‘vive l’Algérie’”
La Voix des Arabes – Hymne des étudiants algériens
Vraisemblablement publiée en 1967, cette chanson patriotique algérienne composée par Ali Chelghem est devenue l’hymne des étudiants algériens. Rédigées en arabe littéraire par Moufdi Zakaria, dans un langage soutenu qui diffère de l’arabe dialectal, les paroles s’adressent à un public lettré et participent à l’affirmation d’une identité commune au lendemain de l’indépendance.
https://pan-african-music.com/la-guerre-dalgerie-en-musiques/
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Rédigé le 07/06/2022 à 19:40 dans Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Ce beau navire qu'était le "Kairouan" ne mouillait que quelques heures à Oran. "Joé, tché, t'y es plus pressé que le Kairouan !", disaient certains Oranais.
Je regrette de ne l'avoir connu que pour notre départ d'Oran.
IMO 5179117 - Paquebot - 142,52 x 18,31 x 9,00 m - TE 6,30 m - JB 8 589 - PL 1 869 t - V 24 nds - Lancé en janvier 1942 par les Forges et Chantiers de la Méditerranée à La Seyne, mais bombardé par les Allemands en août 1944 alors que sa construction n'est pas encore terminée - Renfloué en juin 1947 - Achevé à La Ciotat et mis en service le 15 juillet 1950 entre Port-Vendres et l'Algérie.
Il possédait 3 ponts complets et une jauge brute de 8.800 tonneaux pour un port en lourd de 2.100 tonnes. Ses 3 cales étaient desservies par 4 grues de 3 tonnes.
Son équipage au complet était composé de 17 officiers, 39 hommes des services pont et machine, et de 70 membres du service général. Ses aménagements pour passagers étaient conçus pour 121 personnes en cabines de première classe, 330 en classe touriste et 923 en quatrième classe, soit au total 1.374 passagers.
La propulsion turboélectrique était assurée par 2 moteurs synchrones de 3.300 volts triphasés. Ces moteurs pouvaient développer un total de 28.000 chevaux à 194 tours-minute. Chaque moteur était alimenté par un groupe turboalternateur. L'appareil évaporatoire était composé de 4 chaudières à circulation forcée du type « La Mont » produisant 35 tonnes de vapeur à l'heure à la température de 425°c. Ces chaudières fonctionnaient à l'eau distillée et nécessitaient seulement 45 minutes de chauffe pour monter en pression.
Ce fut le seul paquebot affecté aux lignes d'Afrique du Nord à être entièrement peint en blanc, avec une silhouette fine... magnifique.
Il transporta les soldats français en Tunisie et en Algérie. Pendant la guerre d'Algérie, il effectua des transports de troupes de deux mille hommes, à grande vitesse et avec un bon confort.
Lors de l'évacuation de l'Algérie, il accueillit les rapatriés à pleins bords et les dégagea du cauchemar à un rythme accéléré et assura leur retour vers la métropole.
En 1964, il assura encore la liaison Alger Marseille et c'est sur ce navire que la première compagnie du Groupe de Transport 535 quitta l'Algérie pour la France.
Il effectua son dernier voyage sur l'Afrique du Nord pour le compte de la Compagnie Générale Transméditerranéenne en septembre 1973. La Compagnie de Navigation Mixte prit alors possession du navire, le désarma et le mit en vente amarré au quai de l'oubli, à coté du VILLE DE TUNIS.
Après 31 ans de bons et loyaux services, le paquebot fut vendu aux chantiers de démolition espagnols de Vinaroz. Remorqué par le Provençal IV, il arriva à Vinaroz le 23 décembre 1973 ou il y fut démoli l'année suivante.
Pour nombre de soldats il restera le paquebot de leurs 20 ans et souvent le paquebot des seuls voyages en mer de leur vie.
31 DÉCEMBRE 2007
http://popodoran.canalblog.com/archives/p1-1.html
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Rédigé le 07/06/2022 à 14:47 dans Divers | Lien permanent | Commentaires (0)
Avons-nous
Avons-nous oublié Rachid Mimouni, cet autre géant de la littérature algérienne d’expression française, emporté par la décennie noire, non pas par les intégristes auxquels il n’avait point de scrupule à combattre (De la barbarie en général et l’intégrisme en particulier, essai, le Pré aux Clercs, 1992, 172 pages ; réédition, Alger, Editions Rahma, 1993, 173 pages.) ?
Avons-nous simplement rangé dans nos placards cet infatigable écrivain qui nous a légué des œuvres qui marquent l’histoire de notre pays ?
Nous ne pouvons pas comprendre les forces qui travaillent la société algérienne depuis l’indépendance sans l’aide de Rachid Mimouni qui a mis sa plume à en décrire les travers les insuffisances, les peines et les joies. Les œuvres de cet écrivain sont des fresques et des saisies nuancées. En homme de terrain, il scalpe la société pour en faire une description la plus fidèle possible.
Né le 20 novembre 1945 à Alma (qui porte le nom de Boudouaou, aujourd’hui), le département de Boumerdès, à l’est d’Alger, Rachid Mimouni est issu d’une famille pauvre. De ses études, nous pouvons signaler qu’il les a faites en Algérie. Licencié en sciences en 1968, Rachid Mimouni va enseigner pendant 17 ans. Il complétera ses études par une formation au Canada pour une durée de deux ans.
En 1986, il revient enseigner à l’Institut National de Production et du Développement Industriel. En 1990, il est enseignant à l’Ecole Supérieur du Commerce. En 1993, il devient professeur d’Economie à l’Université d’Alger. Mais sous la pression des menaces intégristes, il va s’exiler au Maroc (Tanger), en décembre de la même année. Il va collaborer à la Radio MDI (De ces chroniques en sortira un livre posthume : chroniques de Tanger, janvier 1994-Janvier 1995, Paris, Stock, 1995, 178 Pages), pendant plus d’un an avant d’être emporté par une hépatite virulente, dans un hôpital parisien le 12 février 1995.
Nous retraçons les dates de parution de ses romans de façon chronologique mettant de côté l’ordre d’écriture ; l’édition algérienne malmena les premiers écrits de l’auteur. Nadjib Redouane (Autour des écrivains maghrébins Rachid Mimouni, Toronto, Ed La Source, 2000, 427 Pages) retrace brillamment les aventures qu’a eues Rachid Mimouni avec la maison d’édition étatique.
Ce roman est le premier de Mimouni. Il se compose de XIX chapitres (197 Pages).
C’est un récit qui a pour cadre la guerre d’Algérie. Il raconte l’histoire de la lutte pour l’indépendance. Nous sommes en présence de deux entités qui se font la guerre. Les militaires français d’un côté et les Algériens colonisés de l’autre. Si Hassan, le chef des maquisards, incarne cette Algérie qui lutte contre le colonisateur français. Autour de lui , des étudiants révolutionnaires, Hamid, issu d’un milieu misérable, Malek représentant la bourgeoisie algérienne et Djamila, incarnant la gent féminine. Celle-ci, qui est la fiancée de Hamid, travaille comme un agent de liaison.
Le roman se ferme sur l’assassinat de Djamila soupçonnée par le côté algérien de trahison envers les siens et du côté français comme une dangereuse manipulatrice qui collecte des informations au profit des maquisards.
Le roman se termine par l’assassinat de Djamila et de Hamid par la police sur un pont et l’annonce de l’indépendance du pays.
“Aujourd’hui, un peuple en liesse est descendu dans les rues fêter sa liberté enfin retrouvée.” PNQPB P 197.
Nous ne nous attardons pas sur la structure du roman qui annonce dès l’incipit l’assassinat nécessaire de Djamila par son propre fiancé Hamid.
Robert Elbaz dit à ce propos :
« Cet assassinat autour duquel s’organise tout le récit nous est donné d’emblée dans les premières lignes du roman, qui n’est, dans son intégrité, que l’élaboration détaillée du cheminement qui mène vers ce moment » Nadjib Redouane (Autour des écrivains maghrébins Rachid Mimouni, Toronto, Ed La Source, 2000
C’est autour de Djamila que tourne la narration. Elle n’est pas comme le suggère Fawzia Sari dans sa thèse sur Mimouni :
“Dans la syntaxe narrative, elle est objet-valeur poursuivi par deux forces en conflit dans un espace en guerre : par l’armée coloniale et par les résistants algériens» Faouzia Bendjelid, l’écriture de la Rupture dans l’œuvre romanesque de Rachid Mimouni, thèse de Doctorat, Alger, 2006.
Mais un moyen pour atteindre l’objet de valeur convoité, celui d’avoir le dessus sur l’adversaire en présence. Les deux protagonistes ne cherchent pas à acquérir Djamila comme objet en soi, mais chacun travaille à l’avoir en premier pour atteindre un autre objectif : la gestion de l’espace social sans partage et sans concession. Djamila n’est pas l’objet de valeur auquel les deux protagonistes tentent de s’adjoindre à travers leurs programmes narratifs respectifs. Djamila est un outil qui permettrait à celui qui arrive à mettre la main dessus le premier d’affirmer sa position.
Nous sommes en présence de deux sujets qui sont tous deux en quête d’un statut : pouvoir affirmer leur hégémonie sur l’espace social où ils meuvent. Ce sont deux sujets collectifs qui s’incarnent à travers des individualités bien distinctes. Le sujet collectif algérien (donnons ce nom pour les maquisards qui luttent dans ce texte contre l’armée française.) est représenté par Hamid, Djamila, Malek et Si Hassen. L’autre sujet collectif représente la France coloniale avec ses moyens coercitifs que sont l’armée et la police. Il est représenté par le capitaine, diligenté par les autorités de la métropole parce que considéré comme :
« Le meilleur théoricien des luttes de guérilla, l’un des meilleurs spécialistes les plus avertis du terrorisme urbain » PNQPBP 12.
Ces deux sujets sont dans une relation conflictuelle parce qu’ils se disputent le même objet de valeur. Disons plutôt qu’ils cherchent à occuper la même position. Or cette position tel un plan paradigmatique n’accepte qu’un occupant. Alors une lutte à mort pour occuper cette place lie les deux protagonistes. Les deux prétendants luttent chacun avec les moyens qu’il a à sa disposition afin d’avoir le dessus sur l’autre. Et pour avancer un peu sur l’échiquier, il y a Djamila, personnage qui appartient à deux espaces : d’un côté, elle fait partie de l’organisation clandestine qui lutte pour l’indépendance du territoire algérien et son affranchissement de l’hégémonie française et, de l’autre elle a établi une relation avec le capitaine. Cette relation avec l’ennemi de son groupe d’appartenance la disqualifie à leurs yeux. Elle devient dangereuse parce que pouvant compromettre l’avenir de l’organisation en flirtant avec l’ennemi. Il est aisé de comprendre à travers les quêtes respectives de nos deux protagonistes que l’objet de valeur dont il est question n’est pas du tout Djamila comme l’asserte la chercheuse algérienne plus haut. L’objet de valeur auquel tendent les deux sujets collectifs à se joindre est ce Pouvoir administrer l’espace algérien. Autrement dit, ce qui est en jeu à travers les programmes narratifs et des Français et des Algériens n’est pas Djamila, mais l’espace algérien. D’un côté, les Français veulent à tout prix maintenir la paix sociale, donc la mainmise et le maintien de la façon dont est géré cet espace en question, et de l’autre, les combattants algériens discutent de la légitimité de la présence française sur cette terre – donc cet espace.
Djamila n’est qu’un enjeu de circonstances, un enjeu du moment. Pour chaque partie en conflit, elle représente un atout en plus.
À travers cette relation conflictuelle entre les deux instances, nous restons convaincus que le problème fondamental que pose ce texte demeure l’impossible émergence d’une interaction intersubjective respectueuse de l’Autre ; l’impossible émergence d’une interaction dont l’objectif de chaque partie en présence est l’advenue de l’Autre, de sa subjectivité, de son individualité et de sa particularité tant que l’enjeu et l’objet à posséder demeure l’espace social. Ce premier roman de Mimouni nous met déjà dans cette passion qui semble dévorer les hommes à savoir la mainmise et le contrôle de l’espace social.
Ce que nous pouvons dire de ce texte : deux programmes narratifs dans une relation dialectique qui s’annulent et se contredisent. Celui des Français est de capturer cette Djamila qui fournirait de précieuses informations à l’Armée française représentée par le capitaine et l’instance qui l’emploie, le commandant. Le programme des Algériens est de supprimer cette même femme avant qu’elle ne soit entre les mains de ces derniers, car sa capture vivante apporterait un coup dur pour la résistance. Ce récit est une micro-séquence qui appartient à une plus grande séquence (macro-séquence qui elle a pour objet de valeur cet espace algérien à administrer). Ces deux programmes se rejoignent en la personne de Djamila. Pendant que les uns cherchent à la capturer vivante, les autres cherchent à tout prix à la supprimer.
L’assassinat de Djamila joue en fin de compte le jeu des maquisards. Avec sa disparition, disparait aussi tout ce qu’elle savait sur l’organisation terroriste. Celle –ci perd certes Hamid, mais son secret demeure inviolé et non dévoilé. Et le conflit persiste entre les deux instances en présence. Celle qui a disparu est la personne qui aurait peut-être mis un terme à cette confrontation. Si l’organisation terroriste des combattants venait à être démantelée, cela serait peut-être la fin du conflit. Et une situation moins antagonique serait envisageable. Or ce n’est pas le cas. Nous assistons dans ce récit à la suppression du sujet (Djamila) qui pouvait de par les informations qu’elle livrerait aux autorités françaises mettre fin au conflit.
Sur le plan dialectique, nous sommes en présence d’une contradiction à résoudre. Elle se présente ainsi :
D’où le conflit entre les combattants algériens et les autorités.
Djamila est un élément décisif dans la résolution de cette contradiction.
La fin du récit est pleine de symboles. Djamila et Hamid sont fusillés sur la passerelle. Est-ce pour signifier cette impossible passerelle entre subjectivités différentes ? Cet impossible dépassement des frontières ? Est-ce pour signifier l’impossible amour qui est source de vie dans l’Algérie future ? Ou est-ce simplement l’impossible émergence d’individualité tant que c’est le groupe qui décide ?
La gestion de l’’espace constitue l’objet de quête que se disputent les deux entités en présence dans ce récit. Dès les premières Ps, nous sommes introduits dans un univers de lutte acharnée afin d’asseoir sa suprématie sur l’espace de la ville. Appelons le l’espace urbain.
La description est pauvre, floue. C’est une ville étrange :
« Étrange ville (…) » PNQPB P 27.
C’est en elle que se dérouleront les opérations. Le capitaine, un spécialiste de la guérilla urbaine :
« (…) le meilleur théoricien des luttes de guérilla, l’un des spécialistes les plus avertis du terrorisme urbain » PNQPB P12
La ville, selon le commandant est un passage obligé de tout ce qui concerne les maquis de l’organisation terroriste :
« L’organisation terroriste que nous essayons de détruire dans cette ville est moins dangereuse par les exactions qu’elle commet (…) que parce qu’elle constitue le soutien logistique des maquis »
« Les fonds collectés à travers tout le pays affluent vers la ville (…) »
« C’est aussi la ville qui fournit aux maquis les médicaments, les vêtements, la nourriture qui leur est nécessaire (…) » PNQPB P19
Depuis l’arrivée du capitaine en ville, Si-Hassan trouve inquiétant le calme qui règne :
« Depuis quelques temps, il règne un calme inhabituel sur la ville. Il n’y a plus de quartiers encerclés, de rafles, de barrages, de vérifications d’identité dans les rue » PNQPB P 26.
La description de l’espace urbain que nous décrit ce personnage, modélisent les relations et les interactions entre les protagonistes. L’armée française met tous les moyens pour surveiller la ville de la présence des ‘terroristes’
L’espace de la compagne est un espace vital pour le conflit qui se joue en ville. En apparence, la ville semble être le terrain des opérations et le point de confluence de toutes les activités des combattants comme nous l’avons vu plus haut. Mais ce qui est le poumon sinon le moteur de cette révolution semble être indéniablement l’espace non urbain, l’espace de la compagne. Si l’argent est le nerf de la guerre comme dit le proverbe, alors la ville n’est qu’un lieu vers lequel afflue et arrive les différends fonds collectés un peu partout à travers le territoire. Et rien qu’à mesurer les deux espaces, la compagne et les villages sont beaucoup plus importants que les villes et les espaces urbains. Certes la ville :
« (…) Constitue le soutien logistique des maquis » PNQPB P19,
Donc un espace important. Mais ce qui est recherché par les autorités françaises, est de porter un coup à la guérilla urbaine afin de couper les maquis des moyens de soutiens dont ils disposent. Donc le but final demeure l’atteinte des maquis. C’est ce que dit le commandant au capitaine diligenté par Paris :
« L’organisation terroriste que nous essayons de détruire dans cette ville est moins dangereuse par les diverses exactions qu’elle commet- attentats, explosions, sabotages, etc.- que parce qu’elle constitue le soutien logistique des maquis, un soutien sans lequel ces derniers perdraient la moitié de leur efficacité. (…) » PNQPB P19
En plus, la compagne fournit à la ville des hommes et des femmes qui sont de valeureux combattants : Djamila est d’origine campagnarde, elle est issue d’une puissante tribu, tandis que Hamid est issu du même espace mais de condition modeste.
Avec ce premier roman, Rachid Mimouni nous présente magistralement une page douloureuse de notre histoire, histoire tant tourmentée de ce pays qu’est l’Algérie. Tourments qui n’en finissent pas. Dans un article prochain, nous présenterons son second roman.
Said Oukaci
07/06/2022
https://lematindalgerie.com/rachid-mimouni-ce-geant-de-la-litterature-algerienne/
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Rédigé le 07/06/2022 à 08:48 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Un tribunal algérien a confirmé mardi en appel la condamnation à 18 ans de prison ferme de Rafik Khalifa, l'ex-"golden boy" impliqué,
dans l'un des plus gros scandales financiers en Algérie, a rapporté l'agence officielle APS.
M. Khalifa, 55 ans, avait été condamné à la même peine en première instance en novembre 2020. Le tribunal criminel de la Cour de Blida, au sud-ouest d'Alger, l'a également condamné mardi à une amende d'un million de dinars (environ 6.500 euros) avec confiscation de tous les biens saisis pour "association de malfaiteurs", "falsification de documents officiels", "usage de faux", "vol en réunion", "escroquerie", "abus de confiance", "falsification de documents bancaires" et "banqueroute frauduleuse", selon la même source. L'ex-homme d'affaires, qui a été auditionné par visio-conférence à partir de l'établissement pénitentiaire de Chlef (ouest), a en revanche été acquitté du chef d'accusation de "trafic d'influence".
Sur quinze accusés jugés dans le cadre de la même affaire, le tribunal a acquitté huit personnes, dont l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, Abdelwahab Keramane, son frère Abdenour et sa fille Yasmine. Les autres co-accusés ont été condamnés à des peines allant de deux à huit ans de prison ferme. Lors d'un premier procès en 2007, cet ex-membre de la jet set courtisé à Alger et Paris, avait été condamné par contumace à la perpétuité. Après avoir été extradé par Londres fin 2013, il a été condamné en 2015 à 18 ans de prison ferme.
Suite à un pourvoi en cassation un nouveau procès avait eu lieu en 2020 à l'issue duquel il avait été condamné en première instance à 18 ans de prison, peine confirmée mardi en appel. Après la faillite de son groupe en 2003 et celle de Khalifa Bank, qui aurait causé un préjudice de près de cinq milliards de dollars à l'Etat et aux épargnants, M. Khalifa s'était réfugié à Londres. En 2014, il avait été condamné par défaut en France à cinq ans de prison pour détournement de millions d'euros. Le groupe Khalifa était constitué autour d'une banque.
AFP / le 07 juin 2022 à 14h37
https://www.lorientlejour.com/article/1301954/dix-huit-ans-de-prison-ferme-contre-lex-golden-boy-rafik-khalifa.html
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Rédigé le 07/06/2022 à 08:12 dans corruption | Lien permanent | Commentaires (0)
Lettre de Jean Cavignac adressée à Robert Louzon, parue dans La Révolution prolétarienne, n° 172 (473), juin 1962, p. 21-22
Reprise le
07/06/2022
De J. CAVIGNAC, de Paris, cette lettre adressée à Louzon :
Je vous avais déjà exprimé que je n’étais pas d’accord avec vous pour une évacuation de l’armée française qui laisserait face à face Musulmans et Pieds-Noirs et inspirerait à ces derniers une crainte salutaire, commencement de sentiments coopératifs.
Vous dites que dans le bled où les Pieds-Noirs n’ont plus la protection complice de l’armée française, il n’y a pas de violences de la part des Européens. Si vous me permettez de revenir à la charge, je vous dirai qu’au contraire les Européens du bled n’avaient pas eu assez peur jusqu’ici et croyaient à la coopération. Mais maintenant, ils ont peur et s’en vont, témoin l’information parue aujourd’hui dans « Combat » (p. 2 col. 6) que je vous envoie, selon laquelle « une forte proportion, surtout lors du dernier départ était constituée par des Européens des petits centres de l’intérieur ».
Si l’on admet, que le rapatriement massif des Pieds-Noirs ne serait profitable ni à l’Algérie, ni à la France, on peut dire que la peur, mauvaise conseillère n’est pas faite pour hâter une paix véritable.
D’ailleurs, n’est-ce pas en partie cette peur née de la terreur exercée par le F.L.N. qui a rendu fous et criminels une partie des Pieds-Noirs ? La peur semble donc avoir eu deux effets : dans les villes où les Européens sont en force, contre-terreur pire que la terreur et, dans le bled, la valise ou la mitraillette.
Je n’ai pas la prétention d’avoir une solution-miracle du problème algérien, mais je crois que l’armée française, au moins autant que le F.L.N. devrait demeurer sur le terrain pour empêcher, dans la mesure du possible, les heurts sanglants et l’exode également catastrophique. Son retrait ne provoque pas, en effet, une crainte raisonnée qui pourrait être le commencement de la sagesse, mais une panique démentielle.
Lettre de Jean Cavignac adressée à Robert Louzon, parue dans La Révolution prolétarienne, n° 172 (473), juin 1962, p. 21-22
Reprise le 07/06/2022
https://sinedjib.com/index.php/2022/06/07/jean-cavignac-sur-le-probleme-algerien-2/#more-16353
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Rédigé le 07/06/2022 à 07:22 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le 16 octobre 1957, Albert Camus apprend qu’il recevra le prix Nobel de littérature. Un mois plus tard, dans le brouhaha qui suit cette annonce, l’écrivain prend le temps d’envoyer une lettre à Louis Germain, son ancien instituteur.
« Mais quand j’ai appris la nouvelle, écrit-il, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. » Dans sa réponse, Germain atténue son mérite pour mieux reconnaître celui de Camus et garde son bel esprit d’instituteur. « De toute façon et malgré Mr Nobel, écrit-il à Camus, alors âgé de 44 ans, tu resteras toujours mon Petit. »
On peut lire ces émouvantes missives dans « Cher Monsieur Germain, … » (Folio, 2022, 128 pages), un court ouvrage qui reproduit toute la correspondance connue, et en partie inédite, entre l’élève et son maître, de 1945 à 1959. Camus a 10 ans quand il quitte la classe de Louis Germain pour commencer ses études secondaires à titre de boursier. Il n’oubliera jamais cet éveilleur, « un des deux ou trois hommes à qui je dois à peu près tout », lui écrit-il en 1945.
Camus naît en Algérie, dans une famille pied-noir pauvre, en 1913. Son père, modeste caviste, est mobilisé et tué au front l’année suivante. Sa mère, ménagère, est sourde et analphabète. L’enseignement de Germain, à l’école communale d’Alger, arrive comme une lumière dans sa vie.
Dans Le premier homme, roman inachevé publié par sa fille en 1994 chez Gallimard et dont le chapitre sur l’école est reproduit dans « Cher Monsieur Germain, … », Camus, sous le nom de Jacques, revient sur sa rencontre avec son instituteur, renommé Monsieur Bernard, littéralement dépeint comme un héros. L’homme n’ennuyait jamais, raconte Camus, « pour la simple raison qu’il aimait passionnément son métier » et ses élèves.
Dans sa classe, on oublie la pauvreté et l’ignorance qui règnent à l’extérieur parce que l’instituteur, jugeant les petits « dignes de découvrir le monde », alimente en eux la faim de la connaissance. Il ne traite pas les enfants en étrangers, mais en frères, en les accueillant « avec simplicité dans sa vie personnelle ». Monsieur Bernard est cultivé et il aime ce qu’il fait, ce qu’il enseigne et ses élèves. Ça change tout. Au-delà des structures et de tout le baratin pédagogique, au-delà, même, des données probantes, l’essentiel est là.
Quand il dira à Jacques que l’heure est venue d’aller plus loin, avec des enseignants plus érudits, l’élève redoute la séparation parce que, écrit Camus, « il ne pouvait croire que les maîtres fussent plus savants que celui-là dont le cœur savait tout ».
Peu de pages, dans l’histoire de la littérature, racontent avec une telle force délicate le pouvoir libérateur d’un maître. Le message est puissant : un enseignement de qualité est affaire de contenu, certes, et l’instituteur de Camus est à la hauteur à cet égard, mais c’est aussi, et peut-être d’abord, une affaire d’attitude. Monsieur Bernard change la vie des enfants en incarnant une pédagogie qui est, note le philosophe français Baptiste Jacomino, « une forme authentique de fraternité ».
Dans ses lettres à Louis Germain, dont il se dit le « fils spirituel », Camus multiplie, avec une poignante sincérité, les marques de gratitude à l’endroit de son correspondant. « Un bon maître est une grande chose, lui écrit-il en 1946. Vous avez été le meilleur des maîtres et je n’ai rien oublié de ce que je vous dois. »
Quinze ans plus tard, il évoque encore cette dette « inépuisable ». En 1950, en réponse à une lettre de Germain dans laquelle celui-ci s’excusait presque d’écrire à Camus qui devait avoir mieux à faire que de lire les lettres de son ancien instituteur, l’écrivain corrige amicalement son maître. « Je n’ai et je n’aurai, écrit-il, jamais mieux à faire que de lire les lettres de celui à qui je dois d’être ce que je suis, et que j’aime et respecte comme le père que je n’ai pas connu. »
Le lien entre les deux hommes est si fort que, quand Camus lui envoie, en 1959, une des premières études exhaustives consacrées à son œuvre, Germain s’en amuse un peu en disant croire mieux connaître son « petit Camus » que les savants. « J’ai l’impression, écrit-il, que ceux qui essayent de percer ta personnalité n’y arrivent pas tout à fait. Tu as toujours montré une pudeur instinctive à déceler ta nature, tes sentiments. Tu y arrives d’autant mieux que tu es simple, direct. Et bon par-dessus le marché ! »
Camus, dans Le premier homme, évoque « la puissante poésie de l’école ». Or, pour agir, celle-ci a besoin de maîtres qui savent parler à la tête des élèves tout en faisant vibrer leur cœur, plus encore si, comme Camus et comme moi, ils proviennent de milieux populaires. Nous avons eu cette chance, que je souhaite à tous.
https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/718434/chronique-camus-emu
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Rédigé le 07/06/2022 à 05:13 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
L’écrivain martiniquais a magistralement illustré le traumatisme colonial. Soixante ans après sa mort, nous nous souvenons de son travail et de son héritage.
Le 3 décembre 1961, le psychiatre et intellectuel martiniquais Ibrahim Frantz Fanon succombe à l’impitoyable leucémie qui a écourté sa vie à l’apogée de sa production académique, à l’âge de 36 ans, et l’année de la publication de sa dernière œuvre, le classique Les damnés de la terre. Le penseur a marqué une époque par ses écrits et est mort à un moment clé de l’histoire africaine, celui de l’avènement des indépendances, période dont il a été témoin et protagoniste, ayant été membre du Front de libération nationale (FLN, en français) pendant la guerre d’émancipation de l’Algérie (1954-1962). Son expérience, en tant que psychiatre, a été fondamentale pour dépeindre le profil des colonisés dans le livre qui est devenu une référence obligatoire dans les études sur le colonialisme.
Colonialisme et aliénation
Dans le feu de la guerre d’Algérie, qui dure depuis sept ans à l’époque où il écrit Les Damnés de la Terre, Fanon écrit que la décolonisation est toujours un processus violent qui déshumanise les colonisés, en leur déniant leur passé, leur essence et leurs valeurs. « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, ce n’est pas un corps doué de raison. C’est la violence à l’état de nature », écrit-il dans les premières pages de son essai.
Le système colonial construit et perpétue les stéréotypes. Fanon les a constamment dénoncés. En 1961, il explique que l’oppresseur est défini par le colonisé comme un ennemi des valeurs, dépourvu de valeurs comme de morale. La déshumanisation a conduit à l’extrême en comparant les Africains à des animaux. « La langue du colonisateur est une langue zoologique », ajoute le psychiatre.
Les évaluations susmentionnées étaient soutenues par le discours scientifique de l’époque. Dans ce domaine, en France, avant 1954, on avait conclu que l’Algérien était un criminel né, un meurtrier impulsif et impitoyable, qui tuait pour rien, et volait toujours avec violence. Des observations similaires ont même été faites en Tunisie et au Maroc, d’où l’on a conclu au stéréotype du criminel nord-africain.
Fanon dénonce le contenu de l’enseignement français sur les sujets basés sur des théories métropolitaines qui les associent à l’infériorité et à l’agressivité. Dans l’une de ces études, l’indigène nord-africain est dépeint comme presque dépourvu de cortex cérébral, ou dans une autre, l’Africain est comparé à un Européen lobotomisé. En conclusion, pour plusieurs spécialistes français, la structure mentale de l’Africain le prédisposait à être presque un animal.
L’auteur des Damnés de la Terre le définissait dans un cadre d’une certaine ambiguïté comme un être acculé. D’une part, il est craintif et même hostile à l’oppresseur ; d’autre part, il l’envie, souhaitant prendre sa place et même dormir dans son lit, possédant sa femme. La ville de ces derniers était interdite aux indigènes, la séparation entre les deux mondes était une réalité, et en raison de cette distance et de la violence inhérente au système lui-même, les colonisés vivaient dans un état de tension permanente.
L’auteur antillais voyait le colonisé comme un persécuté qui rêve toujours de devenir un persécuteur.
Cette tension s’est manifestée par le désir de briser les limites qui lui étaient imposées sous la menace ou l’application de la coercition. Pour cette raison, ces tensions étaient sublimées pendant le sommeil : » Ce sont des rêves musclés, des rêves d’action, des rêves agressifs. Je rêve que je saute, que je nage, que je cours, que je saute. Je rêve que je ris aux éclats (…). Pendant la colonisation, le colonisé ne cesse de se libérer entre neuf heures du soir et six heures du matin », a-t-il résumé. Comme l’Africain ne déchargeait pas sa violence sur l’Européen, il le faisait sur d’autres Africains, par le biais de luttes internes ou de la religion. Dans un état de transe, il oubliait sa condition d’assujetti, ne serait-ce que pour un moment. Ce n’est pas une coïncidence si, pendant le colonialisme, les hôpitaux étaient surpeuplés d’individus au psychisme très perturbé.
Libération et guerre
Si le colonialisme, explique Fanon, est une pure violence, la réponse doit être tout aussi violente. Comme ce système est construit par la force des armes, le subjugué savait que son heure viendrait par la force des armes. « L’homme colonisé se libère dans et par la violence », argumente l’auteur.
Si le colonialisme, explique Fanon, est une pure violence, la réponse des colonisés doit être tout aussi violente.
Il n’y a pas d’alternative, explique-t-il dans ses pages. La nouvelle société doit naître de la violence et de la lutte armée révolutionnaire. Fanon a recommandé de former un front commun contre l’oppresseur. Les colonisés se retrouvent acculés par la misère et la faim, ce qui les pousse de plus en plus à l’acte désespéré de la lutte ouverte et organisée. Il était temps d’entrer dans la demeure interdite du colonisateur. « Progressivement et imperceptiblement, la nécessité d’une confrontation décisive devient urgente et est ressentie par la grande majorité du peuple », a-t-il averti.
Et le début de la libération a apporté un soulagement. Son apparition a détendu les colonisés, la production artistique est devenue expressive et il y a eu un verdissement des expressions en général, plus de créativité dans les manifestations culturelles et une résurgence de l’imagination. Par ailleurs, Fanon constate que depuis 1954, les crimes de droit commun ont quasiment disparu en Algérie. Cela signifie que l’agressivité algérienne a été surmontée grâce à la libération apportée par la guerre d’indépendance.
La libération, outre la rédemption du peuple, l’acteur principal, exigeait également l’expulsion de l’étranger, un processus qui a été consommé, par exemple, en Algérie après l’indépendance en 1962. Mais les problèmes d’organisation du nouvel État ne tardent pas à se poser.
D’abord le peuple
La lutte armée est le produit du peuple, la naissance d’une nouvelle nation. Fanon a montré que la violence unifiait le peuple en faisant pression sur le régime colonial. Bien que ses mécanismes tentent de diviser, en fomentant partout des tribus et autres artifices, la violence en pratique serait néanmoins totalisante et nationale, tendant à éliminer le régionalisme et le tribalisme. Mais l’unité ne s’est pas arrêtée à ces points.
Chaque colonisé en armes est un morceau de la nation vivante.
Par rapport aux secteurs les plus délaissés, ces acteurs se sont recomposés en s’intégrant aux efforts de la lutte de libération nationale sur le plan individuel, en envahissant, pour paraphraser la Martinique, la citadelle du colonisateur. Ainsi, reconnaissant que c’était la seule voie possible, tous ces individus étaient unifiés parce que la lutte leur promettait un horizon réparateur sous l’égide de la construction de la nation. Cependant, des fragments de ces groupes se sont également alignés sur l’oppresseur.
« Chaque colonisé en armes est un morceau de la nation vivante », célébrait l’auteur. Le but était de construire une nation pour chasser les intrus. Mais le départ de ce dernier n’a pas éclairci le tableau. La bourgeoisie nationale a pris les rênes du pouvoir après la décolonisation et peu de choses ont changé. La misère l’emporte une fois de plus. Ce nouveau groupe a trahi le peuple et s’est allié à des acteurs extérieurs, ce qui a conduit au néocolonialisme et a tenu à distance les aspirations populaires. Fanon a dénoncé la manière dont cette bourgeoisie avait perdu ses airs novateurs et était devenue un instrument du statu quo antérieur.
L’auteur de Peau noire, masques blancs a fait une dénonciation très forte. Les pays qui sont devenus indépendants, conformément à la description ci-dessus, ont transformé leurs gouvernements en dictatures tribales, et non plus bourgeoises. « Ce parti qui prétendait être le serviteur du peuple, qui prétendait favoriser le développement du peuple, depuis que la puissance coloniale lui a remis le pays, s’est précipité pour ramener le peuple dans sa caverne », a poursuivi l’intellectuel. En d’autres termes, il a critiqué le fait que les partis étaient éloignés du peuple, des masses.
Le politicien ne doit pas ignorer que l’avenir restera fermé tant que la conscience du peuple sera rudimentaire, primaire, opaque.
Il a demandé instamment de reconstruire des ponts avec eux et de faire du peuple les protagonistes de la lutte armée et du processus de transformation qui s’ensuit. Il a fait valoir qu’il était important que le gouvernement et le parti soient au service du peuple. « Le politicien ne doit pas ignorer que l’avenir restera fermé tant que la conscience du peuple sera rudimentaire, primaire, opaque », a-t-il conclu.
Comme l’écrivait le philosophe existentialiste français Jean-Paul Sartre dans le prologue de l’ouvrage du Martiniquais, on guérit le colonisé de la névrose coloniale en expulsant le colon par les armes. Pourtant, d’une certaine manière, le néocolonialisme se perpétue 60 ans après la publication des Damnés de la Terre. Les ex-métropoles n’ont pas complètement abandonné l’Afrique comme l’ont supposé la plupart des libérations politiques continentales dans les années 1960. Aujourd’hui encore, comme l’a averti et écrit Frantz Fanon en 1961, divers mécanismes tiennent en échec les populations et les gouvernements africains.
Omar Freixa
El País, 03/12/2021
https://moroccomail.fr/2021/12/04/frantz-fanon-un-classique-pour-comprendre-le-colonialisme/
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Rédigé le 06/06/2022 à 21:29 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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