Une Libyenne se trouve au bord de la mer Méditerranée dans la capitale Tripoli, classée parmi les villes les moins agréables au monde (AFP)
La capitale syrienne Damas est la ville la moins agréable du monde, selon une étude publiée mercredi par l’Economist Intelligence Unit (EIU)
Les capitales libyenne et algérienne, Tripoli et Alger, ainsi que la ville de Lagos au Nigeria, complètent les quatre dernières places de l’édition 2022 du Global Liveability Index.
Dans le cadre de cette étude réalisée en mars, 172 villes du monde entier ont été analysées et une note comprise entre 1 (insupportable) et 100 (idéale) leur a été attribuée. L’indice a été agrégé selon cinq facteurs : stabilité, soins de santé, culture et environnement, éducation et infrastructures.
Damas, Tripoli et Alger ont obtenu un score inférieur à 40 en raison de l’agitation sociale, du terrorisme et des conflits, selon le rapport.
La capitale syrienne est désignée par cet indice comme la ville la moins agréable chaque année depuis 2013 (à l’exception de 2020, l’étude ayant été interrompue en raison de la pandémie).
La guerre civile en Syrie se poursuit depuis 2011, année où le président Bachar al-Assad a écrasé un mouvement de protestation pacifique et entraîné le pays dans un conflit brutal. Aidées par ses alliés, les forces d’Assad ont repris la majeure partie du pays, y compris Damas et ses environs.
En parallèle, la Libye est secouée par la guerre et l’instabilité politique depuis le renversement du dirigeant de longue date Mouammar Kadhafi en 2011.
La semaine dernière encore, de violents affrontements entre groupes armés ont éclaté à Tripoli après une tentative de coup d’État manquée, alors que deux Premiers ministres rivaux se disputent le pouvoir dans le pays.
L’EIU précise que les dix villes qui ferment la marche – parmi lesquelles la capitale iranienne Téhéran – ont vu leur score s’améliorer par rapport à l’an dernier, à l’exception de Tripoli.
Au Moyen-Orient, l’hégémonie des villes émiraties
Le haut du classement est dominé par l’Europe occidentale : Vienne occupe la première place, tandis que Copenhague, Zurich, Genève, Francfort et Amsterdam figurent dans le top 10.
Trois villes canadiennes – Calgary, Vancouver et Toronto – prennent place parmi les dix villes les plus agréables à vivre au monde, aux côtés d’Osaka (Japon) et Melbourne (Australie), dixièmes ex æquo.
La capitale ukrainienne Kyiv a été exclue de l’étude en raison de la guerre avec la Russie qui a éclaté au moment où l’étude était menée.
Les villes russes de Moscou et de Saint-Pétersbourg ont dégringolé dans le classement en raison de la censure, de l’instabilité et des sanctions résultant du conflit.
Ailleurs au Moyen-Orient, les villes les mieux classées se situent principalement dans le Golfe : l’indice accorde à Dubaï et Abou Dabi près de 80 points.
Les capitales du Koweït, du Qatar, de Bahreïn, d’Oman, de la Jordanie et d’Israël ont toutes obtenu un score supérieur à 60.
Entre le milieu et le bas du classement, avec des scores compris entre 40 et 60, on retrouve les capitales égyptienne et tunisienne, Le Caire et Tunis, les villes de Casablanca (Maroc) et d’Istanbul (Turquie), ainsi que trois villes saoudiennes : Riyad, Djeddah et Khobar.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/damas-tripoli-alger-villes-les-moins-agreables-monde-classement
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À Alger, des designers repensent la ville. Une urgence !
Alger accueille jusqu’au 27 juin la première Biennale algéro-française du design, DZign 2020+1. Placée sous la thématique « repenser la ville par le design », cette rencontre a ouvert la voie à l’expérimentation urbaine. Pour l’occasion, Alger est devenue un réel laboratoire d’innovation : les concepteurs se sont appropriés la ville et ont imaginé des projets futuristes, durables et engagés dans l’amélioration de la vie de ses habitants.
Une préoccupation d’actualité alors que The Economist vient de classer encore une fois la capitale algérienne en bas de la liste des villes les plus agréables à vivre : Alger arrive à la 136e place sur 140, derrière Tripoli et Karachi !
Organisée par l’Institut français d’Alger (IFA) et placée sous le commissariat de la designer Feriel Gasmi Issiakhem, cette biennale devait initialement se tenir en mars 2020. Pour cause de pandémie, elle a été reportée d’une année. Selon les organisateurs, ce report a permis de renforcer le programme initial.
Expositions, discussions, portes ouvertes dans des universités partenaires, projections de films... : Feriel Gasmi Issiakhem explique à Middle East Eye le concept de biennale, « pas si éloigné de celui d’un festival ».
« Dans le monde de l’art, de l’architecture et du design, on utilise le terme de biennale car l’événement s’adresse à un public plus avisé. Partout dans le monde, une biennale dure un mois, c’est pourquoi nous avons élaboré un programme avec plusieurs temps forts », précise-t-elle.
Ce programme a été organisé autour de porteurs de projets, des « concepteurs » issus de tous les métiers formant la discipline du design.
« Ce qui est intéressant dans cette biennale, c’est justement cette démarche : faire cohabiter tous ces métiers autour d’un projet », ajoute la commissaire. « Nous exposons par exemple l’urbaniste Akli Amrouche, qui propose pour la première fois du mobilier urbain. Ou encore la designer Amina Laoubi, qui a conçu des ombrières pour le parc Tifariti [à Alger], un projet d’urbanisme. Ils conceptualisent tous des projets, quelles que soient leurs formations, et pourraient à l’avenir travailler ensemble. »
Un parcours dans la ville
Les trois temps forts de la biennale sont les trois expositions : « Extramuros » aux Ateliers sauvages (résidence de créations et lieu d’écriture), « Intramuros » à la Villa Abdellatif (résidence d’artistes), et l’exposition photographique « Photographiez la cité de demain » à l’Institut français d’Alger.
Ces trois expositions ont été montées de manière à suivre un parcours sur Alger. « C’est une manière d’avoir une sorte de marqueur dans le temps et l’espace. Montrer les projets de manière linéaire et donner la chance à toutes les expressions de rencontrer le grand public », décrit Feriel Gasmi Issiakhem.
Pour répondre au challenge « repenser la ville par le design », les concepteurs se sont exprimés à travers différents médiums : photographie, design graphique, maquettes, prototypes, objets, installations, vidéos.
« Le but de notre participation est d’interpeller sur des solutions qui n’existent pas encore chez nous mais qu’on pourrait lancer, comme le recyclage du béton »
- Riyad Aissaoui, designer
Pour Feriel Gasmi Issiakhem, l’objectif est de donner une liberté de création aux concepteurs et d’optimiser la compréhension pour le public.
Les médiums sont différents mais le message est le même. Les concepteurs évoquent tous le consumérisme. Ils ne veulent plus exister dans un monde surchargé d’objets. Ils proposent des projets techniques qui sacralisent la durabilité.
L’exposition « Photographiez la cité de demain » montre par exemple les clichés de vingt étudiants en architecture, algériens et français. Ces futurs architectes ont exprimé des inquiétudes et des souffrances, observées dans l’espace public. Qu’ils viennent d’Alger, Marseille, Nancy, Paris ou Lyon, ils portent tous le même discours : ils veulent « réparer l’existant ».
« Extramuros » est la plus spectaculaire des expositions, de l’avis des visiteurs que MEE a rencontrés. Les concepteurs ont repensé Alger en intervenant sur des espaces connus de la capitale : le jardin Tifariti, la baie d’Alger, l’esplanade des Fusillés. Ces repères ont permis aux visiteurs de se projeter dans la ville et d’imaginer l’apport des projets dans leur vie au quotidien.
Au jardin Tifariti, dans le quartier du Telemly, la designer Amina Laoubi propose un aménagement qui introduit l’artisanat et le design dans l’espace. Elle initie un ensemble d’activités qui mettent en valeur l’identité du lieu, garde certaines fonctions initiales du jardin comme les terrasses et les espaces de jeu, et aménage d’autres coins en espaces d’exposition en plein air, des bancs marquant des percées visuelles de la ville tout au long de la promenade.
L’architecte urbaniste et designer Liess Vergès propose une installation qui engage une réflexion sur la situation de la Casbah d’Alger. Il estime que même un lieu déserté, endommagé et abandonné à la dégradation, comme l’est l’ancienne médina de la capitale, n’est pas encore une ruine, il est « témoin de son histoire ».
« Certains habitants de la Casbah sont partis dans des quartiers plus habitables, pendant que d’autres sont restés dans une pauvreté de plus en plus aigüe. La solidarité, qui était constitutive de la société de la Casbah, a disparu. Résultat, les écarts se creusent. En tant qu’architecte, mon questionnement est là : il faut d’abord travailler sur la mémoire », analyse-t-il pour MEE.
Le projet de la designer Souad Delmi Bouras s’intitule « Dzira ». Il s’agit d’un banc public végétalisé. Ce mobilier urbain est, selon la description de sa conceptrice, « un espace de repos et de rencontres ». Soucieux de la question environnementale et de la durabilité, il veut absorber le CO2 et réintégrer l’élément végétal fonctionnel dans les espaces urbains. Un banc fait de terre, de végétaux et de planches de bois.
Pour le designer Riyad Aissaoui, qui propose un mobilier urbain connecté, cette exposition permet de démontrer qu’il est possible « d’intervenir sur l’espace public efficacement et à moindre coût ».
« Le but de notre participation est d’interpeller sur des solutions qui n’existent pas encore chez nous mais qu’on pourrait lancer, comme le recyclage du béton », explique-t-il à MEE.
« En tant que designer, je m’intéresse particulièrement aux avancées en matière de recyclage dans les autres pays. On ne parle plus de matière première mais de dernière matière. Ce genre de rencontre nous permet de confronter nos visions, de compléter nos connaissances et surtout, de dire qu’il est possible de concrétiser des projets dont le retour sur investissement est aussi assuré. »
Démarche écoresponsable
À la Villa Abdellatif, l’exposition « Intramuros » est dédiée à l’objet du quotidien : mobilier, luminaires, art de la table...
Les concepteurs Mouna Boumaza Bensalem et Khalil Bensalem proposent une installation constituée d’une table, composée de pieds cylindriques en sciure liée par de la résine, dans lesquels s’imbrique un fin plateau de tôle en laiton brossé.
Les deux concepteurs adoptent une démarche écoresponsable. Ils exploitent la sciure de bois, déchet issu de la fabrication de leurs mobiliers, et lui insuffle un nouveau cycle de vie, la sciure devenant ainsi matière première dans la création de produits inédits.
« Igerzzen » (la merveilleuse) est une lampe de chevet proposée par les artistes designers Leila Mammeri, Rachida et Samia Merzouk. Fabriquée en fer forgé et terre cuite, elle sert aussi de vide-poche et de diffuseur de parfum.
Pour Feriel Gasmi Issiakhem, cette biennale a pour objectif de « déstabiliser les certitudes de beaucoup de gens qui pensent que le design n’est qu’un objet ». C’est pour cette raison que les organisateurs ont pensé le programme des expositions en laissant en dernier celle dédié à l’objet.
« En visitant la première exposition, le public profane va se demander quel est le lien entre le design et la photo. Mais il comprendra vite que ce sont des architectes qui participent à l’exposition », souligne Feriel Gasmi Issiakhem.
« Ensuite, il découvrira ‘’Extramuros’’, liée à l’objet urbain, et là encore, il va engager une réflexion sur le lien du design avec des projets d’urbanisme. Enfin, avec ‘’Intramuros’’, dédiée à l’objet design, il comprendra que le design n’est pas de l’esthétique, c’est une science des processus au service de l’homme. »
DZign 2020+1 se clôturera dimanche 27 juin avant de revenir en novembre 2021 avec des expositions, des rencontres, des débats et des master classes dirigées par des personnalités internationales du design.
https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/algerie-designers-biennale-alger-repenser-la-ville-art-urbanisme
Le dernier souffle de la Casbah d’Alger
Maisons en ruines, artisans en voie d’extinction, rénovations abandonnées... chronique d’une disparition annoncée que rien – et surtout pas l’État – ne semble pouvoir enrayer.
Depuis les terrasses, le désastre causé par les nouvelles constructions en parpaing est bien visible (MEE/Adlène Meddi)
Là, comme un décor de théâtre oublié, des maisons dont des pans entiers se sont effondrés tiennent à bout de force des arcades mauresques suspendues dans le vide. Ici, des plaques de tôle tentent de voiler des dépotoirs que les odeurs ne parviennent pas à dissimuler. « Les constructions du XVIIe siècle se sont écroulées. Celles du XVIIIe commencent à s’effriter. À ce rythme, dans 30 ans, il ne restera plus rien de la Casbah », déplore L’hadi Bendebka, guide algérois et avocat spécialisé dans l’immobilier, qui assiste, impuissant, au délitement de la médina d’Alger.
Un décor en ruines
Car ni les classements internationaux, ni l’État n’ont pu empêcher le temps, le climat, les séismes et les hommes de fragiliser ce site unique, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992, habité depuis au moins le VIe siècle avant J-C par les Phéniciens, et dont les contours correspondent aujourd’hui aux remparts de l’époque ottomane. De la cité modèle qui influença l’urbanisme en Méditerranée occidentale et en Afrique sub-saharienne, il ne reste aujourd’hui que des photos sépias que les anciens de la Casbah placardent sur les murs de leur atelier ou les devantures de leur boutique comme la preuve ultime d’une grandeur passée qui ne reviendra jamais.
Celles de Khaled Mahiout s’exposent au milieu des coupures de presse en l’honneur de son père, des pochoirs en bois et des photos de famille. Il y a sept ans, l’État a décidé de restaurer la douirette (maison traditionnelle) de cet ébéniste décorateur. « Malheureusement, faute de trouver les artisans compétents, l’État a arrêté les travaux », raconte-t-il à MEE en nous faisant visiter le chantier. « Les ouvriers ont laissé sur place les gravats que j’essaie de jeter au fur et à mesure. Et je ne peux même pas reprendre la restauration à mon compte car l’État exige des artisans une expérience et des fonds dont aucun Algérien ne dispose. »
Pourtant, il y a urgence : depuis que la maison mitoyenne voisine a été rasée en 1982, les murs de la sienne sont en train de pivoter. Mais pour ce fils de la Casbah, il y a plus grave que la perspective de ne jamais voir sa maison rénovée. Il y a ses voisins : de « nouveaux » résidents, étrangers aux règles de la citadinité. Pire. Étrangers aux règles de la Casbah.
« Ils ont enlevé les portes et les balustrades, ils ont bouché les puits et ont construit sur les terrasses ! », s’emporte-t-il. « Je ne peux pas vivre avec ces gens-là. » Un peu plus bas dans la rue, une odeur d’excréments et d’égouts vous prend à la gorge. « Pour ne pas avoir à descendre en ville pour chercher de l’eau quand arrivait l’été et que les fontaines s’asséchaient, les habitants de la Casbah avaient construit, sous les maisons, des djoubs, des réservoirs pour récupérer les eaux pluviales », explique L’hadi Bendebka. « Quand les nouveaux résidents sont arrivés, ils ont fabriqué des toilettes à chaque étage et ont connecté les canalisations aux djoubs. Et comme les eaux usées ne sont pas évacuées, elles stagnent sous la maison. D’où cette odeur terrible… »
La vue depuis les terrasses ne trompe pas. Partout, du parpaing, du ciment, des tuiles, que ne peuvent supporter, sur le long-terme, les constructions organiques traditionnelles de la Casbah, faites de terre, de bois et de pierre, sans fondation. Selon l’Office de gestion et d’exploitation des biens culturels, un organisme public algérien, 400 parcelles vides (17 % du parc immobilier de la Casbah) et près de 1 200 bâtisses en ruine « menacent la solidité de l’ensemble du tissu urbain ».
Des plans de sauvegarde initiés par l’État, il y en a eu, pourtant.
Le dernier, appelé « plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah d’Alger », doté de presque 900 millions de dollars, remonte à 2012. Pour faciliter les opérations de restauration, l’État avait voulu racheter leurs biens aux propriétaires en mettant à leur disposition des logements temporaires. « Sauf qu’il est pratiquement impossible de trouver les véritables propriétaires, de nombreuses maisons étant occupées par des gens qui n’ont pas de titre de propriété », souligne L’hadi Bendebka. « Et même si on sait à quelle famille appartient une maison, les propriétaires, souvent les enfants, sont trop nombreux pour s’entendre. »
Quant aux habitants qui ont été déplacés dans les nouvelles cités-dortoirs en banlieue d’Alger, la plupart sont… revenus dans la Casbah. « Ils ont vite compris qu’il leur manquait l’essentiel, la vie de quartier », reconnaît Khaled Mahiout. Conséquence de ces mouvements de population et des velléités de restauration de l’État : la Casbah est devenue une incroyable manne d’argent pour les associations de défense du patrimoine et une énorme bulle de spéculation immobilière. « Les gens disent : ‘’Je te vends cher parce que l’État va restaurer gratuitement, témoigne un habitant. Résultat, on frôle les 6 000 dinars algériens (60 dollars) le mètre carré. »
Une situation qui fait bondir l’architecte urbaniste Halim Faïdi, contacté par MEE. « Au lieu de se demander ce qu’on veut faire de la Casbah dans 25 ans – une cité touristique ou un quartier d’Alger – on met en place des plans budgétivores. Sous prétexte qu’elle appartient au patrimoine mondial, on pense que c’est l’État qui doit s’en occuper. Or les autorités n’ont ni la vision, ni le talent, ni les compétences pour traiter ce dossier. »
Pour l’urbaniste, la solution est pourtant « simple ». « Il faut remettre la Casbah au secteur privé, comme cela a été fait à Sidi Bou Saïd en Tunisie ou à Marrakech au Maroc. Sinon, dans 10 ans, elle n’existera plus ». Puisque les gens qui y habitent n’ont pas les moyens d’acheter leur maison, cela permettrait de « régénérer la cité, surpeuplée, des deux tiers de ses habitants ». Alors que la Casbah comptait 3 000 habitants avant l’arrivée des Français, elle en contient aujourd’hui, selon les estimations, entre 50 000 et 60 000.
L’abandon des artisans
Dans sa cave éclairée au néon où il ne voit jamais la lumière du jour, Saïd, 54 ans, un des plus anciens dinandiers de la Casbah, fils craché des années Boumediene et héritier de l’idéologie socialiste, ne voit quant à lui le salut qu’en l’État. « C’est à lui de me donner un local assez grand pour que je puisse former des apprentis », affirme-t-il à MEE. « Si aujourd’hui je n’arrive pas à travailler, c’est parce que l’État n’a rien fait pour préserver les importateurs de cuivre. La matière première est très difficile à trouver ! Pour que les touristes viennent dans la Casbah, il faut qu’ils puissent y trouver des souvenirs ! »
Un peu plus bas, dans ce qu’on appelle la Basse-Casbah, partie de la citadelle détruite par les Français qui y ont construit un quartier haussmannien, Halim dénonce lui aussi la politique du gouvernement vis-à-vis des commerçants. Sa petite boutique de kalb elouz (pâtisserie à la semoule trempée dans le miel), où entrent plus d’abeilles que de clients, est un musée aux couleurs de l’USMA, l’un des deux clubs de foot algérois. Sur la porte est scotché un portrait en noir et blanc plastifié d’Ali Lapointe, héros de La Bataille d’Alger, le célèbre film de Gillo Pontecorvo, entouré d’Hassiba Ben Bouali et Petit Omar, figures emblématiques de la résistance algérienne. Ces demi-dieux omniprésents que la Casbah refuse d’oublier rôdent à chaque coin de rue.
« Moi, j’ouvre pour le prestige. Je ne gagne pas d’argent », déclare Halim en désignant ses gâteaux vendus 45 dinars (environ 0,20 dollars). « Mais l’État me réclame des impôts. En revanche, le marchand qui s’est installé sur mon pas de porte et qui vend des pétards alors que la loi en interdit normalement l’importation, on ne lui demande rien parce que le gouvernement n’ose rien exiger du commerce informel pour maintenir la paix sociale. »
Sous la flamme de son petit fer à souder et la lumière des néons, Jamaa Boudjemaa secoue la tête. « Ils ne nous ont pas aidés », lance-t-il pour désigner l’invisible magma de décideurs algériens. « Pourtant, la vie de la Casbah, c’est l’artisanat. Moi, je n’ai plus les moyens d’acheter de l’or, alors je répare les bijoux », raconte-t-il en saisissant une petite chaîne entre ses doigts d’ancien boxeur. Ce que je gagne me sert à acheter du pain et du lait. » Mais Jamaa ne renonce pas. Entre les ventilateurs et de vieilles photos qui attestent de sa présence depuis de nombreuses années, il montre fièrement les affiches des films Le Patriote et Le Gladiateur, où le visage des acteurs a été remplacé par le sien. Tout un symbole.
Au milieu de ces murs blanchis à la chaux et des rues aux pavés polis par le temps, là où les hommes sont partis, les souvenirs résistent. « Enfant, je passais ici avec mon père quand on allait voir les matchs de foot », se souvient Mohamed Rezala, éditeur de guide touristique. « On s’y arrêtait pour acheter des oublis [gaufres] ou un créponné [sorbet algérien au citron]. » L’hadi Bendebka évoque les effluves du Ramadan prisonnières des ruelles étroites, celles de la chorba (soupe) ou des boureks (rouleau de pâte feuilletée fourré). C'est toute l’âme d’Alger, dont le saint patron, le marabout Sidi Abderrahmane, repose dans le mausolée quelques rues plus bas. Rien qui ne suffise à arrêter la destruction de la Casbah, mais une façon de dire tout haut qu’elle ne se fait pas dans l’indifférence.
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