Article de Roland Pottier paru dans Gavroche, n° 10, juin-juillet 1983, p. 7-11
20 000 manifestants algériens silencieux face aux forces de police, un soir d’octobre 1961.
Ce jour-là, le 17 octobre 1961 vers 20h, une pluie fine tombe avec insistance sur l’asphalte parisien. Aux quatre coins de la capitale, des cortèges se forment pour converger vers son centre. Des travailleurs algériens sont venus de toute la région parisienne parce qu’ils n’admettent pas les contrôles d’identité, la fermeture de leurs lieux de rencontre après 19 heures et le couvre-feu de 20h30 à 5h30 imposé, le 6 octobre, par le préfet de police Maurice Papon.
Une manifestation pacifique
Certains ont mis leurs « beaux habits » : celui du dimanche, celui de la prière, celui d’après le travail des chaines de Citroën, Kléber-Colombes, Renault, des chantiers de bâtiment et travaux publics, des usines chimiques, des entreprises de services.
D’autres sont franchement loqueteux : pauvres des bidonvilles de Nanterre, Clichy, Gennevilliers, à peine débarqués d’Algérie.
Les manifestants arborent des écharpes vertes et blanches aux couleurs du drapeau du F.L.N. (1). Des slogans sont scandés au rythme des claquements de mains : « Algérie, Algérienne », « Indépendance immédiate de l’Algérie », « Libérez Ben Bella » (2), « Paix-Négociation ».
Les Algériens sont venus manifester sans armes : pas de couteaux, pas de bâtons, rien : « c’est une manifestation à la main », dira un Algérien. Cette volonté de manifester pacifiquement est destinée à combattre l’image de l’Algérien telle que la véhiculent alors les moyens d’information. Le Nord-Africain y est présenté comme un « égorgeur », un « fanatique religieux » un « manieur de couteaux », un « terroriste sanguinaire », un « poseur de bombe ». La presse, unanime, souligne le caractère non violent de la manifestation : « la police ne fait état d’aucune arme saisie » (Le Figaro), « Les musulmans respectent les consignes très strictes de calme »… (art. J. Ferniot, dans France Soir).
Combien sont-ils ? La préfecture de police dira : quelques milliers ; la presse : 20 à 30 000 ; les organisateurs : 50 000 ; d’autres observateurs français, proches des organisateurs, placés aux endroits des rassemblements, 30 à 50 000… Ce dont nous sommes certains c’est que tous les Algériens n’ont pu se trouver là en même temps. La police en a intercepté auparavant à la descente du métro ou du bus, sans compter qu’il existe plusieurs cortèges. Enfin tous les Algériens ne sont pas partisans d’une telle manifestation. Celle-ci surprend bon nombre de Français. Stupéfaits. dans les queues de cinéma, aux terrasses des cafés, sur les trottoirs, ils regardent ces hommes, ces femmes et ces enfants qui marchent dans les rues de Paris.
Avant cette manifestation, le F.L.N. avait mené en France une lutte clandestine, concrétisée par des destructions de dépôts de carburant (Rouen, Marseille…) et des attaques armées de commissariats de police en 1957, 1958, puis en 1961, comme par exemple les 3 et 4 avril où il y eut des tués parmi les policiers. Le F.L.N. organisa aussi des attentats contre des hommes politiques farouches partisans de l’Algérie française, comme, le 15 septembre 1958, Jacques Soustelle (3), et contre des Algériens hostiles ou qui ne voulaient pas cotiser au F.L.N. Ce type de lutte provoque une véritable psychose anti-algérienne dans la population française : « Le F.L.N. dresse l’opinion contre lui », « ces méthodes nuisent aux Algériens » et « de plus, elles permettent toutes les provocations contre nous » (Thorez, secrétaire du P.C.F., le 4 octobre 1958) (!)
Le gouvernement gaulliste de Michel Debré décide alors de renforcer considérablement le dispositif policier, en hommes, en matériel et en pouvoir. C’est ainsi que le préfet de police Papon visite régulièrement les commissariats où il remonte le moral de ses troupes : Réglez vos affaires avec les Algériens vous-mêmes. Quoiqu’il arrive vous êtes couverts » (4). Il augmente aussi les effectifs des « brigades spéciales de district » de 1 000 hommes et, le 18 mars 1961, il décide l’emploi de Harkis (Algériens favorables à la présence française en Algérie) dans la police parisienne.
Par ailleurs l’O.A.S. (Organisation de l’Armée Secrète créée en février 1961 et qui combat pour que l’Algérie reste française) pratique de nombreux attentats contre des musulmans mais aussi contre des Français. Du printemps l’automne 1961, l’O.A.S. frappe en métropole (5). Ces conditions expliquent en partie pourquoi le F.L.N. appelle à la manifestation pacifique du 17 octobre : marquer sa « volonté de paix », lutter contre la psychose anti-algérienne, faire preuve de courage face au renforcement du quadrillage policier, se démarquer des « activistes de l’O.A.S. ». Quant à Papon, pour justifier le couvre-feu, il invoque les menaces qui pèsent sur la sécurité du pays et sur la vie des Algériens « à cause des actes du F.L.N. ». De plus, il fait comprendre aux Algériens de France qu’ils ne sont pas des citoyens à part entière. Ils viennent, certes, d’un « département français » : l’Algérie mais n’ont pas les droits des Français, même si la loi du 7 mai 1946 permet à quelques-uns d’obtenir le statut de « français musulman », les autres (la quasi totalité) restant « algériens ».
Il n’est donc pas étonnant que le F.L.N. veuille faire de cette manifestation du 17 octobre 1961 un moment important de sa lutte. Elle doit signifier au gouvernement français que le F.L.N. est capable de montrer sa force en rassemblant des combattants jusque là dispersés « politiquement » sur le sol métropolitain.
LA GUERRE D’ALGERIE en novembre 1961
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Du 1er novembre 1954, date du déclenchement de la lutte armée par le F.L.N., au 3 juillet 1962, date de l’indépendance pour l’Algérie, la guerre connut plusieurs phases. Il en existe principalement deux :
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« Yeux tuméfiés, dos bleuis »…
Jean Cau, L’Express du 26 octobre 1961
Les organisateurs ont prévu 6 grands lieux de rassemblements : 1) Place de l’Étoile, avenue Wagram principalement : 2) Rond-Point de la Défense, Pont de Neuilly, station Sablons, Boulevard de la Mission-Marchand (Courbevoie) ; 3) Quartier latin en 4 points : place St-Michel, place Maubert, Jardin du Luxembourg, Boulevard St-Germain ; 4) Les gares : Nord, Est, St-Lazare : 6) Le quartier de Plaisance (14e).
C’est la que les Algériens se retrouvent ou tentent de se regrouper, c’est là que les heurts avec la police auront lieu. A chacun de ces endroits, la police veut empêcher la constitution de la manifestation. Malgré tous ses efforts (rafle aux descentes de métro, de bus, ramassage dans les cars de police…). elle n’y parvient pas. De 19h30 à 20h30, il n’y a aucune bagarre. La situation évolue vers 20h45. lorsque la police estime qu’il y a des endroits stratégiques qu’il convient de ne pas laisser franchir ou que le rassemblement a assez duré. A la station Sablons, certains Algériens veulent expliquer le sens de leur démarche aux forces de l’ordre. La réponse obtenue est on ne peut plus claire : « On va-t’en foutre de la dignité, ordure ! » et c’est la charge immédiate, instantanée, brutale, sans sommations puisque les organisateurs sont « hors la loi ». Partout le même scénario. Ainsi, des Algériens se rassemblent place Maubert, puis empruntent le boulevard St-Germain, traversent le carrefour de l’Odéon et là, la police intervient brusquement : accrochages, coups de feu, matraquages. De nombreuses lettres de lecteurs du journal Le Monde, notamment celle de l’éditeur Maspéro, confirment la gratuité, la violence, l’acharnement sauvage des brutalités policières. La police avait-elle des consignes particulières ? Nous ne le saurons sans doute jamais.
Dans certains endroits, il règne un climat de terreur. Boulevard Bonne-Nouvelle, près du cinéma Rex, on tire :
« … ce fut la tragédie, … la police a tiré, … 7 hommes restent sur le trottoir, grièvement blessés. L’un d’eux devait succomber ».
France Soir du 19 octobre 1961
Les harkis n’hésitent pas se servir de la mitraillette, des enfants tombent, ils ont 15 ans ! (Eve Dessare dans France Observateur du 28 octobre 1961). D’autres enfants sont emmenés par la police, pistolet dans le dos. Au quartier latin, 6 ou 7 agents s’acharnent sur un musulman couché sur le trottoir.
Sur les quais longeant la Seine, Pont de Neuilly, des Algériens sont roués de coups et jetés dans le fleuve par des gardiens de la Paix et des C.R.S. Quelques-uns coulent. Les méthodes sont expéditives :
« … une quinzaine d’entre eux ont coulé. D’autres essayent de regagner le bord, mais les agents tiraient dessus ».
France Soir, 19-10-1961
Le 6 novembre 1961, lors d’une conférence de presse tenue l’initiative des étudiants en médecine, le professeur Vidal-Naquet annonce que 40 corps d’Algériens ont été autopsiés à l’Institut médico-légal comme étant ceux de noyés. Cour de la Cité, environ 50 corps seront dénombrés. Boulevard St-Michel. les pharmacies ne désemplissent pas :
« … après la charge, 12 hommes étaient étendus, hébétés par les coups, le sang coulant de leur tète sur leur visage mouillé et mal rasé, sur leurs vêtements déchirés… ».
Témoignage Chrétien, 16-10-1961
Quelques-uns sont dirigés vers l’hôpital dans un état comateux avancé.
Aujourd’hui encore les estimations divergent. Dans un premier temps, la presse prend les chiffres officiels (ceux de Papon) :
« 2 morts, 64 blessés, 11 538 Nord-Africains arrêtés. La plupart vont être refoulés vers l’Algérie ».
Puis, lorsque le silence se déchire, que les témoignages et les révélations contradictoires envahissent les rédactions, des nuances apparaissent.
Ainsi Le Monde du 21 octobre note « … que le bilan officiel suscite des contestations, certains laissent entendre qu’ils (les morts et les blessés) Pourraient être plus nombreux qu’il n’a été dit » et L’Humanité du 7 novembre titre : « 60 cadavres d’Algériens, noyés ou assassinés, retrouvés en 1 mois Paris. Une information judiciaire est ouverte ». (On n’en connaîtra jamais le résultat…).
Par ailleurs, l’Inspection générale de la police estime à 140 le nombre de tués et le F.L.N. cite les chiffres de 200 morts et de 400 disparus. Ces deux dernières évaluations ne seront jamais démenties par le gouvernement. Interpellé le 27 octobre 1961 au cours d’un débat houleux au conseil municipal de Paris, M. Papon dira, suivant en cela le ministre de l’Intérieur Kogerfrey :
« la police parisienne a fait son devoir, tout simplement ».
« Je m’en vais prêt à vomir »…
Témoignage d’un militaire du Service de Santé, Témoignage Chrétien, 28 octobre 1961
« Les rescapés de ce triste sort », ainsi appelés par un manifestant algérien, sont raflés et parqués. Cette rafle n’a pas d’équivalent à Paris depuis celle de juillet 1942 au Vel d’hiv (où les Juifs furent arrêtés par la police française sur ordre de l’occupant nazi) 15 000 manifestants sont arrêtés.
De la cour de l’Opéra, des grands boulevards, de l’Étoile…, des cars, précédés de motards aux sirènes hurlantes, emmènent vers le Parc des Expositions et le Stade Coubertin des milliers de manifestants. Lorsque ceux de la police ne suffisent pas, les cars de la R.A.T.P. suppléent. Seuls quelques chauffeurs protestent contre cette réquisition… Cette pratique indignera bon nombre d’Algériens. L’un d’eux la dénoncera ouvertement dans l’Express du 16 novembre 1961 :
« … Aux syndicats, aux partis, à la gauche politique française d’être mis le nez sur leur pourrissement. Voici leurs troupes : ces chauffeurs d’autobus en car de police… et des ouvriers de chez Renault qui voient retirer de la Seine un cadavre d’Algérien et qui regardent, et qui s’éloignent, indifférents ».
La « procédure » est la suivante : arrivée du car, puis, entre deux haies de policiers, les Algériens sont frappés avec des nerfs de bœuf, des matraques en bois ou en caoutchouc. Après, c’est la fouille systématique : briquets, lunettes, … sont jetés pêle-mêle. Aucun journaliste ne peut pénétrer dans ces lieux de détention. Les témoignages dont nous disposons sont ceux des détenus et de militaires du contingent employés ce jour. la.
L’hebdomadaire Témoignage Chrétien et la revue Vérité-Liberté s’en font l’écho :
« … Les policiers effacent les traces de sang sur leurs « outils » et se dispersent. « Le calme revient… », « Tous débarquent comme le bétail à la Villette… du sang, partout… », « … des jeunes se font casser les doigts et les avant bras en se protégeant la tête ».
Dans ces lieux de détention, les conditions de vie sont précaires. La médecine est rudimentaire :
« … pour soigner les fractures, les morceaux de bois que nous trouvons sur le sol nous servent d’attelles… Pour les agités…, ce sont souvent les policiers qui s’occupent d’eux… et souvent les endorment coups de crosse… ».
Les repas sont pour le moins sommaires, et l’hygiène insuffisante.
Ces révélations seront confirmées par d’autres enquêtes, notamment celle de Jean Cau dans l’Express du 26 octobre 1961 :
« Je n’ai entendu que des récits où revenaient en litanie les mêmes mots : rafles, coups, tortures, disparitions, assassinats ».
La presque totalité des journaux de l’époque retraceront tous ces événements : Paris-Presse, l’Intransigeant, La Croix, Combat, Le Figaro, Le Monde, etc. Seuls Le Parisien Libéré et Paris-Match ne s’indignent, ni protestent.
La gauche s’indigne mais ne bouge pas
Après de tels événements qui font toutes les « Unes » quelles vont être les réactions de l’opinion publique française ? Force est de constater qu’elles sont très limitées. Les partis politiques qui soutiennent le gouvernement ne disent rien : M.R.P. (Démocrates chrétiens), U.N.R. (Union pour la Nouvelle République : gaulliste), C.N.I. (Centre national des indépendants d’Antoine Pinay) restent muets.
Quant à la gauche parlementaire (Socialistes de la S.F.I.O., radicaux, P.C.F.. U.D.S.R. de F. Mitterrand) le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle reste très discrète et très modérée. La brutalité policière est dénoncée, le régime gaulliste est fustigé :
« Le pouvoir gaulliste semble tout faire pour que s’élargisse le fossé creusé entre Français et Algériens par 7 ans de guerre ».
Déclaration du bureau politique du P.C.F.
Papon est vivement critiqué lors du débat de l’Assemblée nationale, le 30 octobre 1961, mais la protestation ne va pas beaucoup plus loin que le « ne recommencez pas » de la S.F.I.O.
Cet embarras et cette gène de la gauche, nous la retrouvons clairement dans la une du journal L’Humanité du 18 octobre 1961 :
« sur ce qu’a été cette tragique soirée, nous ne pouvons pas tout dire. La censure gaulliste est là. Et l’Humanité tient à éviter la saisie pour que ses lecteurs soient en tout état de cause, informés sur l’essentiel ».
Il faut dire que depuis le début de la guerre, la gauche n’a jamais eu une attitude nette vis-à-vis du F.L.N. et de l’indépendance de l’Algérie. Elle fut longtemps défiante envers le F.L.N., qu’elle ne reconnaissait pas comme « représentatif ». Elle dénonça les abus, les « bavures » et la torture commis par l’armée française, mais fut opposée l’insoumission et à la désertion de la part des soldats français. La gauche ne fera donc que s’indigner.
1961: PLUS DE 300 000 ALGERIENS EN FRANCE
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Les Algériens sont indispensables à l’économie française, comme l’écrit dans les années 1960 un économiste : « La concurrence dans le Marché Commun ne sera supportable… que si notre pays dispose d’une main-d’œuvre lui permettant de freiner une inflation salariale dont l’année 1961 a indiqué l’ampleur possible… La main-d’œuvre algérienne a le mérite de pouvoir être utilisée dans les zones ou dans les branches où sa mobilité vient pallier les inconvénients de la rigidité des structures de la main-d’œuvre en France ». Au recensement de 1962, les Algériens sont 334 940 (277 520 hommes et 57 420 femmes). Les concentrations importantes sont situées dans 4 régions : région parisienne, Nord, Lorraine. Rhône-Alpes et Bouches-du-Rhône. Les branches d’activités où ils dominent : bâtiment, métallurgie, mines. |
Quant aux syndicats, leurs réactions ne furent guère différentes. C’est ainsi que la C.G.T. maintient son mot d’ordre de grève chez Renault pour 30 centimes d’augmentation le 18, et que le 30 octobre les Unions départementales C.G.T., C.F.T.C., F.O., et U.N.E.F. (étudiants) rédigent un communiqué qui se limite à une simple condamnation de la brutalité policière :
« Nous tenons à faire savoir qu’une répression policière analogue déclencherait une réaction immédiate de l’ensemble des travailleurs et des étudiants de la région parisienne ».
Il n’y aura donc aucune manifestation de rue organisée par les partis de gauche ou les syndicats, pas de débrayages massifs dans les usines.
Parmi les Parisiens qui avaient assisté aux affrontements du 17 octobre, seuls des individus isolés protégèrent les manifestants pourchassés. Des ouvriers ont ainsi raccompagné leurs camarades algériens chez eux. Le personnel de l’hôpital Ste-Anne réussit libérer 450 femmes emprisonnées dans l’hôpital : un jeune couple convoya un blessé dans sa 2 CV jusqu’au dispensaire le plus proche ; des gestes de ce genre permirent à quelques Algériens de « s’en sortir ».
LES 121
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Le 5 septembre 1960, jour du procès du Réseau Jeanson (Réseau de soutien du F.L.N. en France, constitué de Français) la presse signale très discrètement un manifeste signé par « 121 intellectuels » (1). Ainsi « Le Monde », en dernière page, ne lui consacre qu’un mince entrefilet. Voici un extrait du manifeste : « De plus en plus nombreux, des Français sont poursuivis, emprisonnés, condamnés, pour s’être refusés à participer cette guerre ou pour être venus en aide aux combattants algériens. Dénaturées par leurs adversaires, mais aussi édulcorées par ceux la même qui auraient le devoir de les défendre, leurs raisons restent généralement incomprises… Encore une fois, en dehors des cadres et des mots d’ordre préétablis, une Résistance est née par une prise de conscience spontanée… Les soussignés… déclarent : — Nous respectons et jugeons justifiée le conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimes au nom du peuple français. — Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. — la cause du peuple algérien qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres ». Suivent 121 signatures, dont celles de Simone de Beauvoir, Blanchot, Jean-Louis Bory, Pierre Boulez, Marguerite Duras, Daniel Guérin, Mannoni, Pignon, Alain Resnais, Alain Robbe-Grillet, Françoise Sagan, Simone Signoret, Jean-Paul Sartre, François Truffaut, Pierre Vidal-Naquet. Ce manifeste est très important dans la mesure où il porte sur la place publique le débat sur l’insoumission et la désertion. C’est aussi l’affirmation ouverte d’une possible solidarité avec le peuple algérien. Le Général de Gaulle déclara : « Tant qu’on donne la parole au couteau, On ne peut pas parler de politique ». Ceux qui signèrent la pétition furent l’objet de tracasseries professionnelles. Par exemple, Danièle Delorme est rayée du programme de la représentation de Pirandello le 29 septembre 1960. Une Ordonnance prise en Conseil des ministres prévoit « la suspension provisoire de tout fonctionnaire coupable d’apologie de la désertion » (28 septembre 1960). Le plus connu des fonctionnaires sus-pendus par le ministre des Armées, Pierre Messmer, sera Laurent Schwartz, professeur à l’École polytechnique. D’autres intellectuels publient un contre manifeste où il est question de « rebelles fanatiques, terroristes et racistes… », « de professeurs de trahison », Roland Dorgelès, Jules Romains, le maréchal Juin, Henri de Monfreid ont signé ce contre-manifeste. |
Un petit parti, le P.S.U. (Parti Socialiste Unifié créé en 1960, opposé à la politique pratiquée en Algérie) organise une manifestation. Il y a peu de présents. Ceux-ci, médecins, avocats, universitaires vont publiquement rompre le silence et s’élever contre la répression. Ainsi des universitaires renommés : Kastler, Dresch, Ricatte et Schwartz, lisent le 31 octobre une déclaration dans les amphithéâtres de la Sorbonne :
« Si les Français acceptent l’institution légale du racisme en France, ils porteront dans l’avenir, la même responsabilité que les Allemands qui n’ont pas réagi devant les atrocités du nazisme ».
Cet appel semble avoir eu un certain écho. De leur propre chef, dans certaines villes de province, comme par exemple à Charleville-Mézières et Reims le 20 octobre 1961, des femmes françaises et algériennes bravent la police, descendent dans la rue, et crient :
« A bas le racisme ! », « Indépendance immédiate ! », « Rendez-nous nos hommes ! ».
LE COMITE AUDIN
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Le 11 juin 1957, Maurice Audin, Assistant de la Faculté des sciences d’Alger, militant communiste, est arrêté. Il est accusa d’avoir hébergé et soigné des militants du F.L.N. et du P.C.A. (Parti Communiste Algérien). Questionné par les lieutenants Erulin et Charbonnier, on ne le reverra jamais plus. Le 21 juin, les autorités militaires soutiennent La thèse de l’évasion lors d’un transfert en jeep. Cette « disparition » provoque l’indignation et bientôt une pétition circule, exigeant la « vérité ». De nombreux universitaires utilisent les colonnes du journal Le Monde pour se joindre à cette protestation (Bruhat, Vidal-Naquet, Crouzet…). C’est ainsi que va naître le Comité Audin, en novembre 1957. Son but essentiel : examiner le dossier, établir la vérité, faire des publications. La première réunion de ce comité aura lieu le 2 décembre 1957, où est lue la thèse que Maurice Audin devait soutenir. Grâce à son action tenace, il sera établi que la torture fut utilisée dans l’interrogatoire d’Audin (Le Monde du 14 décembre 1957) et que ce dernier fut bel et bien « assassiné » par ses tortionnaires (L’affaire Audin, de Vidal-Naquet, 12 mai 1958). Par la suite ce comité sera à l’origine de nombreuses mobilisations contre la torture et la répression. Ce comité regroupe avant tout des intellectuels des enseignants, des journalistes, quelques rappelés et membres de leurs familles. Laurent Schwartz sera son président à partir du 30 juin 1960. Les vice-présidents sont Jean Dresch (communiste) et H. Irène-Marrou (catholique). |
Quelques jours plus tard, le 1er novembre, deux rassemblements sont organisés, tous deux place Maubert à Paris. Le premier par les « 121 », le second par le « Comité Audin » (voir encadré). Qui sont ces personnes ? A vrai dire, le symbole d’une certaine fraction des Français, celle qui s’oppose résolument à la guerre d’Algérie. Ces deux rassemblements attirent aussi des jeunes qui, des le début de l’année 1961, excédés par les attentats de l’O.A.S., ont fondé le F.U.A. (Front Uni Anti-fasciste). Cette riposte, à laquelle il faut ajouter la grève de la faim des prisonniers algériens pour obtenir le statut de « régime politique » en novembre fut donc faible, mais réelle.
Roland POTTIER
Pour en savoir plus
• Histoire de la Guerre d’Algérie, de B. Droz et L. Lever (Points, Seuil)
• La guerre d’Algérie, d’Yves Courrière (Fayard).
• Sources : Journaux d’époque.
(1) Front de Libération nationale. Mouvement politique doté d’une structure militaire, l’Armée de Libération nationale. Ce mouvement a été créé en 1954 sur la base : « Lutte pour l’Indépendance de l’Algérie ».
(2) Leader algérien détenu en France depuis l’interception en vol, le 22 octobre 1956, d’un avion marocain dans lequel il se trouvait en compagnie de 4 autres dirigeants du F.L.N.
(3) Jacques Soustelle fut nommé Gouverneur général de l’Algérie par Mendès-France, en 1955. Il fut remplacé en 1956. Soustelle gaulliste, soutient le « Front de l’Algérie Française », puis, après la dissolution de celui-ci, le 15.12.1960, l’O.A.S. Universitaire spécialiste des civilisations pré-colombiennes, c’était un militant anti-fasciste d’avant-guerre et un Résistant.
(4) Texte envoyé à la presse par un groupe de « policiers républicains » le 31 octobre 1961. Cité dans « Histoire de la guerre d’Algérie », d’Henri Alleg, 366.
(5) 22 avril : Putsch à Alger des généraux Challe, Zeller, Jouhaud, Salan, qui refusent les résultats du référendum du 8 janvier 1961 accordant l’autodétermination à l’Algérie.
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