Ce mois de mars a été extrêmement riche en activités auxquelles Coup de soleil ne pouvait manquer de participer, puisqu’il s’agissait de l’Algérie et de la Guerre d’indépendance à laquelle les Accords d’Evian ont mis fin il y a soixante ans. Pour parler de cet événement La Lettre vous propose une mise au point très éclairante de Tahar Khalfoune, extraite de sa conférence du 16 mars à Sciences Po Lyon.
Il n’empêche que la littérature et la vie des gens telle qu’elle la raconte ont leur place dans cette Lettre, sous la forme de trois romans, « L’amour des choses invisibles » de Zied Bakir, « Amour extérieur nuit » de Mina Namous, « Tous les mots qu’on ne s’est pas dits » de Mabrouk Rachedi. Et comme l’actualité en bande dessinée est riche ces dernières semaines, nous vous invitons de faire connaissance avec le dernier album de Zac Deloupy et Swann Meralli « Appelés d’Algérie » .
Il y a certainement un peu de malice dans le rapprochement des deux films dont il est question dans cette Lettre, car ils sont on ne peut plus différents, celui de Guiraudie « Viens je t’emmène » comportant une part de provocation tandis que celui de la Tunisienne de Salma Baccar »El Jaïda » est un bel exemple de cinéma humaniste et militant.
Nous terminons par un article que nous a confié Claude Bataillon sur le dernier roman de Leïla Slimani, en fait le 2e de ce qui est annoncé comme un trilogie. Ne manquez pas de lire l’appel qui est adressé à la fin de cet article à tous les lecteurs et lectrices de La Lettre de Coup de Soleil RA, y répondre serait un moyen pour tout le monde de participer au réveil post-covidien longtemps attendu.
Denise Brahimi
Merci à Julia Andersson, stagiaire Erasmus suédoise dans notre association, pour la saisie et le mise en page de cette Lettre.
De quelques aspects juridiques des Accords d’Evian par Tahar Khalfoune
Conférence du 16 mars 2021 à Sciences Po Lyon)
Soixante ans après leur signature le 18 mars 1962 à Évian-les-Bains en Haute Savoie par Krim Belkacem et Louis Joxe, représentants respectivement le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA)
et le gouvernement de Michel Debré, les Accords d’Évian,
dont le cessez-le-feu est entré en vigueur le 19 mars à 12h00, ont scellé officiellement la fin de la guerre d’Algérie qui a duré plus de sept ans et d’une longue nuit coloniale de 132 ans. Le processus des négociations, ayant abouti à leur signature, fut loin d’être un long fleuve tranquille, cet accord de paix fut préparé par de nombreuses rencontres secrètes sans succès tant en France qu’en Suisse et en Égypte…, à commencer par celle de Melun (25-29 juin 1960), puis de Lucerne le 20 février et de Neuchâtel le 5 mars 1961, d’Evian I (20 mai-13 juin 1961), en passant par les rencontres de Lugrin (20-28 juillet 1961), de Bâle, (28 octobre, puis le 10 novembre qui connurent des avancées décisives), des Rousses (18 – 25 février 1962) jusqu’à l’ultime rencontre qui a eu lieu de nouveau à Évian du 7 au 18 mars 1962. Tous ces rendez-vous ont préparé en quelque sorte l’accord final, et les ultimes négociations n’ont fait en vérité qu’entériner ce qui a été décidé quelques semaines auparavant lors de la réunion décisive des Rousses.
Pendant sa négociation et après sa conclusion, cet accord a suscité de graves conflits et désaccords au sein de chaque partie. Les officiers de l’état-major général (EMG) de l’Armée de libération nationale (ALN) l’ ont sévèrement dénoncé dans une espèce d’alliance objective avec l’Organisation Armée Secrète (OAS), une organisation politico-militaire clandestine, dirigée par le général Raoul Salan, fondée le 11 février 1961, pour la défense de la présence française en Algérie par tous les moyens, y compris le terrorisme. Les ultras de l’OAS reprochèrent au général de Gaulle et son gouvernement d’avoir capitulé et abandonné l’Algérie aux Algériens, alors que l’armée a triomphé sur le terrain de la guerre depuis, notamment le déploiement des redoutables opérations du général Challe (février 1959- avril 1961), et organisèrent des attentats visant aussi bien les forces de l’ordre que la population algérienne. De leur côté, les dirigeants de l’EMG (Houari Boumediene, Ali Mendjeli, Ahmed Kaïd et le commandant Mokhtar Bouyezem) accusèrent le GPRA d’avoir trahi et offert l’Algérie à la France.
Six décennies plus tard, ils continuent de susciter nombre de questions sur le plan juridique, notamment les modalités de leur entrée en vigueur en ce qui concerne l’Algérie. Notons d’abord qu’en droit international « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est consacré par la Charte des Nations unies (art. 1-2) adoptée aux États-Unis (San Francisco) en juin 1945. Puis l’Assemblée générale de l’ONU lors de sa 15eme session du 20 décembre 1960, a adopté une résolution 1514 (XV) sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples colonisés. Rappelons que l’Émir Khaled (petit-fils d’Abdelkader) fut le premier nationaliste à évoquer, dans sa lettre adressée le 23 mai 1919 à Thomas Woodrow Wilson, président des États-Unis d’Amérique, l’injustice du système colonial et à lui rappeler son message (Wilson) à la Russie de mai 1917 « aucun peuple ne peut être contraint de vivre sous une souveraineté qu’il répudie » dans l’espoir que le président Wilson intervienne en faveur des Algériens indigènes et que son message, devenu plus tard un principe onusien, profite aux Algériens.
En France, le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie, intervenu le 8 janvier 1961, a prévu que le destin politique de l’Algérie sera décidé par les populations algériennes. Après la signature de ces Accords le 18 mars 1962, ils ont été publiés au journal officiel de la République française le 20 mars 1962, puis ratifiés d’abord par les Français par le référendum du 8 avril 1962 (90, 7 %), les Français d’Algérie n’étant pas associés, ensuite par les Algériens grâce au référendum du 1er juillet (99,72 %) de la même année.
L’indépendance fut reconnue le 3 juillet 1962 par une déclaration du président de la République, Charles de Gaulle. Le GPRA, lui, a choisi la date symbolique du 5 juillet – date anniversaire de la prise d’Alger par les troupes du maréchal de Bourmont en 1830 – pour sa proclamation. Précisons que la France n’a pas reconnu le GPRA ; Jean de Broglie, secrétaire d’État chargé des affaires algériennes, a déclaré au Sénat le 21 mars 1962 que ces Accords ne sont pas le fait de deux gouvernements et que la France n’a pas reconnu le GPRA et l’accord n’est pas un engagement international (J.O, Sénat, 21 mars 1962, p. 112). Le secrétaire d’État a tenu à préciser que la France a signé un cessez-le-feu avec le FLN.
En effet, il n’était pas possible pour la France de reconnaître l’existence de deux gouvernements au sein d’un même État. Par conséquent, il est, politiquement, plus correct pour le gouvernement français d’admettre que l’accord de paix est signé avec une organisation politique indépendantiste, le FLN. L’historien Charles-Robert Ageron, avisait que les Accords d’Évian sont juridiquement un accord signé par les deux parties, un cessez-le-feu qui engageait le gouvernement français et le FLN. Quant aux déclarations dites gouvernementales accompagnant l’accord, « elles n’étaient pas signées bien que délibérées d’un commun accord », elles n’engageaient pas le GPRA puisque non reconnu par le Gouvernement français.
Soulignons aussi que, contrairement au droit français, ces Accords n’ont pas fait l’objet d’une publication au journal officiel de la république algérienne. (L’accord de cessez-le-feu ne fut publié que par le journal El Moudjahid du 19 mars 1962). Même la loi du 31 décembre 1962 qui pourtant reconduit la législation antérieure à l’indépendance est adoptée sous bénéfice d’inventaire puisque les dispositions contraires à la souveraineté nationale et celles qui sont d’inspiration colonialiste ou discriminatoire, ou encore celles qui sont de nature à porter atteinte à l’exercice normal des libertés démocratiques en sont exclues. Or les Accords d’Évian furent condamnés et qualifiés par le programme de Tripoli, issu des travaux de la dernière session (28 mai-7 juin 1962) du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), de « plate-forme néocolonialiste ». Ces accords tombent donc sous le coup des dispositions qui ne doivent pas être reconduites.
Alors la question qui se pose d’elle-même est par quel procédé ces accords étaient-ils entrés en vigueur ? Si pour la France la question semble résolue par leur publication dans le journal officiel du 20 mars 1962 et leur ratification par le peuple le 8 avril 1962, en ce qui concerne l’Algérie le GPRA s’est engagé dans la déclaration générale sous le titre V «
Des conséquences de l’autodétermination » que dès l’annonce des résultats officiels du référendum sur l’autodétermination « les règles énoncées par la présente déclaration générale et les déclarations jointes entreront en même temps en vigueur ». Etant donné que la France n’a pas reconnu le GPRA, la déclaration générale des Accords publiée par le Monde du 20 mars, le sigle GPRA est remplacé par celui du FLN. La ratification populaire de l’autodétermination du 1er juillet 1962 est donc le procédé d’entrée en vigueur des dispositions de ces Accords. Ainsi le résultat de ce référendum, en vertu des dispositions de ce même accord, engage en principe l’État algérien.
En dernière analyse l’on peut dire que, malgré leurs insuffisances, les dénonciations et les suspicions dont ils continuent de faire l’objet, ces accords revêtent le caractère d’un traité international, ne serait-ce que parce qu’ils ont produit des effets dans les deux pays quand bien même ils les ont modifiés de fait, partiellement appliqués et enfreints sur certains aspects. Ils n’en ont appliqué que ce qui leur convenait en fonction de leurs intérêts. Il s’agit en quelque sorte d’un traité à la carte, c’est-à-dire que l’on en a choisi de part et d’autre ce que chacun a bien voulu appliquer et ce qu’il a entendu rejeter. En vérité, l’ineffectivité de certaines dispositions de cet accord ne le distingue ni de certains traités internationaux appliqués partiellement ni du droit algérien en général parce qu’il n’est pas rare de voir l’État algérien se soustraire aux engagements internationaux auxquels il a souscrit et aux normes qu’il a lui-même édictées, et au premier rang desquelles les normes constitutionnelles.
Posted on 2022-03-30 by Coup de soleil en Rhône-Alpes
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