Dans l'Eure, elle révèle un épisode sombre et caché de la guerre d'Algérie
Véronique Gazeau interroge la responsabilité de l'armée française dans une opération militaire qui a coûté la vie à quinze soldats, le 11 janvier 1958, en Algérie.
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Dans l'Eure, elle révèle un épisode sombre et caché de la guerre d'Algérie
Véronique Gazeau interroge la responsabilité de l'armée française dans une opération militaire qui a coûté la vie à quinze soldats, le 11 janvier 1958, en Algérie.
Le 19 mars 1962 acte la fin de huit années de guerre en Algérie, à la suite de la signature, la veille, des accords d’Évian. À l’occasion du 60e anniversaire de ce cessez-le-feu, Véronique Gazeau publie Mourir à Sakiet, Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie. Un ouvrage qui ne manquera pas de susciter la curiosité des anciens combattants, voire la polémique, puisqu’il traite d’un épisode historique passé sous silence : l’embuscade tendue le 11 janvier 1958 à la 12e compagnie du 3/23e Régiment d’infanterie par l’Armée de libération nationale sur la frontière algéro-tunisienne.
Quinze jeunes soldats perdent la vie dans des circonstances méconnues et tues à leur famille. Quatre soldats seront faits prisonniers. À la suite de cette embuscade, l’armée française répliquera en bombardant le village tunisien de Sakiet-Sidi-Youssef, le 8 février 1958, qui fera 70 morts.
En quête de la vérité
Après des années de recherches, Véronique Gazeau, professeure universitaire d’histoire médiévale, accompagnée de l’historien Tramor Quemeneur, spécialiste de la guerre d’Algérie, revient sur cette embuscade du 11 janvier 1958, dans laquelle a été pris Bernard Goddet, l’oncle de Véronique Gazeau, tué à l’âge de 23 ans. Pour la première fois, l’historienne apporte la preuve qu’une mauvaise décision prise par le capitaine René Allard, à l’époque à la tête de la 12e compagnie du 3/23e Régiment d’infanterie, est responsable de la mort des quinze soldats.
Le régiment positionné ce jour-là à la frontière algéro-tunisienne, le capitaine donne l’ordre à ses soldats d’intervenir pour intercepter un soi-disant convoi d’armes en provenance de la Tunisie, ce qui reviendrait à prouver que le pays est un allié des maquisards algériens. Mais le capitaine se trompe. Le convoi n’existe pas et les soldats tombent dans un piège tendu par la résistance algérienne.
Cette embuscade, personne n'en parle car ce n'est pas à la gloire de l'armée française.
Sans cet épisode qui fait quinze victimes, l’armée française aurait-elle bombardé le 8 février 1958 le village tunisien de Sakiet-Sidi-Youssef ? Personne ne peut le prouver. Mais une chose est sûre, selon Véronique Gazeau, l’armée française utilisera cette embuscade comme une « raison valable » de se retourner contre la Tunisie.
Un sujet tabou dans la famille
« Je n’avais que 5 ans lorsque mon oncle a été tué en Algérie », se souvient Véronique Gazeau. Pendant de très longues années, au sein de la famille, les circonstances de la mort de Bernard Goddet ne sont jamais abordées. Le sujet est sensible. On se mure dans un profond silence.
Ma grand-mère ne parlait jamais de Bernard. On disait seulement qu'il avait été tué en Algérie. Entre 1958 et 2003, on n'a jamais rien su.
Sur la table de nuit de sa grand-mère (la mère de Bernard), Véronique garde seulement le souvenir d’une photo de Bernard. Ce n’est qu’en 2003, suite au décès de sa grand-mère âgée de 105 ans, juste après l’enterrement, que le père et la tante de Véronique lui font cette demande : « Tu es l’historienne de la famille. Il faut absolument que tu saches ce qu’il s’est passé dans cette affaire », se souvient Véronique Gazeau, avant d’ajouter : « Le silence devait désormais être comblé par le travail que j’allais entreprendre. »
Professeure d’histoire spécialisée dans la période du Moyen-Âge, la nièce de Bernard Goddet décide alors de se plonger dans la guerre d’Algérie. Elle épluche les archives, retrouve et interroge des rescapés de l’embuscade du 11 janvier 1958, et récupère de nombreuses informations sur la vie de son oncle : « Ma tante m’avait remis dans un cartable 84 lettres écrites par Bernard à sa famille et à ses amis lorsqu’il faisait son armée. Il y avait également des carnets et des feuillets rédigés par Bernard, transmis le jour où le cercueil avait été remis à ma famille. J’ai récupéré tous ces documents. » Commence alors un long travail de recherche.
J'ai mis 18 ans et demi à écrire ce livre.
Pour renforcer sa crédibilité, elle sollicite Tramor Quemeneur, élève de Benjamin Stora et historien spécialiste de la guerre d’Algérie qui rédigera la dernière partie de l’ouvrage dans lequel sont également publiées les 84 lettres de Bernard Goddet.
En ce 60e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, Véronique Gazeau rend, à travers ce livre, hommage à son oncle et aux membres de sa famille traumatisés et disparus, qui n’ont jamais su ou voulu savoir la vérité. Et elle éclaire en même temps une zone d’ombre, un épisode de l’Histoire, que les vivants ont besoin de comprendre.
Infos pratiques : Mourir à Sakiet, Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie deVéronique Gazeau et Tramor Quemeneur, aux éditions Presses universitaires de France (PUF). Prix : 24 €. Véronique Gazeau sera en dédicaces vendredi 1er avril, de 9 h à 12 h, à la librairie Milles Feuilles de Pont-Audemer, rue de la République.
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