Michel Le Hur, habitant Vannes (Morbihan), fait partie des centaines de soldats envoyés en Algérie, pour une guerre qu’ils ne cautionnaient pas. Il souhaite que l’Histoire se souvienne des « rappelés ».
A 3 h du matin, les gendarmes de Vannes ont cherché Michel Le Hur dans son appartement du troisième étage de ce petit immeuble, pour l’envoyer servir en Algérie. | OUEST-FRANCE
Près de 70 ans après son incorporation de force dans les rangs de l’armée française et son envoi en Algérie, Michel Le Hur, 93 ans, ne comprend toujours pas que l’épisode des « rappelés de la guerre d’Algérie » soit passé sous silence. « De nombreux reportages sont diffusés en ce moment à la télévision sur ce conflit de 1954 à 1962. Aucun ne parle de nous », s’offusque cet habitant de Vannes (Morbihan).
Si l’histoire de ces militaires est tombée dans l’oubli, la mémoire de Michel ne le trahit pas. Il se souvient des moindres détails de son enfance, puis des années d’avant-guerre. De sa naissance à La Roche-Bernard, à son arrivée à Vannes, où lui, son frère et ses parents emménagent au troisième étage d’un petit immeuble situé place de la Préfecture. « Ma mère tenait une épicerie au rez-de-chaussée. Lorsque j’ai eu 14 ans, elle est tombée malade. J’ai tenu la boutique tout seul pendant quatre mois. »
Appelés, mais contre la guerre
Brevet élémentaire en poche, le jeune garçon commence à enseigner au Faouët (Finistère) puis à l’école Saint-Joseph de Vannes. « J’avais soixante gosses sous ma responsabilité, à 16 ans et demi. En parallèle, je prenais des cours particuliers et je suis finalement entré aux ponts et chaussées, à 18 ans ».
Alors en poste comme dessinateur auxiliaire, Michel est envoyé au 3e Génie de Metz, pour y effectuer son service militaire. A son retour à Vannes, la guerre sévit en Algérie. Les gendarmes frappent aux portes des hommes mobilisables. Il en fait partie. « Un jour de 1954, ils ont toqué chez ma mère. Elle avait perdu son premier fils, elle a donc dit qu’elle ne savait pas où j’étais. Ils m’ont cherché pendant trois jours. Un matin, ils sont venus à 3 h et m’ont embarqué. »
Sur le quai de la gare de Vannes, les freins du train ont été sabotés. Premier acte de résistance des opposants au conflit algérien. Avec du retard, le convoi finit par rejoindre Angers. « Là-bas, on a récupéré d’autres jeunes rappelés. Il y avait des CRS partout pour éviter qu’on s’échappe. » Les contingents finissent par arriver à Marseille, dernière étape avant l’Algérie. « Tout le long du trajet, les gens nous faisaient des signes de soutien. On avait noté Paix en Algérie sur le wagon. »
Appliquer la loi de France
Quelques jours plus tard, Michel et ses camarades de régiment foulent le sol algérien, sans illusion. « En France, on lisait le Nouvel Obs, et L’Express. On savait ce qu’il se passait en Algérie. On était contre la guerre. On voulait en sortir par la négociation avec le FLN (Front de libération nationale, NDLR). »
Les appelés déjà sur place, à Sidi-Aïch dans le nord du pays, les accueillent avec soulagement et leur racontent les horreurs du conflit. « Leur capitaine était un fou furieux. Un vrai tueur. Nous, on était dans le génie civil. On avait six mois pour construire une piste d’aviation. Mais on a vite déchanté. » Une cinquantaine de Kabyles, censés travailler avec eux, ne viennent plus sur le chantier. « On a su qu’ils n’étaient pas payés depuis le début de la guerre. C’était une aberration. »
Les militaires français découvrent avec révolte le traitement réservé aux Algériens. Aucun salaire, pas de pension versée aux anciens combattants qui ont pourtant servi en France pendant la Seconde Guerre mondiale et aucune infrastructure pour la population. « Les locaux ne connaissaient pas un mot de français. Il n’y avait pas une école à 90 km à la ronde ! »
Quelques actes militants
Par leur détermination, Michel et les autres appelés font bouger les lignes : « Pour protester, on a stoppé le chantier. Le lendemain, un hélicoptère est arrivé avec à son bord un colonel. On lui a expliqué tout ce qu’on avait vu. Vingt-quatre heures plus tard, un télégramme est arrivé à l’administration. Tous les salaires ont été versés aux ouvriers kabyles. »
En six mois passés en Algérie, Michel a su se faire apprécier des locaux par son humanité. « On nous appelait les Français de France. Simplement parce qu’on appliquait la loi française. » Pour lui, les rappelés de la guerre d’Algérie méritent une mise en lumière : « Notre conviction et notre position très claire contre la guerre ne doivent pas être oubliées. »
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