L’ancien ministre de la Défense et homme fort d’Alger au début de la guerre civile est poursuivi pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le parquet fédéral a procédé à l’audition finale du prévenu.
Khaled Nezzar en 2016 à Alger. — © Ryad Kramdi / AFP
Après dix ans d’une procédure jalonnée de rebondissements, le général algérien Khaled Nezzar, 85 ans, pourrait bientôt être renvoyé devant un tribunal helvétique pour y répondre de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le prévenu, qui était ministre de la Défense et qui a fait partie des cinq membres du Haut Comité d’Etat au début de la guerre civile, deviendrait ainsi l’un des plus gros poissons à devoir rendre des comptes devant une juridiction nationale ordinaire en application du principe de compétence universelle.
L’audition finale de Khaled Nezzar, pris dans les mailles de cette procédure à l’occasion d’un séjour à Genève en 2011, s’est déroulée à Berne les 2 et 4 février derniers dans les locaux du Ministère public de la Confédération (MPC). Le parquet fédéral se contente de confirmer la tenue de cet ultime interrogatoire sans faire d’autre commentaire.
Participation contestée
De son côté, la défense, composée de Marc Bonnant, Magali Buser et Caroline Schumacher, indique que Khaled Nezzar «conteste fermement» les charges que la procureur fédérale Miriam Spittler envisage de retenir à son encontre. Soit d’avoir, entre le 14 janvier 1992 et le 31 janvier 1994, participé comme complice (en sa qualité de chef de la junte militaire) à des meurtres, des actes de torture, des traitements inhumains et des détentions arbitraires, tous qualifiés comme les pires des crimes. «La compétence universelle n’est pas synonyme de savoir universel. Le général a mené une résistance légitime contre les islamistes et n’a ni commis, ni ordonné d’exactions», plaide déjà Marc Bonnant.
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Au terme de cette audition de trois jours, le général a pu repartir librement, malgré la demande d’arrestation des six parties plaignantes qui craignent de le voir s’évaporer à jamais ou exercer des pressions sur les victimes et les témoins. Marc Bonnant assure que son client, actuellement domicilié en Algérie, se présentera à un éventuel procès: «Ce sera un superbe combat.»
Les avocats du général estiment enfin que de nombreuses demandes d’actes d’enquête n’ont pas encore été traitées et soulignent que la confrontation avec le seul plaignant l’ayant accusé de l’avoir personnellement maltraité n’a jamais pu avoir lieu car celui-ci ne s’est jamais présenté. La défense ajoute que l’essentiel des reproches se fonde sur les déclarations de militants du Front islamique du salut (FIS) et «de sources non vérifiables accessibles en ligne».
«Pas de géant»
Pour l’organisation Trial International, qui est à l’origine de la dénonciation, cette étape marque au contraire «un pas de géant dans la lutte contre l’impunité». La fin de la procédure ouvre la voie à un renvoi en jugement de Khaled Nezzar devant le Tribunal pénal fédéral, qui siège à Bellinzone, pour des faits gravissimes. Une décision formelle de clôture de l’instruction, suivie d’un acte d’accusation, est attendue très prochainement. «C’est la dernière occasion pour les victimes algériennes d’obtenir justice. Personne n’a jamais été poursuivi en Algérie, et encore moins jugé pour les crimes commis durant la guerre civile», souligne encore Philip Grant, directeur de Trial.
Laïla Batou, avocate genevoise qui représente un plaignant dans ce dossier hors du commun, espère que le parquet fédéral ne laissera pas au prévenu le soin de jouer la montre. «Mon client, qui est un intellectuel, a été soumis à des tortures épouvantables et attend que ses souffrances soient enfin reconnues. Il est très reconnaissant pour tout le travail d’enquête qui a été accompli et pour avoir pu faire entendre sa parole durant cette instruction.»
Instruction laborieuse
Une instruction difficile et mouvementée que rien ne prédisait arriver à son terme. Poursuivi dès octobre 2011, alors que sa présence est signalée sur le territoire suisse (une condition pour ouvrir la procédure), Khaled Nezzar invoque d’abord sa fonction de ministre à l’époque des faits pour se protéger des ennuis judiciaires. La Cour des plaintes rejette l’argument, considérant que l’immunité ne peut être invoquée pour les crimes internationaux.
En 2017, c’est le MPC qui classe l’affaire au motif de l’absence de conflit armé au début des années 1990 entre le Groupe islamique armé (GIA) et les forces algériennes. Ce classement est annulé, les juges estimant que les conditions (niveau minimal d’intensité du conflit et présence de groupes rebelles organisés) sont réunies. «En l’espèce, il ne fait aucun doute que Nezzar était conscient des actes commis sous ses ordres», indique encore le même arrêt, tout en ouvrant la voie à une autre accusation de crimes contre l’humanité, également imprescriptible. «Les faits reprochés pourraient avoir été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile.»
Le procès de Khaled Nezzar – si celui-ci a bien lieu un jour – sera le deuxième du genre à se tenir devant le Tribunal pénal fédéral. En juin 2021, Alieu Kosiah, ancien chef de guerre libérien, a été condamné à une peine privative de liberté de 20 ans pour crimes de guerre. Il a fait appel contre ce jugement.
Lire à ce sujet: L’immense culpabilité d’Alieu Kosiah, chef de guerre cruel
https://www.letemps.ch/suisse/un-proces-se-dessine-suisse-general-algerien-khaled-nezzar
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