J’ai tracé à grands traits les circonstances politiques, diplomatiques de l’expédition d’Alger en 1830.
Mais avant d’aller plus loin, faisons un grand saut en arrière dans le temps et jetons un regard sur l’état de l’Afrique du Nord, dans l’histoire générale du bassin méditerranéen, lors de la conquête arabe.
Quelques caractéristiques géographiques, d’abord :
L’Algérie occupe le centre de l’Afrique du Nord, et présente trois régions naturelles distinctes.
1/ Le Tell.
En bordure de Méditerranée, (climat méditerranéen avec des écarts saisonniers), dominé par une chaîne cotière avec les monts de Dahra, de Djurdura en Kabylie, de Tlemcen, des Bibans. Ces massifs encadraient les plaines côtières d’Oran, d’Alger, de Bône, de Tlemcen, de Siddi-Bel-Abbès, de Blida.
Ces plaines arrosées par les rivières, Chélif et Macta coulaient dans des vallées encaissées mais fertiles.
Peu de cultures, malgré la fertilité du sol, un maquis à arbustes épineux. L’on y trouvait aussi des forêts de chênes-lièges, d’Eucalyptus et de cèdres.
Dans les vallées les mieux exposées poussaient de l’orge, du seigle, particulièrement. Du blé, mais en petites quantités. Des oliviers poussaient à l’état naturel et des figuiers.
Les Hauts-plateaux.
Compris entre les chaînes de l’Atlas tellien et celles de l’Atlas saharien, ils formaient une steppe favorable à l’élevage des moutons et chèvres. Il y poussait de l’alfa.
Dans les Hauts-plateaux de l’Est, l’humidité y était abondante, les Hauts-plateaux manquaient d’eau. C’étaient en général des régions pauvres, déshéritées.
Le Sahara.
Il s’étendait depuis le sud de l’Atlas dit « Saharien » que composaient les monts de Krour, les Ouled Nails et de l’Aurès.
Ces plateaux pierreux (les hamadas) se recouvraient partiellement d’ergs (dunes de sable). Climat sec. Les seules végétations qui y croissaient étaient des palmiers-dattiers autour des points d’eau et une « végétation de steppe ».
L'islamisation du Magrheb.
Elle commence dès la fin du VIIe siècle et ne devient définitive qu’après le triomphe des Almohadas au XIIe siècle. Dès lors, Maghreb et Islam ne vont faire qu’un. « Les problèmes sociaux, politiques, nationaux ne peuvent être compris que si l’on tient compte de leur aspect musulman ». 1
Le Maghreb, méditerranéen, « participait peu ou prou à la vie de cet ensemble, depuis le détroit de Gibraltar jusqu’au Proche-Orient auquel l’Afrique du Nord était déjà liée aux temps de Carthage, mais les invasions arabes et la conquête musulmane marqueront davantage son orientalisme, avec la destinée de quelques hommes aventureux comme Idriss, Ibn Rostem, et Ibn Toument, et enfin, la poussée turque du XVIe siècle
Toute une période en découla, « où le pays laissé à lui-même, en dehors des influences européennes vit surgir et s’effondrer des dynasties rivales sans parvenir à une unité durable ».
Ces dynasties étaient nombreuses et désunies. (Kharijites, Fatimides, Almoravides, Almohades, Saadiens, Alaouites, Hofcides, Métrinides, enfin les dynasties turques).
Dans quel état se trouvait l’Algérie au moment de la conquête arabe ?
En l’an 533, les Byzantins ayant reconquis les anciennes provinces romanisées, chassaient les Vandales dirigés par le légendaire Genseric et ses successeurs.
L’Afrique byzantine n’avait guère à voir avec l’Afrique romaine. Le territoire occupé par les Byzantins étaient moins étendu que ne l’était l’Afrique romanisée. Les Byzantins n’occupaient de la Tingitane (actuelle Mauritanie, que Septem (actuelle Ceuta), Caesarea (Césarienne),Cherchell. La Sitifienne était amputée de sa partie occidentale, la Tripolitaine, de sa partie méridionale, la Numidie, la Proconsulaire et la Byzacène restaient en l’état où elles se trouvaient sous l’Afrique romaine.
« Les territoires laissés à eux-mêmes se détachaient lentement de la civilisation romaine pour retourner peu à peu vers les antiques usages berbères ».
Ajoutons que les berbères romanisés avaient, tout au long des siècles, apprécié le mode de vie romain. Ruraux et citadins, ils avaient acquis un véritable esprit d’indépendance à l’intérieur des zones soumises à Byzance. Les Berbères ressentaient un besoin réel d’émancipation politique. Des confédérations berbères se créèrent.
Les Byzantins venus s’installer en Afrique, apportaient contrairement aux Romains, peu de stabilité. Ils avaient importé aussi leurs querelles religieuses « subtiles et véhémentes », que l’invasion arabe en Egypte avaient exacerbées.
Les monophysites.
Très prosélytes, ils jetaient la discorde entre les communautés chrétiennes établies au Maghreb.
Le monophysisme découlait d’une doctrine qui ne reconnaissait qu’une seule nature à Jésus-Christ : celle, divine. Et que sa nature divine avait absorbé la nature humaine du Christ. Le concile de Chalcédoine, en 451, avait condamné les doctrines d’Eutyches. 2
En 646, le patrice Grégoire, gouverneur byzantin d’Afrique, se rebelle contre le gouvernement central de Byzance, prend le pouvoir et se fait proclamer Empereur.
Voilà l’état où se trouve le Maghreb au moment des débuts de la conquête arabe.
Gardons-nous de jeter un regard superficiel sur les conséquences visibles, spectaculaires, même, de la conquête arabe et de la conversion des indigènes. Elle ne se fit qu’au prix de luttes terribles et sans merci. Ce fut une véritable révolution ; les Arabes ayant abattu la « cloison étanche » qui séparait l’Occident de l’Orient.
La résistance à l’islamisation fut longue et farouche, forcément violente.
Peu de chroniqueurs européens pour en attester, mais des récits produits par les chroniqueurs arabes, postérieurs de plusieurs siècles aux événements. Ce fut une période légendaire. Les historiens arabes proposent 4 pistes, qu’ils appelent des « traditions ».
- Tradition orientale de Wâquidi. Il vécut à Médine et à Bagdad à la fin du VIIIe siècle.
- Tradition arabo-andalouse avec Mousa ben Naçayr qui vécut en Andalousie à la fin du VIIIe siècle.
- Tradition africaine avec le descendant d’Abou-I-Mohaji qui vécut à Kairouan à la même époque,
- Tradition égyptienne avec Ibn-Abd-el-Hakam qui mourut au Caire en 871.
Ce n’est qu’au XIXe et XXe siècle, que les érudits spécialistes de l’Islam, (avec les progrès des connaissances en histoire, anthropologie, numismatique, archéologie) se sont livrés à des études approfondies de ces textes, permettant d’’en apprécier la valeur, au regard du peu d’informations sur cet
âge légendaire.
Pourquoi parler de « traditions » plutôt que de témoignages ou de chroniques ?
« Ce mot « traditions » n’est pas cité à la légère, car les sources étaient données dans l’esprit des « dits » du Prophète Mohammed, par les traditionalistes musulmans. Il s’agissait de « chaînes de témoignages » reconstituées jusqu’au dernier maillon », c’est-à-dire en remontant aux personnages témoins des faits en question.
« Le souci d’édification et de fixation de la jurisprudence est très net : l’histoire intéresse beaucoup moins en elle-même que par les arguments que peut en tirer l’école juridique à laquelle appartenait Ibn « Abd el-Hakam ».
Deux styles de narratif.
Ceux du VIIIe au IXe siècle, au style aride et sec ( Ibn Abd el Hakam, Beladhori, Pseudo Ibn Qutaïba), offrant un contraste avec ceux du Xe au XVe siècle, où Ibn Khaldoun, avec une grande liberté de jugement et un esprit critique narrait dans une prose poétique, parfois avec quelques enjolivements, ces événements remontant à des siècles en arrière.
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Cette série d'article a été rédigée à partir de la thèse de Pierre Gourinard, Historien, Docteur-ès-Lettre, intitulée « Les royalistes français devant la France dans le monde », présentée à l’Université de Poitiers en 1987 et de l’ouvrage du même auteur, édité en 1992 chez Lacour-Editeur, (préface de Jacques Valette professeur de l’Université de Poitiers).
Encyclopédies Alpha, Larousse, Quillet.
Histoire de la civilisation Will Durant
Charles-André Julien, professeur à la Sorbonne, Histoire de l'Afrique du Nord de la conquête arabe à 1830, Ed. Payot, 1952.
Le destin tragique de l’Algérie française – Collection dirigée par P. Miquel.
1Julien Courtois ( Histoire de l’Afrique du Nord, des origines à la conquête).
2Eutyches : Eutyches ou Eutukhès. Hérésiarque grec, (378-454), après avoir combattu le nestorianisme se jeta dans la doctrine. Exilé par l’empereur byzantin Marcien, en 451, il y mourut en 454.
Les Monophysites se répartissent aujourd’hui en 3 églises indépendantes : l’église arménienne, l’église jacobite de Syrie, l’églie copte d’Egypte.
lundi 13 juin 2022
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/origines-et-aspects-meconnus-de-la-242167
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