Les acteurs de "Là-bas de l’autre côté de l’eau".Fabienne Rappeneau
Pour la première fois, le théâtre aborde de front les vérités de l’Algérie française, ses amours et ses aigreurs. Réussite totale.
Monter un spectacle sur la guerre d’Algérie, et prétendre le jouer dans un théâtre privé, il fallait oser. Le sujet est riche, encore très inexploité, parce qu’il gêne. De part d’autre, les rancoeurs sont vivaces. Harkis dépossédés. Algériens humiliés. Eh bien, Pierre-Olivier Scotto et Xavier Lemaire s’y sont attelés. Admirablement soutenus à la production par deux institutions privées : le théâtre La Bruyère dont la directrice, Marguerite Gourgue, est une «pied-noir de la 5e génération», et le Théâtre Actuel dont le directeur, Jean-Claude Houdinière, fut un soldat et acteur culturel pendant 2 ans dans ce pays dont il est tombé amoureux. Chapeau, les producteurs, l’affaire n’était pas gagnée.
Douze acteurs et encore plus de personnages
D’abord, en termes économiques, il fallait prendre le risque d’embaucher une douzaine de comédiens et autant de techniciens. Ensuite, en termes artistiques, comment faire parler les deux parties? Comment démontrer, expliquer, illustrer ? Enfin, last but not least, la pièce dure… 2 heures et demie. Pourtant, on ne voit pas le temps passer.
Le pari est réussi, et de loin. Des acteurs se démultiplient en plusieurs rôles. Les personnages principaux sont convaincants, évolutifs, attachants. Il y a la mère, Française et chef d’entreprise, sa fille, assoiffée de liberté, d’art et de plaisirs, le jeune Algérien, résolu à s’émanciper, l’appelé, rocker de Montrouge, qui découvre le monde militaire, sa brutalité, les tortures… Il y a l’amour, les liens indestructibles tissés au fil des ans, les préjugés, les mots malheureux, les politiques, lâches, ambigus, cyniques.
Les auteurs et producteurs personnellement concernés `
Les auteurs connaissent leur affaire, surtout Pierre Olivier Scotto, né là-bas en pleine guerre : «Je suis un Pied-Noir. Mes ancêtres italiens et espagnols s’étaient établis dans ces terres ensoleillées qu’ils aimaient depuis quatre générations.» Ils n’ont rien inventé. «On se base sur les témoignages des protagonistes». C’est toute la valeur de cette pièce, élaborée un peu comme du journalisme scénarisé. En cela, le metteur en scène Xavier Lemaire s’était rodé au dispositif avec deux autres pièces récompensées, «La soupe aux orties» et «Les coquelicots des tranchées», sur les deux Guerres mondiales.
Fiers Algériens… jamais reconnus vraiment
Au fil des actions qui filent à toute vitesse, on se met dans la peau de chacun. On comprend le fier Moktar, lassé d’être redevable à la France; on comprend la mère qui a déroulé sa vie, ses efforts dans ce pays, qui a donné sa confiance à ses employés algériens, devenus des intimes. Pourtant, elle refusera à sa fille de se fiancer à l’Algérien qu’elle aime. Enfin, les amoureux qui s’en foutent, veulent être artistes et profiter.
Des acteurs convaincants qui se donnent
Les comédiens sont magnifiques. Et comme dans tous les bons films, les personnages secondaires, sont aussi excellents : militaires, fonctionnaires, commerçants, juifs, catholiques… tous très réels. Ils parlent comme là-bas! Et c’est revigorant, drôle. Mais il y a des moments terribles : à la fois grotesques et embarrassants quand apparaissent les politiques, violents lors des combats.
Une pièce bien ficelée et audacieuse
La pièce se divise en chapitres, avec des dates, et des intitulés historiques, ce qui permet de ne pas se perdre. On peut n’avoir qu’une connaissance approximative des évènements, on saisit les choses. C’est intelligent, poignant, et nécessaire. Mais jamais ennuyeux. On est soi-même énervé, mortifié, attristé et, à la fin, perplexe et désemparé. Car les auteurs n’éludent pas la question des non-dits. Cette production salutaire ouvre les vannes. Comme le résume Marguerite Gourgue : «il est temps de poser les armes et reprendre le dialogue»
Paris Match |
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