La commission d’enquête de la Chambre des représentants a présenté, jeudi, ses premières conclusions sur l’attaque du 6 janvier 2021. Retransmise en direct sur plusieurs chaînes de télévision, cette audition publique a mis en évidence la responsabilité de l’ancien président américain.
Un exercice de pédagogie vital pour la démocratie américaine a débuté, jeudi 9 juin, dans une salle du Congrès. Ce fut aussi un moment de télévision exceptionnel, dont la sobriété des acteurs n’a fait que renforcer l’intensité. La commission d’enquête de la Chambre des représentants a tenu une première audition publique afin de remonter le fil des événements qui ont conduit à l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole, par les partisans de Donald Trump. Cette sombre journée fut le « point culminant d’une tentative de coup d’Etat », a résumé, en introduction, le démocrate Bennie Thompson (Mississippi), président de la commission.
Assis sous un écran géant, les neuf membres de la commission siégeaient dans une atmosphère solennelle, devant un parterre nourri de photographes. L’audition était réglée minutieusement, menée par Bennie Thompson et la vice-présidente de la commission, la républicaine Liz Cheney (Wyoming). « Le 6 janvier et les mensonges ayant conduit à l’insurrection ont mis en danger deux siècles et demi de démocratie constitutionnelle », a dit Bennie Thomson, pour cadrer l’enjeu du moment. Mais c’est surtout Liz Cheney qui a imprimé sa marque à l’audition. Devenue une pestiférée au sein du Parti républicain, honnie par Donald Trump, elle s’est engagée depuis des mois dans une croisade pour établir la vérité sur le 6 janvier, en compagnie de l’autre élu de son parti au sein de la commission, Adam Kinzinger (Illinois). Pour la fille de l’ancien vice-président de George W. Bush, Dick Cheney, il s’agit du combat décisif de sa vie politique, qui n’autorise ni faiblesse ni demi-mesure.
Parlant d’une voix tendue, implacable, mais toujours maîtrisée, Liz Cheney a déroulé un véritable acte d’accusation contre l’ancien dirigeant. « Le président Trump a convoqué la foule, rassemblé la foule et allumé la mèche de cette attaque », a-t-elle dit. « Au cours de nombreux mois, a-t-elle poursuivi, Donald Trump a supervisé et coordonné un plan sophistiqué en sept parties pour renverser l’élection présidentielle et empêcher le transfert du pouvoir. »
Dresser un tableau d’ensemble
La commission, dont les travaux se poursuivront jusqu’à la rentrée, est donc déjà arrivée à la conclusion que le président se trouvait en première ligne dans la « tentative de coup d’Etat ». Après le 6 janvier et l’échec du projet, ses conseillers auraient même estimé qu’il « était trop dangereux pour être laissé seul », a ajouté Liz Cheney, expliquant également que des membres du cabinet avaient alors discuté d’une possible invocation de l’article 25 de la Constitution, en vue d’une destitution du président.
Le fil narratif tiré par la commission était déjà largement connu, en raison des nombreuses révélations dans la presse et des livres depuis seize mois. Mais, outre des témoignages inédits, les auditions publiques commencées jeudi doivent servir à dresser un tableau d’ensemble, à raconter l’histoire d’une catastrophe historique évitée de peu.
Avant même l’élection présidentielle du 3 novembre 2020, Donald Trump a mis en cause l’organisation et la sincérité du scrutin. Refusant ensuite d’admettre sa défaite, il a alimenté les théories conspirationnistes sur des fraudes imaginaires, tandis que ses avocats se lançaient dans une soixantaine de plaintes en justice, totalement vaines, pour contester l’élection. A partir de la mi-décembre, avec ses conseillers, Donald Trump a cherché un maquillage juridique pour empêcher la certification des résultats au Congrès. L’avocat et conseiller John Eastman a été particulièrement actif dans ces projets.
Donald Trump a ensuite appelé ses partisans dans tout le pays à affluer vers Washington pour mettre la pression sur les élus à la date fatidique, le 6 janvier. « Soyez-y, ce sera sauvage ! », écrivait-il sur Twitter. Enfin, le jour dit, Mike Pence a refusé de se prêter à la manipulation que lui proposait le président, lui préférant la Constitution américaine et la certification de l’élection.
Un montage vidéo très efficace
Liz Cheney a détaillé le calendrier des cinq autres auditions à venir – à commencer par celle du 13 juin – qui doivent décrire les étapes de l’entreprise préméditée de renversement d’un scrutin légitime. Sa longue intervention a été ponctuée par des extraits d’auditions, hélas très courts, avec des membres de l’administration Trump. Ils montraient que de nombreux responsables ne croyaient pas aux allégations de fraudes, à commencer par le procureur général, William Barr.
Celui-ci a rencontré Donald Trump à trois reprises en novembre et décembre 2020, lui signifiant clairement que parler de vol électoral, « c’était des conneries », selon son expression dans sa déposition vidéo. Ne voulant pas « participer à ça », William Barr a ensuite démissionné, le 23 décembre. La propre fille du président a pourtant retenu son analyse de la situation. « Je respecte le procureur général Barr, a expliqué Ivanka Trump, dans un extrait de son audition. J’ai donc accepté ce qu’il disait. »
Sur la base des témoignages de conseillers de la Maison Blanche, Liz Cheney a décrit un Donald Trump isolé, n’écoutant personne, intoxiqué par ses propres mensonges, en colère contre tous ceux l’appelant à la raison devant les images de l’assaut. « Conscient des chants des émeutiers appelant à pendre [le vice-président] Mike Pence, le président a répondu par cet avis, ouvrez les guillemets : “Peut-être que nos partisans ont une bonne idée” », a dévoilé Liz Cheney, avant d’ajouter ce mot de Trump sur son vice-président : « Il le mérite. »
L’élue républicaine a aussi précisé que Donald Trump n’avait contacté aucun responsable de son gouvernement chargé de questions sécuritaires, militaires ou civiles. Il n’avait pas donné l’ordre d’envoyer en renfort la garde nationale. C’est Mike Pence qui en a pris la responsabilité. L’image de ce dernier sort non seulement épargnée mais valorisée de cette première journée d’audition.
Une grande partie de ces deux heures en prime time a été consacrée à l’assaut du 6 janvier proprement dit. Un montage vidéo très efficace, sans commentaires, a été diffusé à l’attention du public, qui n’avait pas forcément vu dans la durée des travaux similaires faits par les médias. Entrecoupées de propos tenus par Donald Trump pendant son meeting et de communications radio entre policiers, ces images montraient l’ampleur des violences commises – même si des armes à feu n’ont pas été utilisées – et la gravité de l’insurrection.
« C’était un carnage »
Deux témoins ont comparu devant la commission. L’officier Caroline Edwards a donné un visage à la police du Capitole, très décriée pour son dispositif insuffisant. Elle a détaillé les agissements des émeutiers lors de l’assaut, leur coordination, leur violence de plus en plus exacerbée. Elle a rappelé son « euphémisme du siècle », formulé dans le feu de l’action à l’attention de son supérieur : « Sergent, je crois qu’on va avoir besoin de renforts ici. » Caroline Edwards a été bousculée, sa tête heurtant le sol, puis agressée une deuxième fois, après avoir repris son poste. « C’était un carnage, c’était le chaos, je ne peux même pas décrire ce que j’ai vu », a-t-elle dit, évoquant une « zone de guerre ».
L’autre témoin était l’auteur de documentaire Nick Quested, qui suivait l’organisation extrémiste Proud Boys, en ce début janvier 2021. Ses images, fournies à la commission, ont bien plus de valeur que ses mots. Il a assisté à la rencontre entre le leader du groupe, Henry « Enrique » Tarrio, et Stewart Rhodes, le fondateur de la milice extrémiste Oath Keepers. Cette réunion a eu lieu le 5 janvier, à la veille de l’assaut, dans un parking souterrain, au centre de Washington. Etaient également présents les chefs de deux organisations, les Vétérans pour Trump et les Latinos pour Trump. Nick Quested a décrit comment, dès le matin du 6 janvier, « plusieurs centaines » de Proud Boys se sont mis en route en direction du Capitole, avant même que le président ne prenne la parole. Cinq membres du groupe sont poursuivis par la justice pour « sédition ». La commission a diffusé de courts extraits dans lesquels plusieurs disaient s’être déplacés le 6 janvier en réponse à l’appel de Donald Trump.
Les trois principales chaînes nationales – ABC, CBS et NBC – ainsi que les chaînes d’information CNN et MSNBC ont diffusé cette première audition. Seule Fox News avait décidé de faire l’impasse, laissant le soin à ses présentateurs vedettes de dénoncer le déni des démocrates sur les failles de la sécurité au Capitole, ou bien la politisation de la commission.
Les investigations des élus et celles du département de la justice se développent parallèlement, mais passent par les mêmes intersections. Elles se nourrissent mutuellement, sans répondre aux mêmes exigences. Il est clair toutefois que le procureur général des Etats-Unis, Merrick Garland, se trouve à présent sous une très forte pression pour aller plus vite et plus loin. Dans les deux enquêtes, la responsabilité – politique d’un côté, pénale de l’autre – des élus républicains au Congrès, des conseillers autour de Donald Trump et de l’ancien président lui-même est en cause, bien au-delà des centaines d’émeutiers qui ont attaqué le bâtiment. Cette sorte de correspondance entre les deux démarches a été éclatante, jeudi matin, avec l’arrestation de Ryan Kelley, candidat républicain au poste de gouverneur dans le Michigan. Celui-ci se trouvait au Capitole au moment du 6 janvier comme participant actif, selon le FBI.
Joe Biden veille à se tenir à l’écart
Dans ce contexte politique et judiciaire explosif, Joe Biden veille à se tenir à l’écart. Les démocrates misent beaucoup sur ces auditions pour tenter de sortir d’un cycle médiatique désastreux. La popularité de Joe Biden est en chute constante. Dans la perspective des élections de mi-mandat de novembre, l’un des rares ressorts à la disposition de son parti consiste à rappeler la nocivité de l’adversaire et ses méfaits passés. Mais même dans les rangs démocrates, on ne se fait guère d’illusions sur la possibilité de créer un consensus autour des conclusions de la commission. Au mieux, l’espoir est de convaincre une partie des électeurs indépendants, centristes.
Selon une enquête du Pew Center publiée dans la foulée du 6 janvier 2021, 52 % des Américains estimaient que Donald Trump portait une large responsabilité dans les actes de violence. Un an plus tard, ce chiffre était tombé à 43 %. Autre évolution frappante au cours de cette période : ceux qui dédouanent entièrement l’ancien président sont passés de 24 % à 32 %. Un sondage publié lundi par la chaîne NBC montrait une évolution similaire. Il s’agit à la fois de l’expression d’une lassitude, de préoccupations quotidiennes très éloignées – l’inflation écrase tous les autres sujets – et, enfin, d’un sombre hommage à la désinformation organisée par les républicains et leurs relais médiatiques.
« Tout le monde dans le pays porte une part de responsabilité » pour le 6 janvier, expliquait, jeudi, Kevin McCarthy, le chef de file des républicains à la Chambre. « Tout le monde », donc personne en particulier. « Un jour viendra où Donald Trump ne sera plus là, mais votre déshonneur demeurera », a lancé Liz Cheney à l’attention de ses collègues républicains qui nient la gravité du 6 janvier et relaient les allégations de fraudes électorales.
En 1973, la télévision forgea l’opinion publique sur le scandale du Watergate, qui mettra à bas la présidence Nixon, en août 1974. Les auditions de la commission sénatoriale captivèrent l’Amérique au fil de cinquante et une journées de diffusion intégrale, comme une série de haute volée, riche en rebondissements et en suspens. En 2022, les auditions de la commission sur le 6 janvier se présentent sous un autre jour, dans un pays livré à un tumulte médiatique permanent, où l’idéologie domine. Une grande partie des faits sur le 6 janvier est déjà connue, à défaut de tous les détails. Ce n’est pas la vérité qui se dérobe, mais le désir de l’accepter qui manque.
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