Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski d’une part, Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora d’autre part, retracent le réveil d’un peuple face à la puissance coloniale.
Une délégation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), avec, à sa tête, Krim Belkacem, le 18 mars 1962, lors de la signature des accords d’Evian.
MARDI 1ER-MERCREDI 2 ET LUNDI 14-MARDI 15 MARS – SÉRIES DOCUMENTAIRES
De ce passé qui ne passe pas ou si mal, cet abcès toujours à vif, comment faire œuvre de pédagogie ? Six décennies après la fin de la guerre d’Algérie, le temps presse pour transmettre aux nouvelles générations, non pas la mémoire – saturée de contentieux – mais le savoir minimal autour d’un conflit dont les acteurs et témoins se font de plus en plus rares.
Le soixantième anniversaire des accords d’Evian – signés le 18 mars 1962 – est l’occasion d’une production prolifique dont se détachent deux œuvres dans le registre du film documentaire : En guerre(s) pour l’Algérie, de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, et C’était la guerre d’Algérie, de Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora.
Les deux ambitions se recoupent forcément au fil d’une narration où l’on voit l’utopie de l’Algérie française, minée par ses contradictions internes (une République « civilisatrice » niant si longtemps l’égalité politique), se désagréger face au réveil d’un peuple autochtone s’arrachant à « la nuit coloniale ».
Des massacres de Sétif du 8 mai 1945 aux festivités de l’indépendance du 5 juillet 1962, en passant par le soulèvement de la Toussaint de 1954, la « pacification » des djebels, la bataille d’Alger de 1957, le retour du général de Gaulle le 13 mai 1958, la semaine des barricades de 1960, le putsch des généraux de 1961, la realpolitik gaulliste à Evian et le désespoir des pieds-noirs ralliés à la folie meurtrière de l’OAS : les deux récits radiographient un schisme aux séquelles toujours douloureuses dans les deux sociétés. Leurs partis pris éditoriaux sont heureusement distincts, permettant à chaque film d’imposer sa singularité.
Dans « En guerre(s) pour l’Algérie », soixante-six témoins – deux tiers en France, un tiers en Algérie – ont confié leurs souvenirs
L’apport d’En guerre(s) pour l’Algérie, de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, né d’une collaboration entre l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et Arte, est sans conteste la richesse des témoignages recueillis. Deux équipes de recherche, l’une en France, l’autre en Algérie, se sont livrées à une « collecte patrimoniale de grande ampleur », permettant de « raconter la guerre du point de vue des gens ordinaires, aussi variés soient-ils », précise Mme Branche.
Soixante-six témoins – deux tiers en France, un tiers en Algérie – ont ainsi confié leurs souvenirs, leur perception de l’autre, leur évolution au gré de l’événement, leur enrôlement parfois dans le combat, certains avouant même avoir tué.
Une telle matière a débouché sur un triple produit : la mise en ligne, à partir du mardi 1er mars, de ces entretiens intégraux (trois heures par témoin) sur le site de l’INA ; la publication d’un livre rassemblant une quinzaine de ces entretiens (En guerre(s) pour l’Algérie, présenté par Raphaëlle Branche, coédition Arte-Tallandier, 432 pages, 22,90 euros) ; enfin, le documentaire proprement dit (six épisodes), mêlant fragments d’entretiens à des archives visuelles souvent inédites – exhumées de fonds privés – et enrichies des dernières avancées de l’historiographie.
Les auteurs insistent ainsi sur certains « points de bascule », comme les fameuses manifestations algériennes de décembre 1960 qui achèvent de convaincre de Gaulle de l’emprise du FLN sur les musulmans d’Algérie ou l’activisme diplomatique des indépendantistes sur la scène internationale.
Découpage chronologique
L’option de C’était la guerre d’Algérie, de Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora, est sensiblement différente, à commencer par un découpage chronologique accordant une large place aux origines de la colonisation. « Il fallait raconter la violence de la conquête et des dépossessions foncières pour comprendre pourquoi la guerre a éclaté plus d’un siècle plus tard », souligne M. Stora.
L’autre parti pris assumé des auteurs est de mettre l’accent sur les « rendez-vous manqués », de l’échec du projet du « royaume arabe » de Napoléon III, torpillé par le « pouvoir naissant de l’armée en Algérie », aux multiples trahisons de la promesse d’égalité par une République acculant au désespoir les plus modérés des musulmans.
Troisième choix, Benamou et Stora valorisent des personnages historiques (Messali Hadj, Ferhat Abbas) témoignant de la pluralité des courants du nationalisme algérien, non réductible à l’orthodoxie du FLN, ainsi que des figures intellectuelles (Albert Camus, Germaine Tillion) ayant vainement tenté d’ouvrir d’autres voies que celles de l’inéluctabilité d’une violence indiscriminée.
Les civils paieront un prix élevé à cette dernière, comme en témoigne, notamment, le massacre par un chef local du FLN de 374 habitants du village « traître » de Melouza, en mai 1957, M. Stora réexhumant pour l’occasion les témoignages glaçants déjà diffusés dans son documentaire pionnier, Les Années algériennes (1991). « Il faut aussi que les Algériens assument leur histoire », observe l’historien.
En cette saison documentaire particulièrement riche sur l’Algérie, les radios ne sont pas en reste avec la série de podcasts de RFI par Latifa Mouaoued sur les Algériennes issues de l’immigration (La France, mon bled. Femmes d’Algérie, filles de France : paroles et regards croisés) et la série de France Culture « La Guerre d’indépendance racontée par les Algériens », de Rafael Lewandowski et Rafik Zénine.
En guerre(s) pour l’Algérie, série documentaire de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski (Fr., 2022, 6 x environ 50 min), disponible en intégralité sur Arte.tv, et C’était la guerre d’Algérie, série documentaire de Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora (Fr., 2022, 5 x 52 min), disponible en intégralité sur France.tv.
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